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Comme quoi la planète Mars est habitée

I

Curieuse démonstrations. — Même origine du langage que sur Terre. — Quelle conclusion ?

Depuis longtemps le monde savant connaissait les fameux canaux de Mars, si réguliers et si curieux dans leurs formes presque géométriques dans cette province astrale que l’on a nommée la Lybie et que nous présente l’hémisphère si connu de la planète dans les Observatoires.

On savait qu’elle possédait également une atmosphère et quand elle était un peu moins trouble et rougeâtre, qu’il faisait probablement beau temps à sa surface ; les savants astronomes, toujours un peu braques — d’où est venu le verbe braquer sa lorgnette — voulaient absolument voir dans ces canaux d’immenses signaux que les habitants faisaient à ceux de la terre, et, dans la vapeur rougeâtre, la révélation de feux immenses, pour nous parler par signes conventionnels ; quelque chose comme les feux de la Saint-Jean sur les sommets des hautes montagnes, revus et corrigés, disciplinés par un Chappe Marsien — où Martial ?

Tant que l’on ne posséda pas des télescopes assez puissants, on dut s’en tenir là et demeurer dans le domaine très vague des conjectures ; mais, du jour où l’on put voir la lune à 60 kilomètres et les autres astres dans les mêmes proportions, les astronomes reprirent courage et le projet d’arriver à communiquer avec les habitants de Mars fut repris et étudié sérieusement par un groupe de savants russes.

Ils commencèrent par se livrer à une étude attentive de la planète et, par les jours de beau temps à sa surface, acquirent la conviction que, décidément, à l’aide de grands feux qui formaient des dessins entre deux canaux, les Martiens nous faisaient des signaux.

Il y avait là un point capital qui était acquis : Mars était habitée et même habitée par des hommes très civilisés qui, en possession de télescopes très puissants, voyaient probablement ce qui se passait sur la terre, comme s’ils étaient à leur fenêtre pour regarder dans leur jardin !

Forts de cette conviction, les astronomes russes, avec un dévoûment admirable, commencèrent par réunir les fonds nécessaires, à l’aide d’une vaste souscription nationale et aussitôt qu’ils eurent les sommes indispensables, partirent s’établir au beau milieu du désert de Kobi ou Chamo, au nord du Thibet et de la Chine, en plein cœur de l’Asie. Ils avaient là des plateaux de 3 300 kilomètres de longueur sur 730 de large avec un air très froid et très pur ; c’est tout ce qui leur fallait pour entrer en communications directes, si possible, avec les habitants de Mars.

Une fois bien installés dans des baraquements de bois à doubles cloisons, pour ne pas souffrir du froid et tous leurs instruments en place, les astronomes russes, toujours admirables de courage et de volonté, firent venir de Bakou dix mille tonnes de pétrole, ce qui naturellement, demanda encore de longs mois d’attente.

Mais ils avaient leur plan, nettement mûri et pendant ce temps-là ils firent creuser par les bandes de Mongoles nomades, qu’ils avaient pris à leur solde, de longues rigoles de plusieurs kilomètres de long dans la terre, quand le sol était gelé, c’était dur, mais étanche, tandis que dans le sable, le liquide aurait fui et alors il fallait le rendre imperméable par un revêtement de terre quelconque ; ce fut un travail de géant, mais au bout de dix-sept mois, tout fut terminé et les dix mille tonnes de pétrole attendaient leur emploi.

Il ne s’agissait plus que d’attendre le jour où l’on verrait une atmosphère sereine à la surface de Mars pour tenter d’entrer en rapport avec elle ; mais là-bas se rendrait-on compte de leurs appels ? Cruelle énigme.

On l’a déjà deviné, sur une étendue de plus de cent kilomètres de long, nos savants russes avaient fait tracer un mot à l’aide des rigoles.

Donc, par une belle nuit claire, froide et étoilée, à un signal donné, les Mongoles remplirent instantanément toutes les rigoles de pétrole et à un autre signal ils y mirent le feu.

Le moment était solennel. On aurait entendu battre d’émotion le cœur des vingt-trois astronomes réunis là, à un kilomètre de distance !

— Comme tout avait été prévu, trois d’entre eux s’élevèrent dans les airs, à 600 mètres d’altitude, en ballon captif.

L’effet était merveilleux et en grandes lettres d’imprimerie sur cent kilomètres de longueur, un mot immense, clair, lumineux : BONJOUR allait porter le premier salut des habitants de la Terre à ceux de Mars et il est probable que c’était la première tentative de ce genre, du moins dans notre système solaire à nous, depuis que le monde est monde ![1]

Spectacle magnanime, bien fait pour émotionner de tels hommes. Le feu habilement entretenu dans les rigoles par les Mongoles sous la direction des astronomes qui se multipliaient dans la nuit, courant un train d’enfer sur leurs bicyclettes et donnant d’ailleurs tout le temps leurs ordres par téléphone, dura jusqu’au matin, jusqu’à l’aurore et pour qu’il fût plus visible encore, de temps en temps on jetait dans le liquide enflammé des limailles qui le rendaient successivement de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, suivant la limaille jetée ou le sous-produit de la houille mélangé au pétrole

L’effet était saisissant, grandiose, surhumain, mondial dans la plus sublime acception du mot et laissait bien loin derrière lui le spectacle des affiches électriques et lumineuses de la Place de l’Opéra et des grands boulevards.

Enfin le jour vint et peu à peu s’éteignit le Bonjour colossal que le génie de l’homme venait peut-être de jeter à un autre monde, à travers l’espace, sur les ailes invisibles du fluide mystérieux qui s’appelle l’électricité.

Alors un problème se posait : ou les Marsiens avaient déjà quelque chose de tout prêt, ou ils seraient lents à répondre — s’ils nous avaient lus et compris — peut-être six mois et l’attente allait être longue, cruelle, angoissante pour nos savants.

Peut-être aussi, avec des moyens puissants et perfectionnés, les Marsiens pourraient-ils nous répondre plus vite…


  1. Ils avaient tenu à prendre ce mot français, pensant qu’il valait mieux se servir de la langue savante et littéraire la plus universellement connue sur la terre.