Poésies (Poncy)/Vol. 1/La Harpe du rivage

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PoésiesI (p. 127-131).

LA HARPE DU RIVAGE


I


Un ange secouait ses ailes
Dans les airs, et ses beaux yeux bleus
Lançaient de douces étincelles,
Comme les étoiles des cieux.

On voyait voler son écharpe
Comme un oiseau qui prend l’essor,
Et ses doigts tenaient une harpe,
Dont ils touchaient les cordes d’or.

Comme on entend l’oiseau qui passe
Chanter en effleurant les champs,
La harpe, en traversant l’espace,
Exhalait de suaves chants.

Ces chants étaient lents et sublimes.
C’était comme l’appel fatal
Que, du haut d’invisibles cimes,
Au poète fait l’idéal.

L’ange déposa sur la rive
La harpe aux étranges concerts ;
Et, soudain, la brise plaintive
Expira sans bruit sur les mers.

Et j’entendis au bord de l’onde
Vibrer le divin instrument,
Tandis que l’ange à tête blonde
Remontait vers le firmament.


II


Ces accents, inconnus à l’oreille ravie,
Célébrèrent alors les fêtes de la vie :

Les transports du premier amour,

Les charmes de l’hymen qui l’apaise et l’épure ;
Et ces effusions du cœur, que la nature

Rend plus profondes chaque jour ;

Les langes du berceau, les rêves de l’enfance,
Les tendresses de Dieu qui veille à sa défense ;

L’orgueil d’un père fortuné

Qui sourit à la couche où son enfant repose,
Et voit sa jeune épouse ouvrir sa bouche rose

Aux baisers de son premier-né ;

La beauté de la nuit, à l’heure où la mer sombre
Flamboie et réfléchit les étoiles sans nombre

Que le ciel mire dans ses eaux,

Quand la reine des nuits blanchit la noire roche,
Plane sur les forêts et largement ébauche,

Dans les champs, l’ombre des coteaux.

Ils redirent encor la joie âpre, infinie,
Les chaleureux élans qu’inspire le génie,

Quand, pareil au coursier fougueux

Qui franchit au galop plaine, torrent, colline,
Il prend quelque mortel sur sa croupe divine,

L’enlève et le transporte aux cieux ;

Tout ce que le poète éprouve quand l’aurore
Enflamme l’Orient, et des monts qu’elle dore

Déchire les pâles brouillards ;

Quand l’astre radieux s’élance dans l’espace,
Comme la robe d’or de quelque dieu qui passe

En éblouissant nos regards ;

Lorsqu’il voit un beau jour rajeunir les campagnes,
Les troupeaux blancs tigrer le flanc noir des montagnes,

L’aspect agreste d’un chalet

Tapissé jusqu’au toit de mousse parfumée,
Et dont la brise fait ondoyer la fumée

Comme un panache violet ;

Ce qu’il ressent, enfin, d’ineffables délices,
Lorsqu’à ses pieds, les fleurs inclinent leurs calices

Gonflés de senteurs et de miel,

Et que, tout pénétré de ce bonheur austère,
Il sent la vie, ainsi qu’en une immense artère,

Circuler de la terre au ciel.


III


L’heure où le roi du jour, éclairant d’autres mondes,
Vole au penchant des cieux, s’engloutit dans les ondes

En nous jetant un long adieu,

Ramenait le sommeil, la paix et la prière ;
Et la harpe, les mers, le firmament, la terre,

Chantaient ensemble : Gloire à Dieu !

IV


Oh ! silence ! la harpe exhale un doux murmure.
Et l’haleine du soir assoupit la nature.
Sar les mers que semhlait extasier ce chant,
S’étendent un ciel rouge et le soleil couchant.
L’horizon s’obscurcit. Le rocher de la rive
Semble rêver au bruit de la vague plaintive.
Le ciel est parsemé de paillettes de feu,

Et l’occident carmin redevient sombre et bleu.

Secouant sur les monts sa chevelure brune

Le crépuscule fuit. Déjà la pâle lune

Blanchit la grève, argente les forêts,

Puis aux pécheurs de la lagune

Raconte ses grands secrets.

Je vois flotter l’écharpe

De l’ange aux doux concerts

Glissant dans les airs ;

Et de la harpe,

Dans la nuit,

Le bruit

Fuit.