Poésies (Desbordes-Valmore, 1822)/L’Insomnie

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Poésies
Théophile Grandin (p. 61-62).

L’INSOMNIE.


Je ne veux pas dormir. Ô ma chère insomnie !
Quel sommeil aurait ta douceur ?
L’ivresse qu’il accorde est souvent une erreur,
Et la tienne est réelle, ineffable, infinie.
Quel calme ajouterait au calme que je sens ?
Quel repos plus profond guérirait ma blessure ?
Je n’ose pas dormir ; non, ma joie est trop pure ;
Un rêve en distrairait mes sens.

Il me rappellerait peut-être cet orage.
Dont tu sais enchanter jusques au souvenir.
Il me rendrait l’effroi d’un douteux avenir,
Et je dois à ma veille une si douce image !
Un bienfait de l’Amour a changé mon destin.
Oh ! qu’il m’a révélé de touchantes nouvelles
Son message est rempli ; je n’entends plus ses ailes :
J’entends encor : Demain, demain !

Berce mon âme en son absence,
Douce Insomnie, et que l’Amour
Demain me trouve, à son retour,
Riante comme l’espérance.

Pour éclairer l’écrit qu’il laissa sur mon cœur,
Sur ce cœur qui tressaille encore,
Ma lampe a ranimé sa propice lueur,
Et ne s’éteindra qu’à l’aurore.
Laisse à mes yeux ravis briller la vérité :
Écarte le sommeil ; défends-moi de tout songe :
Il m’aime, il m’aime encore. Ô Dieu ! pour quel mensonge
Voudrais-je me soustraire à la réalité !