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Télégraphie inter-astrale

Nouvelle application de la télégraphie sans fil. — Comment on communique avec tous les astres. — Expériences décisives et concluantes.

Dernièrement je lisais dans la plupart des journaux scientifiques une note à peu près conçue en ces termes :

« Les expériences se multiplient et s’étendent pour la télégraphie sans fil. Il vient d’en être fait entre le port de Cuxhaven et l’île d’Héligoland. Soixante-deux kilomètres séparaient les deux postes et les communications se sont faites dans de parfaites conditions de précision. La télégraphie sans fil a cessé d’être un sujet de curiosité scientifique : elle existe et l’on peut être certain que son développement sera rapide.

« Déjà en Angleterre une commission du Post-Office qui, depuis plusieurs mois, étudie la question, vient de déposer un rapport où elle conclut en faveur de l’adoption du système Marconi par les autorités postales anglaises. Il n’est pas besoin de faire ressortir l’importance de cette nouvelle. Sa confirmation ne serait ni plus ni moins que le commencement d’une révolution dans le système de télégraphie du globe ».

Je n’y apporte aucune prétention d’auteur ni aucune jalousie d’inventeur, je vous prie bien de le croire, mais lorsque j’ai terminé la lecture de ce filet, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire de pitié.

Les pauvres gens ! Ils en sont encore à soixante-deux kilomètres de distance, tandis qu’il y a belle lurette que je n’en suis même plus à la télégraphie inter-planétaire, mais bien à la télégraphie interastrale entre les 30 millions de mondes catalogués par Janssen et les 80 millions d’autres mondes qui, étant trop éloignés, n’ont pas pu encore être relevés par la photographie, soit parce que leur lumière ne nous est pas encore parvenue, soit pour tout autre cause.

Du jour où, grâce à ma connaissance approfondie du fluide électrique, comme unique agent de l’univers, sous sa triple forme de fluide invisible, de lumière et de chaleur, j’ai pu entrer en rapports suivis, avec les habitants de la planète Mars, comme je l’ai indiqué ici même, en recourant au feu, c’est-à dire à l’électricité visible et à la photographie, c’est-à-dire à la lumière où électricité invisible, pour moi le problème a été résolu dans mon esprit.

Il ne s’agissait plus que de trouver l’application matérielle et avec de la patience, de la ténacité et, l’avoûrai-je ? après beaucoup de tâtonnements, je suis arrivé enfin à résoudre victorieusement le problème.

Ce qu’il s’agissait avant tout de savoir, c’était si les astres étaient habités et s’il était possible de comprendre leurs langues, probablement très variées.

Restait le point d’entrer en relation avec leurs habitants par la télégraphie sans fil, ce qui pour moi était mathématiquement possible ; seulement comment faire pour les prévenir ?

C’est alors que je me tins ce raisonnement fort simple :

Je ne dois me trouver qu’en face de trois cas, ou les astres sont trop vieux, sont morts et inhabités — un jour je dirai comment un astre meurt — ou, suivant la théorie de Fontenelle, qui croyait à la pluralité des mondes et qui est la bonne, une grande partie des astres est habitée, mais les habitants sont à l’état sauvage et ne pourront pas se douter de mes tentatives à leur égard.

Ou, enfin, les astres sont habités par des gens aussi civilisés que nous et, dans ce cas là, il y avait de grandes chances pour que, possédant des appareils de télégraphie électrique aussi et peut-être plus perfectionnés que les nôtres, mes dépêches provocatrices tombassent sur leurs récepteurs et fussent enregistrées de la sorte.

Fort de ces idées et de ces espérances, je me suis donc embarqué tranquillement dans cette voie, me servant naturellement de la télégraphie sans fils et envoyant, si j’ose m’exprimer ainsi, une dépêche-prospectus collective aux cent vingt millions d’astres, de mondes qui nous entourent immédiatement et que je dirai être dans la banlieue de la Terre, à quelques billions de trillions de quatrillions de lieues.

J’attendis tout à la fois avec confiance, impatience et tranquillité et pendant que j’attendais dans cet état d’âme tout à fait particulier et que ne peut pas comprendre le monsieur qui n’a jamais envoyé des dépêches aussi loin, je faisais des calculs et je me disais que même avec mon fluide électrique qui marche vite, il y avait certainement un grand nombre d’astres éloignés de toutes communications, dont je ne pourrais pas recevoir la réponse avant soixante- quinze ans ; et je me disposais même à faire mon testament pour prier les successeurs de mon notaire d’enregistrer les réponses, après ma mort, quand j’ai réfléchi que j’avais toujours le temps d’y penser.

Alors, il me vint à l’esprit, avec la douleur lancinante d’un poignard qui me chatouillerait lentement le cœur, cette idée terrible que je ne pourrais jamais établir de services directs de ballons ou de tramways interplanétaires à dix centimes. Et cette constatation me causa une véritable tristesse.

Mais bientôt les réponses arrivèrent en foule ; je ne m’étais pas trompé. Le problème de la télégraphie à grande distance, à travers les espaces de l’infini, était résolu, des millions d’astres étaient habités et civilisés comme la Terre et, point capital et curieux, avec une connaissance approfondie de l’hébreu, je suis arrivé à traduire et comprendre relativement facilement toutes les dépêches, écrites dans les langues les plus diverses et avec les caractères conventionnels ou non, les plus bizarres.

Je pense qu’il est inutile d’insister sur importance de ma découverte. À l’heure actuelle, je ne suis pas encore arrivé à dépouiller toutes mes réponses avec mes 71 secrétaires, auxquels j’ai donné une clef pour les déchiffrer ; cependant je puis dire que j’ai déjà des correspondants dans dix-sept millions huit cent vingt-neuf mille quatre cent-sept planètes, astres ou mondes inconnus jusqu’à ce jour comme service télégraphique.

J’ai bien dit 17 829 407 mondes et je crois que, du coup, sans me flatter, j’ai fait la pige à Mougeot qui n’était encore parvenu à correspondre, en dehors de la Terre, qu’avec Saint Antoine de Padoue ! et Swedenborg lui-même est absolument enfoncé jusqu’à la garde.

Maintenant pour rentrer dans mes frais d’études préliminaires et payer mes secrétaires, j’ai ouvert un bureau télégraphique pour ceux qui veulent envoyer des dépêches inter-astrales, dans l’espérance d’y retrouver leur belle-mère ou un être aimé.

J’ai la liste des astres et des correspondants et, jusqu’à nouvel ordre, j’ai établi un tarif unique. C’est mille francs la lettre ; quand il y a un accent aigu ou grave, ou un point c’est douze cents francs par lettre ; le tréma et l’accent circonflexe coûtent treize cents francs avec la lettre, enfin la cédille vaut quinze cents francs, étant donnée la difficulté de certaines ponctuations ou accentuations inter-astrales !

Je ne sais si la clientèle va affluer, mais, malgré le prix relativement élevé — et qui est pour rien, si l’on tient compte des distances — et que nos frais généraux m’empêchent d’abaisser pour le moment, où je me trompe fort, ou il me semble que je suis enfin à la veille de tenir la fortune, tout en ayant accompli une des plus grandes découvertes scientifiques du commencement de ce vingtième siècle !