Procès criminels intentés aux animaux

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PROCÈS CRIMINELS INTENTÉS AUX ANIMAUX.

Ce titre excitera peut-être un sourire d’incrédulité. Il n’en est pas moins vrai, cependant, qu’on a vu jadis des juges qui n’ont pas craint de déroger à la dignité de leur caractère, en citant à leurs tribunaux des escargots, des chenilles, des cochons et autres animaux accusés de quelques crimes ou délits. Ces poursuites étaient accompagnées de toutes les formalités légales, telles que citation des accusés, audition des témoins, plaidoyer pour et contre, et quelquefois exécution faite en place publique, et par les mains de l’exécuteur des hautes œuvres. Chasseneux, président du parlement de Provence, dans un ouvrage publié en 1531, discute la question de savoir si les animaux sont justiciables des tribunaux, et se prononce pour l’affirmative. Il donne les détails d’un procès intenté contre les hannetons de Beaune, et de quelques autres affaires du même genre, telles que des poursuites judiciaires contre les limaçons à Autun, en 1487, à Lyon, en 1500, à Mâcon, en 1488 et contre les rats à Autun, à la même époque. Il paraît encore, d’après un rapport détaillé du président de Thou, que Chasseneux eut l’avantage d’être le défenseur de ces derniers accusés, et qu’après l’assignation portée à la requête du magistrat qui agissait au nom du ministère public, il s’efforça, à différentes reprises, de faire remettre l’appel de la cause. Il représenta d’abord qu’une seule assignation était insuffisante, attendu que ses clients se trouvaient dispersés dans une foule de villages. On en donna donc une seconde qui fut lue sur la place publique de chaque commune, à l’issue de la messe. À l’expiration du délai, l’avocat fit valoir la difficulté que les rats avaient à se rassembler, par suite de l’alerte donnée par le bruit de ce procès, aux chats, leurs ennemis, qui les attendaient sur tous les passages. Lorsque enfin, il eut épuisé toutes ses ressources, il s’en remit à l’humanité et à la justice du tribunal.

En 1266, un cochon fut brûlé vif à Fontenay-aux-Roses, par ordre des officiers de justice, pour avoir dévoré un enfant. En 1386, un arrêté du juge de Falaise condamna une truie à avoir la patte droite et la tête tranchées, comme convaincue d’avoir causé la mort d’un enfant en lui déchirant la figure et le bras. L’exécution eut lieu sur la place de l’Hôtel-de-Ville, et coûta 10 sous 6 deniers. L’animal avait été préalablement couvert d’habits d’homme. En 1389, un cheval fut également condamné à mort à Dijon, pour avoir tué son maître. Du reste il n’est pas nécessaire de remonter à une époque aussi reculée pour trouver quelque chose qui ait rapport à ce singulier usage. Gaspard Bailly, avocat à Chambéry, publia en 1668 un traité ex professo, sur les procès de ce genre, où il donne les formules d’assignation, de défense, de jugement, etc.

Parmi les manuscrits de la bibliothèque royale, il existe une condamnation portée par le juge de Savigny, en Bourgogne, contre une truie convaincue d’avoir, de complicité avec ses six marcassins, commis un homicide sur la personne d’un enfant de cinq ans, appelé Jean Martin. Voici quelques passages de cette pièce : « Après avoir considéré le cas et entendu les témoins, avoir consulté les usages et coutumes de Bourgogne, ayant Dieu devant nous, nous condamnons la truie de Jean Bailli à être confisquée et livrée à l’exécuteur pour être pendue jusqu’à ce que mort s’ensuive. Quant aux jeunes gorets, comme il n’est pas prouvé suffisamment qu’ils aient participé au crime nous ajournons leur jugement, et consentons à ce qu’ils soient remis audit Jean Bailli, à la charge par lui de les livrer si leur culpabilité est prouvée. » Vient ensuite le procès-verbal de l’exécution, faite par le bourreau de Châlons-sur-Saône. Quant aux petits cochons, un jugement postérieur les renvoya entièrement des fins de la plainte.

Le parlement de Paris ne se montra pas plus sage à cet égard, que les juridictions provinciales. Un de ses arrêts, en 1604, condamna un âne à être pendu et brûlé, et antérieurement, en 1466, il avait confirmé une sentence du juge de Corbeil, prononçant peine de mort contre un homme et un cochon qui furent exécutés ensemble. On pourrait multiplier à l’infini de pareils exemples. Il est à remarquer, d’ailleurs, que lorsque les tribunaux s’occupaient de ces causes étranges, des législateurs rédigeaient sérieusement les ordonnances et les lois qui devaient leur servir de bases. Ainsi le code promulgué et observé en Sardaigne pendant le douzième siècle, ordonnait que tous les ânes surpris en maraude seraient mutilés.

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