Poésies (Desbordes-Valmore, 1830)/Élégie (« Je m’ignorais encor, je n’avais pas aimé »)

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Poésies (Desbordes-Valmore, 1830)
PoésiesA. BoullandTome 1 (p. 291-292).

ÉLÉGIE.


Je m’ignorais encor, je n’avais pas aimé.
L’amour ! si ce n’est toi, qui pouvait me l’apprendre ?
À quinze ans, j’entrevis un enfant désarmé ;
Il me parut plus folâtre que tendre :
D’un trait sans force il effleura mon cœur ;
Il fut léger comme un riant mensonge ;
Il offrait le plaisir, sans parler de bonheur ;
Il s’envola. Je ne perdis qu’un songe.

Je l’ai vu dans tes yeux cet invincible amour,

Dont le premier regard trouble, saisit, enflamme,
Qui commande à nos sens, qui s’attache à notre ame,
Et qui l’asservit sans retour.
Cette félicité suprême,
Cet entier oubli de soi-même,
Ce besoin d’aimer pour aimer,
Et que le mot amour semble à peine exprimer,
Ton cœur seul le renferme, et le mien le devine ;
Je sens à tes transports, à ma fidélité,
Qu’il veut dire à la fois, bonheur, éternité,
Et que sa puissance est divine.