Poésies (Poncy)/Vol. 1/À un grand chêne

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À UN GRAND CHÊNE



Balance dans l’air bleu le noble poids des ans
Qui repose sur toi, chêne, vieillard robuste !

Permets-moi, comme au jeune arbuste
Battu par le souffle des vents,
De saluer ton front auguste.

Toi qui m’as vu souvent errer seul et sans but,
Arbre majestueux, dont la coupole énorme
Couvre l’immense Y grec que ton large tronc forme,

Séculaire Titan, salut !

C’est en vain que l’orage avec fureur t’assiège.
Il vient briser sur toi ses livides éclairs ;
Et tes épais cheveux, malgré tes cent hivers,

Ne sont blanchis que par la neige !

Balance avec orgueil ta sombre majesté
Dans les nuages noirs qui planent sur ta tête

Le grondement de la tempête,
Dont le monde est épouvanté,
N’est pour toi qu’un concert de fête.

Te souvient-il du jour que, pleurant à tes pieds,
Plein des vagues désirs qu’à vingt ans l’àme embrasse,
Mes yeux, mes yeux jaloux y trouvèrent la trace

Des pas qu’ils ont tant épiés ?

Te souvient-il qu’alors, dans la forêt sonore,
Elle nous apparut, belle comme le jour,
Et que je m’écriai, malade et fou d’amour :

Voilà la vierge que j’adore ?

Balance-toi, sublime, et réponds à ma voix,
Patriarche des bois, ô sauvage merveille !

Car ton bruit charme mon oreille :
Et chaque fois que je te vois,
Ce brûlant souvenir s’éveille.

Depuis ce jour sacré qui fixa mon destin
Quatre fois le printemps a changé ton feuillage.
Tous les soirs tu m’as vu rêver sous ton ombrage :

Et souvent les feux du matin,

Lorsque la nuit replie en silence ses voiles,
M’y surprennent, mouillé des larmes que le ciel

Épanche sur les fleurs, de son vase éternel,

Regardant pâlir les étoiles.

Balance avec fierté ton panache mouvant !
Découpe, sur le ciel, ces noires arabesques

Que sur nos rives pittoresques
On prendrait, au soleil levant,
Pour de vieux minarets mauresques !

Peut-être ton murmure, ô mon arbre chéri !
Répéta mes soupirs jusques à ses oreilles ;
Car son âme en jouant sur ses lèvres vermeilles,

D’amour m’a tendrement souri.

Oh ! ne sois point jaloux si mon bonheur suprême
N’est plus dans ton feuillage, et si mon jeune cœur
Préfère désormais à ton nocturne chœur

Ces mots mélodieux : Je t’aime !

Balance ta beauté que rien ne peut ternir.
Tes racines, au sol fortement cramponnées

Ainsi que des mains décharnées,
Sont bien fiéres de soutenir
Ton beau diadème d’années !

Nous voici tous les deux sous les feuilles assis.
Moi, rayonnant d’amour, de vie et d’esféranee ;
Elle, sur son visage, où se peint la souffrance,

Baissant l’arc brun de ses sourcils.

Le superbe Occident ferme ses rouges portes.
Tout est splendide et beau. Qui peut donc l’affliger ?
Est-ce le vent qui passe, et qui fait voltiger

Auprès d’elle tes feuilles mortes ?

Balance tes rameaux afin que leur parfum
Aux doux festins du cceur sans cesse la convie.

Parmi tous les biens qu’on envie
Mon âme n’en demande qu’un :
Du bonheur pour toute sa vie.

Demain sur ton sommet, marchepied solennel,
Qu’illumine la foudre et que bat la tempête,
J’irai m’agenouiller et prosterner ma tête.

Là je serai plus près du ciel.

Mon âme volera sur l’encens de la terre,
Et j’invoquerai Dieu. Dieu sera son sauveur.
En voyant tant d’amour, de crainte et de ferveur,

Il exaucera ma prière !

Balance-toi, Memnon, et que ton divin chant
Charme les longs échos de cette solitude !

Que ton murmure d’habitude
De mon vœu pieux et touchant
Soit le magnifique prélude !

Que je suis bien ici ! je n’ai point de remords.
À mon tendre serment je suis resté fidèle.

Pour me récompenser, Dieu m’a fait aimer d’elle !

De combien d’amoureux trésors

Son amour a semé ma vie aventureuse !
J’aurais voulu mourir lorsque je souffrais tant ;
L’existence m’était à charge : et maintenant,

Je la veux pour la rendre heureuse !

Balance la hauteur qui pourrait défier
Celle du baobab que le tropique brûle.

La sève en tes veines circule,
Et tu peux te glorifier
De ta haute taille d’Hercule,

Tu nous verras toujours, ô roi de nos forêts !
Préférer aux vains bruits qui s’élèvent du monde,
Le saint recueillement, la paix grave et profonde

Qu’épanchent tes ombrages frais.

Et tu me verseras la force et l’espérance,
Tu feras vivre en moi les feux du souvenir,
Afin que dans les jours d’un douteux avenir

Je l’aime comme en mon enfance !

Balance avec mollesse, à la chute du jour,
L’aérien palais que forme ta ramée ;

Et que la brise parfumée
Y mêle à ton hymne d’amour,
Le doux nom de ma bien-aimée !