Poésies (Poncy)/Vol. 1/Isabelle la Blanche

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ISABELLE LA BLANCHE

ballade


I


Geoffroi, l’intrépide pêcheur,
A séduit la jeune Isabelle
Dont chacun vantait la blancheur.
Tandis qu’aux pieds d’une autre belle
Il porte son cœur et ses vœux,
La blanche fille aux noirs cheveux
Expire en nommant l’infidèle.


II


Un an s’est écoulé depuis le sombre jour

Où l’essaim attristé des vierges du village
Descendit Isabelle à son dernier séjour.
Le soir brunit les rocs : et Geoffroi le volage
Attend dans son bateau, près du bord amarré,
Que par l’astre des nuits le ciel soit éclairé.

Mais… de ces rochers noirs, qu’envahit la marée,
D’où vient que tout à coup la barque est démarrée ?
Geoffroi des flots bruyants ne peut être vainqueur,
Et le froid de la nuit a passé dans son cœur.
Il sent s’évanouir son courage intrépide ;
Car jamais le bateau ne vola si rapide,
Ni ses membres de bois, que le langage tord,
Sous l’étreinte des flots ne craquèrent si fort.

Ciel ! un fantôme blanc saute dans la nacelle !
— « C’est moi qui t’ai conduit ici. Reconnais-tu
« Celle dont lu souillas les jours et la vertu ? »
Et Geoffroi s’écriait : « Grâce, grâce, Isabelle ! »
Et les flots rugissaient. Et le fantôme blanc
Entraînait sur les mers le pêcheur tout tremblant.

— « Viens, mon tendre Geoffroi, te livrer à la danse
« Dont la foudre et les vents marqueront la cadence !
« Viens ! pourquoi craindrais-tu mes froids embrassements
« Ne te souvient-il plus des suaves moments

« Que nous avons coulé quand j’étais jeune et belle" ? »
Et le pêcheur criait : « Grâce, grâce, Isabelle ! »
Et sa voix se perdait en déchirants sanglots ;
Et ses bras nus ramaient vainement vers la terre :
Le fantôme implacable, aux accords du tonnerre,
L’enlaçait, et toujours tournoyait sur les flots.

— « Oh ! prends pitié de moi, généreuse victime,
« Disait Geoffroi ; …pitié ! ma douleur, mes remords… »
— « La vengeance renaît de la cendre des morts ! »
Dit le fantôme blanc qui dansait sur l’abîme.

Et le spectre, entr’ouvrant la mer comme un tombeau,
Entoura le pêcheur de ses mains sépulcrales,
Puis, l’élevant soudain sur l’aile des rafales,
Cria trois fois : « Vengeance ! » et l’engloutit dans l’eau.



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