Poésies complètes de Jules Laforgue/Les Complaintes/Complainte des Noces de Pierrot

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Poésies complètesLéon Vanier, libraire-éditeur (p. 86-88).


COMPLAINTE
DES NOCES DE PIERROT


Où le flatter pour boire dieu,
Ma provisoire corybante ?
Je sauce mon âme en tes yeux,
Je ceins ta beauté pénitente,
Où donc vis-tu ? Moi si pieux,
Que tu m’es lente, lente !

Tes cils m’insinuent ; c’en est trop ;
Et leurs calices vont se clore,
Sans me jeter leur dernier mot,
Et refouler mes métaphores,
De leur petit air comme il faut ?
Isis, levez le store !

Car cette fois, c’est pour de bon ;
Trop d’avrils, quittant la partie

Devant des charmes moribonds,
J’ai bâclé notre eucharistie
Sous les trépieds où ne répond
Qu’une aveugle Pythie !

Ton tabernacle est dévasté ?
Sois sage, distraite égoïste !
D’ailleurs, suppôt d’éternité,
Le spleen de tout ce qui s’existe
Veut qu’en ce blanc matin d’été,
Je sois ton exorciste !

Ainsi, fustigeons ces airs plats
Et ces dolentes pantomimes
Couvrant d’avance du vieux glas
Mes tocsins à l’hostie ultime !
Ah ! tu me comprends, n’est-ce pas,
Toi, ma moins pauvre rime ?

Introïbo, voici l’Époux !
Hallali ! songe au pôle, aspire ;
Je t’achèterai des bijoux,
Garde-moi ton ut de martyre…
Quoi ! bébé bercé, c’est donc tout ?
Tu n’as plus rien à dire ?


— Mon dieu, mon dieu ! je n’ai rien eu,
J’en suis encore aux poncifs thèmes !
Son teint me redevient connu,
Et, sur son front tout au baptême,
Aube déjà l’air ingénu !
L’air vrai ! l’air non mortel quand même !

Ce qui fait que je l’aime,

Et qu’elle est même, vraiment,
La chapelle rose
Où parfois j’expose
Le Saint-Sacrement
De mon humeur du moment.