Pleureuses/55

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PleureusesErnest Flammarion (p. 217-220).
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LA CHANSON DU SOIR


Sois la grandeur, la grandeur même…


Tandis que tu chantes, j’écoute
L’éternel adieu d’autrefois,
Tout ce qui tremble dans ta voix
Du bonheur laissé sur la route.

Plaintive, tu chantes toujours ;
Comme notre soir est docile…
Notre divinité tranquille
C’est la longueur de tous les jours.


C’est de porter, très monotone,
Le sceptre de ne croire à rien,
C’est les soirs où l’on se souvient,
Où l’on frissonne, où l’on pardonne.

C’est le mal qu’hier soit passé,
Que l’aube ne t’a point suivie,
C’est le silence de la vie
À la prière du passé.

C’est pourquoi, calme enfant qui cueilles
Ce passé qui fut de l’espoir,
Dans ta pauvre chanson du soir
Les mots tremblent comme des feuilles.

Le cœur finit par s’endormir
De la tristesse de chaque heure,
Puisque c’est la loi que tout meure
Et que tout pleure de mourir.


Au crépuscule qui te noie,
Ô toi qui ne souris jamais,
Tes yeux purs sont toute la paix,
Ton cœur est grand comme la joie !

Que ton âme sans horizon,
Accueillante à tout, triste et pure,
Soit le calme de la nature
Et la souffrance des maisons.

Oh ! sois douce, grave et bénie,
Toi qui m’as chanté la chanson
Où j’ai senti comme un frisson
Que la douleur est infinie.

Que nous importe l’avenir,
Moi, vieux cœur que le temps affame,
Et toi, grande âme et pauvre femme,
Qui n’attendons plus rien venir !


Tu hantes la vieille demeure
Parmi le soir paisible et doux,
Et tu chantes : autour de nous
Rien n’écoute et pourtant tout pleure.