Poèmes (Canora, 1905)/Baiser d’automne

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(p. 100-101).


BAISER D’AUTOMNE


 
Octobre. — Le soleil s’attriste dans les cieux,
Les coteaux du Valois s’enveloppent de brume.
Dans les plaines, au loin, j’ai vu briller des feux,
La dépouille des champs, qui crépite et qui fume.

Dans les jardins, les fleurs sont lasses d’embaumer
Et sur le sable fin ont versé leurs pétales.
Les grands chênes rêveurs pleurent des feuilles pâles
Sur la mousse des bois où tu venais m’aimer.

Et foulant sous mes pieds l’or des hautes fougères,
Seul, au bord du sentier que tu suivis un jour,
J’ai voulu confier, pour toi, qui me fus chère,
À la brise d’automne un long baiser d’amour.

 

Et si tu viens, ce soir, rêver à ta fenêtre
Quand les astres lointains trembleront dans l’azur,
Sentant un souffle tiède effleurer ton front pur,
Ta gorge et tes cheveux et tes lèvres ; peut-être,

Diras-tu, frissonnante et songeuse soudain :
« Ce vent n’est pas celui qui passe sur Valence,
« Ou l’heureuse Séville et ses riants jardins,
« Sa caresse inquiète apporte la souffrance. »

Ô ce souffle automnal ! ne le connais-tu pas ?
Plus léger que l’oiseau qui vole à tire-d’ailes,
Il a franchi les flots, les neiges éternelles,
Messager de l’ami qui te pleure là-bas.

L’ami qui, ce matin, s’en vint avec l’aurore
Dans la forêt en deuil fêter ton souvenir,
Qui fut aimé de toi, qui souffre et t’aime encore,
Qui doit vivre et combattre, et qui voudrait mourir.