Prières (Baïf)

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(p. 1-10).

PRIERES.

SVBVENITE SANCTI DEI.


V Enés ô Saints de Dieu. Acourés au dauant,
O Anges du Seigneur, pour recueillir céte âme :
Afin que la tirant de la purgeante flame,
La degniés preſenter au Treshaut Dieu viuant.
Que des Anges le Chœur céte âme receuant,
La place à tout iamais franche & néte de blâme
Au giron d’Abraham. Seigneur ie te reclame :
Ie te la recomande elle à toi s’éleuant.
O Dieu, par le pardon de ta ſainte clemence,
Tout ce qu’elle a failli couure d’vne oubliance :
Repurge les méchefs de ſon humanité :
Afin que s’en alant de ce ſiecle aquitée,
Heureuſe elle reuiue en toi reſſuſcitée,
Pure d’entachements de la mondanité.

Miſericordiam tuam.

Seigneur Dieu, Pere Saint, Eternel, Toutpuiſſant,
Pieté nous contreint d’afection huméne,
Pour vn autre prier que doutons eſtre en péne,
Au feu de Purgatoire auiourdui languiſſant :
Et nous pour nos pechés déurions nous tapiſſant,
Nous meſmes ſuplier, ſi la raiſon bien séne
Commandoit dedans nous. Mais ta bonté certéne,
Mancans pour nous nous viẽt pour autre enhardiſſant.
Plaiſe toi donc benin l’âme à toi retournante
En ta grace infinie à iamais receuoir :
Ton Ange Saint Michel l’aſſiſte tout-crégnante.
Que par les ſaintes mains de tes Anges portée
Voiſe au ſein d’Abraham, pour ta lumiere voir,
Des tenebres d’enfer & leur Prince exemtée.

Nullis iam primæuæ.

Céte âme, ô Seigneur Dieu, ne s’en aille confuſe,
Ni pour empeſchement de quelque iniquité,
Ni pour erreur venant de la fragilité,
Ni pour aucune tache en la neſſance infuſe.
Plus tôt telle ran-la que nul ne la refuſe :
Plus tôt par tous les tiens en ton éternité
Soit receuë auouée, à la felicité
Du repos des heureus, dou ne reuiene excluſe.
Tellement qu’au iour creint de ton grand iugement,
Rentrant dedans ſon cors elle ſe reſſuſcite
Auéque tes elus d’vn diuin changement.
La-où pour tout iamais de tout vice expiés,
Contemplans ta ſplendeur qui tous plaiſirs excite,
Des biens promis aus bons ſoions raſſaziés.

Diri vulneris nouitate.

Soufrant d’vn nouueau mal la cruële bleſſure,
Et d’vn dueil trop amer nauré dedans le cueur,
En lamentables cris, du monde ô le Sauueur,
Ta grand’ miſéricorde & i’implore & i’adiure.
Fai que de mon Ami l’âme néte d’ordure,
Recourant à toi ſeul le ſourjon de douceur,
Pour ſes poignans remors trouue vn remede ſeur.
Te plaiſe ô Createur ſauuer ta créature.
Reçoi-la doucement en ta grace eternéle :
Et s’elle retenoit de la bourbe chernéle
Quelque nuiſible tache, humain éface-la.
Pardone lui du tout, & ſon salut aſſeure :
Et tant que de ſon cors retourne en la demeure,
De tes Saints bien heureux aus bandes place-la.

Requiem æternam.

Done lui, Seigneur Dieu, le repos eternel :
Fai luire deſſur lui pour iamais ta lumiere :
Son âme entre les bons par ta faueur entiere
Demeure pour iouir du vrai bien perennel.
N’entre pas, Seigneur Dieu, toi iuge ſupernel,
En iugement exquis d’vne auſtere maniere,
Encontre ton ſeruant. Nul qui entre en la biere
Ne ſe iuſtifira dauant toi criminel.
De la porte d’enfer tien son âme déliure :
Exauſſe ma requeſte ô Seigneur. Ma clameur
Paruiene iuſqu’a toi, qui les morts fais reuiure.
La reſurrection bien heureuſe il obtiene :
Si que dedans les cieus, par toi
Christ le Sauueur,
En la vie eternele immortel il paruiene.

Deus cui ſoli competit.

O Dieu, qui ſeul requis même apres le trépas
Peus, come tu es riche en clemence benine,
Doner aus decedés parfaite medecine,
Gardant que leurs erreurs ne les acablent pas :
Mon oraiſon entan, que d’vn cueur humble & bas,
Mais rehaußé vers toi pour vne âme treſdine,
I’adreſſe à ta pitié : Qui iamais ne défine,
Qui touiours eſt ouuerte à nos plaintifs helas.
Fai, que de ton ſeruant, qui brullé d’vn bon zele
Son ſang te répandit ſouillant tes ennemis,
L’âme néte lauée au tien ſe renouuele.
Fai, que tout repurgé d’ordures terrïénes,
Au ranc de tes élus ton loial etant mis,
De ta Redemtion en la part tu retienes.

Saluete.

Dieu te garde en ſa paix, gentile âme loiale,
Dont le cors ici bas en guerre maſſacré,
Soufrit hors du combat l’aſſaſſin execré,
Par ſoldats apoſtés de façon déloiale.
Bien heureus, qui ſuiuant la volonté Roiale
De ſon Prince à ſon Dieu ſaintement conſacré,
Dans la certéne mort ſe ieta de bon gré !
Qui te rendra louange à ton merite egale ?
Le Seigneur
xxIesv-Christ, qui nous a rachetés
De ſon precieus ſang, des pénes te déliure
Que pouroient deſſeruir tes pechés reietés.
Et te méte au troupeau des Anges glorieus :
Où tu prîras pour nous, que ſi bien puiſſions viure,
Que mourans reuiuions immortels dans les cieus.

Valete. Reſpice.

A Dieu l’home fidele, ore en terre giſant
Ci dauant la terreur du rebelle & du vice.
Te beniſſe à iamais le Soleil de Iuſtice,
De ſa viue clairté pariouïr te faiſant.
Sur l’âme de ton ſerf au cercueil repoſant,
Ô Tout puiſſant regarde : & tout le malefice
Des pechés amorti par ta grace propice,
En l’extréme beſoin l’aide ne refuſant.
Toi, qui pour ſauuer l’home en l’arbre de la Croix
Nu pendis ataché, les deus mains etanduës :
Où l’eſprit tu rendis pour nous tous vne fois :
Où paſſas de la mort l’épouuentable pas :
Où pour nous enduras cinq plaies à nous duës :
Sauue ce bel eſprit viuant par ton trepas.



LES IX LECONS DES VIGILES.

i. Parce mihi domine.

ardonne moy, Seigneur, car mes iours ne ſont rien.
Et qu’eſt ce du mortel que tu le fais ſi grand ?
Ou qu’en lui mets tõ cueur, qui ſoin de l’home prãd ?
Matin le viſitant tu le conois trop bien.
Iuſqu’à quand me lerras ſans pardon ni faueur ?
Ne me ſoufriras-tu ma ſaliue aualer ?
I’ai failli. Que faut il pour quite m’en aler
Que ie face enuers toi, des homes le Sauueur ?

Et pour quoy m’as tu mis à toi contrariant ?
Et pour quoy ſu-ie fait à moi même ennuieus ?  ?
Et que ne m’oſtes-tu mon forfait odieus ?
Et que n’efaces-tu mon peché me tuant ?
Me Voila qu’il me faut incontinent coucher
En la poudre ieté là où ie dormirai,
Dou ne reſourdrai point ni me retablirai,
Le lendemain matin ſi tu viens me chercher.

ii. Tædet animam meam.

Mon ame de ma vie eſt ennuiee : il faut
Que même contre moi m’echape de parler :
De mon âme ne puis l’amertume celer :
Ne me condamne pas, ce dirai-ie au Treshaut.
Fai moi paroir pour quoi tu me iuges ainſi :
Aprouues-tu pour bien de me calumnier ?
Et de m’acabler moi de qui tu es l’ouurier ?
Et d’aider le conſeil des méchans en ceci ?
As-tu les yeus de chair ? Come l’home vois-tu ?
Tes iours ſont-ils ainſi que de l’home les iours ?
Tes ans vont ils ainſi que des humains le cours ?
Dont le tems coule tôt emportant leur vertu ?
Que tu viens mon méfait & peché rechercher,
Pour ſauoir que n ai fait aucun acte méchant :
Vu qu’il n’eſt nul au monde aucun moien ſachant
Pour pouuoir de ta main qui que ſoit aracher.

iii. Manus tuas domine.

Tes mains Seigneur m’ont fait, & tout tel que ie ſuis
Entierement formé : toi tant ſoudenement
Me viens précipiter ? Reſouuien-toi coment

D’argile tu m’as ſait qu’en poudre tu reduis.
Et ne m’as tu pas trait ainſi come du lait ?
Come fourmage auſſi ne m’as tu pas caillé ?
De chair & peau vetu m’as-tu pas abillé ?
D’os & nerfs n’as tu pas mon aſſemblage fait ?
Tu m’as doné la vie : & ſi me départant
De ta miſericorde, as-u de moi pitié :
Voire tu as gardé par ta douce amitié
Mon eſprit maintenu, benin le viſitant.

iiii. Reſponde mihi.

Repon-moi combien i’ai d’ofenſes & méfaits :
Mes crimes & délits montre moi. Mais pour quoi
Ton viſage caché détournes-tu de moi ?
Et pour ton ennemi tu me tiens & me mets ?
Contre une fueille morte abandonee au vent
Tu montres ton pouuoir : Et tu menes chaſſé
Le fétu de nul pris. Contre moi pourchaſſé
Recherches & rigueurs tu viens metre en auant.
Et me veus ruiner pour les pechés commis
En ma ſote ieuneſſe & foible & ſans raiſon :
Et mes piés atachés en la dure priſon,
Dans le cordage etreint des liens tu as mis.
Tu as pris garde à tous les chemins qu’ai ſongés :
Les traces de mes pas tu as fait agueter :
De moi qu’en pourriture vn iour lon doit ieter,
Come vieus vetements par les tignes rongés.

v. Homo natus.

L’home né de la femme vn peu de tems viuant,
De beaucoup de miſere abonde malheureus :

Qui come vne fleur paſſe & fanît langoureus :
Tot dechet & ſe perd come vne ombre fuiant.
Iamais en vn eſtat on ne le voit durer.
Toi ſur lui qui eſt tel degnant ouurir tes yeus,
Tu le fais comparoir lui pauure vicieus,
Voire en plein iugement dauant toi s’aſſurer.
Et qui peut rendre net celui qui eſt conçu
D’vne ſale ſemence ? Eſt-ce pas toi le ſeul ?
Briefs & courts sõt les iours de l’home, & pleins de deul.
Le comte de ſes mois eſt en toi, de toi ſçu.
Son terme as établi, tu as borné ſon cours,
Qui ne peut ſe paſſer. Done lui donc repos
Tant que le dernier iour deſiré paſſe clos.
Ses iours, des iournaliers-à-tache ſont les iours.

vi. Quis mihi hoc tribuat.

Qui obtiendra pour moi que me gardes la-bas ?
Que tu me caches tant que paſſe ta fureur,
Et que faces le tems, qu’oubliant mon erreur
Te ſouuienes de moi pour ne me leſſer pas ?
Tiens-tu que l’home mort reuiue de rechef ?
Tous les iours que ie ſuis en guerre maintenant,
I’atan que deſur moi mon changement venant,
Me deliure ſoudain de mon triſte mecheſ.
Si me viens apeler ſubit ie te répon :
A l’euure de tes mains vien ta dêtre ieter :
Tous les pas que i’ai fais il t’a pleu de ieter :
Mais fais à mes pechés par ta grace pardon.

vii. Spiritus meus.

Mon eſprit s’amoindrît : & mes iours ſe defont :
Le tumbeau ſeul me reſte : Et ie n’ai point méfait.

Et mon œil ; de triſteſſe & déteint & défait,
Demeure en amertume, tout en pleurs ſe fond.
Deliure-moi Seigneur, & me méts pres de toi :
La main de qui que ſoit me viene guerroier :
Mes beaus iours ſont paſſés. Loin me faut renuoier
Mes penſers qui donoient à mon cueur tant d’émoi,
La nuit lon change en iour. I’eſpere la clerté
Apres la nuit encor. L’Enfer fut ma maiſon,
Et ne me ſuis rendu. Dans l’oſcure priſon
Mon lit ie fi dreſſer : & i’en ſuis exemté.
Mon pere eſt pourriture, ai-ie dit : & les vers
Sont ma mere & ma ſeur. S’ainſin eſt, ou eſt donc
Mon eſperer ? ou eſt mon patienter longs ?
Tu es, Seigneur, mon Dieu : qui m’as les yeus ouuers.

viii. Pelli meæ conſumtis carnibus.

Ma chair toute ſe fond : mes os perſent ma peau :
Les léures ſeulement reſtent deſur mes dens.
Au moins vous mes amis, aiés me regardans
Pitié de moi, qui ſuis pres d’aler au tumbeau.
Car la main du Seigneur ma touché rudement.
Et pour quoy come Dieu me perſecutés-vous.
Et pourquoy de ma chair ainſi vous ſoulés-vous ?
 Que tout ce que ie di ſoit écrit ſeulement !
Qui feraque mes mots en vn liure ſoient mis ?
D’vne pointe de fer traſſés deſus du plom,
Ou graués dans vn marbre ? Ah mon Sauueur toutbon
Vit, & ie le ſçai bien : & ce qu’il m’a promis.
Je ſçai qu’au dernier iour de terre leuerai :
Et qu’encore viuant de ma peau reuetu

Enuironé ſerai : & que par ſa vertu
En ma chair le Gran Dieu mon Sauueur ie verrai.
Le quel Dieu mon Sauueur moi même ie doi voir
Et non autre pour moi : Et que mes propres yeus
Doiuent le regarder touts contents & ioieus.
Dedans mon ſein toujours repoſe tel esſoir.

IX. Quare de vulua eduxiſti me.

Pour quoi m’as tu tiré du ventre ? Pleuſt à Dieu
Que fuſſe éuanoui sans qu’aucun œil m’uſt vu !
Come ſi n’uſſe eté, j’uſſe eté non conu,
Mis du ventre au tumbeau, ſans paroiſtre en nul lieu.
Ah, ce peu de mes iours doit il bien tôt finir ?
Leſſe moi qu’vn petit ie plégne ma douleur :
Parauant que d’aler en la terre d’horreur
De hideur & maleur, pour ne plus reuenir.
Ou cropît le brouillas & l’ombre de la mort :
Ou n’eſt ordre quelconc : ou la confuſion,
Ou habite à iamais toute perdition :
Dou, etant condamné, iamais plus on ne ſort.