Procès faits aux chansons de P.-J. de Béranger/Au lecteur impartial

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LECTEUR IMPARTIAL




S’il eût été permis aux journaux de rendre un compte exact de ma défense devant la cour d’assises, de même qu’il a été permis à mon accusateur de reproduire son accusation, j’aurais pu me dispenser de faire imprimer les pièces de mon procès.

Mais la censure, l’inique censure[1] m’a traité avec la plus révoltante partialité.

Mes juges ont écouté l’accusation ; ils ont aussi écouté la défense. Sur quatre chefs d’accusation, ils en ont écarté trois ! et la censure, qui permet de reproduire contre moi l’accusation en entier, même dans les parties où elle a complètement échoué, n’a pas permis qu’à côté de ces incriminations renouvelées, ma défense vînt aussi se reproduire.

Jusqu’ici rien de pareil n’était encore arrivé.

On avait bien vu quelques défenses abrégées, des suppressions partielles opérées, des changements imposés aux feuilles périodiques ; mais dans aucune autre cause on n’avait encore vu une interdiction complète, absolue, de produire aucun fragment de la défense. Il n’y a point eu d’exception à cet égard ; les journaux du ministère, ceux de la droite et de la gauche, tous ont subi la même influence.

Le Moniteur, qui a consacré cinq de ses énormes colonnes au réquisitoire de M. Marchangy, a été obligé de supprimer la courte analyse qu’il donnait de ma justification.

Le Journal de Paris a éprouvé cette rigueur, inaccoutumée pour les journaux du ministère.

Le Constitutionnel est revenu de la censure avec des ratures qui ne laissaient pas subsister un seul mot du plaidoyer de mon avocat.

Le Drapeau blanc a laissé un énorme vide entre le plaidoyer de M. Marchangy et la réplique de M. Marchangy. M. Marchangy y parle seul. Aussi l’on y voit que cet avocat-général a réfuté victorieusement la plaidoirie de mon défenseur, et on le croit aisément, puisqu’on ne trouve que du papier blanc à la place des raisonnements que M. l’avocat-général a eu à réfuter.

Ainsi j’ai été froissé par la saisie de mon ouvrage, par ma destitution, par les harangues du ministère public, par la sévérité de la cour qui a décidé contre moi ce que les jurés n’avaient osé résoudre ! Et au désavantage d’avoir eu à répondre de suite et sans préparation à une accusation élaborée avec soin, écrite avec recherche, et longtemps méditée, s’est joint le désagrément, plus grand encore, de voir les déclamations dont j’avais été l’objet, longuement reproduites, répandues avec profusion, et sans le contre-poids, plus que jamais nécessaire, des justifications qui devaient en paralyser l’effet.

Voilà ce qui s’est passé à la face de tout le monde ! voilà ce qu’ont remarqué tous les lecteurs de journaux, les curieux de toutes les classes, les hommes de tous les partis, et cela dans le moment même où le ministère propose une loi pour le renouvellement de la censure pendant cinq ans, et où il en propose une autre pour rendre les journalistes responsables de toute infidélité qu’ils commettraient dans le compte rendu des audiences des tribunaux.

La censure prorogée ! c’est-à-dire l’injustice, la partialité, la calomnie, rendues plus faciles, perpétuées dans des mains qui en usent avec autant de scandale et d’effronterie ! Le silence, un silence de mort placé à côté de l’arbitraire, parce qu’en effet l’arbitraire ne peut aller avec le droit de se plaindre et la possibilité d’appeler l’opinion à son aide ! La responsabilité des journaux ! comme s’il pouvait y avoir responsabilité là où il n’y a pas liberté, là où le journaliste n’est pas maître de rendre l’impression qu’il a reçue, et où le récit de ce qu’il a vu est corrigé, tronqué, mutilé par un censeur qui n’a rien vu, rien écouté, rien entendu, et qui veut toutefois qu’on raconte les choses, non comme elles se sont réellement passées, mais comme il voudrait qu’elles se fussent passées en effet.

Je serai plus équitable dans ma propre cause. Je donnerai l’accusation telle qu’elle a été portée contre moi, sans en rien retrancher, en rien dissimuler : on lira l’arrêt de la cour ; je donnerai le réquisitoire de mon accusateur, non précisément tel qu’il l’a lu (car il a retranché quelques raisonnements et quelques expressions qui lui ont paru apparemment avoir été réfutés avec trop d’avantage) ; mais enfin son réquisitoire tel qu’il lui a convenu de le publier dans le Moniteur. Seulement j’y joindrai la réponse de mon défenseur, telle que la sténographie l’a reproduite, et telle que son amitié pour moi et son zèle pour un opprimé la lui ont inspirée.



  1. Expression de M. de Castelbajac.