Pluviôse (Pouget)

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Almanach du Père Peinard1894 (p. 9).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


PLUVIÔSE



Pluviôse, le mois de la flotte. S’il pleut ferme, bons bougres, ne vous en foutez pas la tête à l’envers : y aura moins de poussière par les chemins. Ceux qui ne geindront pas, si ça dégouline comme vache qui pisse, ce sont les campluchards. Pour eux, pluie de février, c’est jus de fumier. En fait de fumier, que je leur dise : y a rien d’aussi bon que les carcasses de richards et de ratichons, mises à cuire six mois dans le trou à purin. Ça dégotte tous les engrais chimiques du monde. En effet, le jour où les culs-terreux utiliseront ces charognes, ils n’auront plus ni impôts, ni dîmes, ni rentes, ni hypothèques, ni foutre, ni merde, à payer, — conséquemment, aussi maigre que soit la récolte, elle sera toujours assez grasse pour eux.

Il se peut qu’au lieu de nous verser de l’eau à pleines coupes, Pluviôse nous amène un temps humide, brouillasseux, avec des bourrasques de neige à la clé, — ceux qui ne suceront pas les pissenlits par la racine m’en diront des nouvelles.

Sûrement, les purotins trop nombreux, qui auront des ribouis à soupapes, ne trouveront pas chouette d’avoir les pieds à la sauce. S’ils sont malins, ils se trotteront à la grande cordonnerie à 12 fr. 50 ; puis, une fois gantés à leurs pieds, ils se tireront des flûtes vivement, prouvant ainsi au marchand que sa camelotte est extra.

Dans la deuxième décade, mardi gras s’amènera, rudement maigre pour le populo. Les bouchers étaleront des bœufs, des moutons, des veaux à leurs devantures : cette carne dodue mettra l’eau à la bouche du pauvre monde et ce sera tout… Ces tas de mangeaille iront entripailler les bourgeois.

Un tas de jean-foutre, qui vivent déguisés d’un bout de l’an à l’autre, n’auront pas à se fiche en frais, pour être en costumes de carnaval.

Primo, c’est la frocaille : moines moinillant, nonnes et nonnains, évêques, curés, vicaires, cagots et ostrogots… au total tout le paquet de la puante ratichonnerie.

Deuxièmo, c’est leurs copains, enjuponnés comme eux, les marchands d’injustice : chats-fourrés, grippe-minauds, chicanous, avocats-bêcheurs, et toute la vermine qui vit de leur maudit métier.

Troisièmo, c’est les militaires : les ronchonnot, les vieilles badernes, les culottes de peau, depuis l’adjuvache jusqu’aux généraux, tous ces massacreurs patentés, baladant leur ferblanterie en plein soleil, — avec beaucoup de rouge, sur leurs frusques théâtrales, afin que le raisiné du populo qu’ils ne se privent pas de faire giscler, ne fasse pas tâche dessus.

Puis c’est les polichinelles de la politiquerie : quoique n’étant pas costumés, ces birbes-là n’en sont pas moins des pierrots de carnaval.

À toute cette engeance, — et à celle que j’oublie de citer, — l’année sera mauvaise ; sera-t-elle aussi mauvaise que le souhaite le grand gniaff ? C’est là le grand hic !…