Pour cause de fin de bail/Autre Mode d’utilisation de la baleine

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AUTRE MODE D’UTILISATION DE LA BALEINE

N’est-ce point inconcevable que l’homme si habile à faire des animaux ses utiles auxiliaires n’ait jamais songé à utiliser, autrement que pour ses parapluies, cet énorme et vigoureux cétacé qui a nom baleine ?

Ce n’est pas seulement par ses fortes dimensions et par sa vélocité peu commune que se recommande la baleine ; les navigateurs sont d’accord pour proclamer sa vive intelligence et son attachement sincère à tout être humain non pourvu de harpon.

Donc, messieurs, de grâce, ne tuons plus la baleine, faisons-en plutôt notre alliée fidèle, notre grosse amie.

Comment utiliser la baleine ?

1o En l’attelant à des navires comme on attelle un cheval à une voiture.

L’expérience en a été faite avec la plus complète réussite au Pôle Sud par le capitaine Adrien de Gerlache, avec ses deux baleineaux Léopold et Cléo (j’ai raconté cette piquante aventure, en de récentes colonnes).

2o En se servant de la baleine elle-même comme bateau.

Tout de suite, vous pensez à Jonas, n’est-ce pas, mes amis, et vous vous imaginez que je vais vous raconter des histoires de l’Ancien Testament.

Détrompez-vous, je n’eus jamais la prétention d’enfourner des marins dans les estomacs méphitiques des baleines. La position y serait malpropre et dénuée de confort.

Non, le procédé dont je vais avoir l’honneur d’entretenir ma riche clientèle est infiniment plus moderne.

Il est dû à l’heureuse initiative, couronnée de succès, du capitaine américain Moonson, un brave garçon dont le nom est bien connu de tous nos lecteurs.

Voici de quelle façon manœuvre l’ami Moonson.

Dès qu’il a capturé une baleine, il l’enferme dans un bassin assez étroit pour qu’elle ne puisse prendre aucun exercice, et il la gorge de nourriture.

À ce régime, la pauvre bête a bientôt fait d’engraisser terriblement.

Quand elle se trouve au mieux de sa forme (quelques baleines arrivent ainsi à doubler de volume), le capitaine Moonson la délarde en prenant toutefois la précaution de l’endormir au chloroforme.

Il la délarde, comprenez-vous bien ?

C’est-à-dire qu’il lui enlève les énormes paquets de graisse qu’elle a sous la peau, aux deux flancs.

Moonson obtient de la sorte des espaces vides dans lesquels il introduit deux vastes coffres en ébonite épousant la forme exacte de la cavité produite.

Au bout de quelques jours, notre baleine, soigneusement pansée, est guérie de sa petite opération et ne demande qu’à reprendre la mer.

Moonson prend place alors dans un des coffres, son matelot dans l’autre, et adieu va ! Vogue la galère.

La direction se fait électriquement, les deux nageoires pouvant être immobilisées par un courant.

Une supposition : Vous voulez virer tribord, vous n’avez qu’à faire passer votre courant dans la nageoire gauche et réciproquement. Rien n’est plus simple, comme vous voyez.

La baleine est mise dans l’impossibilité de plonger, grâce à des flotteurs adaptés de chaque côté.

D’ailleurs, les plus petits détails sont prévus, et nul doute que ce nouveau mode de navigation ne se généralise bientôt.

Moonson se propose de venir prochainement de New-York à Paris sur son curieux appareil. Je lui prédis un vif succès de curiosité.