Pleureuses/48

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La haine (1895)
PleureusesErnest Flammarion (p. 187-190).
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LA HAINE


Malgré toi ta beauté me brave.


Nous sommes tous les deux ensemble
Nous, les amants à l’infini,
L’ouragan pleure et le ciel tremble…
Nous n’avons rien qui nous unit !

Nous regardons le soir céleste
Qui se plombe et tombe sans fin,
Et le silence nous déteste,
Et notre amour a toujours faim.


Tandis que l’ombre nous azure
Ainsi qu’un grand couple éternel,
Le silence comme un murmure
Remplit la chambre jusqu’au ciel.

Et lorsque la nuit souveraine
T’étoile de son vieux reflet,
Je sens comme une grande haine
Qui nous sépare et se tait.

Je t’aime pourtant, oh je t’aime
Demi-pleurante en tes attraits,
Et vague, avec ton diadème
Où frissonnent les astres vrais.

Presque cachés par l’heure sombre,
Je vois surgir blanches, sans bruit,
Les mains que tu tends à mon ombre
Dans les abîmes de la nuit.


Et lorsqu’un grand rayon t’éclaire
Je devine invinciblement
Que je ne sais pas ta lumière,
Que l’on s’ignore, et que l’on ment !

J’avais rêvé comme un apôtre
D’inaccessibles unions ;
Nous sommes l’un auprès de l’autre,
Il faut que nous nous haïssions !

Hélas, lorsque mon âme est pleine
De tant d’impuissance et d’adieu,
Je souffre d’avoir tant de haine
Et je voudrais t’aimer un peu…