Poésie

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Poésie
Revue des Deux Mondes5e période, tome 21 (p. 441-445).
POÉSIE


FEMMES


Si celui qui t’aima, trahi par de plus belles,
Un jour doute de toi : c’est l’injuste retour !
S’il s’en prend à ton cœur de leurs vœux infidèles,
S’il s’en prend à tes yeux, tout éclairés d’amour.

Et s’il les fait pleurer, laisse couler tes larmes,
Même tout en souffrant ; car elles laveront
Au fond du souvenir les anciennes alarmes,
Et l’ombre qu’il voyait aux pâleurs de ton front.

Dans la chaîne des temps, depuis la chute d’Eve,
Toute rose en l’Eden que dorait le matin,
La femme a supporté, sans pitié ni sans trêve.
Tous les ressentimens de son premier destin.

Victime de la faute, elle en eut l’esclavage,
Garda l’enlacement du mensonge en ses bras ;
Lianes et buissons dans le jardin sauvage
Ont limité toujours sa raison et ses pas.

De la mère à la fille, et des unes aux autres,
Transmettons le fardeau, l’hommage et la douleur,
Et femmes, faisons-nous, pour les femmes, apôtres.
Et mesurons leur vie aux peines de leur cœur ;

Puisque le même crime a rendu solidaires
Marthe qui vit le Christ, Psyché qu’Éros aima,
Celles qui n’ont aux doigts que les grains des rosaires
Ou les brillans anneaux que l’amour enflamma,

Les recluses en Dieu, saintes désenchantées,
Glissant au petit jour en l’ombre des arceaux,
Les mères, s’endormant au rebord des berceaux,
Les folles que leur lampe éteinte a déroutées.

PORTRAIT D’UNE FEMME INCONNUE


Quel attrait curieux, inquiet et jaloux
Sous ce titre : Portrait d’une femme inconnue ! …
Les yeux pers ou foncés, les cheveux bruns ou roux,
Rêveuse, ou présentant des fleurs dans sa main nue.
Son image persiste et se reflète en nous.

Ce n’est plus une femme humble ou patricienne,
Marguerite ou Thérèse, Angélique ou Ninon,
Si d’un regard chacun pourrait la faire sienne,
Chacun à son désir lui donnerait un nom ;
C’est l’Eve tentatrice et son énigme ancienne ;

C’est la femme en un mot, la femme seulement,
Quoique par un détail l’image soit datée :
Les perles des Valois sur son ajustement,
Ou quelque fanfreluche aux épaules jetée,
Le ruban qui séduit, ou le bandeau qui ment.

C’est la femme ! et le peintre en la première pose,
Qui traça la beauté, le premier en souffrit,
En mettant sur la joue un peu d’ambre et de rose,
En arquant d’un pinceau si léger le sourcil.
Sachant qu’il travaillait pour la métamorphose

Du temps inexorable et du long avenir !
Et qu’il fixait bien moins un charme de jeunesse,
L’épanouissement de ce qui doit finir,
Qu’une forme pour le rêve et pour la caresse
Et la tentation des lustres à venir !

CHUTE DU JOUR


Le soir infiltre au cœur une mélancolie ;
Et des brumes du ciel, pareilles au passé,
Sort le regret, dont l’aile grise se déplie,
Et glisse en un murmure inquiet et pressé,
Chauve-souris gisant aux pierres qu’on oublie.

Tant que dure le jour, avide de clartés,
Rempli d’heures, portant chacune son emblème
Les premières sortant des voiles écartés,
En hâte, et secouant des torches dans l’air blême,
D’autres, arrondissant aux siestes des étés

Leurs bras chargés de blés et parfumés de roses ;
Ou remplissant des urnes fraîches aux étangs ;
La pensée est active et se limite aux choses.
Elle admire le calme et la beauté des champs,
Se plaît au mouvement de leurs métamorphoses.

Mais les rayons tombans entraînent avec eux
Vers la terre assombrie un fluide où tout penche,
Aussi bien notre esprit, soudain vague et peureux,
Que l’oiseau qui se tait et fait plier la branche,
Que l’air plus lourd parmi les taillis plus ombreux.

Tout ce qu’évapora ce soleil qui décline.
Larmes sur un visage, ou rosée en des fleurs,
Ou pensers affligeans, se reforme en bruine
Sur la pente menant au gouffre des douleurs,
………………….
Le soir descend, pendant que monte la colline.

SILENCE !


Je crains l’archet vibrant aux nerfs des violons
Qui les déchire en les frôlant, ou les effleure.
Et le filet des sons sur la harpe qui pleure,
Prenant les notes d’or en tremblans papillons,

Je crains le cor aussi, répondant à l’automne
Dans les vastes forêts que sa plainte remplit ;
Sous les pas des chevaux la feuille tourbillonne,
Et dans le soir tombant résonne l’hallali.

Et sans voir le clocher, je redoute la cloche ;
Quel espoir a sonné plus haut que son métal
Mêlé d’un argent clair parmi le fer rival,
Battement mesuré qui s’éloigne et s’approche ?

Défendez-moi de l’air par l’oiseau fait de cris,
De l’eau brisant l’écluse en colère sonore.
Musique d’élémens où j’ai si bien compris
Ce qui souffre au couchant et se plaint à l’aurore,

Tout rythme est un départ vers d’inconnus lointains,
Toute corde un tremplin vibrant à la pensée,
Des vagues et des sons les contours incertains
S’élargissent pareils sur la mer angoissée.

Mieux vaut ne rien entendre à qui n’offre jamais
Sa vie à la chimère ailée et triomphante,
Qui supprime l’espace et cherche les sommets.
Et peut forcer l’azur de ce ciel qui nous hante.

CHANTELOUP


Cherchez la place ; où fut le féerique château ?
L’herbe pousse et verdit les profondes allées,
Et la Pagode seule au milieu du plateau
Témoigne pour la fin des grandeurs écoulées.

Elle monte amincie en étages nombreux,
Fière encore au sommet, et de bases fragiles ;
Le vent qui l’escalade avec ses bonds frileux
Fait trembler les balcons, les grilles et les tuiles.

Il souffle ! il agrandit l’espace limité
De la calme Touraine indulgente aux ruines,
Vers Amboise, au royal domaine inhabité,
Vers la Loire, argentant le pied de ses collines ;

Un grand ciel se déploie entre les arbres roux.
La forêt, du passé, garde dans ses murmures
Le nom de ce qui fut un siècle, Chanteloup ;
Un peu de gloire, un peu de faste en ses ramures.

Et dans ses carrefours : celui du Grand Veneur,
La route de Penthièvre avec celle du Maître,
Le souvenir des sons de trompes, en l’honneur
Des Choiseul, s’élevant sous le chêne et le hêtre.

L’aveugle étang sans rien qu’il baigne ou qu’il reflète
N’est qu’une immense coupe aux multiples roseaux.
Autrefois il a vu plus d’une belle fête
Et des barques rayant le cristal de ses eaux.

Des barques débordant de chatoyantes soies,
De rameurs d’Opéra, de femmes en atours,
De musiques aussi, chantant les courtes joies,
Les dépits sourians des légères amours ;

Des marches, tout au bord, descendent vers la terre,
Où cette eau se perdit, détruisant son miroir
Et le passant rêveur, en l’éclat d’un beau soir
Songe aux Embarquemens, les derniers, pour Cythère.


Mme ALPHONSE DAUDET.