298
��POEMES
��L'HIVER
��Je, singulièrement animé à chérir ce qui, aimable, n'est pas aimé, entre toutes saisons le plus aime l'hiver, et poursuivre ce sens de la pâleur Trophonienne sur sa face. Non point la mort, mais plénitude de la paix ! L'obscure nue qui tient le monde enveloppé a moins les caractères des ténèbres et du froid que ce n'est chaleur et la lumière assoupies, — entretenant une haleine correspondante avec la naissante moisson qui doucement respire sous son édredon de neige. Rien aux champs, rien au jardin, qui, dûment considéré, ne contienne en assurance la substance des choses espérées au Printemps et le témoignage à l'été. Vienne le jour plus chaud qui amollisse la terre pénétrée, le chèvrefeuille, pressé de la douceur de vivre et méprisant avec la traverse des frimas la loi du temps, pousse une toute petite feuille, un petit brin au hasard. Souvent dans les recoins abrités, comme une personne en son repos qu'on dérange à la première heure, primevère ou violette s'éveille toute drôle et croit que c'est
�� � COVENTRY PATMORE. POEMES 299
le moment de fleurir. Sans langage aucun de la voix, le bulbe enseveli est sensible au signe de l'année et salue l'été lointain de sa pique qui perce. Le noir genêt çà et là se change, de pur caprice, or soudain, en toison Jasonienne. Dans une crevasse d'écorce tu ne peux manquer de voir, si tu y regardes bien, la spectrale chrysalide qui a bougé quand on la touche dans son rêve. Et le rouge-gorge le soir chante le temps des amours, comme s'il était venu. Mais plus délicieux encore qu'aucun rêve ou chant du printemps et de l'été sont les sourires parfois de l'hiver qui prennent source comme d'une ineffable enfance, son regard languissant, jamais fixé, si peu au fait, si dépouillé de surprise, sur l'adversité élémentale et ses rigueurs incomprises, — et son soupir, et sa larme solennelle qui s'accroît, et ce regard d'exil du fond d'un grand repos, la sphère de l'éther par le seul éther émue, ou s'il est rien de plus tranquille encore.
�� � 300 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
��LE DEPART
��Ce n'étaient pas là vos grandes et gracieuses manières ! Vous qui n'avez de rien d'autre à vous repentir, n'avez-vous pas, mon amour, regret de cette après-midi de Juillet oii vous partîtes, avec une soudaine, inintelligible phrase et un œil effrayé, pour ce voyage si long sans aucun baiser et nul adieu ? Je savais bien cependant que vous alliez partir tout-à-l'heure, et nous étions assis dans les rayons du soleil déclinant, vous me murmurant tout bas, car votre voix était faible, ce merci qui me faisait mal. Tout de même c'était bon d'entendre ces choses, et je pouvais dire ce qui rendait vos yeux pleins d'amour une croissante ombre, comme quand le vent du Sud approfondit le noir feuillage. Et c'étaient bien vos grandes et gracieuses manières que de tourner le discours ainsi sur les choses de tous les jours, ma chérie, élevant pour l'éclair d'un sourire ces lumineuses, pathétiques paupières ! Tandis que je m'approchais davantage, car vous parliez si bas que je pouvais à peine entendre. Mais tout d'un coup me lais- ser ainsi à la fin, effaré de surprise plus que de la perte, avec une phrase pressée, inintelligible, et un œil effrayé, et partir ainsi pour votre
�� � voyage d’à jamais avec pas un seul baiser et pas adieu, et le seul regard sans amour celui dans lequel vous passâtes, — ce n’étaient pas du tout vos grandes et gracieuses manières !
A cette place, chez nous, que le soleil éclaire
d’abord, elle élevait l’Azalée aux fleurs d’or, dont
son souffle, comme un autre printemps, propageait
le fin arôme. L’autre nuit, la touffe de safran
subtil, son exquise ressemblance, était sur le point
de s’épanouir. A l’aube, je rêvai, ah Dieu ! qu’elle
était morte, et je gémissais tout haut sur ma
couche misérable, et je m’éveillai, (ah, sans l’éveiller elle-même !) Et je restais couché, les yeux
encore clos, parfaitement bienheureux en cette
délicieuse atmosphère par où je connaissais si
bien qu’elle était là, le cœur sans aucune parole
en son action de grâces composé. Jusqu’au moment
où dans mon âme inquiétée je ne sais quoi de
trouble s’insinuât. — C’était le parfum de l’azalée
et oui, elle était morte ! La nuit chaude avait
sollicité le bouton près d’éclore, et je m’étais endormi pressant cette lettre trouvée où elle dit :
" Ainsi donc jusqu’à demain soir, adieu, mon
bien-aimé ! Il n’est pas amer de partir quand on va se rejoindre si tôt. Bientôt pour entre vos bras
me sentir si petite et si douce, douce à moi-même
quand je suis si douce à vous ! » 304 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
��LES JOUJOUX
��Mon petit garçon dont les yeux ont un regard pensif et qui dans ses mouvements et ses paroles a les manières tranquilles d'une grande personne, ayant désobéi pour la septième fois à ma loi, je le battis et le renvoyai durement sans l'embrasser, sa mère qui était patiente étant morte. Puis, crai- gnant que son chagrin ne l'empêchât de dormir, j'allai le voir dans son lit, où je le trouvai profon- dément assoupi avec les paupières battues et les cils encore humides de son dernier sanglot. Et je l'embrassai, à la place de ses larmes laissant les miennes. Car sur une table tirée près de sa tête il avait rangé à portée de sa main une boîte de jetons et un galet à veines rouges, un morceau de verre arrondi trouvé sur la plage, une bouteille avec des campanules et deux sous français, dispo- sés bien soigneusement, pour consoler son triste cœur ! Et cette nuit-là quand je fis à Dieu ma prière je pleurai et je lui dis : " Ah, quand à la fin nous serons là couchés et le souffle suspendu, ne vous causant plus de fâcherie dans la mort, et que vous vous souviendrez de quels joujoux nous avons fait nos joies, et combien faiblement nous avons pris votre grand commandement de bonté,
�� � alors non moins paternellement que moi que vous avez formé de votre limon, vous laisserez votre colère et vous direz : « J’ai pitié de ces pauvres enfants ! » 306 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
��VESICA PISCIS
��En vaillante espérance je travaillais et l'espéran- ce semblait toujours me trahir. Et je dis à la fin : " J'ai peiné durant la Nuit et je n'ai rien pris encore ; mais sur Ta parole je jetterai une autre fois le filet," Et que dirai-je ? je pris — (ô quel butin ! si loin et combien au delà de ma pensée !) — non point la grouillante, brillante moisson de la mer, mais Toi ! Ores, Te cachant jusques en moi, comme cachée la drachme de Simon Pierre dans le poisson. Tu me dis tout bas avec bonheur : " Sois muet ! On ne parle que de choses oubliées à des temps longs à venir ! "
�� � COVENTRY PATMORE. POEMES 307
��ARBOR VIT^
��Tout enguirlandé de chèvrefeuille surodorant,
D'amer lierre garrotté,
Tapissé de fougères malsaines,
Déformé de maints chancres et cicatrices fermées, capitonné de mousse profonde.
Pavoisé de tous les côtés de guy païen.
Et tout noir des nids de cet oiseau rauque
Qui parle et ne comprend pas son propre langage,
Se dresse, et se dressait de même il y a mille ans
Un arbre solitaire.
Le tonnerre a fait ce qu'il a pu parmi ses branches,
Laissant la maîtresse cime intacte :
Mais en son cœur toujours prêt
A jeter de nouvelles pousses reverdissantes, à mesure
Que les surgeons pourrissants à ses pieds meu- rent et lui laissent de l'air.
Est toute antiquité et nulle décrépitude.
Riche, bien que rejeté des porcs de la forêt,
Son fruit cache sous l'âpre brou pour ceux qui le savent ouvrir
��
�
La saveur au secours du cœur de tout mets et de rajeunissants élixirs,
Avec le condiment amer et sûr,
Et la douce économie des douceurs,
Et des odeurs qui nous remettent en l’esprit
Les aîtres de l’enfance et un jour différent.
Auprès de cet arbre,
Ne louant et ne blâmant aucun dieu, sans aucun souhait,
Est accroupie sur elle-même, à la Tartare, la Civilisation de ce temps
Et elle mange son chien crevé dans un plat d’or.
(Traduction de Paul Claudel)
385
��POEMES (l* partie)
MAGNA EST VERITAS
Petite baie,
Spectacle de vie tumultueuse et de grand repos.
Où deux fois le jour, sans propos,
L'Océan, avant qu'il ne reflue, s'épanouit.
Sous les hautes falaises et loin de la ville énorme
C'est ici que je m'asseois.
Le monde ira sans moi et je ne crains pas qu'il faille;
Le mensonge, quand toute son œuvre est faite, pourrira :
La Vérité est grande et elle prévaudra ;
Que les gens se soucient, ou non, qu'elle pré- vaille.
�� � 386 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
LEGEM TUAM DILEXI
(Fragment)
L' " Infini " ! Mot horrible ! qui jure
Avec la vie et les braves allures
Du pouvoir et de la joie et de l'amour :
Interdit par les sages païens eux-mêmes pour
Epithète de la Déité,
Dont le nom sur les autels populaires était
"L'Inconnu".
Parce que, soit avant qu'il se fût révélé en tant qu'Un
Confiné en Trois,
Le peuple craignait qu'il ne pût conster
En tant que 1' " Infinité ",
Ce guerdon que les diables ont désiré !
Et Dieu pour leur confusion par moquerie
Dit oui,
Mais sa compassion cependant leur consentit
Les rivages de la douleur afin qu'ils y trouvas- sent répit.
Et ce n'est pas l'enfer seul où s'irrite
L'esprit qui bout contre sa limite.
Sans la compulsion d'une forte grâce,
La pierre même du sentier
Ferait explosion d'emblée
Pour remplir l'afifreuse immensité de l'espace.
Cette fureur
�� � POÈMES 387
A une douce croissance deux fois pliée dans la feuille et dans la fleur
Proteste et brûle de projeter son essence
Au delà de l'existence.
La même
Séditieuse flamme sur soi-même
Rejetée, d'une force redoublée
Se tortille contre sa propre définition,
Et c'est le ver.
Et l'homme juste sur lui-même avère
Les limites de Dieu, entre lesquelles est la joie,
La liberté et le droit.
Et il est bien Sa ressemblance, qui
A toute heure, jour et nuit.
Construit
De nouveaux boulevards contre l'Infini.
Car ah, qui peut bien exprimer
Combien plein de limites et de quelle simplicité
Est Dieu,
Combien étroit II est
Et combien les vastes champs ouverts du pos- sible par Son pied
Sont seulement foulés
Par le plus court chemin
Jusques à Son foyer, le cœur humain !
Et toute Son industrie
Celle du petit enfant qui à sa mère chérie
Redemande sa petite chanson si jolie !
Quelles sont les nouvelles de la Nuit ?
��
�
Fer et sel, chaleur, poids, lumière, les voici,
En toute étoile que recense l’astronome
Et tout cela en somme
C’est l’homme,
Aimé de Dieu, Dont les pensées
Sont comme de lui seul occupées,
Qui courtise sa volonté
Pour l’unir en mariage à la Sienne, et Qui distille
A l’empan de cette goutte
L’atlas de tous les champs de roses de tout l’amour !
(Traduction par O. W. K.)
��EROS ET PSYCHE
" Amour, j'ai entendu tant de fois ton nom !
Ah ! ma face trois fois, mon sein, se sont émus à la chaleur d'ailes soudaines,
Plumes sans son par l'air ténu menant leur battement solitaire.
Longtemps me suis-je pensée pour trouver quels charmes et quels offices.
Pourraient t'attraire, bienheureux oiseau, entre mes bras.
Et je fis des lacs, mais non point du fil qu'il fallait.
Jusqu'à ce que d'une déconvenue indéfinie
Prenant effi-oi, cette nuit.
J'ai voulu ne plus rien faire que de rester toute coite sans bouger.
Engageant, pour si tôt que tu serais dans le cadre de ma fenêtre, ma foi
A ta volonté inconnue.
A faute, pensais-je, de filets.
Peut-être, comme un petit oiseau, qu'on peut le prendre avec du sel.
Et tout-à-coup —
Ah comme tu m'as saisie ! — c'est toi ! "
" P Mortelle, par finesse d'Immortels menée,
�� � 390 l'A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Qui VOUS apprit comment amorcer pour les Dieux votre lit ? Ah, Psyché,
Ainsi vous n'aviez idée aucunement
Que mon désir n'était que de me faire prendre ?
Folle, ce n'était point vous, mais moi
Qui faisais cette cour si passionnément.
Et pour votre beauté, non sans blessures, j'ai combattu
Avec Hadès, avant que chez vous j'eusse une pensée seule à moi. "
" O mon céleste Amant, bien sûr. Ceci, est-ce ta bouche qui presse mon front, Sont-ce tes bras qui s'attachent autour de ma poitrine.
Là où s'unissent deux cœurs par leur union mieux distincts ?
Par toi et par ma ceinture virginale effleurés Quels sombres, vastes espaces de vie tout-à- coup
Brillent, comme des rayons de lune Sur une mer qu'un rêve délectable agite ^ Ah, ne fais point le mouvement de partir ! Baise-moi, qui suis ta Femme et ta Vierge, encore !
O Amour qui comme une rose ombrages Mon cœur dans une plantureuse tranquillité. Embrasse-moi encore et tiens-moi bien tout autour de mon cœur.
�� � POÈMES 391
Jusque je sois toute pleine De toi, comme la coque l'est de son papillon ! — Mais comment me guider et cueillir Un bien si pur sans profane délectation ? Comment savoir si mon Amour est bien ce qu'il me semble ? Donne-moi un signe Que dans la picéenne nuit Vient à ma couche un immortel Epoux, Et non point un démon sous d'heureuses touffes
Cachant les gouffres de l'Enfer, De palmes et d'asphodèles ".
" Celui-ci :
Sous votre sein, ma mortelle Aimante,
Immortelle par mon baiser, sens-tu
L'élancement de cette peine exquise ?
Un démon, ma Psyché, vient avec une joie stérile.
Mais les embrassements jamais d'un Dieu ne sont en vain.
" Je contiens
Une vie qui n'est point la mienne en ma zone dorée !
Mais comment
S'est-il fait une chose moins incommode
De te passer ta règle difficile.
�� � 392 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Que pour l'Epousée de vêtir sa robe de nous ? Où tu le veux emportée sur tes ailes tempé- tueuses,
Ce n'est plus là servir ! Mais oh,
Puis-je donc endurer cette
Flamme et vivre,
Pour cela qui fait que tu m'aimes, bien pure ? "
" Blâme le Dieu lui-même
Si tout, autour de lui, éclate en flammes inextin- guibles.
Sachez, ma bien aimée.
Que votre beauté sans tache n'a point sa com- paraison dans la neige.
Mais dans l'intégrité du feu !
Quoique vous soyez, douce Amie, je le veux pour moi.
Un triste Dieu vraiment.
Qui se contenterait à moins que tous les Royaumes
De l'Amour en leur puissance qui sont trois ! "
" J'ai grande admiration
Que toi, le plus grand des Pouvoirs supérieurs.
Me visites avec cette amour excessive !
Qu'est ceci
Moi, néant, un Dieu me fait nécessaire à sa joie
Et humblement attend la faveur de mon baiser.
Ah, toutes les légions de tes serviteurs
�� � POÈMES 393
Désirent pénétrer ce mystère. "
" Contentez-vous d'admirer ce mystère avec elles, ma chère,
Et laissez votre folle petite tête en repos
Sur ma poitrine familière.
Si le grand Roi, laissant son trône sourcilleux.
Courtisait une petite bohémienne sous sa haie,
Dont quelques charmes sauvageons d'elle igno- rés décèlent
La lointaine lignée souveraine,
Quelque défaut d'elle-même en étrange manière
Qui promît à sa généreuse plénitude une exquise louange.
Et s'il commandait aux dames les plus altières de la Cour
De lui ôter ses guenilles et de la purifier pour le milieu de son lit.
Afin que, seul avec elle, il oubliât
Son Empire, dans la liberté de sa complaisance ;
Que ferait-il si elle était assez sotte.
Toute bayante et tremblante au conspect de sa grandeur,
Que d'oublier, avec la suprême égalité de l'amour.
L'amant si simple qui, pour salaire de toute bénédiction,
Demande, eh quoi ! ce rien même qu'elle est, (source d'ivresse !) avec
�� � 394 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Toute licence de se jouer avec elle à cœur-joie? Si le tuyau de la flûte, tout rempli du souffle de l'amour
Se mettait à crier : " O mon Dieu,
Je suis trop vil pour une note si douce !
Le Roi ne pourrait-il dûment alléguer
L'infirmation du sacrement marital
Et renvoyer à sa haie la pauvre Gipsy ? "
" O joie trop grande ! ô toucher du feu subtil!
O chaos de bonheur ! ô désir imperturbable
Qui des fonts de l'esprit s'impartit à la cervelle et au sang !
Je n'appellerai point mal, puis qu'il est tien, ce qui est bon.
Ni le meilleur, ce qui n'est point le meilleur quand il s'en faut d'un degré ou deux.
Mais mon cœur ignorant bronche et s'étonne.
Et m'accuse, bien que je sois sans faute.
La mouche dans du miel.
Comment faire pour qu'elle trouve usage de ses yeux, que dire de ses ailes ?
Ton exigence est amère !
Demeure comme une touffe de myrrhe entre mes seins.
Quelque grande, quelque poignante pénitence !
Que la souffrance me sauve de mourir de bon- heur 1
�� � POÈMES 395
« Paix !
L'habitude, bientôt, qui tue la joie,
Vous fera soupirer pour la mort qui tue l'habi- tude.
Etreignez bien de vos mains enfantines mon cœur !
C'est dans une telle captivité et non autre
Que les cieux incompréhensibles se connaissent.
Et restez ainsi toute tranquille
Jusqu'à ce que l'Aube menaçant de publier
Ma gloire, que vous ne sauriez supporter,
Me force à partir.
Prenez votre bonheur en patience,
Depuis que celui qui est à venir ne vous con- sume tout-à-fait.
Car ce ne sont ici que vos fiançailles
Plus intimes et plus opulentes
Qui ne sont aucunes noces mortelles
Mais vos noces à vous vous attendent. "
" En tout je veux t'obéir.
Et ainsi je sais que tout est bien.
S'il faut me rouler dans la neige
La joie de mon corps même ne fera que s'en accroître.
Le plaisir de te plaire est plus que le plaisir.
Tu m'as conquise, fais ce que tu veux, je suis à toi,
Sur ton cœur, sous tes pieds, battue ou caressée 1
�� � 396 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Enfonce dans mon cœur le fer jusqu'à la garde !
Invente ce qui sans toi serait doux jusqu'à être pervers !
Oui, que le démon même
Me traîne par les fondrières de la faute !
Le bien que j'ai, que toute la Terre contre lui
Se combine avec le Ciel et l'Enfer !
Cette touche qui te fit mieux, qui la peut annuler ?
Ah ne dis point encore adieu ! "
" Voici la note du merle, glas de la Nuit !
Envisage la pénitence que tu braves ".
" Maudite quand elle est là, l'amère chose que nous avons demandée !
Tu me laisses ainsi, telle qu'une lune à l'aurore,
Un petit monde vacant, par l'air, tout seul.
C'est bien. Fais ce que tu veux.
Quand la nuit vient, mes ténèbres seront satis- faites.
Comme la coupe, que l'enfant dans le sable enfonce.
S'emplit et devient portion de la mer.
Va où tu veux ! Va-t-en, reviens ! Divin Amant,
Je sais fort bien que tu es tout à moi avec jalousie.
Ce baiser-ci
Est un secret où aucun autre n'a part.
�� � POÈMES 397
Mais je sais aussi
Que la vie toute est féminine pour toi
Epousée dans le moment avec des délices énor- mes !
Et bien que je ne sois rien qu'une
Capacité de te recevoir, qui n'est plus vide,
C'est toute chose pour moi d'être sûre que nulle part
Tu ne trouveras pour ton Elue une autre qui soit la même tout-à-fait.
Plumes inquiètes, mes bras ne vous font plus violence. Adieu.
Pendant que tu ne seras point là, je scruterai la monotone prairie.
Pour joncher notre couche des lys des bonnes œuvres.
Et s'il te plaît de revenir ce soir, mon amour.
Un doigt sur ma croisée la fera ouvrir toute grande !
Adieu, adieu !
Que mon ennuyeuse journée du moins
Soit sonore de ton los remémoré.
" Amères, douce amie, rares, voilées Soient toutes vos paroles de moi. Salutairement amères, fort douces. Rares, pour qu'il n'en soit aucune indiscrète. Et voilées, (afin que nul ne voie.)
COVENTRY PaTMORE.
(Traduction de Paul Claudel)
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