Pour cause de fin de bail/Conte de Noël

La bibliothèque libre.
Pour cause de fin de bailÉdition de la Revue Blanche (p. 221-226).

CONTE DE NOËL

À Georges Darien, auteur de cet admirable Voleur qu’on devrait voir dans toutes les mains vraiment dignes de ce nom.


Notre meilleur jour, à nous autres cambrioleurs, ou, pour parler plus exactement notre meilleure nuit, c’est la nuit de Noël.

Surtout dans les départements.

Principalement dans certains.

Dans ceux (vous l’avez deviné) où la foi subsiste, fervente, candide, au cœur de ces bons vieux vrais Français, comme les aime Drumont (Édouard).

En ces naïfs districts, c’est encore plus par allégresse que par devoir religieux que les fidèles accourent à la messe de minuit, et, dans cette assemblée, c’est plus des poètes qui rêvent que des chrétiens qui prient.

L’étoile… les rois mages… l’étable… le Bébé-Dieu sur son dodo de fins copeaux… la jolie petite Maman-Vierge rose d’émoi et un peu pâle, tout de même, et fatiguée de recevoir tant de monde qui n’en finit pas d’arriver, d’entrer, de sortir, de bavarder… et dans un coin, le menuisier Josef, quelque peu effaré, un tantinet ridicule (d’ailleurs, amplement dédommagé depuis par un fort joli poste fixe au Séjour des Bienheureux).

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’était le mille-huit-cent-nonante-troisième anniversaire de cette date bénie.

Et cela se passait à A. sur B. (département de C. et D.).

Une sale nuit !

Un ciel gorgé d’étoiles.

Pas un nuage.

Une pleine lune, toute ronde, aveuglante, bête comme elle-même.

On se croirait dans quelque hall monstrueux éclairé par une électricité en délire.

Ah ! oui, ça va être commode tout à l’heure de travailler, dans ces conditions-là !

Un joli coup, pourtant :

Rien que des bijoux, de l’argent, des valeurs au porteur, dont — les imbéciles ! — ils ont noté les numéros sur un petit carnet enfermé dans le même tiroir que les valeurs.

Je vais être forcé d’entrer par le jardin, derrière.

Il y a un chien.

Heureusement, les boulettes à la strychnine n’ont pas été inventées pour les… je suis bête… elles ont été justement inventées pour les chiens.

En attendant que la messe sonne, je pioche mon plan.

Une merveille de plan, dressé par un camarade, lieutenant de génie fraîchement démissionné pour raisons qui ne regardent que lui.

Oh ! le joli plan, si précis !

Un aveugle s’y reconnaîtrait.

Et il y a des gens qui veulent supprimer l’École Polytechnique !

Enfin, minuit !

Voici la messe qui sonne.

Un silence.

Tout le monde est à l’église.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ouah ! ouah ! ouah !

Te tairas-tu, sale cabot !

Tu as faim ? Tiens, boulotte cette boulette, boulette cette boulotte !

Pattes en l’air, le fidèle chien de garde bientôt contracte un silence religieux.

Me voilà dans la place !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Me voilà dans la place !

Mais, plus vite encore, me voilà sur le toit !

Car a surgi, revolver au poing, un homme sur lequel je n’étais pas en droit de compter, un homme qui faisait des réussites au lieu d’acclamer la venue du Sauveur !

Cet homme gueule comme un putois.

Je me trotte !

— Par ici ! par ici ! crie l’homme.

Des sergots, des pompiers me pourchassent.

… La balade sur les toits n’est généralement pas d’un irrésistible attrait ; mais, par la neige, ce sport revêt je ne sais quelle mélancolie.

Tout à coup, des cris de triomphe : « Nous le tenons ! Nous le tenons ! Ah ! vieille fripouille, ton compte est bon ! »

Ce n’est pas moi qu’ils tiennent.

Alors qui ?

Je risque un œil derrière la cheminée où je me cramponne.

Les hommes de police étreignent les bras, la tête, la torse d’un pauvre vieux qui se débat.

Et une grande pitié me saisit.

Celui qu’ils ont pris pour moi, pour le cambrioleur, c’est le Bonhomme Noël, en train d’apporter dans les cheminées des cadeaux pour les gosses, de la part du petit Jésus.