Poésies diverses (Scudery)/À Monseigneur le duc de Richelieux

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À MONSEIGNEVR

LE DVC DE

RICHELIEV



M ONSEIGNEVR,


Les vieux Capitaines de Philipe de Macédoine pleuroient de ioye, en conſiderant la gloire du ieune Alexandre : & les anciens Seruiteurs du Grand Cardinal de Richelieu voſtre Oncle, ont à peu près la meſme tendreſſe, lors qu’ils regardent la voſtre. La generoſité de vos premières actions, leur fait eſperer qu’ils reuerront vn iour en vous les merueilles des ſiennes : & que vous ſoutiendrez dignement le Grand Nom que vous auez pris. Mais entre ceux qui portent cette glorieuſe qualité dont ie vous parle, ie penſe auoir eſté le premier qui vous ait prédit cette haute réputation que vous auez acquiſe, dans vos premières Campagnes : & ie ſuis raui Monſeigneur de ce que vous faites voir ſi clairement, la vérité de ma Prophétie. Il y a eu meſme cela de particulier, en voſtre illuſtre commencement, que tous les Braues n’ont iamais acquis d’honneur, qu’apres auoir eſté à la guerre : & que vous vous en eſtes couuert, auant meſme que d’y aller, par la genereuſe façon dont vous y fuſtes la première fois. Achille eſtoit comme vous parmi des Dames auant que d’aller au fameux Siége de Troye : & parmi des Dames qui n’auoient ni le rare mérite, ni l’extraordinaire vertu de l’excellente & illuſtre Perſonne que vous quittaſtes, pour vous aller embarquer. Cependant Monſeigneur, il ne vous falut point d’Vliſſe pour vous ſolliciter à cette belle entrepriſe : & ſans qu’il fuſt beſoin de vous exciter comme Achille par les Armes qu’on luy preſenta, voſtre propre generoſité vous fit faire ce que ce ieune Héros ne fit que par l’adreſſe ingenieuſe du Prince d’Itaque : & vous vous expoſaſtes meſme à deſplaire à la Perſonne du monde que vous honnorez le plus, & que vous, deuez le plus honnorer pour ſuiure le hardi mouuement de voſtre Grand cœur. Elle en fut ſans doute faſchée, parce qu’elle vous aime ; mais elle en fut ſans doute apres bien aiſe, par la meſme raiſon. En effet Monſeigneur, ces belles fleurs ont eu de beaux fruits, & cette grande eſperance n’a point eſté trompeuſe, puis qu’elle a eſté ſuiuie par tant de Grandes actions. Vous auez preſques fait voir que la Fable d’Herculle pourrait eſtre vne Hiſtoire, & que les Héros peuuent eſtoufer des Serpents dans le Berçeau : puis qu’en vn âge où voſtre main auoit à peine la force de ſoutenir vne Eſpée, l’on a veû fuir deuant la voſtre, la plus ſuperbe, la plus fiere, & la plus orgueilleuſe Nation de tout l’Vniuers : leur Admirai ſe faire laſchement remorquer deuant vous, iuſques ſous les Tours d’vne Fortereſſe, pour s’empeſcher d’eſtre prie : ſes Galeres ſe cacher enſuite honteuſement dans vn Port en preſence des voſtres : y eſtre longtemps comme aſſiegées ; & refuſer laſchement le glorieux Cartel de défi que vous leur enuoyaſtes porter. Ouy Monſeigneur, iay ſçeu par ceux à qui i’ay porté enuie, pour auoir eſté les teſmoins de voſtre valeur : que le feu ni l’eau ; que la guerre ni les tempeſtes, n’ont rien eu d’aſſez effroyable pour ébranler la fermeté de voſtre courage : & que vous auez paru d’vn viſage aſſuré, & d’vne ame intrépide, au milieu de ce que l’vne & l’autre ont de plus affreux. La Mer a eſté le vaſte Théâtre de voſtre gloire : la fameuſe Ville de Naples en a eſté le teſmoin : & l’eſpoiſſeur obſcure de la fumée des Canons, n’a fait qu’augmenter l’eſclat, & que la rendre plus brillante. Iugez donc Monſeigneur, qu’elle doit eſtre ma ſatisfaction : moy dis-ie, qui ſuit inſeparablement attaché à vos intereſts : & qui apres auoir eu pour Maiſtre le Grand Richelieu, ſuis trop glorieux pour en auoir iamais qui ne porte le meſme Nom. Elle eſt telle, Monſeigneur, cette ſatisfaction, que toute la force de mes expreſſions eſtant trop foible pour la bien repréſenter ; i’ay creu que ie vous la ferois mieux comprendre, en vous faiſant ſeulement voir quel a toujours eſté mon zele, pour ce Diuin & miraculeux Héros : & que vous le pourriez iuger par ce Volume ; qui auſſi bien que la plus part des vingt huit autres que le public a veû de moy, eſt tout plein des louanges de ce Grand Homme. C’eſt par là Monſeigneur, que ie ſuis, aſſuré que vouſ y trouuerez quelque choſe qui ne vous deſplaira pas : & ce rien que par là ſeulement que i’ay la hardieſſe de vous l’offrir. Receuez le donc Monſeigneur, comme comme vne ſimple marque de ma paſſion à voſtre ſeruice : & croyez, s’il vous plaiſt, que ſi vos commandemens me donnent vn iour quelque employ plus conforme à ma Profeſſion, ie feray voir plus vtilement pour vous, plus glorieuſement pour moy que ie ſuis,


MONSEIGNEUR,

Voſtre très humble, très obéïſſant, & très paſſionné ſeruiteur,
DE SCVDERY.