Poésies de Frédéric Monneron/La même (I)

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III

LA MÊME.

sous une autre forme 2.


« J’ai dépassé le peuplier
» Que la brise humide et plaintive
» Hérisse, argente et fait plier
» Sur l’azur lointain de la rive.

» J’ai surmonté le roc désert
» Où la solitaire génisse
» Rumine sous le sapin vert,
» Méprisant le sourd précipice.

» Salut ! beau ciel ! libre, perlé !
» Air nuancé d’or et d’opale !
» De là haut le lac est voilé !
» La terre lointaine est plus pâle ! »


Son léger vol toujours poursuit
La lueur tendre et matinale,
Les dernières ondes du bruit,
La rêveuse étoile qui luit
La nuit.

Sa voix limpide et pure
Coule des sons d’amour ;
Même avant la nature
Elle cherche le jour.
Son aile qui scintille
Fend l’air !
Elle frétille,
Elle grésille
Au pur éther !

Soudain elle vit le zéphyre,
Fatigué de suivre son vol,
S’asseoir au ciel et lui sourire
Et dire :

« Petit oiseau, n’es-tu pas fol,
» Oh ! bien fol de risquer ton aile
» Si loin dans la voûte éternelle,
» Trop tôt,
» Trop haut ?


» Par de là le ciel qui s’azure
» La nuit s’ouvre, je te l’assure,
» Mugissante, insondable, obscure.
» Petit oiseau, descends, descends,
» Pendant qu’il en est encor temps ! »

Mais les oiseaux et la jeune ame
Ont trop de chants et trop de flamme
Pour demeurer en bas,
Hélas !

L’oiseau qui, fier, jamais n’écoute
La voix du vent, le cri du doute,
Mourut dans la céleste voûte ;
Mourut, mais ne descendit pas !


Quand nous embrassons tout l’espace
Chantons encor, joyeux oiseaux ;
Les cieux ont au moins des tombeaux
Pour qui s’envole avec audace.




On nous pardonnera sans doute d’avoir donné cette poésie sous ces deux formes. Ce qui nous y a déterminé, c’est la conclusion, qui est également belle dans les deux. Nous ne pouvions nous résoudre à sacrifier ni l’une ni l’autre.

La première version se trouve dans le plus grand nombre des autographes et des copies ; la seconde est celle qu’a publiée la Revue Suisse en 1838.