Principes de la science sociale/28

La bibliothèque libre.
Traduction par Saint-Germain-Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (2p. 230-268).


CHAPITRE XXVIII.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

§ 1. — La politique américaine instable et par conséquent contraire aux intérêts réels et permanents du planteur et du fermier.

Plus il y a rapprochement entre les prix des denrées brutes et des utilités manufacturées, plus la société tend à prendre sa forme naturelle ; plus elle a tendance à fermeté et régularité de mouvement, plus elle avance vite en civilisation, richesse et pouvoir. Plus l’écart tend à se prononcer, plus la société tend à prendre la forme d’une pyramide renversée, moins le mouvement est régulier, plus elle tend à la barbarie, et plus vite elle décline en richesse et pouvoir. Dans les États-Unis ces prix vont s’écartant, — plus de coton et de farine étant aujourd’hui nécessaire pour payer une quantité donnée de fer, de cuivre ou de plomb, — les utilités les plus essentielles pour avancer en civilisation, — qu’il en fallait pour la même fin il y a un demi-siècle[1]. Plus ce rapprochement est étroit, plus grande est partout la tendance à ce qu’augmente la productivité du sol, — avec accroissement du pouvoir d’association et combinaison. Plus se prononce l’écart entre ces prix, plus la tendance augmente vers l’épuisement du sol avec déclin du pouvoir de combinaison. — Dans ce pays les pouvoirs du sol diminuent, et il se présente ainsi à nous un autre phénomène qui partout ailleurs aussi accompagne le déclin de civilisation et l’approche de la barbarie[2].

Plus le sol va s’enrichissant, plus augmente son pouvoir d’attraction, plus s’accélère le développement de commerce, et plus les tendances de l’époque sont vers la civilisation. Plus il va s’appauvrissant, plus augmente son pouvoir répulsif, plus se ralentit le développement de commerce, et plus rapide est le déclin de civilisation. Dans notre pays, comme nous l’avons vu, le pouvoir attractif du sol diminue et les hommes presque partout vont se fuyant les uns les autres comme ils fuiraient la peste ; — reproduction des énormes émigrations des temps barbares de l’Europe, et preuve concluante d’un déclin de civilisation, de richesse, de force et de pouvoir. Quels sont les phénomènes secondaires par lesquels se manifeste cette décadence et quelle influence exercent-ils sur la société ? Nous allons le rechercher.

Au retour de la paix en 1815, la terre avait un prix élevé, — grâce à un marché domestique existant déjà pour le plus important de ses produits. La protection étant interrompue, ce marché disparut, le résultat se manifeste, six ans après, par la ruine universelle des fermiers ; partout des actions en justice, — des hypothèses forcloses, — les ventes par le shérif se multipliant au point qu’il fallut dans les États agricoles, rendre des lois pour suspendre l’exécution des arrêts des tribunaux ; — et la terre tombant au quart du prix auquel elle se vendait sept ans auparavant. Les ventes de terres publiques et leur revenu a triplé dans la période de 1814 à 1818-19, — multipliant ainsi le nombre des fermiers au moment où le marché pour leurs produits allait disparaissant, — et préparant ainsi la voie pour cet abaissement de prix des produits ruraux dont la marche soutenue se montre dans les chiffres déjà donnés.

Vers 1824, le revenu foncier était tombé au-dessous du tiers de ce qu’il avait été en 1819. Plus tard, grâce au rétablissement de la protection, — il monta vivement jusqu’en 1832 et 1833, où la moyenne fut 3.295.000 dollars, — précisément le point qu’il avait atteint treize ans auparavant. En même temps la population avait augmenté d’environ deux tiers, et l’augmentation de la demande domestique de subsistances avait été si régulière que, pour la première fois dans l’histoire du pays, la baisse des marchés étrangers n’affecta nullement le prix. De 1828 à 1831, le prix du blé en Angleterre avait été élevé — 3 liv. 4 s. 3 d. par quartier en moyenne. Depuis cette époque il baisse régulièrement jusqu’à tomber, au bout de quatre années, à 1 liv. 19 s. 4 d. par boisseau : et cependant le prix de la farine dans les ports américains n’est nullement affecté, comme on le voit dans les chiffres suivants, donnés dans le récent rapport de la trésorerie.

Moyenne de 1828 à 1831   5.84 doll.

_____ 1832 ___ 5.87 doll.
1833 5.50 Moy. 5.72
1834 5.50
1835 6

Le tarif de Compromis a cependant commencé à fonctionner. — On cesse de construire des usines, et les importations augmentent rapidement. Les arts mécaniques ne fournissant plus de débouché pour la population croissante, l’émigration vers l’Ouest augmente rapidement, accompagnée d’une spéculation énorme sur les terres publiques, — le spéculateur s’empressant partout de prendre l’avance sur le pauvre settler, et de faire des profits à ses dépens. Le revenu foncier monte de 4.000.000 dollars à 14.000.000 et à 24.000.000, après quoi, pour quatre années suivantes, il est en moyenne 5.000.000 ; et ainsi, en six ans, on a disposé de plus de terres qu’il n’en avait été vendu dans les quarante années précédentes. Les conséquences sont telles qu’on les devait attendre. Tandis qu’on crée de nouvelles fermes au moyen du travail distrait des anciennes, les subsistances sont rares et montent ; mais au moment où elles sont prêtes à fournir le marché, leurs propriétaires trouvent que le commerce a disparu. La terre perd de nouveau en prix, les hypothèques se forclosent, et des dizaines de mille de fermiers sont rejetés au hasard dans le monde, pour recommencer à travailler comme ils pourront. Nous avons le second grand pas préparatoire à la baisse extraordinaire qui s’est manifestée dans le prix des subsistances.

Le revenu foncier, maintenant (1842), tombe à un peu plus d’un simple million de dollars, duquel point, sous le tarif protecteur de cette année, il monte graduellement, jusqu’à ce qu’au bout de cinq ans, il a de nouveau atteint 3.000.000 dollars. Bientôt après, survient la découverte des trésors de la Californie, qui produit demande pour les manufactures, et donne activité au commerce, et tant que cette activité continue, la vente de terres publiques reste faible ; mais alors — la construction des usines et des hauts-fourneaux venant à cesser, — le revenu de cette source, dans les deux dernières années, atteint une moyenne de 10.000.000 dollars. Si l’on ajoute les ventes de terres octroyées aux compagnies de chemins de fer, nous obtenons un total, pour ces années, d’au moins 50.000.000 dollars, ou deux fois le montant des douze années de 1840 à 1852. Ces ventes sont un indice d’épuisement de la terre, de la dispersion de population, de l’accroissement du pouvoir du trafic ; et de même que celles de 1818 furent suivies du désastre agricole de 1821, et celles de 1836 du désastre de 1841, celles de 1854-56 ne peuvent manquer d’amener les mêmes effets, à une époque qui ne peut être que très prochaine. En 1852, la farine était plus bas qu’elle eût jamais été ; mais, — à moins qu’elle ne soit contrariée par le surcroît de fournitures d’or et l’affaiblissement de la concurrence de l’Europe continentale, aujourd’hui si activement engagée à créer un marché domestique pour les subsistances, on doit s’attendre à voir une baisse encore plus forte. Pour apprécier par lui-même l’exactitude de la prévision, que le lecteur étudie le diagramme ci-contre ; il y remarquera que les plus bas prix sont toujours presque immédiatement suivis des prix les plus forts ; il y remarquera aussi que ces oscillations extraordinaires accompagnent invariablement le système qui visait à priver le fermier de protection, et ainsi à maintenir, sinon même à accroître, la taxe de transport.


L’instabilité étant le cachet distinctif de la barbarie, et se présentant ici à nous comme la compagne constante du système qui répudie l’idée de protection, nous avons là une pierre de touche infaillible pour juger du mérite de ce système et de celui du système qui lui est opposé. Pour le fermier, plus que pour aucun autre membre de la société, la stabilité est indispensable, ses emplois de capital se faisant généralement un an ou plus à l’avance. Le négociant achète aujourd’hui et vend demain, mais le fermier doit décider en automne quelle emblavure il donnera à sa terre pour l’année prochaine. Si le prix du blé baisse et que celui du tabac monte, il ne peut changer, mais le négociant le peut, — vendant l’un au premier symptôme d’un mouvement en baisse, et achetant l’autre au premier signe d’un mouvement en hausse. Le négociant expert désire l’oscillation, et plus elle est fréquente, plus augmentent ses chances de faire fortune, tandis que l’instabilité est désastreuse pour le fermier et le planteur. Ils poursuivent deux objets tout à fait différents, et cependant l’intérêt agricole se montre le plus généralement devant le monde l’avocat du trafic et l’opposant à la politique qui a pour base le développement de commerce et l’affranchissement qui s’en suit pour la terre de la taxe oppressive de transport. De là vient que nous rencontrons les preuves concluante d’une civilisation en déclin, que nous fournit dans une partie de l’Union la croyance à l’origine divine de l’esclavage et à la nécessité de le maintenir ; et que nous fournissent dans une autre partie les faits que, dans les plus vieux États, la propriété foncière va se consolidant ; — que chez tous, le pauvre tenancier, payant une rente, prend la place du petit propriétaire ; — que presque partout l’épuisement du sol s’accélère vivement, — et que les hommes sont partout de plus en plus forcés d’abandonner les avantages de cette association et combinaison avec leurs semblables, qui seule leur permet de viser au pouvoir d’appeler à leur aide les grandes forces de la nature.

§ 2. — En s’opposant à la création d’un marché domestique, elle maintient ainsi la taxe de transport. Hostile au commerce, elle a pour effet que l’on dépend de plus du trafiquant et du transporteur. Décadence qui s’ensuit de l’agriculture.

Le mineur houiller, le fondeur de minerais, le manufacturier de coton et de laine, et tout ce qui est engagé dans l’œuvre de production ressemblent au fermier en ce point qu’ils ont besoin de stabilité et de régularité, — qui donnent une circulation ferme du travail et de ses produits, et qui accroissent leur aptitude d’ajouter à l’outillage nécessaire à leurs opérations. Ceci obtenu, ils sont en mesure, dans chaque année successive, de mettre à profit l’expérience du passé et de donner au fermier une quantité constamment croissante de drap en échange contre une quantité décroissante de subsistances et de laine, — les prix des deux prenant tendance ferme et régulière à se rapprocher. Cette fermeté et régularité de circulation ont été cependant choses complètement inconnues à la population des États-Unis. Parfois, comme dans les deux périodes qui finissent en 1835 et 1847, elle en a approché, mais, dans chaque cas, ce n’a été qu’un leurre pour induire les hommes d’habileté et d’esprit d’entreprise à prodiguer leur fortune et leur temps dans la tentative de faire avancer les intérêts de la communauté, tout en se ruinant eux-mêmes.

De 1810 à 1815, on a construit usines et hauts fourneaux ; mais au retour de la paix, leurs propriétaires, — tant grands que petits capitalistes, hommes de travail et autres, les membres les plus utiles de la communauté, — ont été partout ruinés, et les bras qu’ils employaient, renvoyés chercher dans l’Ouest le soutien qu’ils ne pouvaient trouver au pays. Les ventes de terre, comme nous avons vu, sont devenues considérables, et bientôt le fermier a souffert comme avait souffert précédemment l’industriel. De 1828 à 1834, on recommença de nouveaux établissements de ce genre, et partout on donna développement aux trésors métallurgiques de la terre ; mais, comme auparavant, le système protecteur fut abandonné de nouveau, avec ruine pour l’industriel, accompagnée de ventes énormes de terres publiques, et suivies de la ruine du fermier. De 1842 à 1847, usines et fourneaux surgissent encore, pour se fermer de nouveau, et l’on vit le résultat en 1850-52 dans le prix de la farine tombant plus bas qu’il n’avait jamais fait. L’harmonie parfaite de tous les intérêts véritables et la nécessité absolue de protection pour le fermier dans ses efforts pour amener l’ouvrier auprès de lui et s’affranchir de la taxe oppressive à laquelle le soumet le trafic, se manifestent ici dans sa plus vive lumière. Personne qui ait étudié les conséquences régulières de ces faits n’hésitera à adopter pleinement cette partie de la doctrine de la Richesse des Nations, qui enseigne que le système anglais, fondé qu’il est sur l’idée d’avilir toutes les matières premières de manufactures, « est une violation manifeste des droits les plus sacrés de l’humanité.

Dans les dix dernières années, on a construit peu d’usines et de hauts fourneaux ; la valeur de ceux existants ayant été en général si fort au-dessous du coût de construction, qu’on n’a trouvé aucune raison pour en augmenter le nombre.

L’histoire de l’industrie dans aucun pays civilisé ne présente une telle scène de désastre que l’histoire des manufactures, des mines, et des chemins de fer de l’Union américaine. De tous les hommes ayant pris part à ces grandes améliorations nécessaires pour diminuer la distance entre le consommateur et le producteur — pour mettre les producteurs de laine, de lin et de subsistances à même d’échanger promptement contre le drap, l’étoffe, le fer. — et pour abaisser le prix des utilités achevées, tout en élevant ceux des denrées brutes de la terre, — une large majorité s’est ruinée, et le résultat se manifeste dans les faits que les différents métaux vont haussant en prix, comparés à la farine et au coton, — que les fermiers, en général, sont pauvres, — qu’à chaque année successive la terre s’épuise de plus en plus vite, — et que le pays donne tant d’autres preuves de civilisation en déclin.

§ 3. — Le développement de commerce met le fermier en état de passer de la culture des sols pauvres aux sols riches. La politique américaine le restreint aux sols pauvres uniquement.

Le commerce met le fermier en état de passer des sols pauvres aux sols riches, en s’aidant pour le défrichage et le drainage des basses terres, de l’expérience et de l’outillage acquis en cultivant les terres situées plus haut. C’est le premier pas qui toujours coûte le plus, et ceci est vrai en agriculture et en industrie, pour l’individu et pour la communauté. Dans l’histoire des États-Unis, cependant, nous ne trouvons qu’une succession de pareils pas, avec une déperdition de pouvoir dont l’étendue échappe au calcul. Ferme après ferme, État après État sont défrichés, occupés pour être à la fin en partie abandonnés. Les usines succèdent aux usines, les fourneaux aux fourneaux, — minant, dans une succession rapide, ceux qui se livrent à ce genre d’entreprise. Maître et ouvriers dépensent des années à acquérir de l’habileté—le tout pour être rejetés au hasard, en quête, dans les forêts de l’ouest, de la nourriture et du vêtement qui leur ont été refusés dans les terres déjà cultivées de l’est. Aucun pays civilisé du monde ne présente une telle dissipation de capital, et tout cela parce que la politique du pays est dirigée vers l’agrandissement du trafic aux dépens du commerce.

§ 4. — Le développement de commerce tend à accroître le pouvoir du travail sur le capital. La politique américaine donne au capital plus de pouvoir sur le travail.

Le développement du commerce tend à élever le travailleur et le petit capitaliste au niveau du grand. L’accroissement de suprématie du trafic tend à abaisser le petit capitaliste au niveau du journalier. L’un est la preuve de civilisation qui avance, l’autre de déclin en richesse et en pouvoir. L’histoire de l’Union n’est que le mémorial de la ruine des petits fermiers et petits industriels dont la propriété a été sacrifiée, à moitié du prix coûtant, pour le bénéfice des trafiquants vis-à-vis de qui ils ont été forcés de s’endetter par le retour constant des temps d’arrêt dans la circulation sociétaire.

Le commerce tend à donner aux travaux du présent un surcroît d’empire sur les accumulations de passé. Le trafic tend à produire l’effet inverse. Dans les périodes de protection, l’argent a été à bon marché et le travail a été demandé. Dans celles où la protection a été retirée, le prix de l’argenta monté graduellement, tellement que parfois il a été hors de toute portée, comme en 1821 et 1842. Pour les quelques dernières années, le taux d’intérêt dans les grandes villes a monté de 8 à 30 % : tandis que le pauvre émigrant a payé tristement 50 et 60 %, pour l’usage d’un argent que, sous d’autres circonstances, il eût obtenu facilement à 6. L’argent est à un prix modéré et s’obtient facilement quand il y a circulation rapide du travail et de ses produits, comme ce fut le cas en 1832 et 1846. Il est toujours cher quand la circulation est paresseuse, comme il arrive dans chaque période où le commerce va périssant sous les atteintes du trafic.

Le commerce, en créant des centres locaux, permet au fermier de varier ses produits, et ainsi par degrés, le délivre de la nécessité d’aller à distance, en même temps qu’il l’affranchit de la taxe de transport et de la domination du trafiquant lointain. Devenant riche, il améliore son outillage de culture et combine avec ses voisins pour le projet d’ouvrir des routes vers les différents marchés, proches ou distants qui offrent débouché aux utilités fournies par sa terre. Le trafic au contraire — brisant les centres locaux — force le fermier à se borner à ces denrées qui se prêtent au transport à la cité éloignée — maintenant ainsi la taxe de transport et le tenant sous la domination des gens qui commandent le mouvement du marché central. Restant pauvre, il se trouve dans l’impuissance de défricher ou de cultiver les riches sols, et il est forcé de solliciter l’aide du trafiquant lointain lorsqu’il désire une route pour porter, même à soi, les produits de sa ferme.

La population d’Allemagne et de France, de Belgique et de Russie fait ses routes. Celles d’Irlande et celles de l’Inde sont forcées de chercher au dehors les moyens de faire leurs routes intérieures ; et plus on fait de routes de cette manière, plus on s’appauvrit. Il en a été et il en est ainsi pour la population de nos États-Unis. En 1836, on a acheté à crédit pour des centaines de millions de dollars de drap et de fer étranger pour s’aider à faire des canaux et des routes, on en a vu le résultat dans une énorme dispersion de population, suivie d’un degré de détresse agricole qui n’a jamais eu son pareil. Lorsque fut passé l’acte de 1842, tout cela cessa — car l’on n’eût plus besoin de prêts étrangers.

Avec le renouvellement du système de trafic sous le tarif de 1846, l’état de choses qui existait en 1836 est de nouveau revenu. À aucune époque le pouvoir du négociant n’a été si grand qu’à ce moment où se complète la première décade du système existant. Fermiers et planteurs se trouvent partout réduits à dépendre, pour la construction de leurs routes, des faveurs des courtiers et négociants citadins— faveurs payées aux taux de 10, 12 ou 15 % par année sur obligations hypothécaires qui peuvent, à l’occasion, transférer à leurs porteurs la propriété entière des routes qui servent de garantie. C’est assécher le pays de ses ressources, dans le but de créer une grande aristocratie d’argent, dont tous les mouvements tendent à l’épuisement du sol et à l’appauvrissement de son propriétaire.

Le commerce crée des villes et des bourgades — formant à l’infini une demande locale pour du travail, qui, autrement, n’aurait pas d’emploi. Le trafic anéantit les villages et bâtit des cités où les palais « des princes marchands sont entourés de chaumières occupées par des hommes et des femmes venus de la campagne et réduits à choisir entre l’émigration vers l’ouest d’une part ou vers la cité de l’autre. Les périodes de protection ont vu des centres locaux se créer partout, avec un rapide développement de commerce. Celles de libre trafic ont vu leur ruine ; mais comme compensation, des palais se sont élevés dans New-York, Boston, Cincinnati et Chicago, pour servir de demeure à des hommes, dont la fortune s’est faite en achetant du fermier à bas prix et en lui vendant ce dont il a besoin à des prix exorbitants[3]. Des constructions de cette sorte ont toujours été le précurseur de la ruine agricole, et l’on ne voit nulle raison de douter que ce ne soit ici le nouveau cas.

§ 5. — Le développement de commerce tend à la paix et à une gestion économique des affaires du gouvernement. La politique américaine vise à étendre le pouvoir du trafic aux dépens du commerce. Tendance croissante vers la guerre et la déperdition.

Le commerce favorise le développement des trésors de la terre et met les hommes à même de se rapprocher davantage — de trouver demande instantanée pour toutes leurs facultés — et peuvent accumuler richesse et pouvoir, pour servir aux fins pacifiques de la vie. Le trafic cause l’épuisement du sol et la dispersion des hommes en même temps qu’il arrête la circulation sociétaire, et fait que grand nombre de bras sont inemployés, et prêts à se livrer à l’œuvre de guerre et de pillage. Le trafic a fait la guerre de 1812. Le trafic et la dispersion ont fait la grande guerre de Floride de 1837, qui a coûté trente millions de dollars. La soif de territoire, conséquence de l’épuisement des États du sud, a fait qu’on s’est approprié le Texas, qu’on s’est mis en guerre contre le Mexique et qu’on a saisi la Californie. À la même cause doivent s’attribuer les récentes guerres contre les Indiens, la passion de s’approprier Cuba et la Dominique, et le dessein de s’emparer de l’Amérique centrale. Le trafic est toujours dispersant et belliqueux. Il envoie des flottes au Japon et des expéditions en Afrique et sur l’Amazone — cherchant à sa population des débouchés au dehors, en même temps qu’il ferme à son propre travail ses marchés domestiques. Le commerce, au contraire, vise à la concentration, à la richesse, à la paix, au bonheur. Il ne fait pas de guerre ; nulle part au monde, il n’a existé de paix plus parfaite que dans toutes les relations de notre pays, de 1834 à 1835, et de 1842 à 1846. Nulle part ne s’est manifesté un désir plus anxieux d’élever un splendide empire, et cela au sacrifice de tout honneur et de toute moralité, qu’il ne s’en est manifesté depuis 1847. Libre trafic, esprit de brigandage et faiblesse, marchent ainsi de compagnie.

Le commerce tend à enrichir la population, en même temps qu’il produit économie dans l’administration gouvernementale. Le trafic appauvrit la population, en même temps qu’il enrichit tous ceux qui participent à la dépense du revenu public. Il y a trente ans, 10.000.000 dollars fournissaient au budget tous les moyens nécessaires. Dix ans plus tard, sous le système d’épuisement et de dispersion, la dépense avait quadruplé. Le commerce est de nouveau réintégré aux affaires, la somme est promptement réduite d’un tiers. Le trafic cependant, obtient de nouveau la direction, la dépense est de nouveau portée à 60.000.000 dollars — et à chaque année succède, le pays, nonobstant l’accroissement de population, va s’affaiblissant et devient moins capable de se défendre qu’il l’ait jamais été. Le système qui ajoute la Californie à l’Union est le même qui diminue la population rivale de l’état de New-York, en même temps qu’il remplit sa capitale d’une énorme population de pauvres et de vagabonds. C’est lui qui épuise le sol à l’intérieur, et conduit à la soif de s’approprier les îles à guano dont la propriété à conserver coûtera une guerre ; et cependant il s’exporte annuellement du sol des États de l’Amérique, une masse d’engrais probablement plus considérable que celle qui se puisse trouver dans toutes les îles à guano du monde.

Le commerce diminue la nécessité des services du transporteur, et diminue son importance. Le trafic le fait maître des hommes qui conduisent la charrue et la herse. L’un ouvre des mines et construit des fourneaux, et crée ainsi le pouvoir de faire des routes. L’autre détruit le pouvoir de les entretenir ; mais il crée de grands entrepôts dont le maniement est dirigé de manière à taxer le commerce local pour l’entretien d’un commerce lointain, et pour accroître ainsi la nécessité de l’émigration et le besoin de routes[4] dans l’accroissement constant du pouvoir des négociants et des transporteurs, — obtenant aujourd’hui la haute influence dans la législature, tant des États que de l’Union. Cet amoindrissement du rapport de la population rurale à la population urbaine de New-York fait que cet État arrive rapidement à devenir un pur instrument dans les mains des compagnies de chemins de fer ; et telle est la tendance en Pennsylvanie, New-Jersey, Illinois et dans d’autres États. C’est aussi le cas à Washington, — où les compagnies, pour transport de toute sorte, ont acquis dans le congrès une influence presque irrésistible, comme on l’a vu dans les dernières concessions extraordinaires de terres publiques[5]. La récente dispersion de population sur la vaste contrée située entre Mississippi et l’Océan Pacifique, a produit une nécessité malheureuse d’une grande voie qui coûtera des centaines de millions de dollars, et que possédera une compagnie qui constituera le centre autour duquel probablement se groupera une masse de richesses et une somme d’habileté en maniement législatif, suffisantes pour faire que la communauté entière ne soit plus qu’un jouet dans ses mains. Centralisation et dispersion sont les conséquences nécessaires de l’accroissement de suprématie du négoce. La grande voie aujourd’hui en projet diminuera le pouvoir de créer des centres locaux d’attraction et aide à hâter la nation dans la direction où elle a si longtemps marché, — celle de la centralisation, qui conduit toujours à l’esclavage et à la mort morale et politique.

§ 6. — Le développement de commerce tend à développer les pouvoirs latents de la terre et de l’homme. La politique américaine tend à l’épuisement de l’une et à l’asservissement de l’autre.

Le commerce vise au chez soi, — cherchant à favoriser la relation domestique par l’amélioration des rivières, la construction de ports, l’ouverture de mines. Le trafic, — qui tient cette relation en peu d’estime, et qui mesure la prospérité d’un pays par ses relations avec les pays lointains, — vise tout à l’extérieur. L’un donne de la valeur au territoire domestique. L’autre cherche de nouvelles terres et conquiert la Californie, — envoie des expéditions au Japon, sur le littoral de l’Amérique du Sud, et sur la côte d’Afrique, en même temps qu’il se refuse à enlever les obstacles qui entravent la navigation du Mississippi. Le commerce cherche à faire un peuple riche avec un gouvernement à bon marché, et par conséquent fort. Le trafic fait un gouvernement splendide et dissipateur, et par conséquent faible. Les périodes de protection ont été celles d’économie et d’accroissement rapide de puissance, celles de libre échange, et particulièrement la période actuelle, ont été celles de splendeur, de déperdition et de faiblesse portées au plus haut point.

Le commerce tend à accroître le pouvoir de self-government (de se gouverner soi-même), en diminuant la nécessité de dépendre des marchés étrangers, tout en augmentant le pouvoir de s’adresser à eux, lorsqu’il peut y avoir avantage. À aucune période de l’histoire de l’Union, la nécessité pour de tels marchés n’a été diminuant aussi rapidement qu’en 1834 et 1846 ; cependant, à aucune, il n’a existé un aussi grand pouvoir de répondre à une demande étrangère, comme on en a eu la preuve lors de la famine d’Irlande. Les nécessités de l’homme diminuent à mesure que s’accroît son pouvoir. Le trafic vise à diminuer le dernier et à augmenter les premières, comme on le voit dans le cas du pauvre Hindou, qui ne peut obtenir une chemise qu’après que son coton est allé en Angleterre, pour qu’on le file et le tisse. Telle est la tendance de toute la politique des États-Unis, — visant, comme elle le fait, à tenir le producteur et le consommateur largement séparés, et accroissant ainsi la différence de prix entre les denrées brutes fournies par la terre, et les utilités achevées en lesquelles elles sont converties.

Le commerce, en favorisant le développement d’individualité, fournit emploi à chaque variété de faculté humaine. Le trafic, — en empêchant ce développement, —limite la classe d’emplois — et force les populations entières à s’employer à gratter la terre, à transporter de la marchandise, ou à opérer l’échange ; et plus il réussit à dominer le mouvement sociétaire, moindre est la quantité de choses produites. L’un vise à la distribution du peuple en trois classes, — agriculteurs, industriels, trafiquants ; l’autre n’en admet que deux ; et comme une conséquence de nécessité absolue, là où le trafic est souverain, la concurrence pour la vente du travail tend à croître, en même temps que sa rémunération diminue du même pas. Confort général, bonheur et prospérité viennent à la suite de l’un, tandis que la pauvreté et l’excès de population ne manquent jamais d’accompagner l’autre. Aux États-Unis, l’industrie manufacturière est, en règle générale, exclue de la classe des emplois ; il en résulte que chaque profession est encombrée d’hommes qui trouvent difficilement à gagner leur vie. Les fermiers abondent tellement qu’ils en sont réduits à fournir le monde de blé à un prix de plus en plus infime. Les planteurs de coton sont si nombreux qu’ils donnent une quantité constamment croissante de leur produit pour la même somme d’argent[6]. Il y a une telle foule de négociants que la plus grande partie vient à faire faillite. Les hommes de loi, les médecins, les hommes d’église, les professeurs sont en nombre tel qu’à l’exception de quelques-uns, ils ne font au plus que vivre. Regardez n’importe où, la concurrence pour la vente du travail intellectuel est grande, tandis qu’on voit rarement concurrence pour l’acheter, excepté dans ces moments de prospérité imaginaire, — comme en 1818, 1836 et 1856, avant-coureurs infaillibles d’une suspension complète du mouvement sociétaire, de la disparition du commerce et de la complète suprématie du trafic[7].

L’instabilité cause ainsi la déperdition de travail et produit la soif des places comme on le voit si clairement dans tous les pays de l’hémisphère orientale à la remorque du commerce. Cette soif s’accroît en Angleterre et en Irlande. Dans l’Inde et la Turquie, la fonction publique est la seule route à la fortune et à l’importance. Toute grande qu’est cette soif en France et en Allemagne, elle est moindre qu’il y a un siècle. À aucune époque, elle n’a existé chez nous à un moindre degré que dans les périodes de protection qui finissent en 1835 et 1847. À aucune, elle n’a été aussi universelle et aussi intense qu’aujourd’hui, à la fin de la première décade du système de 1846 ; et nous avons là une des preuves les plus concluantes d’un déclin de civilisation[8].

§ 7. — Instabilité dans la valeur de la terre et déclin du pouvoir tant dans la population que dans le gouvernement.

Avec l’accroissement de civilisation, la valeur de la terre et de l’homme acquiert plus de stabilité, — ce qui permet à chaque individu qui possède propriété ou talent de déterminer, par l’étude du passé, l’avenir auquel il prétend aspirer. D’année en année le pouvoir de se gouverner soi-même va se perfectionnant, avec accroissement constant des facilités pour le développement des individualités des différents membres de la société. Avec la barbarie croissante, c’est l’inverse que l’on voit, — la valeur de la propriété devenant d’année en année plus sujette aux influences extérieures, avec diminution correspondante du pouvoir chez l’homme de décider lui-même de l’application qu’il fera de son temps et de ses talents. À aucune période, la valeur de la terre et du travail n’a tendu autant à acquérir régularité que dans celle qui se termine en 1835, alors que le prix du blé dans le pays ne fut nullement affecté par les variations extraordinaires du prix du blé anglais[9] et en 1846-47, alors que le mouvement du commerce de l’Union continua sa marche parfaitement régulière pendant la crise anglaise qui suivit la famine d’Irlande. Nous voyons précisément l’inverse dans chaque période où le trafic obtient la suprématie sur le commerce. En 1837, sur le fiat de la banque d’Angleterre, le payement en espèces fut suspendu dans toutes les banques de l’Union. En 1838, la banque fit des remises en argent à ce pays, et en 1839, on reprit le payement. Le malaise en Angleterre causa une suspension ultérieure l’année suivante ; et dans chacun de ces cas, il y eut révolution dans la valeur du travail et de la propriété, d’où suivit que le pauvre fut fait plus pauvre et le riche encore plus riche. » À aucune période toutefois, la sujétion à l’influence extérieure ne fut aussi grande qu’aujourd’hui, — la valeur de toute la propriété et la demande pour le travail en étant arrivée à dépendre entièrement des chances et des révolutions de la politique européenne.

Avec le développement de commerce et la création de centres locaux d’action, les villes et les villages acquièrent plus d’indépendance. » Chacun se meut dans sa sphère et conserve sa propre individualité tout en respectant celle des autres. Avec le déclin du commerce, villes et villages tombent de plus en plus dans la dépendance de la cité lointaine, et elle exerce de plus en plus contrôle sur toute leur action. Il y a trente ans, les villes et villages des États-Unis se gouvernaient réellement par eux-mêmes ; aujourd’hui ils sont presque entièrement gouvernés au moyen d’ordres émanés du siège du gouvernement central — l’élection de chaque constable se trouvant rattachée désormais à celle du chef exécutif de l’Union.

Avec le développement d’individualité dans la population et pour les villes, celle du gouvernement central gagne en perfection. Avec le déclin de la première, ce dernier perd de plus en plus l’aptitude de décider par lui-même quel cours donner à son action, ou parmi les moyens à sa disposition, ceux qu’il emploiera pour faire marcher la politique dans la ligne qu’il aura déterminée. À aucune période, le contrôle du gouvernement fédéral sur son propre cours d’action n’a été si complet qu’en 1832, lorsqu’il abandonna volontairement les droits sur le thé, café et autres articles, — laissant le revenu encore assez large pour opérer l’extinction finale de la dette nationale en 1843-45. À aucune l’absence de self-control du pouvoir de se contrôler, résultat de l’extension du pouvoir du trafic, ne fut aussi complète que lorsque, dans la période de 1838 à 1842, le gouvernement fédéral fut réduit à dépendre de l’usage d’un papier-monnaie non remboursable pour les moyens de faire marcher ses opérations. À aucune, la transition du trafic au commerce n’a produit des effets aussi remarquables que lorsque, dans l’automne de 1842, le crédit fédéral se trouva si instantanément restauré. À aucune, le manque d individualité ne fut plus clairement manifesté qu’il l’est au moment actuel où, comme en 1836, il y a un large surcroît de budget dont il ne peut se libérer, qu’au moyen d’un changement total de politique d’une part ou la certitude d’une banqueroute du trésor, comme en 1842, d’autre part.

§ 8. — Instabilité dans la valeur de la terre et déclin du pouvoir tant dans la population que dans le gouvernement.

Le commerce se développe avec le développement d’individualité, aussi bien de celle des villes et cités que de celle des hommes dont la société se compose. Plus il se fait de fonte de fer dans Tennessee, plus il faut tirer de machines à vapeur de New-York et de Philadelphie. Plus il se fait de grosses cotonnades en Géorgie, plus il y a demandes pour les fines qui se font en Rhode-Island et dans Massachusetts. Sous le système de 1842, le développement local, la civilisation progresse rapidement, et l’on construit usines et fourneaux dans tous les États du sud et de l’ouest. Sous celui de 1846, l’action locale a graduellement décliné, et la fabrication du fer se centralise de nouveau dans la Pennsylvanie, tandis que celle de coton et de laine se limitent à peu près complètement dans un rayon de cinquante milles autour de Boston. Le commerce, en 1846, ne tardait pas à produire une harmonie complète d’intérêts et de sentiments entre le Nord et le Sud, mais avec le rappel de l’acte de 1842, le développement des manufactures du Sud prit fin et pour résultat amena les scènes déplorables de 1856[10].

Le commerce tend de même à produire l’harmonie parmi les individus. Il y a vingt-cinq ans, l’étranger protestant ou catholique était toujours bien accueilli. Jusque-là, cependant, le chiffre des immigrants n’avait pas dépassé 30.000, et ce ne fut qu’après que le pays eut senti les effets avantageux du tarif de 1828 pour l’accroissement de la demande du travail, que le chiffre atteignit la centaine de mille. C’est à peine si l’effet se fit sentir en Europe avant que le système fut changé, — avant qu’on cessât de construire des usines et d’ouvrir des mines. Une courte période de spéculation ayant été suivie d’un rapide déclin de commerce, la demande pour le travail disparut ; et ce fut alors que, pour la première fois, se manifesta ce sentiment de jalousie qui fut indiqué par la création d’un parti politique, ayant pour objet l’exclusion des étrangers des droits de citoyenneté. La politique changea de nouveau, et à mesure que la demande du travail augmenta, le parti s’éteignit pour renaître sous le système de 1846, et sur une plus grande échelle que jamais auparavant. Regardez n’importe où, vous verrez la discorde suivre dans le sillage du trafic.

§ 9. — Grande déperdition de richesse et de pouvoir ; résultat de l’absence du pouvoir de combinaison.

Avec l’accroissement de commerce, la nécessité de mouvoir les utilités en arrière et en avant va diminuant fermement, avec amélioration constante dans l’outillage de transport, et avec diminution du risque des pertes du genre que couvre l’assurance contre les dangers de mer ou ceux d’incendie. Les trésors de la terre vont alors se développant, la pierre et le fer remplacent le bois dans toutes les constructions, tandis que les échanges entre le mineur de houille et de fer, — de l’homme qui transporte le granit et de celui qui produit la subsistance, — augmentent en quantité et diminuent la nécessité de recourir au marché lointain. Les hommes de la Turquie sont forcés de s’adresser à l’Angleterre pour leur approvisionnement de fer et pour le débouché de leur blé ; on en voit les effets dans la somme prodigieuse de propriété si souvent détruite par l’incendie. En Russie, nous dit M. Haxthausen, « chaque village est consumé en tout ou partie dans chaque trentaine d’années. » Il en est de même aux États-Unis. Dans aucun pays civilisé les incendies ne sont aussi fréquents, dans aucun il ne se paye une somme aussi forte pour la perte causée ainsi. L’accroissement de cette proportion se manifeste par l’élévation soutenue des taux actuels d’assurances ; tandis que là où la civilisation avance ils devraient diminuer à mesure. La perte qui résulte ainsi de l’absence du pouvoir de développer les trésors minéraux de la terre, et de cette déperdition qui s’ensuit de propriété et de travail[11] est plus que la valeur totale des marchandises que l’Union reçoit de tous les points du globe ; et pourtant c’est en vue de nourrir le trafic que le pays poursuit une politique qui empêche qu’on ouvre des mines, qu’on exploite la houille et les métaux qui sont si abondants, et au moyen desquels on obtiendrait pour des constructions de tout genre des matériaux qui délieraient tout risque d’incendie.

Ce n’est point uniquement en ceci que les désastreux effets du système se font sentir. La nécessité de routes augmente avec la dispersion de population, tandis que les moyens de les faire diminuent avec déclin du pouvoir d’association. Cependant il faut que les routes se fassent ; et voilà comment le pays se couvre d’ouvrages de tout genre à demi-terminés, qui exigent des réparations incessantes, et coûtent parfois le triple de ce qu’ils eussent coûté dans le principe. Il en est de même pour les bateaux à vapeur des fleuves de l’ouest, toujours construits des matériaux les moins durables et les plus inflammables, par suite de la difficulté d’obtenir le fer. Et cependant la houille et le fer abondent, et à un degré inconnu dans tout autre pays du monde. Il y a déperdition de propriété et de vie, et partout s’engendrent des habitudes d’insouciance, des habitudes comme celles qui règnent dans les pays dont la population est soumise à la domination du trafiquant[12].

§ 10. — Esprit de spéculation et d’agiotage engendré par une dépendance croissante où l’on se trouve du trafiquant et du transporteur.

Le sauvage est toujours un joueur, prêt à risquer sa fortune d’un coup de dé. L’homme civilisé cherche à acquérir pouvoir sur la nature et à obtenir ce qui approche le plus de la certitude dans ses opérations. Le commerce tend à produire fermeté dans le mouvement de la machine sociétaire, comme on le peut voir en comparant la France, l’Angleterre et l’Allemagne de nos jours, avec ce qu’elles étaient aux époques des Valois, des Plantagenets ou des Hohenstauffen. La fermeté diminue à mesure que le commerce décline et que le trafic en prend la place. À chaque mouvement dans cette direction, les hommes deviennent plus insouciants et l’instinct joueur reparaît, — la spéculation se substituant alors au travail régulier et honnête.

Jamais dans l’histoire des États-Unis il n’a existé si peu de l’esprit de spéculation et de jeu que dans ces périodes de prospérité paisible qui suivirent la promulgation des actes de 1828 et 1842. Jamais dans le pays cet esprit ne s’était autant manifesté qu’à la période qui suivit le rappel du premier de ces actes, — la période dans laquelle se posa la base de cette détresse qui amena le retour de la protection par la promulgation du dernier. Toute grande qu’ait été la tendance spéculatrice de 1836, elle est aujourd’hui dépassée, — le pays entier est devenu une grande maison de jeu où des hommes de toute sorte et de toute condition s’occupent à battre les cartes, dans la vue de dépouiller leurs voisins. Le crime, qui était si abondant dans la première période, a aujourd’hui triplé, — le vol, la débauche, la filouterie, le péculat, l’incendie, le meurtre, sont devenus tellement communs que c’est à peine si on leur donne la moindre attention en lisant le journal qui les raconte[13].

Le déclin de moralité est une conséquence nécessaire de l’accroissement de la distance entre le producteur et le consommateur ; et cela parce qu’à chaque tel accroissement, l’écart augmente entre les prix des denrées brutes de la terre et ceux des utilités achevées ; et que l’homme qui travaille devient de plus en plus la proie de celui qui vit du trafic. Plus ces prix s’écartent, plus aussi augmente la partie de la société engagée dans le transport des marchandises, — la profession qui, parmi toutes les autres, favorise le moins le développement de l’intelligence ou l’amélioration du cœur. Le marin et le roulier sont habituellement sevrés de la salutaire influence de femmes et de filles, et constamment exposés à l’influence pernicieuse du cabaret et du mauvais lieu. L’ignorance et l’immoralité croissent avec l’accroissement du pouvoir du négociant, et plus elles augmentent, plus augmente l’induction aux pratiques frauduleuses. Le fermier qui a pour voisin le serrurier ou le tisserand reçoit un fusil qui ne crève pas et une étoffe qui est faite de coton et de laine ; tandis que le pauvre Africain est forcé d’accepter des fusils qui ne supporteraient pas l’épreuve ordinaire, et des vêtements qui tombent en loques au premier essai de blanchissage[14]. Le trafic démoralise, — son essence consistant à acheter bon marché n’importe ce qu’il en coûte au producteur, et à vendre cher n’importe ce qu’il en coûte au consommateur. Afin d’acheter bon marché, le négociant cache les avis qu’il a reçus d’une hausse de prix ; et afin de vendre cher, il fait de même pour une baisse ; et du point de tirer profit de l’ignorance de ses voisins à celui de fabriquer des avis qui servent à les tromper, la transition est très-facile.

La centralisation augmente le pouvoir du trafiquant ; et plus la société tend à tomber sous l’empire des joueurs à la bourse sur le coton et la farine, — classe d’hommes pour qui la règle de vie se résume tellement en cette courte sentence : « Gagner de l’argent, honnêtement s’il se peut, mais gagner de l’argent ; — plus il y a tendance à démoralisation. Que telle soit la tendance dans les États-Unis, et portée aujourd’hui à un degré jusqu’alors inconnu, cela ne fait pas de doute un instant. Wall-Street gouverne New-York, et, comme une conséquence nécessaire, la démoralisation va de jour en jour plus complète, — le crime et la corruption devenant plus communs d’heure en heure, et l’anarchie plus imminente d’année en année[15].

§ 11. — Déclin du sentiment de responsabilité, résultat de l’irrégularité dans le mouvement sociétaire.

Le commerce tend à faire de chaque homme un être qui se gouverne soi-même et responsable. Le trafic tend à diviser la société en une classe responsable et une non responsable : le maître d’esclaves d’un côté et les esclaves eux-mêmes de l’autre. Dans les pays en progrès de l’Europe, — ceux où les hommes améliorent la condition de leur sol, et développent ses ressources minérales, acquérant ainsi ce pouvoir de diriger les forces naturelles qui constitue la richesse, — liberté et commerce augmentent ensemble. Aux États-Unis, comme dans tous les autres pays soumis à la domination du trafic, la centralisation s’accroît ; et chaque pas dans cette direction tend inévitablement vers l’esclavage et la mort politique et morale, le lecteur peut le tenir pour certain.

Au nord, des hommes éminents dans le monde négociant emploient leur capital à prendre livraison de coolies, et leurs vaisseaux à transporter ces malheureux qui sont ainsi achetés et vendus[16] — et au sud, on prétend que « la politique et aussi l’humanité interdisent d’étendre la société libre à un nouveau peuple et aux générations à venir ; on nous assure que « la chose étant immorale et irréligieuse ne peut manquer de tomber et de livrer place à une société esclave, — système social aussi vieux que le monde, et aussi universel que l’homme[17]. »

Telle est la tendance de pensée et d’action dans tous les pays qui vont tombant dans la sujétion du pouvoir trafiquant. Telle elle doit être toujours ; et par la raison que, dans l’accroissement de ce pouvoir et l’accroissement qui suit de la différence entre les prix des denrées brutes et des utilités achevées, je trouve toujours la preuve la plus concluante d’une civilisation en déclin. Que telle était la tendance du système de la Grande-Bretagne, cela était aussi clair que du temps d’Adam Smith ; mais cela devient encore plus clair chaque année. Les enseignements des journaux de Londres et de ceux de la Caroline sont devenus identiques, — ces journaux désirant dans les deux pays prouver l’avantage à résulter d’avoir tous les mouvements de la société dirigés à maintenir « suffisamment le travail sous la domination du capital[18]. »

$ 12. — Soif de territoire, résultat de la poursuite d’une politique tendante à l’épuisement du sol.

La paix et l’harmonie sont les compagnes du développement de commerce. L’accroissement de pouvoir du trafic apporte avec lui la discorde, la guerre et la dévastation : et ce qui nous montre que telle est la tendance de la politique de l’Union américaine, c’est que ses parties nord et sud vont s’aliénant de plus en plus l’une de l’autre. Il y a un siècle, les hommes de Virginie et ceux de Massachusetts s’unissaient pour expulser l’esclavage des territoires de l’Union ; aujourd’hui les plaines du Kansas sont humides du sang d’hommes engagés dans une guerre civile, pour décider la question si les vastes régions de l’ouest seront ou non souillées par le maintien de l’esclavage humain. Cette guerre est une conséquence nécessaire de l’épuisement constant du sol et de la dispersion des hommes qui s’en suit. Aussi longtemps que des restrictions[19] artificielles forcèrent à observer certaines lignes de conduite, la paix continua à se maintenir, car les armées émigrantes du Nord et du Sud allaient se mouvant toujours sur des lignes parallèles, et par conséquent ne se touchaient pas. Ces restrictions sont aujourd’hui, et probablement pour toujours, écartées : il en résulte un conteste pour la possession d’une terre qui par elle-même n’a valeur quelconque, et qui, pour un siècle encore, serait restée inoccupée, si la politique du pays n’avait tendu à l’appauvrissement du sol des États plus anciens et des hommes qui le possédaient et le cultivaient.

§ 13. — Corruption politique et judiciaire, résultat de l’accroissement de centralisation.

Qui doutera que la marche de démoralisation et de décomposition ne soit rapidement progressive ? La corruption politique devient presque universelle, et la corruption judiciaire est telle que les arrêts de la cour ont cessé de commander le respect. La guerre civile dans les plaines du Kansas est accompagnée d’une suspension totale des pouvoirs du gouvernement d’État en Californie, et de celui du Fédéral dans le territoire ouest de Kansas ; tandis que, dans toute la contrée indienne, on entreprend des guerres dans la seule et unique vue de trouver un emploi profitable pour les blancs qui errent, aux dépens du pauvre sauvage d’une part, et du gouvernement fédéral de l’autre. L’anarchie approche, et d’année en année précipite son pas. Des choses qui, il y a dix ans, eussent été jugées impossibles, sont devenus de purs incidents dans le chapitre qui rapporte l’histoire courante ; et à moins d’un changement de politique, l’année 1846 verra un déclin aussi considérable, comparée à 1856, que la dernière mise à côté de 1846. Comme la poire, la société qui fut fière un jour de ses Washington, de son Franklin, de ses Jefferson s’est gâtée avant d’être mûre.

L’action locale tend dans une direction contraire, mais tous les résultats avantageux sont neutralisés par l’action centrale, plus puissante qu’elle. L’une bâtit des écoles et paye des instituteurs ; — l’autre, s’oppose à cette diversité des professions humaines, qui est nécessaire au développement des différentes facultés dont la société se compose[20]. L’une construit des églises, mais l’autre expulse la population et diminue les fonds sur lesquels il faut payer les instituteurs. » L’une voudrait développer les pouvoirs de la terre, et, par là, augmenter la richesse de l’homme. L’autre ferme les mines et les fourneaux et réduit l’homme à dépendre de la force musculaire humaine non assistée. » L’une cherche à apporter en aide à l’homme les forces naturelles, et ainsi, au moyen de l’intelligence, égaliser ceux qui diffèrent en pouvoir physique. L’autre vise à perpétuer l’inégalité, en forçant à la dépendance de la force musculaire. — L’une tend à donner au travail du présent un empire croissant sur les accumulations du passé ; l’autre à faire du travailleur un instrument dans les mains du capitaliste. — L’une voudrait maintenir les droits du peuple et des États. L’autre regarde le veto exécutif comme le palladium de la liberté et dénie le droit des États de décider s’ils veulent sanctionner l’existence de l’esclavage sur leur territoire. »Le bon et le mauvais principe, la décentralisation et la centralisation sont ainsi engagés dans un perpétuel conflit, et de là les « anomalies extraordinaires que présente le mouvement de la société américaine. À de courts et lointains intervalles, la première prend le dessus ; mais, pour l’ordinaire, la dernière croît en force et en pouvoir ; et à chaque pas de son progrès la corruption devient plus complète, — s’étendant à tout rapport de la vie et menaçant, si on tarde à l’arrêter, de fournir preuve concluante de l’incapacité de l’homme pour l’exercice des droits et l’accomplissement des devoirs du gouvernement de soi-même.

« La ruine ou la prospérité d’un État, dit Junius, dépend tellement de l’administration de son gouvernement que pour être édifié sur le mérite d’un ministre, il suffit d’observer la condition du peuple, » — « si vous le voyez, continue-t-il, obéir aux lois, prospérer dans son industrie, uni au dedans et respecté au dehors, — vous pouvez raisonnablement présumer que ses affaires sont conduites par des hommes d’expérience, d’habileté et de vertu. — Voyez-vous, au contraire, un esprit universel de défiance et de mécontentement, un rapide déclin du commerce, des dissensions dans toutes les parties de l’empire, le manque complet de respect de la part des puissances étrangères, vous pouvez prononcer, sans hésiter, que le gouvernement de ce pays est faible, insensé et corrompu. »

Le premier tableau s’adapte à l’État de l’Union américaine, à la fin de la guerre de 1815 ; et de nouveau, en 1834, à la date du rappel du tarif protecteur de 1828, et de nouveau encore, en 1846, lorsque l’acte de 1842 cessa d’être la loi du pays. Le second s’adapte à l’état du pays dans la période de 1818 à 1824, lorsque cessa la protection et que la législature de nombre des États se trouva forcée de suspendre l’action des lois pour le payement des dettes ; de nouveau, à la période de 1841-42, lorsqu’on recourut de nouveau « aux lois de suspension » et que le gouvernement fédéral touchait à la banqueroute ; et enfin à la période actuelle où nous avons le règne « d’un esprit universel de défiance et de mécontentement, » et où le respect « des puissances étrangères » est si près d’avoir cessé d’exister.

§ 14. — Plus l’organisation sociétaire va s’élevant, plus le mouvement s’accélère et plus instantanément se montrent les effets d’une marche de politique saine ou non saine. Fréquence et rapidité des changements aux États-Unis.

Plus la forme d’un navire est parfaite, plus rapidement il fendra l’eau, et plus sûrement et plus vite s’il est bien conduit, il atteindra le port de destination. Plus cependant sa destruction sera rapide et complète si le pilote le jette sur les écueils qui sont sur la route, — la réaction ainsi produite, étant en raison directe de l’action première. Il en est de même des nations. Plus leur organisation est élevée, plus le mouvement de la société est rapide, et plus instantané sera le choc qui suit un arrêt de la circulation. Le passage d’une armée d’invasion traversant le Pérou ou le Mexique, n’a guère pour effet qu’une faible destruction de vie et de propriété, un tel événement, en Angleterre, causerait la fermeture des comptoirs, le chômage des usines et des fourneaux, l’abandon des mines, la désertion de la population, et l’arrêt de toute la machine de gouvernement local. Toutefois le pouvoir de restauration existe au même degré, — se rétablir des effets de la guerre dans des pays comme la France et l’Angleterre exige bien moins de temps que là où la circulation sociétaire est languissante, et où la déperdition de propriété ou de population se répare lentement, si même elle se répare.

Dans aucun pays du monde les effets d’un changement ne se manifestent aussi vite qu’aux États-Unis ; et cela parce que — l’organisation politique y étant plus naturelle que dans aucun autre — la tendance à la vitesse de circulation est aussi très-grande. L’instruction, universellement répandue dans la partie nord de l’Union, tend à produire une grande activité mentale, et quelque puisse être la direction imprimée au vaisseau de l’État, le mouvement, soit vers les écueils, soit vers le port, est très-rapide. Dès lors on comprend facilement les changements brusques et extraordinaires que l’on a vus, et qui ont causé tant de surprise aux autres nations. Dans la décade qui suivit la promulgation du tarif de 1824, il s’était effectué chez nous un plus grand changement qu’on n’en eût encore vu dans aucun pays, — la population ayant passé d’un état de pauvreté à un état de richesse, — le pays ayant acquis un pouvoir d’attraction tel que l’immigration pendant les années suivantes s’accrut énormément — le gouvernement ayant passé d’une condition à devoir emprunter, pour son entretien, à une dans laquelle — après extinction de la dette publique, — il devint nécessaire d’émanciper de tout droit toutes les utilités qui ne pouvaient entrer en concurrence avec celles produites dans le pays. Néanmoins, rien qu’au bout de sept ans, voici que la population et le gouvernement sont tous deux en faillite ; la circulation sociétaire est presque suspendue ; et le paupérisme, à un degré alarmant, couvre le pays. La cause e& était l’abandon de la protection. En 1842, le système change ; et, avant cinq années révolues, le pays a tout à fait changé d’aspect, — la circulation sociétaire a repris vitesse ; le crédit du peuple et du gouvernement est restauré ; et le pays a repris son pouvoir d’attraction au point d’amener un surcroît considérable d’immigration. De nouveau, en 1846, autre changement de système, — la protection est abandonnée, et le libre échange de nouveau inauguré au pouvoir ; et aujourd’hui, à la fin de la première décade, nous voyons un déclin plus rapide et plus intense que n’en offre l’histoire d’aucun pays du monde.

§ 15. — Phénomènes d’une civilisation en déclin que présente aujourd’hui l’Union.

On l’eût traité de faux prophète celui qui, il y a dix ans, eût prédit qu’à la fin d’une simple décade, la dépense régulière du gouvernement fédéral en temps de paix atteindrait soixante millions de dollars, ou cinq fois le chiffre d’il y a trente ans ;

Que les récipients de cette somme énorme, soit contractants, commis, ou maîtres de poste, seraient soumis à l’acquittement d’une taxe formelle et régulière, pour être appliquée à maintenir en place les hommes à qui ils ont dû leur nomination, ou les gens par qui le contrat a été fait ; Qu’on ferait du payement de ces taxes la condition de laquelle dépendrait leur propre continuation en place[21] ;

Qu’en coïncidence avec ces demandes sur les employés du gouvernement, tous les salaires seraient largement augmentés, et qu’ainsi le trésor se trouverait lourdement taxé dans des vues purement de parti, et pour favoriser des intérêts privés ;

Que la centralisation arriverait à ce point de perfection de permettre à ceux qui sont en place de dicter à un corps de fonctionnaires, dont le nombre s’élève à soixante ou quatre-vingt mille, toutes les opinions qu’ils doivent avoir sur les questions d’intérêt public ;

Qu’une difficulté constamment croissante d’obtenir, en dehors du gouvernement, les moyens de vivre, et que l’augmentation constante dans les rémunérations du service public, seraient suivies d’un accroissement correspondant du nombre des solliciteurs et d’un accroissement de leur soumission aveugle aux hommes dont le bon plaisir dispose de ces emplois[22] ;

Que l’autorité exécutive dicterait aux membres de la législature la marche par eux à suivre, et donnerait avis public que les emplois seront donnés à ceux dont les votes seront en conformité de ses désirs[23] ;

Que l’accroissement ainsi signalé d’esclavage mental amènerait un progrès correspondant de la croyance que « l’un des boulevards principaux de nos institutions se trouve dans l’asservissement physique du travailleur[24] ;

Que l’extension de l’aire de l’esclavage humain deviendrait le premier objet de gouvernement, et que, dans cette vue, la grande ordonnance de 1787, en tant que mise en avant dans le compromis de Missouri, serait rappelée ;

Que, pour atteindre cet objet, les traités avec les pauvres restes des tribus natives seraient violés>En 1818, les Cherokees, les Creeks et les autres tribus indiennes faisaient abandon de leur territoire à l’est du Mississipi et recevaient en échange d’autres terres à l’ouest du Missouri, avec l’engagement « qu’aussi longtemps que couleraient les rivières ou que l’herbe pousserait » ils ne seraient plus inquiétés ou dérangés. Les terres ainsi garanties pour toujours, sont celles pour la possession desquelles les populations du Nord et du Sud sont aujourd’hui en conteste.</ref> ;

Que, dans la même vue, l’on se ferait des guerres, on encouragerait la piraterie, on achèterait des territoires ;

Que le pouvoir exécutif se serait accru jusqu’à permettre à ceux qui sont chargés de l’administration du gouvernement d’adopter des mesures qui provoquent à la guerre, dans la vue de spolier de faibles voisins de l’Union[25] ;

Qu’il serait officiellement déclaré que la force fait droit, et que si un pouvoir voisin refuse de vendre le territoire dont on désire la possession, l’Union se trouve justifiée en s’en emparant[26] ;

Que la réouverture de la traite d’esclaves trouverait qui la défendrait publiquement[27], et que ce premier pas vers son accomplissement serait fait par un citoyen des États-Unis, — en déchirant toutes les prohibitions des gouvernements centraux américains[28] ;

Que la substitution, pour tous les labeurs inférieurs de la société, du travail esclave au travail libre serait publiquement recommandée par le pouvoir exécutif de l’un des États qui marchent en tète de l’Union[29] ;

Qu’en même temps qu’on acquerrait de telle sorte du territoire dans le Sud, on ferait bon marché des droits et des intérêts du peuple dans le but unique et exclusif de prévenir l’annexion dans le nord[30] ;

Qu’il serait déclaré que la libre navigation des fleuves de l’Amérique du Sud se devait obtenir « à l’amiable s’il se peut, par la force s’il le faut[31] ;

Que ces mesures auraient pour effet l’aliénation entière de toutes les communautés du monde occidental[32] ;

Que la législation du pays tomberait presque entièrement sous la domination de la marine, des chemins de fer et autres compagnies de transport, et que les législateurs partageraient largement avec les directeurs dans les profits des énormes concessions pécuniaires et de terres publiques[33].

Que la centralisation irait jusqu’à faire que les dépenses d’une seule ville s’élèveraient presque au même chiffre que celles du gouvernement fédéral d’il y a trente ans ;

Que le maniement du revenu des villes et le maintien de l’ordre public seraient confiés à des magistrats, dont plusieurs passeraient pour ne rien mériter que le pénitencier[34] ;

Que le débat, pour la distribution de ces revenus, s’échaufferait au point d’amener les achats des votes à un nombre et à un prix jusqu’alors inconnus ; et que les élections s’enlèveraient au moyen des couteaux, des revolvers, et même avec l’assistance du canon[35] ;

Que la loi de Lynch se ferait accès jusque dans la chambre du sénat, qu’elle l’emporterait sur les mesures de la constitution des États du Sud ; qu’elle aurait invalidé l’autorité civile dans un des États de l’Union ; que le droit des États de prohiber l’esclavage dans les limites de leur territoire serait mis en question au point de justifier la croyance que le jour était proche où on le dénierait ; que la doctrine de trahison organisée serait adoptée dans les cours fédérales ; et que les droits de citoyens seraient ainsi mis également en péril par l’extension de l’autorité légale, d’une part, et par la substitution de la loi de la force, d’autre part ;

Que la polygamie et l’esclavage iraient se donnant la main et que la doctrine de la pluralité des femmes serait promulguée par des hommes tenant de hautes fonctions sous le gouvernement fédéral ;

Que la discorde religieuse croitrait au point que la question d’opinions privées d’un candidat à la présidence, en matière de croyance religieuse, serait discutée dans l’Union ; et enfin

Que le désaccord enfin entre les parties Nord et Sud de l’Union arriverait au degré de guerre civile, accompagnée d’une disposition croissante dans ses différentes parties à envisager complaisamment l’idée d’une dissolution du lien fédéral.

Triste tableau, qui, pourtant, est exact. Rien de tout cela, il y a dix ans, n’eût semblé pouvoir arriver jamais ; et aujourd’hui il n’est pas une de ces choses qui ne soit de l’histoire[36].

§ 16. — Le progrès humain se manifeste dans le déclin du pouvoir du trafiquant et dans la création qui s’ensuit d’une agriculture savante. Tendance opposée de la politique américaine et déclin de civilisation qui en résulte.

La forme de société dans les âges de barbarie peut, le lecteur l’a déjà vu, se figurer ainsi :

L’instabilité est donc son caractère essentiel.

Avec l’accroissement de population et du pouvoir d’association, il prend la forme la plus haute de stabilité, celle ci-dessous :

Dans l’une, l’homme qui cultive la terre est esclave ; dans l’autre, on le trouve maître de lui-même et de ses actions ; son intelligence est développée ; il a capacité pour la plus haute des professions, — celle qui tend le plus à améliorer le cœur et le préparer au commerce avec les anges, — l’agriculture à l’état de science.

Dans l’empire de la Grande-Bretagne et dans celui des États-Unis, la tendance s’éloigne de cette dernière et plus haute forme, et se dirige vers la première et plus basse ; et cela par la raison que, dans toutes deux, la politique suivie est celle qui tend à donner au trafic la suprématie sur le commerce. Nous sommes ainsi en présence du fait remarquable que, dans ces pays qui jusqu’ici ont été regardés comme aimer le mieux la liberté, il existe une tendance croissante vers la centralisation et l’esclavage, et que dans tous deux nous rencontrons les phénomènes qui ailleurs ont suivi le déclin de civilisation. Dans tous deux, le consommateur et le producteur vont s’écartant l’un de l’autre, — les manufactures se centralisant de plus en plus de jour en jour, et les agriculteurs se dispersant davantage[37]. Dans tous deux cependant, il y a diminution du pouvoir d’association et du développement d’individualité. Dans tous deux, le sentiment de responsabilité décroît d’année en année. Dans tous deux la propriété foncière va se consolidant de plus en plus[38]. Dans tous deux, les accumulations du passé vont obtenant de plus en plus d’empire sur les travaux du présent. Dans tous deux, la proportion de population engagée dans l’œuvre de la production tend à diminuer, tandis que celle engagée dans le transport tend à augmenter. Dans tous deux, la stabilité et la régularité diminuent[39]. Dans tous deux, le trafiquant va acquérant de plus en plus autorité sur l’action législative. Dans la politique étrangère des deux, c’est à la fin qu’on s’en remet pour sanctifier les moyens. Dans tous deux, il y a un appétit incessant de territoire, à acquérir coûte que coûte ; et la moralité politique a cessé d’exister. Dans tous deux, il y a développement soutenu de paupérisme d’une part, et de luxe de l’autre. Dans tous deux, la force décline. Tous deux vont perdant graduellement le pouvoir d’influer sur les mouvements du monde, et pourtant tous deux s’imaginent croître en force et en puissance. Plus augmente la difficulté qui résulte du système existant, plus tous deux sont déterminés à chercher dans la route qui conduit à l’esclavage, la route vers la liberté[40].

  1. Ce sont les quelques métaux que nous avons vu être le produit direct ou indirect du blé et du coton. La valeur du fer se mesure par la résistance qu’il faut surmonter pour l’obtenir. Cette résistance se surmonte par le travail, et le travail représente aliments et vêtements. À mesure que les forces naturelles sont amenées à aider l’homme, il faut moins de travail, — c’est-à-dire d’aliments et de vêtement pour l’extraction du combustible et du minerai, et pour leur conversion en fer ; et la quantité de celui-ci qu’on peut obtenir en échange contre les denrées brutes d’aliments et de vêtement ira en augmentant d’une manière soutenue, à moins que le travail nécessaire pour la production du blé et de laine ne diminue dans une proportion correspondante ; ce qui n’est pas, nous le savons. Dans le dernier demi-siècle les forces naturelles nécessaires pour le service du mineur et du fondeur ont été, à un plus haut degré que celles nécessaires au fermier, soumises à l’empire de l’homme ; et pourtant nous avons vu les hommes qui produisent blé et coton, (précéd. p. 205) forcés de céder une quantité constamment croissante de leurs produits en échange contre une quantité donnée de fer, cuivre ou plomb. Ils tirent avantage, il est vrai, de la diminution du travail nécessaire pour convertir ces métaux en haches, charrues et autres instruments ; mais ils perdent par le fait que les prix de ces métaux se soutiennent, tandis que ceux de leurs utilités sont en déclin tellement soutenu. Le producteur de fer gagne de tout côté — par les améliorations dans l’outillage qui sert à convertir le coton en drap — par la réduction du prix du coton lui-même — par le fait qu’il va toujours améliorant son outillage, et par conséquent toujours passant des bancs de houille et de fer les moins productifs aux plus productifs. Le résultat se voit dans le fait, que tandis que le dernier obtient, en échange d’une tonne de fer, trois fois la quantité de filé de coton qu’il aurait obtenue il y a quarante ans, le premier donne trois fois la quantité de coton pour une tonne de barres de fer dont il construira ses chemins Dans un premier chapitre (vol. 1, p. 269) nous avons vu que la quantité de fer que peut obtenir un fermier de l’Ohio a augmenté — conséquence de l’amélioration des routes qui le conduisent au marché. La contre-partie de ceci se trouve dans l’épuisement constant du sol, aussi ce nouvel état dont la création date d’un peu plus qu’un demi-siècle est-il déjà devenu le grand État émigrant de l’Union. Les locomobiles, les machines à moissonner, le râteau à cheval facilitent l’épuisement des éléments nécessaires à la production du blé et du maïs ; et le chemin de fer facilite leur exportation. Sous le système actuel, plus ces améliorations se répandent, plus s’accroît la tendance à l’émigration et l’isolement, et l’isolement tend à la barbarie.
  2. Les faits sur lesquels nous avons appelé l’attention, dans tous les pays purement agricoles, correspondent exactement avec ceux observés dans les États de l’Union américaine. Ainsi, au Brésil, la culture a commencé dans le voisinage de ces localités où se trouvent aujourd’hui des villes et des bourgs ; mais à mesure que la terre s’épuise les planteurs s’en retirent, — laissant désertes les terres qu’ils avaient trouvées les plus productives. Le coût de transport va conséquemment toujours croissant, et plus il s’accroît, moindre est la proportion du travail de la communauté qui peut être donnée à la production. Comme il arrive nécessairement dans tous les cas de ce genre, le désir pour la terre augmente et les propriétés sont très-considérables. De grands propriétaires — qui ne veulent s’occuper d’aucune autre production que de celle de leur grand article, le café, — aiment mieux acheter leur grain que le cultiver. L’aliment va renchérissant d’année en année. On cite un cas d’un planteur qui avait fait une grande récolte de café, mais ne pouvait l’envoyer au marché faute de pouvoir acheter le grain nécessaire pour nourrir ses mulets dans le voyage. Voulez-vous être édifiés sur l’entière identité du système du Brésil et de la Caroline et des effets désastreux d’une agriculture exclusive, consultez un récent ouvrage sur ce pays, par M. Lacerda Warneck, dont le Journal des Économistes, numéro de juillet 1856, a donné un aperçu sommaire. Le remède qu’on y prescrit pour ces difficultés est une amélioration dans les procédés de culture ; mais l’agriculture est de toutes les sciences la dernière à atteindre du développement. Ce développement ne marche toujours que dans le sillage des manufactures ; et si le Brésil veut améliorer sa culture, il ne peut le faire qu’à la condition de placer le marteau et le métier à tisser tout proche de la charrue et de la herse.
  3. On dit qu’il n’y a pas moins d’une douzaine d’habitations particulières dans la ville de New-York, récemment construites, ayant coûté de 100.000 à 150.000 dollars, rivalisant en magnificence avec les palais royaux de l’Europe et ne leur cédant qu’en superficie. La demeure la plus élégante de la cité a coûté, dit-on, environ 250.000 dollars. Dans une demeure, qui a été meublée dans le style le plus somptueux, on a dépensé 50.000 dollars dans quatre ou cinq des appartements ; il est une simple chambre dont l’ameublement à coûté de 25 à 30.000 dollars. » New-York journal. À côté de ces palais il existe une pauvreté aussi sale qu’en puissent présenter les cités de l’ancien monde.
  4. Les désastreux effets de la dispersion sont bien exposés dans le passage suivant, qui décrit l’état des affaires sur la rivière Rouge supérieure, en Louisiane.
      « On n’a jamais vu pareil état de choses. Jusqu’à ce moment, la rivière Rouge n’a point été navigable et on n’a pas embarqué une seule balle de coton. Des mille et des dix mille balles sont sur les bords de la rivière Rouge et de ses affluents, attendant une crue. Non-seulement on a manqué à expédier le coton ; mais comme une conséquence nécessaire, aucune fourniture d’aucune espèce ne nous est arrivée. Nous n’avons pas de communication parchemin de fer, et la population bien que riche, pour un grand nombre, est dans un état alarmant de dénuement. La farine vaut 90 dollars le baril et on ne peut s’en procurer qu’à quatre-vingt-dix milles de distance. Le blé commande 2 dollars par boisseau et tout le reste en proportion. » — Cincinnati Commercial Journal.
      Il en est exactement de même en Californie comme on le voit par le passage suivant.
      « Nous sommes ici sujets à ces lois qui règlent l’offre et la demande — dans des localités où le consommateur et le producteur sont séparés par des mers qui veulent des mois de navigation… Nous importons tout ce que nous consommons… Il en résulte pour nous cette position dans le monde commercial que nous sommes sujets à une grande variation dans les prix et la quantité des articles principaux, — ceux notamment que le mineur et l’agriculteur consomment. Un jour la hausse est énorme et désastreuse pour le consommateur ; un autre jour la baisse est telle qu’elle ruine à la fois le protecteur et le marchand… Notre expérience prouve d’une manière concluante que tous les pays qui s’approvisionnent à des sources étrangères et lointaines, occupent une position tout à fait précaire, humiliante et dépendante. Ils se mettent à la merci des autres et ne peuvent jamais jouir d’une véritable indépendance. Leur approvisionnement dépend de tant de circonstances qu’aujourd’hui c’est bombance et demain famine — aujourd’hui baisse excessive, demain excessive hausse — un pays des extrêmes ; et il n’en peut être autrement sous un tel système. Le remède est de fabriquer nous-mêmes nos articles et de produire notre grain. » — Sacramento Union.
  5. Pour peu qu’on soit familier avec la législation toute récente à Washington, on appréciera l’exactitude du tableau suivant. « Il y a une troisième maison au siège du gouvernement où l’on vend la législation en gros ou en détail. Vous pouvez acheter, de ces gens-là, des lois à la pièce ou à l’aune carrée, à la grosse ou à la simple douzaine. Désirez-vous un statut à votre bénéfice particulier, ils sont tout prêts à le passer pour vous, moyennant qu’on le leur paye bien. Une grosse somme en main et l’assurance de recevoir une belle part de ce que vous faites par la loi, vous attachent une compagnie active de sapeurs et de mineurs, devant lesquels la vertu facile d’un congrès, tel que celui que nous avons aujourd’hui, n’est pas pour résister longtemps. Plus vous donnerez tout d’abord et plus vous promettrez sur vos gains futurs, plus vous êtes sur de réussir — plus vos moyens seront grands de cajoler et corrompre les membres. — New-York Evening Post.
  6. Les effets épuisants de ce système vont attirant par degrés l’attention des hommes éclairés du Sud, comme le prouve le passage suivant du message du dernier gouverneur d’Alabama. « La recherche s’adresse toujours à l’esprit de recherche. Comment se fait-il qu’Alabama, avec son climat délicieux, sa salubrité, son sol fertile et varié susceptible de la plus universelle adaptation, son pouvoir hydraulique abondant et sans égal, ses collines et ses vallées, pour prairies et pâturages, ses acres sans nombre de houille, de fer, de marbre et d’autres minéraux, ne présente pas de preuves plus frappantes de prospérité et de richesse ? La réponse est facile. Cet État ne se sert pas de ses vastes ressources — et aussi une grande partie de sa population est inactive — la main-d’œuvre et les emplois du capital ne sont pas suffisamment diversifiés : il cultive le coton en abondance, avec un profit au-dessous du taux légal d’intérêt, tandis qu’il fournit au manufacturier d’Europe ou de New-England, en dehors du coût de transport de la matière première, un profit qui dépasse le sien d’au moins deux cents pour cent. Tout faible qu’est le revenu de cette source, c’est là-dessus que l’on pourvoit à tous les besoins de la famille, et pour l’ordinaire il ne reste au planteur que bien peu pour l’indemniser de ses soins et de ses soucis. Un tel état de choses tend naturellement à appauvrir le sol, à nous dégoûter d’amélioration et d’embellissement de notre demeure, à nous détourner de nos affections — à nous tenir sans cesse sur la piste pour un acheteur, ou en quête d’un pays où nous puissions faire vite fortune. Un peuple qui vit de la sorte ne peut jouir de cette part de contentement et de prospérité qui est dans le vouloir de la Providence et qu’on peut obtenir par l’effort. »
  7. Voici un extrait du Richmond Enquirer qui peint l’état de choses en Virginie, mais il peut s’appliquer également à toute l’Union en masse.
      « C’est un malheur que tant de nos jeunes hommes prennent les professions du barreau et de la médecine. Il y a surabondance dans les deux, dans cet État ; elles sont encombrées à l’excès. Il y a dans cet État un médecin pour six cents têtes de la population, nègres et blancs. Si les bénéfices de la profession se répartissaient également ils n’iraient qu’à 600 dollars pour chaque praticien. Mais ce n’est pas le cas. Fort peu réussissent, tandis que le plus grand nombre ne trouve pas à vivre, et beaucoup abandonnent de désespoir la profession, après avoir dépensé peut-être leur petit patrimoine pour y entrer. — Il y a un homme de loi par mille têtes de la population noire et blanche. Je ne suppose pas que dans le présent état de la profession, elle donne plus de deux ou trois cents dollars si les bénéfices se répartissaient également — mais comme dans le cas des médecins, quelques-uns obtiennent la plus grosse part. En prenant les deux professions comme un seul corps, il y a, de fait, très-peu de gens qui y font fortune, et le nombre des heureux doit diminuer en raison qu’augmente le nombre des enrôlés dans la profession. Le mieux, le mieux suprême, serait pour nos jeunes hommes d’entrer dans quelque profession moins encombrée et plus lucrative. » — Malheureusement dans chaque profession ouverte à la population, il n’y a pas moins foule. Dans les dernières dix années, la population a augmenté d’au moins sept millions d’âmes, et pourtant le chiffre de gens engagés dans les grandes branches de l’industrie manufacturière — par exemple, coton, soie, laine, lin et chanvre, n’a probablement pas augmenté. De plus cela empêche que se développe la fabrication de machines et jette forcément la jeunesse instruite du pays dans les négoces ou dans les professions, qui sont toutes encombrées à un point dont aucun pays n’a jamais offert d’exemple.
  8. Il y a trente ans, on exigeait que les hommes convinssent aux places auxquelles on les nommait. Aujourd’hui on ne demande à peu près qu’une chose, c’est que la place convienne à l’homme. Autrefois le cri de vae victis était inconnu dans le monde politique. Aujourd’hui c’est une maxime établie « que les dépouilles appartiennent aux vainqueurs. Et en conséquence la proscription pour différence d’opinion a commencé à s’étendre dans toute la hiérarchie d’emplois, jusqu’au garçon qui allume les feux dans le plus petit bureau. L’avidité que déploient chez nous les solliciteurs ne peut être dépassée nulle part ailleurs, et elle s’accroît d’année en année, à mesure que le commerce décline et que le trafic devient de plus en plus le maître des fortunes de la population. D’où suit nécessairement que les élections ont commencé à devenir à un degré considérable de simples luttes pour la dépouille des places ; et que le parti au pouvoir a toujours l’avantage d’une armée de fonctionnaires, à son commandement, prêts à agir et à payer pour être continués en place. Rien de plus démoralisant ne se peut trouver dans aucune partie du monde civilisé. Le système actuel est de date postérieure à la période où le libre échange fut adopté pour la première fois par le parti dominant dans le pays.
  9. Voir précéd., p. 229.
  10. Un des hommes les plus actifs et influents du Sud est M. Barnwell Rhett, et parmi les plus remarquables prophéties des hommes du Sud il en est une qui se trouve rapportée ainsi, dans le récent ouvrage plein d’intérêt : Vie et correspondance d’Amos Lawrence. — « Je souhaite vivement que votre État accomplisse votre prophétie, que dans dix ans vous filerez toute votre récolte de coton ; car nous, du Massachusetts, nous serons heureux de vous rendre la fabrication des gros articles et de tourner notre industrie vers les articles fins. Bref, nous pourrons aujourd’hui, si vous êtes prêts, abandonner la grosse fabrique et appliquer la moitié de notre outillage à filer et faire les bas de coton, et rien ne nous servira mieux nous tous que les fabrications spéciales. Le royaume de Saxe tout entier est employé, pour le moment, à faire les bas de coton pour les États-Unis avec des filés achetés en Angleterre et qui sont faits de votre coton. Qu’il serait mieux pour vous et pour nous d’épargner ces triples profits et transports en fabriquant le coton au pays ! Réfléchissez à cela et songez-y en dehors du préjugé qui domine si exclusivement dans votre État. Il y a peu d’années je demandais à notre ami le général *** de votre État, « ce qu’on pensait alors de la théorie des quarante balles ? » Il me répondit : « Nous l’approuvions, lorsqu’elle a paru, et elle a eu son effet ; aujourd’hui personne n’en veut plus. » Je crois de plus que lorsqu’une erreur est fortement enracinée dans l’opinion populaire, il est beaucoup plus difficile de la déraciner que d’implanter une vérité en son lieu. Si je me connais moi-même, je ne vous donnerai point d’autre exemple à propos de ce que je vous demande ; et je vous dirai que votre État et votre peuple se sont mis dans une fausse position, et qu’ils le verront dans quelques années aussi clairement que le soleil en plein midi. » — Cette lettre du 12 décembre 1849 a juste sept ans de date, c’est, on le voit, une prophétie de M Rhett. que cet État était destiné, avant 1859, à convertir tout son coton en filés ou en drap — ayant, comme il l’aurait, commerce direct avec les Saxons qui avaient besoin de filés et les Brésiliens qui demandaient du drap. Cette prophétie était une conséquence de l’action pendant quatre ans du tarif de 1842. Si elle a manqué à se réaliser c’est une conséquence du tarif de 1846.
  11. Chaque usine incendiée met hors d’emploi des centaines d’individus et arrête la circulation du voisinage. Aujourd’hui la destruction d’usines est d’environ une par semaine, tandis qu’il ne s’en construit que peu, si même il s’en construit.
  12. L’insouciance qui se manifeste à peu près partout dans l’Union va au point d’étonner les hommes de l’Europe. Les accidents de chemin de fer se multiplient si fort qu’on les lit sans y donner un moment d’attention, et les pertes de vies augmentent d’année en année. On expose aux tempêtes des lacs, des bateaux à vapeur propres tout au plus à desservir des rivières. Des navires sur lesquels on refuserait d’assurer des marchandises sont employés à transporter de malheureux passagers ; — c’est le seul article que le patron du navire ne soit pas tenu sous sa responsabilité de livrer sain et sauf. « On construit des magasins et des maisons (nous citons un journal de New-York) avec de si mauvais matériaux que c’est à peine s’ils peuvent résister à leur propre poids, et l’on vante des murs qui croulent après avoir été exposés à une pluie de quelques heures, ou à un vent capable au plus de soulever la poussière des grandes routes. On construit des masses d’édifices, dont les solives sont tellement liées l’une à l’autre qu’elles forment une traînée parfaite pour la prompte communication du feu. Les solives sont engagées dans les tuyaux de cheminée, si bien que les bouts sont exposés à s’échauffer les premiers, et à s’enflammer par une étincelle. Des files de maisons et des magasins sont souvent couverts d’une seule toiture qui, dans toute sa longueur de matériaux combustibles, n’a pas un mur formant parapet, ou tout autre obstacle pour empêcher les flammes de se répandre en cas d’incendie. » — Le sentiment de responsabilité s’accroît avec l’accroissement de civilisation réelle. Il diminue avec l’accroissement de cette civilisation dérisoire, ou barbarie réelle, qui a son origine dans l’accroissement de pouvoir du trafic.
  13. Il y a en Europe quelques ouvrages de statistique très-renommés sur les classes dangereuses, c’est-à-dire celles qui vivent de moyens contraires au bien public, et dont l’existence n’est qu’une guerre plus ou moins ouverte et déterminée contre l’existence de la société. Mais nous ne nous rappelons pas qu’un de ces ouvrages ait énuméré les vendeurs d’actions à terme — les ours en style de bourse — parmi ces classes dangereuses. Certainement il n’est pas de profession plus nuisible ou dangereuse que celle qui prospère en raison des calamités publiques — pour qui la sécheresse, le feu, la grêle, l’ouragan, l’inondation et toute forme de désastre public, est un envoi de Dieu — dans laquelle les esprits supérieurs s’enrichissent de tout ce qui apporte souffrance et misère aux foyers de la grande masse de la communauté. La guerre, la nielle, le froid, la famine — tout ce qui donne certitude de détresse générale, qui menace de banqueroute nationale ou universelle, apporte triomphe et richesse au courtier de bourse « à l’ours. » — Cependant si jouer à terme sur les fonds publics est nuisible et répréhensible, jouer sur les denrées nécessaires de la vie l’est encore bien davantage. On nous assure qu’il y a aujourd’hui des contrats flottants dans cette ville pour quelques millions de dollars, basés sur les stipulations d’un côté de livrer, et de l’autre de prendre des quantités considérables de porc, bœuf, farine, blé à tel jour et à tel prix, autrement dit : A parie contre B, une grosse somme, mais indéterminée, que la farine sera en hausse ou en baisse, selon le cas, le mois prochain, ou à la prochaine fin ou au prochain commencement d’année. Des marchands, dont la profession légitime exige tout leur temps, leur intelligence et leurs moyens, ont risqué tout leur avoir et plus que leur avoir dans ce jeu désespéré. Par suite, plusieurs se sont ruinés, quelques-uns ont perdu la raison ou se sont suicidés ; et des milliers sont devenus impotents, en courant un hasard qui contient tout le vice et la malfaisance de hâblerie ou d’ostentation, avec plus que leurs funestes influences sur le bien-être public. » — New York Tribune.
  14. « Une branche régulière de commerce, ici, à Birmingham, est la fabrication de fusils pour le marché africain. On les fait pour environ un dollar et demi. On remplit d’eau le canon, et s’il ne fuit pas, l’épreuve est jugée satisfaisante. Il s’ensuit qu’ils crèvent au premier coup et estropient le pauvre nègre qui les a achetés sur le crédit de la bonne foi anglaise, et les a reçus probablement pour prix de chair humaine I on ne fait pas mystère de ce négoce abominable, et pourtant le gouvernement n’intervient jamais, et ceux qui y prennent part ne sont ni signalés ni évités comme infâmes. » — Southey. Espriella’s Letters.
  15. Le lecteur qui douterait de l’influence démoralisante du négoce n’a qu’à étudier le code de moralité, auquel le négociant se croit forcé d’obéir. Les dix-neuf vingtième des grandes fortunes, acquises dans le négoce, proviennent d’avoir pratiqué sur l’ignorance d’autrui. Rotschild a dû sa grande fortune à ce qu’il a reçu, avant personne autre, des avis qui le mettaient à même d’acheter des fonds au-dessous de leur valeur réelle — le charlatan qui vend sa drogue pratique, en petit, ce que le grand spéculateur fait sur une grande échelle.
  16. Le plus grand nombre des coolies va à la Havane, où on les envoie dans l’intérieur de l’île et sont traités exactement comme esclaves. Voici ce qu’écrivait le consul américain à la Havane, à la date du 14 avril 1855, au sujet de l’arrivée d’un vaisseau anglais, avec une cargaison de quatre cents émigrants chinois. « C’est le premier lot d’un nombre attendu, d’après un contrat qui stipule pour 7.000 ou 8.000. » D’autres contrats sont passés, et comme le prix a monté de 120 dollars à 170 et que les émigrants s’enlèvent aussitôt leur arrivée, il est plus que probable qu’on en importera davantage. « Parmi ceux qui sont déjà ici, dit le correspondant journal américain, il y a nombre de pirates qui ont été capturés et vendus aux contractants. » Le consul dit plus loin : « Que ces travailleurs ne sont pas mieux et même sont plus mal traités sur les plantations que les nègres esclaves. » Un capitaliste envoie un agent pour exporter 10.000 coolies, et on calcule qu’il s’est passé de 1855 à 1856, des contrats pour 50.000. Le taux de mortalité à bord semble être un dixième, de sorte que sur le dernier chiffre 5.000 périront dans la traversée. À New-York, un navire, le Shylark, sur 500 Chinois en a perdu 59. Du port de Swatow, en 1855, douze navires, dont cinq américains, ont embarqué 6.388 coolies. Swatow est un port illicite, même pour un négoce légal.
  17. Richmond Enquirer. Un journal de la Caroline du Sud affirme à ses lecteurs que — « l’esclavage est la condition normale et naturelle de l’homme qui travaille, qu’il soit blanc ou noir. Le grand mal de la libre Société du Nord, continue-t-il, c’est d’être chargée d’une classe servile, d’artisans et de travailleurs incapables de se gouverner eux-mêmes, et cependant revêtus des attributs et des pouvoirs de citoyens. Maître et esclave font un rapport dans la société aussi nécessaire que celui de père et d’enfant ; et les États du Nord auront cependant à l’introduire chez eux. Leur théorie de gouvernement libre est une illusion. »
  18. Voir précéd. vol. 1, p. 229. Le passage suivant d’un journal anglais, récent et influent, montre que le changement dans les opinions sur les relations du travail et du capital a été suivi d’un changement non moins grand au sujet du gouvernement et du peuple ; et qu’ainsi les résultats de la centralisation sont partout les mêmes. — « Un gouvernement despotique, renforcé d’une armée sur pied, bien qu’il répugne à nos idées, a du moins le mérite d’une chose d’intelligence et pratique. C’est la politique du vouloir d’un seul, renforcé d’un instrument passif qui ose autant qu’il a été dit et pas davantage. Plusieurs nations ont vécu heureuses sous ce régime, et un plus grand nombre le croient, car il y a comparativement bien peu d’individus en état de se gouverner eux-mêmes. En réalité, lorsqu’il est mis en pratique avec intelligence et dans un esprit bienveillant, un régime absolu est libre de cette foule d’inconvénients qui sont inhérents au régime constitutionnel. » — Morning Post.
  19. La grande ordonnance de 1787, et le compromis du Missouri.
  20. Les mémoires de l’Office des patentes témoignent de l’influence de l’éducation générale, pour développer le génie de la mécanique chez les Américains. Nulle part au monde, il n’existe à un aussi haut degré, et néanmoins dans quelques unes des brandies les plus importantes de fabrication, ils restent stationnaires et dans d’autres n’avancent que peu. Voici plusieurs années que l’Allemagne s’adresse au Massachussets pour des machines pour la fabrication du drap, et c’est à peine s’il se fabrique une aune de drap dans les limites de l’Union. Plusieurs des plus importantes améliorations dans la fabrication cotonnière sont d’origine américaine, et néanmoins la quantité de filés de coton consommée ne dépasse que peu, si même elle dépasse, ce qui était nécessaire il y a huit ans. Il en est de même pour la soie, le lin et le fer. Dans les dernières dix années, la population a augmenté de huit millions ; et le chiffre des individus engagés dans toutes ces principales branches de fabrication n’est pas aujourd’hui plus élevé qu’alors. Le surcroît entier va forcément à l’agriculture et au négoce. La même cause tient l’agriculture abaissée — arrête son développement scientifique et la tient à un niveau inférieur à celui de l’intelligence développée dans les écoles. La capacité intellectuelle du pays est donc jetée forcément dans les opérations d’acheter et vendre des mots et des choses, d’où suit que l’offre de boutiquiers, de commis, d’hommes de loi, de docteurs et de spéculateurs en tout genre, est tellement en excès sur la demande. Le chiffre des producteurs grossit lentement, mais on voit grossir avec une vitesse extrême celui des hommes intermédiaires qui ont à faire supporter leur entretien par le travail de ceux qui produisent. Il en résulte une grande augmentation de crime et de l’esprit d’insouciance qui dispose à porter atteinte aux droits du prochain, tant au dehors qu’à l’intérieur. Le pouvoir d’être utile au monde s’accroît avec le développement de l’intellect, mais celui de lui faire tort s’accroît également vite. C’est dans cette dernière direction que tend l’esprit américain, et par la raison qu’il trouve obstacle à se mouvoir dans la direction contraire.
  21. La présente année 1856 est la première où ces contributions ont été parfaitement systématisées. — Les récipients des salaires ayant été requis de payer un certain pour cent des salaires à l’usage du parti au pouvoir.
  22. Dans une occasion récente, il s’est trouvé que les solliciteurs pour une charge de munitionnaire vacante n’étaient pas moins de dix mille.
  23. Pendant la discussion du bill de Kansas-Nebraska — portant rappel de l’acte de compromis du Missouri — avis fut publiquement donné, par l’organe reconnu de l’administration, que certains emplois de valeur seraient distribués parmi les membres du congrès qui prouveraient leur droit en donnant leur appui à cette mesure.
  24. Les passages jusqu’ici donnés en défense de l’esclavage, sont tirés de journaux publiés dans les États du Sud ou esclaves ; mais voici des citations qui prouvent que la démoralisation de l’esprit public, à ce sujet, a gagné même la population de ceux du Nord. « Debout sur les larges planches de l’estrade de Cincinnati, nous déclarons être non-seulement les apologistes, mais les avocats et les défenseurs de cette institution en particulier. Nous réclamons pour l’esclavage américain qui est et a été l’un des principaux boulevards de notre liberté, en même temps que nous prétendons qu’il a amélioré la condition de l’esclave. — Syracuse (N. Y.) Standard. — Les idées soutenues à propos de la traite des nègres, sont reproduites ainsi à propos de la pauvre population blanche des États du Nord, dans un journal qui se publie dans la ville même de New-York. « Vendez les parents de ces enfants comme esclaves. Que notre législature rende une loi en vertu de laquelle quiconque prendra ces parents, pour avoir soin d’eux et de leur progéniture, en maladie et en santé, — les vêtir, nourrir et logersera investi d’un droit légal à leurs services ; et que la même législature décrète que quiconque recevra ces parents et leurs enfants et obtiendra leurs services, devra prendre soin d’eux pour leur vie durant. » — New-York Day-Book.
  25. La guerre avec le Mexique fut provoquée d’abord par le pouvoir exécutif et alors déclarée par le congrès. L’attaque sur Grey-Town — l’une des mesures les moins justifiables de l’époque, — aurait conduit à la guerre, n’eût été la faiblesse de la société attaquée.
  26. Le manifeste émis à Ostende, par les représentants de l’Union auprès les cabinets de Londres, Paris, Madrid, s’est placé sur ce terrain.
  27. « Nous mentionnons le sujet de l’esclavage pour jeudi en connexion avec le parti démocratique. Nous le mentionnons pour ce jour en connexion avec l’État de Sud-Caroline. Nous montrons que l’acte restreignant le commerce d’esclaves est une flétrissure, jetée sur les États du Sud, qu’il frappe notre forme de société comme indigne d’être reconnue par un monde civilisé ; qu’il paralyse les énergies de ceux qui voudraient la défendre ; que son retrait nous replacera dans une sphère de prospérité et de progrès ; que c’est au Sud qu’il faut attribuer le triomphe du nationalisme dans le dernier congrès ; qu’à nous encore peut appartenir le succès ; et que le retrait des restrictions est autant une mesure d’intérêt qu’un devoir du parti démocratique, et nous allons montrer que l’État de Sud-Caroline a un intérêt direct et vital dans la question. » — Charlestown Standard.
  28. Le peuple de l’Amérique centrale a aboli l’esclavage, mais le gouvernement intrus de M. Walker l’a rétabli et a ouvert les ports à l’admission d’esclaves de toute couleur — noirs, olivâtres ou blancs.
  29. « Mieux vaut d’avoir nos charrettes conduites par des esclaves — le travail de nos établissements fait par des esclaves — nos hôtels desservis par des esclaves — nos locomotives manœuvrées par des esclaves, que d’être exposés à ce que s’introduise, de tous les points, une population étrangère à nous par la naissance, les habitudes, l’éducation, et qui à la longue amène ce conflit entre le capital et le travail qui rend si difficile le maintien d’institutions libres dans toutes les nations riches et de haute civilisation, où n’existent pas des institutions telles que les nôtres. » — Message of Governor Adams to the Legislature of South-Carolina.
  30. Le sacrifice des intérêts du Portugal par le célèbre traité de Methuen, ou celui de l’intérêt français par le traité négocié en 1785, par M. Eden (voir précéd. p. 49) ne fut pas plus complet que celui fait des intérêts du peuple des États-Unis, par le récent traité avec le Canada, appelé si à tort le traité de Réciprocité. Ce fut une garantie de privilèges d’une valeur incalculable sans retour ; et s’il n’eut pourvu contre l’extension de territoire dans cette direction, il n’eût jamais reçu la sanction du congrès.
  31. Telle fut la résolution de la convention de Memphis, au sujet de l’Amazone, qui amena l’expédition de MM. Herndon et Gibbon. Le peuple qui prêche ainsi de recourir à la guerre s’il le fallait pour l’ouverture d’un des fleuves du Brésil, refuse de permettre l’amélioration de l’Ohio et du Mississipi, et cause ainsi à la population de l’ouest une perte annuelle plus grande que le profit à retirer pendant un siècle de l’ouverture de l’Amazone. Le négoce vise toujours au dehors, tandis que le commerce vise à l’intérieur. Comme preuve, nous avons le refus de payer les droits du Sund, et l’agitation pour la liberté de l’Elbe, au même moment où l’Ouest tout entier souffrait d’un prolongement des basses eaux dans l’Ohio — inconvénient qui se reproduit annuellement et auquel on remédierait d’une manière durable au moyen d’une dépense moindre que la perte, en moyenne, qui résulte des sécheresses et des crues rien qu’en un seul mois. » — Voir Ellet. Report on the Mississipi and Ohio Rivers.
  32. Il y a trente ans, le peuple du Mexique et celui de l’Amérique du Sud désiraient s’unir avec les États-Unis pour le maintien des droits contre les puissances de l’Europe. Aujourd’hui ils cherchent à s’unir entre eux et avec l’Europe contre ces États.
  33. L’honorable Josiah Quincy, dans une récente lecture à Boston, disait que pendant son séjour à New-York, il avait vu donner 25 dollars d’un simple vote pour un membre du congrès, et comme il exprimait son étonnement qu’un homme put payer une telle somme pour un vote, on lui assura que le candidat, s’il était réélu, battrait monnaie au congrès ; qu’il avait reçu 30.000 dollars à la dernière session pour faire passer un-bill, et qu’à ce taux il pouvait payer un bon prix… On cite aussi par douzaines et vingtaines des hommes qui sont devenus énormément riches par un service de cinq ou six ans au congrès, — tel qui est entré ne possédant pas au monde mille dollars, est sorti avec le quart d’un million. » — New-York Daily Times. L’éditeur demande fort judicieusement : « Comment tout cela finira-t-il ? »
  34. L’anarchie peut être un accident à San-Francisco ou à Washington, c’est ici l’état normal. C’est à peine si quelque crime est jamais puni. Le plus atroce malfaiteur se rit ici de la justice. Deux cent plaintes contre des maisons de jeu, et deux mille contre des accusés de tout rang et de toute classe, restent dans le dossier sans qu’on les suive, qu’on en prenne note, ni même connaissance — c’est autant de papier perdu. La troisième mise en jugement contre Baker pour un homicide de toute notoriété et bien prouvé, est aujourd’hui en voie de procédure, et se terminera probablement par un acquittement ou un désagrément pour le jury. Nous n’avons, en tout cas, rien à reprocher à nos voisins à propos de leur négligence à rendre justice. » — New-York Herald.
  35. À la dernière élection dans Baltimore on s’est servi du canon. Les couteaux et les revolvers ont été de libre usage dans une élection récente dans New-York.
  36. Pour l’exactitude du tableau et des changements survenus dans la période mentionnée, lisez ce passage d’une lettre d’un membre distingué du congrès de Sud-Caroline. « Depuis lors (la date d’une convention tenue en Colombie, Sud-Caroline, en 1843), les démocrates du nord nous ont aidé à porter dans l’Union le Texas, un magnifique territoire à esclaves, — assez vaste pour former quatre États esclaves, et nous ont renforcés, dans cet intérêt particulier, plus que nous ne l’avions encore été par aucun acte du gouvernement fédéral. Depuis lors, ils ont amendé une loi très-imparfaite sur les esclaves fugitifs, passée en 1793, et nous ont donné, actuellement, une loi pour le recouvrement des esclaves fugitifs, aussi énergique que l’esprit de l’homme puisse la rédiger. Depuis lors ils nous ont aidé, par leurs votes, à établir la doctrine de non-intervention du congrès dans les territoires, en matière d’esclavage. Depuis lors, ils ont réduit l’odieux tarif de 1842, et fixé le principe d’impôts sur une base non protectrice. Depuis lors, ils viennent de rappeler la restriction du Missouri, ouvert les territoires au défrichement, et nous ont mis en mesure, si le Sud veut être fidèle à lui-même et aider à peupler le Kansas, de former un autre État esclave. » « En 1843, continue-t-il, on eût traité de fou l’homme qui aurait prédit de tels événements. » — Letter of James L. Orr,of S.C, to Hon. C.-W. Dudley. — Voulez-vous un tableau fidèle des États-Unis il y a dix ans, lisez un livre que l’auteur du présent ouvrage écrivait en 1847, et qui fut publié au commencement de 1848. Il a pour titre : The Past, the Present, and the Future, le présent, le passé et l’avenir. À aucune époque de notre histoire il n’y eut plus de tendance à l’harmonie que dans la courte période qui suivit la date de l’acte de 1842, et qui, alors, touchait à sa fin.
  37. Pour la condition stationnaire de la population des îles Britanniques, voir précéd. vol. I, p. 441.
  38. Non-seulement c’est là le cas dans Virginie, Caroline, New York et autres des anciens États, mais c’est le cas aussi dans les nouveaux de l’Ouest. Dans quelques-uns la terre a été tellement monopolisée par des spéculateurs, que le pauvre émigrant est forcé d’augmenter de centaines de milles sa distance de la civilisation, s’il veut obtenir de la terre à un prix modéré.
  39. Le tableau suivant des marchés de Californie, donné par un journal de San-Francisco, ne se trouverait que peu exagéré si on voulait l’adapter à ceux d’Angleterre ou des États-Unis. — « En raison de l’éloignement de ce marché de tous les autres, il existe ici un état de choses qu’on ne saurait se figurer sans l’avoir vu. Le négoce, pour tout article, est un jeu comme celui de la bourse. Par exemple, le prix du sucre était, il y a trois semaines, vingt-quatre cents la livre, il est aujourd’hui dix cents. La bougie monte, en une semaine, de vingt-quatre à cinquante cents la livre. Les esprits de thérébentine valaient, il y a deux mois, de trois à quatre dollars le gallon ; aujourd’hui c’est de cinquante à soixante cents. On débarque aujourd’hui de la houille qui ne trouve pas acheteur, même pour couvrir le coût du fret. La baisse est aussi rapide que la hausse sur un article.
  40. La récente extension à l’Inde, des lois de patente, est regardée comme un grand avantage pour l’inventeur anglais. Et cela, parce qu’elle lui permet de forcer les cent millions d’âmes de la population indienne de payer des taxes pour son entretien, tandis qu’elle les prive de la faculté de faire aucune amélioration dans leur outillage, sans l’autorisation de ceux à qui il a vendu sa patente. C’est un surcroît d’extension du monopole sous lequel l’Inde a été déjà tellement épuisée.