Poésie et vérité 1942/La dernière nuit

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Les Éditions de la Main à plume (p. 25-28).

LA DERNIÈRE NUIT

I

Ce petit monde meurtrier
Est orienté vers l’innocent
Lui ôte le pain de la bouche
Et donne sa maison au feu
Lui prend sa veste et ses souliers
Lui prend son temps et ses enfants

Ce petit monde meurtrier
Confond les morts et les vivants
Blanchit la boue gracie les traîtres
Transforme la parole en bruit

Merci minuit douze fusils
Rendent la paix à l’innocent
Et c’est aux foules d’enterrer
Sa chair sanglante et son ciel noir
Et c’est aux foules de comprendre
La faiblesse des meurtriers.

II

Le prodige serait une légère poussée contre le mur
Ce serait de pouvoir secouer cette poussière
Ce serait d’être unis.

III

Ils avaient mis à vif ses mains courbé son dos
Ils avaient creusé un trou dans sa tête
Et pour mourir il avait dû souffrir
Toute sa vie.

IV

Beauté créée pour les heureux
Beauté tu cours un grand danger

Ces mains croisées sur tes genoux
Sont les outils d’un assassin

Cette bouche chantant très haut
Sert de sébile au mendiant

Et cette coupe de lait pur
Devient le sein d’une putain.

V

Les pauvres ramassaient leur pain dans le ruisseau
Leur regard couvrait la lumière
Et ils n’avaient plus peur la nuit

Très faibles leur faiblesse les faisait sourire
Dans le fond de leur ombre ils emportaient leur corps
Ils ne se voyaient plus qu’à travers leur détresse
Ils ne se servaient plus que d’un langage intime
Et j’entendais parler doucement prudemment
D’un ancien espoir grand comme la main

J’entendais calculer
Les dimensions multipliées de la feuille d’automne
La fonte de la vague au sein de la mer calme
J’entendais calculer
Les dimensions multipliées de la force future.

VI

Je suis né derrière une façade affreuse
J’ai mangé j’ai ri j’ai rêvé j’ai eu honte
J’ai vécu comme une ombre
Et pourtant j’ai su chanter le soleil

Le soleil entier celui qui respire
Dans chaque poitrine et dans tous les yeux
La goutte de candeur qui luit après les larmes.

VII

Nous jetons le fagot des ténèbres au feu
Nous brisons les serrures rouillées de l’injustice
Des hommes vont venir qui n’ont plus peur d’eux-mêmes
Car ils sont sûrs de tous les hommes
Car l’ennemi à figure d’homme disparaît.