Pluie météorique

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PLUIE MÉTÉORIQUE

Le 18 mars de cette année, il est tombé, à Alexandrie, une averse tout à fait extraordinaire ; l’eau de la pluie, au lieu d’être pure et limpide, était trouble, jaunâtre et chargée d’un sédiment ferrugineux. L’observatoire météorologique d’Alexandrie, recueillit dans son pluviomètre, un volume assez considérable de cette eau anormale, que M. Giulio, professeur de chimie à l’université de cette ville, s’est chargé d’analyser avec le plus grand soin. Nous avons en notre possession les résultats de ce travail intéressant et nous sommes heureux de les publier, au moment où l’illustre professeur Nordenskiold, vient de jeter un jour nouveau sur les sédiments atmosphériques ; cet explorateur, comme le savent nos lecteurs, a examiné la neige des régions polaires et il y a découvert des granulations de carbone, probablement dues aux débris de météores, pulvérisés dans les hautes régions de l’air. Des pluies analogues à celle qui est tombée à Alexandrie ont fréquemment inondé le sol des pays civilisés, mais c’est à peine si l’on a daigné prêter quelque attention à ces grandes expériences de la nature. Combien de fois n’a-t-on pas repoussé avec dédain le récit d’observateurs sincères rapportant qu’ils avaient vu tomber des pluies de soufre et des pluies de sang, affirmant que l’eau du ciel offrait des propriétés exceptionnelles ! Ce n’était évidemment ni du soufre ni du sang qui coloraient l’eau condensée au sein de l’air, mais probablement la matière des aérolithes pulvérisés, qui s’était mêlée à la vapeur d’eau des nuages, au moment où elle reprenait l’état liquide, ou bien encore les poussières terrestres enlevées du sol par quelque ouragan.

L’eau tombée du ciel, à Alexandrie, le 18 mars 1873, trouble, et d’une couleur gris jaunâtre, était sans odeur et d’une saveur particulièrement terreuse. Après un long repos elle laissait déposer un sédiment brunâtre, tacheté de grains noirâtres, sans qu’elle pût devenir complètement limpide, quel que soit le temps de repos auquel elle était soumise. Quand on la filtrait, la fine poussière qui en troublait la transparence était si ténue qu’elle passait d’abord à travers les pores du filtre, et ce n’est qu’après un grand nombre de filtrations successives, qu’il fut possible de l’obtenir limpide et claire. À cet état, sa densité était de 1,00029.

Elle n’offrait pas de réaction acide ou alcaline ; elle était par conséquent complètement neutre. D’après M. Guilio, voici la composition de cette eau de pluie.

Un litre contenait 0gr,123 de matières solides, formées de 0gr,067 de substances minérales et de 0gr,056 de substances organiques. Les matières minérales solubles dans l’acide chlorhydrique étaient formées de carbonate de chaux, de carbonate de magnésie, de sesquioxyde de fer (0gr,016), de traces de silice et d’alumine. Les matières minérales insolubles étaient essentiellement formées de silice et d’alumine. La matière organique renfermait de notables proportions d’azote.

Les dernières observations du professeur Nordenskiold tendent à démontrer que l’eau condensée à l’état de pluie ou de neige, peut en balayant les hautes régions de l’air, se charger de poussières météoriques, dont elle rapporte les vestiges, jusqu’à la surface du sol. Il y a déjà quelques années, un chimiste des États-Unis, M. Phipson, ayant exposé au vent des plaques de verre enduites d’un corps visqueux comme la gélatine, pendant les nuits où les averses de météores étaient abondantes, a retrouvé de nombreux débris de poussière ferrugineuse à la surface polie de la glace qu’il avait opposée au courant atmosphérique. Il est certain que des météorites se brisent et font en quelque sorte explosion dans les hautes régions de l’air ; il est donc très-naturel que la poussière produite par cette porphyrisation tombe à la surface de la terre, ou est entraînée par les eaux pluviales qui peuvent se former au moment de cette pulvérisation. Il est possible même que ces sédiments célestes jouent un grand rôle dans l’économie de notre globe, et nous ne serions pas éloigné de croire que si les météorites visibles à l’œil nu sont innombrables, ceux que l’on ne voit pas, et qui tombent sur notre terre à l’état de poussière impalpable, sont plus innombrables encore.

Il ne faudrait pas cependant pousser à l’excès une semblable théorie ; les pluies chargées de substances minérales semblables à celle qui est tombée à Alexandrie peuvent uniquement contenir des poussières terrestres enlevées dans l’air par des vents violents. Sachons être éclectiques dans les explications des phénomènes terrestres, comme la nature l’est elle-même dans les causes qui les produisent.

Gaston Tissandier.