Poésies par Mme la comtesse Mathieu de Noailles

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Poésies par Mme la comtesse Mathieu de Noailles
Revue des Deux Mondes5e période, tome 28 (p. 437-444).
POÉSIES


LA BEAUTÉ DU PRINTEMPS


Ainsi, quand j’aurai dit combien je vous adore,
Combien je vous désire et combien je t’attends,
Ivresse de l’année, ineffable Printemps,
Tu seras plus limpide et plus luisant encore
Que mon rêve volant, éclatant et chantant.

Le délicat sureau et la pervenche blanche
Me surprendront ainsi que des yeux inconnus.
Les lilas me seront plus vivans et plus nus.
Le rosier plus empli du parfum qu’il épanche,
Et le gazon plus droit, plus lisse et plus ténu ;

La printanière odeur, aiguë, acide, frêle
Des feuillages naissans, tout en vert taffetas.
Sera plus évidente à mon vif odorat,
Que n’est aux dents le goût de la fraise nouvelle,
Que n’est le poids charmant des bouquets dans les bras.


Devant un si fécond et si profond spectacle,
Je resterai les doigts disjoints, le cœur épars,
Sentant que le bonheur me vient de toute part,
Que chaque grain de terre a fait le doux miracle
D’être un peu de pistil, de corolle et de nard ;

— Ainsi, même en t’aimant autant que je vous aime.
Même en ayant, depuis son enfance voulu,
D’un chant délicieux, secret, puissant, goulu,
Consacrer ta douceur et ta grâce suprême,
On ne peut exprimer combien tu nous a plu !

On ne peut pas avoir d’assez vive mémoire,
O mon cher mois de mai, que vous ne nous disiez ;
« Je suis encor plus beau ! Voyez mes cerisiers,
Voyez mes verts îlots qui flottent sur la Loire,
Entendez les oiseaux de mon brûlant gosier. »

Et je le vois, un clair, un frais, un chaud vertige
Fait plier le branchage et ses bourgeons naïfs ;
Une vapeur d’extase émane des massifs.
L’on sent irradier de la plus humble tige
Quelque parfum hardi, insistant, incisif...

Puisque mes mots chargés de pollens et d’arômes.
Puisque mes chants toujours troublés jusques aux pleurs,
O mon printemps divin, n’auront pas le bonheur
De pouvoir égaler la saveur de tes baumes,
Je m’arrête et soupire au milieu de tes fleurs,

Je te dédie alors ma cinquième année,
Le temps où mes chapeaux étaient clairs comme vous,
Où mon front était haut comme vos lilas doux.
Où mes jeux s’endormaient sur votre herbe fanée,
Où mon cœur infini battait à petits coups.

Le temps où pressentant ce que serait ma vie,
J’honorais ma tristesse et ma faible beauté,
Et, les deux bras croisés sur ma robe d’été.
J’écoutais, effrayée, amoureuse et ravie.
Le bruit que fait l’immense et vague volupté.



SOLITUDE


Je suis là, sur le balcon sombre,
Tout l’Univers nocturne luit ;
Si petite et perdue en lui
Mon cœur pourtant parfume l’ombre.

Je regarde ce qui était
Avant que je ne fusse née ;
Mon âme inquiète, étonnée,
Contemple et rêve ; tout se tait.

Lune d’argent ! son doux génie
Qui m’émeut tant ne me voit pas,
Nul ne m’entend chanter tout bas,
C’est la solitude infinie.

C’est le large et sombre désert
Sous le réseau des lois immenses, ;
Le cœur sent rôder la démence.
Le vent du sud glisse dans l’air.

Tout est si noir, la rose est noire.
Noirs les graviers, le mur, le banc,
Les rameaux du cerisier blanc
Et l’eau du puits si douce à boire..

Je suis là, rien n’a de regard
Pour ma vie aimable et sensible,
Le feuillage à peine visible
Est lisse et froid comme un lézard.

Craintive, ardente, solitaire
Je songe, le cœur amolli.
Aux grands esprits ensevelis
Dans la profondeur de la terre.

O frères morts ! tout est fini
Pour vos désirs, pour votre joie.
Une ombre insondable vous noie
Sous votre porte de granit.


Aujourd’hui, chantante, vivante,
Je suis aussi seule que vous
Dans cette nuit au parfum doux
Où l’arbre indolemment s’évente ;

Je suis, dans cette obscurité,
Moins que le saule et que le lierre,
Que les reflets sur la rivière,
Que le chant d’un oiseau d’été. »

Vers mon âme où le rêve abonde
Nul-cœur ne jette ses liens.
Mais du balcon où je me tiens
Comme il fait tendre sur le monde !...


ORGUEIL EN ÉTÉ


Cette belle fin de journée
Entre en moi comme un hymne d’or,
Je ne crains plus même la mort.
Il me suffit que je sois née !

Un fervent orgueil tout à coup
Gonfle de tendresse mes veines ;
Une existence n’est pas vaine
Quand le cœur est si haut, si doux !

L’arbre qui sent croître ses branches
Doit goûter ce ravissement.
Lorsqu’il voit le beau firmament
Plus près de ses floraisons blanches.

Mon cœur ce soir est un azur
Où l’humain triomphe s’élance ;
Je porte en moi toute ma chance
Comme un flambeau puissant et pur.

Et voici qu’en mon rêve éclate
O Siegfried ! ton chant écarlate,
Quel est mon désir ? mon espoir ?

La gloire entre mes bras se pâme,
Être un rossignol qu’on acclame !
— Ah, dans l’air doux quel nonchaloir, —
Tous les héros passent ce soir
Sous la porte d’or de mon âme...


ÉLOGE DE LA ROSE


Quelle tranquillité dans un jardin, le Temps
Est là qui se repose ;
Et des oiseaux sont là, insoucians, contens,
Amoureux de la rose,

De la rose charmante, à l’ombre du rosier
Si mollement ouverte.
Et qui semble la bouche au souffle extasié
De cette saison verte.

Il fait à peine jour, toute la maison dort
Sous son aile ardoisée,
Quand les fleurs du parterre ouvrant leur coupe d’or
Déjeunent de rosée.

De blanches, jaunes fleurs ! c’est un peuple divin
Parqué dans l’herbe calme,
Le mol acacia fait sur le gravier fin
Un bercement de palme.

Les fleurs du marronnier, cônes de parfums blancs.
Vont lentement descendre
Pour entourer les pieds du Printemps indolent
D’aromatique cendre.

O douceur des jardins ! beaux jardins dont le cœur
Avec l’infini cause.
Régnez sur l’univers par la force et l’odeur
De la limpide rose,

De la rose, dieu vert, petit Eros joufflu
Armé de courtes flèches,
A qui les papillons font un manteau velu
Quand les nuits sont plus fraîches.


Rose de laque rose, ô vase balancé
Où bout un parfum tendre,
Où le piquant frelon doucement convulsé
Sent son âme s’épandre.

Rose, fête divine au reflet argentin.
Sur la pelouse éclose.
Orchestre de la nuit, concert dans le jardin.
Feu de Bengale rose !

Rose dont la langueur s’élève, flotte ou pend,
Tunique insaisissable,
Que ne peuvent presser les lèvres du dieu Pan
À genoux sur le sable,

Rose qui, dans le clair et naïf paradis
De saint François d’Assise,
Seriez, sous le soleil tout ouvert de midi,
Près de sa droite assise !

Rose des soirs d’avril, rose des nuits de mai,
Roses de toute sorte,
Rêveuses sans repos qui ne dormez jamais
Tant votre odeur est forte.

Fleur des parcs écossais, des blancs cloîtres latins,
Des luisantes Açores,
Vous Qui fûtes réée avant Eve, au matin
De la plus jeune aurore.

Rose pareille au ciel, au bonheur, au lac pur,
À toute douce chose,
Rose faite de miel, et faite d’un azur
Qui est rose, ma Rose !…


LES ADOLESCENS


Je le sais, au moment du tendre jour tombant
Quand l’heure un peu s’attarde avant la nuit prochaine,
Et qu’un vent délicat langoureusement traîne
La branche d’un sureau sur la tiédeur du banc,


Quand le soir est plus las qu’une molle colombe,
Et que l’air est troublé d’un si lourd embarras
Qu’on voudrait soulever et prendre dans ses bras
Toute cette douceur du soir divin qui tombe,

Je le sais, dans ces soirs, petits adolescens.
Oppressés jusqu’au cœur d’un désir sans limites,
Votre angoisse, vos chants, votre frayeur imitent
Les soupirs désolés qui vivent dans mon sang.,

Vous regardez autour de vous, vous voulez tendre
Un long filet d’amour sur le bel univers,
Et déjà vous mourez de ce silence vert
Plein des frissons secrets qu’une âme peut entendre ;

Un train passe, et voici que ce sifflet strident
Qui s’élance, grandit et disparaît vous tue.
Et dans l’ombre aplanie où toute voix s’est tue
Vous broyez votre espoir immense entre vos dents.

Vous rêvez, vous courez, vous soulevez la tête,
L’espace étant étroit vous cherchez l’infini ;
Alors pareil au vent, à la cigale, au nid,
Mon chant glisse vers vous sa simple et chaude fête.

Solitaires charmans qui rêvez dans un parc,
Enfans que vient blesser la seizième année.
Et qui, lassés des fleurs que vos doigts ont fanées
Cherchez les jeux cruels de la flèche et de l’arc.

Je le sais, vous prenez quelquefois l’humble livre
Où mes luisans rosiers ont toute leur fraîcheur,
Où les chuchotemens avides de mon cœur
Sont le vol d’une abeille éternellement ivre.

Et sentant que l’été ne m’est pas plus léger
Qu’il ne l’est à votre âpre et frêle adolescence,
Que je me trouble aussi pour une molle essence.
Pour les mille parfums d’un seul vert oranger,


Parmi tous les errans vous choisissez mon âme,
Vous attirez à vous cette plaintive sœur,
Et les gestes fervens de vos mains sur mon cœur
Sont les soins ingénus que mon laurier réclame.

— Je ne veux rien de plus vivace, glorieux,
Que votre doux appel innocent et champêtre,
Vous qui serez encor quand j’aurai cessé d’être,
Echos de mes plaisirs et reflets de mes yeux !

Pour que vous ne soyez ni craintifs, ni farouches,
Je fais semblant de rire et je parle en jouant.
Et la chère candeur de vos lumineux ans
Boit les gouttes d’un miel qui pleure sur ma bouche.

Adolescens des soirs, que j’aime votre émoi !
Sur mes feuillets ouverts laissez couler vos larmes,
O vous dont c’est la force et l’ineffable charme
D’avoir quelques années déjà de moins que moi...

Ctesse MATHIEU DE NOAILLES.