Projet d’une invasion de l’Inde

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RUSSIE




PROJET D’UNE INVASION DE L’INDE.




Depuis le traité d’Andrinople, qui ébranle si profondément l’empire Ottoman, l’Europe retentit de plaintes sur l’ambition démesurée de la Russie. Qu’a-t-on fait cependant pour prévenir cette grande catastrophe ? L’Angleterre, intéressée plus que toute autre au maintien intégral de la Turquie, n’a-t-elle pas elle-même abandonné le sultan ? Ne s’est-elle pas laissé prendre au piége de la politique russe ? Alliée toujours fidèle de la sublime Porte, ne l’a-t-on pas vue contre elle, à Navarin, donner au monde le premier exemple d’un combat pacifique, et brûler la flotte du sultan dans l’intérêt même de sa gloire. Celui-ci a résisté long-temps ; ses deux plans de campagne étaient habilement conçus, mais la trahison s’est glissée dans les rangs de son armée. Youssouf-Pacha avait vendu Varna ; les vieux janissaires ont livré Erzeroum ; ils ont ouvert les portes d’Andrinople. Environné de conspirateurs et d’ennemis, tiraillé en tout sens par les conseils vacillans de la diplomatie, Sultan-Mahmoud vient de signer un traité qui importe l’empire russe dans son propre empire, ou plutôt qui ne fait du chef des musulmans qu’un vassal dont le suzerain est à Saint-Pétersbourg.

N’était-il donc pas assez formidable, l’empire qui comprend à lui seul la neuvième partie de la terre-ferme, qui se compose de la moitié de l’Europe et du tiers de l’Asie, et dont le sol, couvert de soixante millions d’habitans, a trois cents soixante-huit mille milles carrés d’étendue ? L’Angleterre enfin ne peut plus cacher ses alarmes ; elle redoute l’influence des czars en Europe ; elle craint pour ses possessions de l’Inde. On trouve ces alarmes consignées dans ses journaux, et surtout dans un ouvrage récemment publié par un officier supérieur anglais, le colonel Evans[1].

Cet ouvrage fournit des preuves irrécusables des projets ambitieux du cabinet de Saint-Pétersbourg par rapport à l’Inde. Mais d’abord, nous croyons devoir combattre ici une erreur assez généralement répandue : c’est que l’attaque de la Russie sur l’Inde doit être nécessairement précédée de la conquête de la Perse. En descendant vers la Perse, la Russie a surtout pour but d’envelopper progressivement la Turquie, d’assurer de nombreux débouchés à son commerce de la mer Noire, et, en s’avançant jusqu’à l’Euphrate, de rouvrir peut-être l’ancienne route qui amenait du golfe Persique, sur les rivages du Pont-Euxin presque tous les produits de l’Orient. L’invasion de l’Inde ne sera pas tentée du côté de la Perse. Il existe un chemin plus court et moins périlleux : c’est le chemin de Djenghiz et de Tamerlan, c’est la Tartarie indépendante.

On sait que cette vaste contrée était connue autrefois sous le nom de Sogdiane et de pays des Saces, etc. Elle fut le théâtre le plus reculé des conquêtes septentrionales d’Alexandre. Ce prince franchit le Paropamisus (Hindou-Koutch), s’empara d’Aorne et de Bactres (Balkh), traversa l’Oxus (Gihon), se rendit maître de Maracande (Samarcande) et de Cyropolis, dernière ville de l’empire de Darius, bâtit une nouvelle Alexandrie sur les bords du Sir (Iaxartès), et triompha des Scythes et des Saces, de l’autre côté même de ce fleuve.

La Sogdiane attira également l’attention des Seleucides. Elle servit de passage aux caravanes qui allaient chercher la soie dans la région des Sines (Chine). La fondation de Constantinople et les conquêtes des Arabes accrurent son importance ; elle devint l’un des premiers entrepôts du commerce oriental, et les ambassades envoyées plusieurs fois de Byzance et de Bagdad aux peuples qui l’avoisinaient, attestent à quel développement ce commerce était parvenu.

Dans le moyen âge, Samarcande, toujours visitée par les caravanes de l’Occident, vit s’établir au Nord une autre route, qui se prolongeant du Volga à l’Indus, facilitait aux peuples de race Slave la jouissance des riches produits asiatiques. Les arts et l’industrie des Arabes brillaient alors d’un vif éclat au milieu de ces contrées réputées barbares. Samarcande possédait une université célèbre qui conserva sa renommée jusqu’au dix-huitième siècle ; et dès le onzième, Avicenne étudiait Aristote dans les écoles de Bokhara.

Il paraît que l’amour des combats s’alliait à la culture des lettres. La Sogdiane renfermait un grand nombre de tribus guerrières. Au onzième siècle, elles se précipitent à la suite du petit-fils de Seldjouk (Togroul-Beg) sur l’empire chancelant des Arabes, et ravagent la Perse jusqu’à Bagdad. Au treizième, Djenghiz-Khan les entraîne, avec ses Mogols, vers la Perse septentrionale. Son fils Octaï les envoye jusqu’aux rives du Danube. Elles subjuguent, en passant, la Russie et la Pologne ; elles renversent, sous Mangou-Khan, le trône des califes. La puissance des Mogols se démembre à la mort de ce tartare (1259), et l’antique Sogdiane forme une grande souveraineté, à laquelle un petit-fils de Djenghiz, Tchaghataï, donne son nom. Tamerlan règne un siècle après dans Samarcande. Il part de là pour conquérir l’Asie, depuis le Gange jusqu’au Bosphore ; chargé de dépouilles, il y revient mourir. Chassés par la tribu des Uzbeks (1494), ses descendans passent dans l’Inde. Baber y jette les fondemens de l’empire du Grand-Mogol (1500), dent le dernier souverain, dépouillé de la couronne, il y a quelques années, eut pour successeur… George iii, roi d’Angleterre !

Le Tchaghataï resta soumis aux Uzbeks jusqu’à la moitié du dix-septième siècle (1658). Il se partagea alors en plusieurs états. Chaque tribu se choisit un chef particulier. C’est depuis ce temps surtout qu’on le désigne sous le titre de Tartarie indépendante.

La Tartarie indépendante peut se diviser aujourd’hui de la manière suivante : au N., les Kirghis avec le Turkestan et le Tach-Kend ; à l’O., les Kara-Kalpaks et les Araliens ; au S.-O., le Khârezm (pays de Khiva) avec les Turcomans ; au S.-E., la grande Boukharie, etc. De ces huit tribus, celles des Kirghis, des Khiviens et des Boukhares sont regardées comme les plus puissantes. La population générale est évaluée à cinq millions d’habitans environ ; l’étendue à quatre cents lieues de longueur et trois cents lieues de largeur. Cette contrée est bornée au N. par le fleuve Oural et la steppe d’Ychime, qui la séparent de la Russie ; à l’E., par la chaîne du Bélour qui la protége contre la Chine ; à l’O., par la mer Caspienne ; au S., par la Perse et le Caboul.

On s’imagine assez souvent que la grande Tartarie doit offrir l’aspect d’un vaste désert : c’est encore là une erreur. On y rencontre, il est vrai, des steppes immenses et incultes que les Kirghis et les Turcomans parcourent seuls avec leurs nombreux troupeaux. Mais les bords du Gihon, du Sogd et du Sir sont remarquables, au contraire, par une extrême fertilité. Placé sous le même parallèle que l’Espagne et la France, le sol rapporte toutes sortes de grains et de fruits. Le murier, le coton, l’olive, le riz et la vigne y croissent sans effort. D’innombrables canaux y favorisent l’agriculture, et les provinces de Sogd et de Khiva peuvent être comparées, en plusieurs endroits, à un beau jardin.

Un commerce considérable d’échanges répand de tous côtés la richesse et l’activité. Le tiers de Bokhara se compose de caravanserails et de boutiques. On y trouve toute l’année, ainsi qu’à Samarcande, des Afghans, des Persans, des Indiens, des Chinois, des Russes. L’industrie même y a élevé des manufactures ; et ses étoffes de soie et de coton, ses magnifiques robes brodées en fil d’or sont recherchées depuis long-temps sur tous les marchés de l’Asie.

Ainsi, un voyage à travers la Tartarie indépendante n’offre pas autant d’obstacles qu’on pourrait d’abord le croire. Les steppes des Kirghis sont sillonnées chaque année par les caravanes russes d’Orembourg ; c’est là que le voyage est le plus pénible. Mais une fois dans le Khârezm, du moment qu’on a atteint les bords du Gihon et les prairies de Khiva, les communications ne semblent pas plus difficiles que dans plusieurs pays de l’Europe, et une armée pourrait même y vivre dans l’abondance.

Il n’y a donc pas à s’étonner si les regards du cabinet russe se sont tournés depuis long-temps vers la Tartarie. L’acquisition de cette contrée placerait dans ses mains tout le commerce de l’Asie centrale, de même que la conquête des provinces turques de l’Euphrate ferait passer en son pouvoir celui de l’Asie occidentale. Mais il trouverait dans cette possession des résultats beaucoup plus importans encore. La Tartarie lui ouvrirait les portes de l’Inde !…

Conquérir l’Inde tôt ou tard, en expulser la domination anglaise et détruire les comptoirs des autres peuples, tel est le but de la Russie. Ce projet paraît gigantesque, inexécutable. Voyons cependant comment la Russie compte l’accomplir.

« Dès 1790, dit un écrivain anglais[2], Catherine ii avait résolu de tenter une expédition de Bokhara à Cachemire pour replacer le Mogol sur le trône de l’Inde, et chasser les Anglais de leurs possessions ; il y avait alors en Russie des Français envoyés par M. de Vergennes, et qui offraient de conduire l’armée…

» Quand la flotte anglaise était prête à faire voile pour la Baltique, afin de forcer l’impératrice à signer la paix, le prince de Nassau, qui était alors en faveur auprès de cette princesse, présenta un plan pour envoyer par Bokhara une armée dans le Cachemire et de là dans le Bengale.

» On prévoyait peu de difficulté à franchir Bokhara ; on avait même l’espoir de se rendre les peuples favorables en rétablissant sur le trône un prince de leur religion ; mais en eût-il été autrement, on avait peu de chose à redouter d’un peuple si divisé, et qui tremble au nom de la Russie.

» Saint-Géniès (officier français), prétendait qu’il existait des passages faciles à travers les montagnes, et qu’il avait à sa disposition des agens que M. de Vergennes lui-même avait secrètement expédiés dans le pays. Il présenta avec son projet une carte, et une route à suivre pour l’armée. Il espérait d’ailleurs être rejoint dans le nord de l’Inde par tous les mécontens du pays, etc. »

On parut reprendre ce projet en 1819 et 1820. Aussitôt que les affaires de France furent consolidées, on dirigea presque simultanément plusieurs agents à Bokhara, à Khiva, chez les Turcomans, et préalablement à Kokand[3]. Ce n’était pas pour une exploration purement scientifique, comme se sont plu à le publier ceux qui firent partie de ces missions, mais bien plutôt dans un but politique.

Ainsi, l’un d’eux observe que c’est à la Russie qu’il appartient d’imprimer aux provinces de l’Asie centrale une impulsion salutaire, et de répandre dans toutes ces contrées les bienfaits de la civilisation européenne ; et un autre ajoute : que pour l’avantage du commerce russe, il faut prendre possession de Khiva. Le colonel Mouravief, qui fut employé en 1820, dans une mission à Khiva, nous met également sur la voie des projets de la Russie dans le passage suivant, que nous avons choisi entre une foule d’autres qui ont trait au même objet.

« Si nous possédions Khiva, dit-il, dont la conquête ne serait pas difficile, les nomades de l’Asie centrale craindraient notre puissance, et nous aurions une route commerciale assurée de l’Indus et de l’Oxus (Gihon) jusqu’en Russie. Tous les trésors de l’Asie enrichiraient notre pays, et nous verrions réaliser le brillant projet de Pierre-le-Grand[4]. Maîtres de Khiva, une foule d’autres états viendraient se ranger sous notre puissance ; en un mot, Khiva est maintenant un poste avancé qui s’oppose au commerce de la Russie avec Bokhara et l’Inde septentrionale. Une fois dans nos mains, Khiva deviendrait une sauvegarde, qui défendrait ce commerce contre les peuples dispersés dans les steppes de l’Asie centrale. Cet oasis situé au milieu d’un océan de sable, deviendrait le point de réunion de tout le commerce d’Asie, et porterait un coup funeste, jusqu’au centre de l’Inde, à l’immense supériorité commerciale des dominateurs des mers[5]. »

Voilà d’assez fortes preuves que l’idée d’envahir l’Inde n’est pas étrangère à la politique de la Russie. L’invasion serait tentée de la manière suivante.

« Le projet des Russes relativement aux Indes[6], paraît être de diriger d’abord par la mer Caspienne, un corps peu nombreux sur une steppe, à quelque distance de la baie de Balkan[7]. On s’emparerait ensuite de Khiva. Là on renforcerait cette petite armée par de nouveaux détachemens, et on la recruterait, tant dans cette place qu’à Bokhara, des malheureux soldats russes et persans qui sont aujourd’hui prisonniers dans le pays. C’est à Balkh qu’on devrait préparer un train considérable d’animaux pour le transport des bagages[8]. De là à Attock il y a à peu près cinq cents milles[9]. Mais à l’exception des monts Hindou-Koutch, dont la traversée est de dix à quinze jours, le pays est généralement peuplé et bien cultivé. Les caravanes de marchands qui traversent constamment l’Hindou-Koutch, se composent principalement de chevaux, qui sont plus propres que les chameaux au passage des défilés ; mais ces derniers abondent des deux côtés de la montagne.

» Voici à peu près le temps que les Russes mettraient à exécuter ces mouvemens.

» M. Frazer apprit de plusieurs personnes dont les récits s’accordaient parfaitement, et dont les données lui parurent dignes de confiance, que la distance de la baie de Balkan à Khiva est de douze jours pour une caravane, et dans un autre endroit, il la fixe même à dix jours. M. Mouravief évalue à sept jours la distance de ce lieu au voisinage de Bokhara pour des bâtimens pesamment chargés[10]. De ce point à deux jours de marche de Balkh il y a encore une distance de quatre ou cinq jours. Ainsi voilà vingt-cinq jours de marche, et en supposant même qu’il y en ait trente-cinq pour les caravanes, on conviendra qu’une armée russe pourra facilement franchir cette distance dans une campagne, en sorte qu’elle ait tout le temps de s’établir à Khiva, Bokhara, Samarcande, etc.

» Au commencement de l’année suivante, dix ou quinze mille russes, avec vingt ou trente mille hommes de troupes nouvellement organisées, se trouveront assemblés entre Balkh et l’ancien Anderab au pied des montagnes ; des colonnes plus petites seront dirigées vers les passages qui conduisent à Cachemire[11]. D’Anderab à Caboul, pour traverser les défilés de l’Hindou-Koutch, il y a une centaine de milles, et de Caboul à Attock, environ deux cent trente[12]. Il serait bien étrange qu’ils ne pussent franchir cet espace dans une seconde campagne, si, comme on n’a que trop sujet de le craindre, ils étaient appuyés de plusieurs chefs afghans mécontens, dont quelques-uns même les pressent peut-être en ce moment d’entreprendre cette invasion[13]. »

Nous venons de laisser l’armée russe à Attock. L’Hindou-Koutch est franchi ; la voilà campée comme Alexandre sur les bords de l’Indus. De là, cependant, aux possessions britanniques il existe encore une grande distance[14]. Il faudra passer de larges fleuves, le Yuylum, le Chanab, le Raveï, et quand on aura atteint les rives du Setledj (Hydaspe), on aura devant soi les brûlantes solitudes des Seïks et des Radjepoutes. C’est là que le conquérant grec fut obligé de s’arrêter. Mais notre but n’est pas d’examiner ici les obstacles que l’expédition russe aura à vaincre ; nous avons voulu seulement constater l’existence d’un projet d’invasion de l’Inde anglaise de la part du cabinet de Saint-Pétersbourg. Nous en discuterons peut-être plus tard la praticabilité[15].

Avant tout, il faut posséder la Tartarie indépendante ; il faut au moins s’assurer des dispositions des Tartares. La Russie s’en occupe depuis long-temps ; elle étend constamment sa domination de ce côté. Aussi, elle encourage, autant que possible, le commerce d’échange entre ses sujets et les hordes nomades[16]. Elle a appelé une partie des Kirghis dans les steppes du Volga ; elle a donné refuge aux Turcomans poursuivis par les Kalmouks. Le reste de ces deux hordes, jusqu’aux rivages de l’Aral, reconnaît sa suzeraineté. Leurs khans lui jurent obéissance et s’honorent d’être à sa solde[17]. On leur prodigue des présens, des distinctions militaires, des grades élevés dans les armées du czar. On leur envoie des draps fins, des meubles précieux, des livres, et surtout des vins de France et de l’Archipel[18]. À Orembourg, le khan des Kirghis est accueilli, dit-on, comme un souverain. Des salves d’artillerie annoncent son arrivée ; on le salue du drapeau, on lui présente les armes… Ajoutons qu’il n’y peut entrer sans la permission du gouverneur russe.

Voilà des faits d’une haute gravité. Les conséquences en seront sérieuses, mais elles passent inaperçues au milieu des agitations du moment. Cependant, que l’on jette les yeux sur la carte du monde, partout on rencontre le colosse russe. Vous le trouvez sur les limites de la Suède et de la Norwège, sur la route de Constantinople et de Théhéran, dans les montagnes de l’Arménie, dans les steppes de la mer d’Aral ; il commerce avec la Chine et les Tartares, traverse le détroit de Behring, donne la main aux Américains du Nord, convoite la Californie… Sa tête semble atteindre au pôle, ses pieds baignent dans les mers de la Grèce. Rien ne saurait le distraire de ses desseins. Sa marche est lente ou rapide, pacifique ou belliqueuse, suivant les temps et les circonstances. Tandis qu’il se précipite vers l’Europe, on ne s’aperçoit pas qu’il envahit peu à peu l’Asie centrale. Déjà il commande aux Kirghis, il protége les Kalmouks[19], il se fait craindre des Khiviens et des Boukhares ; le Caboul recherche même son amitié et le Caboul touche à… l’Inde[20].

P…

  1. On the practibility of an invasion of India. London, 1829.
  2. Eton. Survey in the event of a war.
  3. Cette principauté, déjà considérable dans le principe, s’est encore agrandie par la réunion du Tach-Kend et du Turkestan. La ville de Kokand est située dans une vaste plaine sur les rives du Sir. Elle ne renferme aucune fortification, si ce n’est le palais du Khan, qui est entouré d’une palissade. Les terres environnantes sont couvertes de prairies et de pâturages. Le coton et la soie forment les deux objets principaux du commerce et de l’industrie nationales.

    Les habitans de Kokand importent en Russie beaucoup de toiles peintes et imprimées. Ils reçoivent des Russes des fourrures et du nankin, qu’ils vendent à Kachgar, où ils les échangent contre de la rhubarbe.

    À Kodjènd, autre ville de cette principauté, on fabrique également une grande quantité de grosses toiles de coton, que les Boukhares achètent pour en faire ces toiles peintes connues sous le nom de bourmetes. On y trouve en outre des tissus de soie, nommés koutni, assez semblables à la ratine, et dont chaque pièce se paie un ducat de Boukharie. La soie est en général la plus importante production du pays. Les Boukhares, et surtout les juifs, en achètent annuellement deux cents charges de chameaux. (Extrait d’un manuscrit.)

  4. Pierre-le-Grand, qui avait tracé la route de son peuple vers Constantinople, avait aussi prévu celle qu’il suivrait pour la conquête de l’Inde. Il voulait avoir une flotte sur la mer d’Aral. Comme les environs de cette mer n’ont point de forêts, on aurait construit les vaisseaux à Orembourg, et on les aurait transportés pièce à pièce à travers les solitudes des Kirghis.
  5. Le Khârezm (pays des Khiviens) est soumis aujourd’hui à un khan belliqueux, qui a réuni sous son pouvoir plusieurs tribus autrefois indépendantes. Les forces militaires de Muhammed Rakim montent à peu près à vingt mille hommes. Son fils, qui peut avoir maintenant vingt-cinq ans, est généralement considéré comme son héritier présomptif. Toutes les fois que son père s’absente de la capitale, c’est lui qui le remplace, avec le frère aîné du khan qui réside ordinairement dans la ville de Khezarès.

    Khiva compte quinze mille habitans. Elle à une forte muraille de terre flanquée de tourelles, et un fossé profond. Elle possède trente mosquées et une école impériale. Les environs sont remplis de villages très peuplés et les champs couverts de froment, de mil, de vignobles, et d’une immense quantité de lentilles, dont les habitans font du beurre qu’ils préfèrent à celui que l’on tire du lait. Les caravanes de Khiva se rendent à Orembourg pour prendre les produits des fabriques européennes en échange des marchandises et denrées qu’elles y apportent, comme blé, coton, soie, robes brodées en fil d’or. Quelquefois aussi elles paient en numéraire, monnaie de Perse ou de l’Inde. On évalue à 300,000 roubles l’exportation annuelle.

    Il paraît certain qu’on a trouvé il y a quelques années, dans l’ancienne ville d’Orkand, plusieurs médailles grecques frappées du temps d’Alexandre-le-Grand.

    (Extrait d’un manuscrit.)
  6. Voy. le colonel Evans
  7. Il y a un autre projet qui tend à se diriger également sur Khiva par les steppes des Kirghis et en longeant la mer d’Aral. Il nous paraît offrir beaucoup plus de difficultés.
  8. La province de Balkh faisait partie de la Perse ; mais elle dépend aujourd’hui du nouveau royaume de Caboul. Habitée par les Uzbeks, elle est principalement renommée pour la soie et les tissus qui sortent de ses fabriques. Balkh, la capitale, l’ancienne Bactres, est située sur les bords du Delkhaska, qui se jette dans l’Amou (le Gihon ou l’Oxus). Les édifices de cette ville sont, pour la plupart, en pierre ou en brique. Le palais du prince est un vaste monument dans le goût oriental, et presqu’entièrement bâti avec du marbre extrait des montagnes voisines. Comme les étrangers y jouissent d’une grande liberté, Balkh est devenue le centre de tout le commerce de l’Inde avec la Boukharie. Le droit sur les marchandises n’excède pas 20 pour %.

    Le grand fleuve qui la traverse contribue à favoriser les communications avec l’intérieur du Caboul et de la Boukharie. On peut se rendre de la Boukharie à Balkh en huit jours par la voie ordinaire, et en douze jours par caravane.

    (Extrait d’un manuscrit.

  9. Attock, ville du Caboul, très-importante par sa position. On croit qu’elle est située sur l’emplacement de l’ancien Taxilas où Alexandre, Tamerlan, et Nadir-Chah passèrent l’Indus.
  10. En naviguant sur le Gihon, au lieu de suivre ses bords.
  11. Anderab, qui dépend aujourd’hui, comme Balkh, du royaume de Caboul, est située au pied des montagnes qui séparent la Perse des Indes et de la Grande-Boukharie. Comme c’est à peu près le seul chemin fréquenté pour les bêtes de somme qui arrivent de l’Inde dans la Boukharie, tous les voyageurs qui s’y rendent avec des marchandises sont tenus de payer 4 p. % pour leur passage. On trouve dans les montagnes limitrophes des blocs assez riches de lapis-lazuli, dont les Boukhares font un grand commerce.

    La province de Cachemire touche aux possessions les plus septentrionales de la puissance Britannique. Cette immense vallée, célèbre depuis long-temps par la beauté de son climat et les richesses de son industrie, dépendait, il y a quelques années, du royaume de Caboul ; mais en 1809, Mohammed-Khan, qui en était gouverneur, s’est déclare indépendant. Plusieurs étroits défilés conduisent de Cachemire dans l’Indoustan, la Grande-Boukharie et le Turkestan chinois.

    (Extrait d’un manuscrit.)

  12. Caboul est une ville assez forte, au pied d’un rameau de l’Hindou-Koutch avec des murs en briques flanqués de tours aux angles, et une citadelle. On y rencontre des marchands de toutes les parties de l’Orient ; il s’y fait surtout un grand trafic de chevaux tartares.

    Le puissant royaume auquel cette ville a donné son nom n’a pas un siècle d’existence. C’est une extension de l’Afghanistan, ancienne province de la Perse, dont les tribus belliqueuses secouèrent plusieurs fois le joug. Vaincues par Nadir-Chah, elles se révoltèrent de nouveau en 1747. Ahmed-Khan, leur chef, s’empara successivement de Candahar, où il se fit couronner roi, de Ghisni et de Caboul, dévasta une partie de l’Indoustan, battit complétement les Mahrattes, et fonda le royaume de Caboul tel qu’il est aujourd’hui, à peu de chose près.

    L’empire des Afghans, situé entre la Perse et l’Indoustan proprement dit, peut être regardé comme l’un des plus importans de l’Asie méridionale ; il a 270 lieues de longueur sur une largeur à peu près égale, et on lui donne 12 à 14 millions d’habitans.

  13. Une ambassade des Afghans du Caboul est arrivée, il y a quelque temps, à Saint-Pétersbourg.
  14. D’Attock à Dehli, capitale de la première province anglaise de ce côté, à l’est, il y a en droite ligne au moins 160 lieues ; d’Attock à Benarès 250 ; d’Attock à Calcutta 500.
  15. Ce projet ressemble beaucoup à celui qui fut exécuté par Tamerlan. Ce conquérant descendit de la Grande-Boukharie, et pénétra dans l’Inde par trois colonnes. 30,000 hommes de cavalerie, placés dans l’Afghanistan, furent dirigés sur Moultan ; le centre, composé également de 32,000 hommes de cavalerie, passa par le chemin de Balkh et de Caboul à Attock ; l’aile gauche, de 30,000 hommes de la même arme, s’avança de Samarcande sur Cachemire.

    Quoique toutes ces routes aient constamment servi au passage des armées et des caravanes depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours, elles ne présentent que des chemins en fort mauvais état, entrecoupés de précipices, et dévastés presque à chaque instant par les pluies, les torrens et les avalanches.

  16. Les Kirghis conduisent tous les ans à Orembourg près de cent mille brebis. La horde moyenne va jusqu’à Tomsk en Sibérie. Pour les engager au commerce d’échange, qui est tout à l’avantage de la Russie, on les a libérés du péage aux douanes, et il leur est permis de prendre, sans payer, toutes les drogues dont ils peuvent avoir besoin pour leurs malades.
  17. La pension s’élevait il y a quelque temps pour le khan des Kirghis de la moyenne horde à 600 roubles par année. Il recevait la charge de vingt chameaux en différentes provisions de bouche. Chaque grand de la horde touchait 300 roubles, et le moindre des chefs, 29 roubles.
  18. Deux missionnaires, MM. Zwick et Schil, ont tracé le portrait suivant d’un chef tartare :

    « Sereddschub, qui est colonel au service de la Russie et décoré de plusieurs ordres, est doué d’une intelligence très-remarquable et même de talens variés. Il s’occupe avec beaucoup de zèle de la civilisation de ses Tartares. Il a introduit parmi eux plusieurs usages d’Europe. Lors de la campagne contre Bonaparte, il a pris une part active à la guerre, et commandait un régiment de Kalmouks. Depuis son retour, il a fait construire pour lui un vaste palais de bois. Il n’habite plus sous une tente, si ce n’est à l’époque la plus chaude de l’année pendant laquelle il campe durant quelques semaines, au milieu des steppes. Sa maison renfermait une collection d’armes précieuses, d’instruments de musique, et une petite bibliothèque de livres russes, pour la plupart historiques, tels que les Annales de Karamzin, les voyages de Karpini, d’Abul-Gasi et autres ouvrages sur les Kalmouks et leurs domaines. Il fit aux voyageurs le plus gracieux accueil ; sa table était servie selon l’étiquette russe, et durant le repas, où il fit boire à ses hôtes des vins de France de Grèce, douze musiciens kalmouks, dirigés par un maître d’orchestre russe, exécutaient avec beaucoup de justesse des symphonies, des airs allemands et des marches, etc… »

  19. Un collége pour les Kalmouks vient d’être crée à Saint-Petersbourg.
  20. On nous communique la note suivante, extraite d’un journal de Berlin. Publiée dans un pays aussi étroitement uni avec la cour de Saint-Pétersbourg, elle confirme toutes nos prévisions :

    « … La bonne intelligence entre la Russie et la Chine est tellement cimentée, que la première s’est emparé, il y a quelques années, dans le centre de l’Asie, d’une étendue de pays aussi considérable que la France et la Hollande réunies. Ce sont les contrées des Kirghi-Kaissakes et autres peuples nomades que des négociations dirigées avec habileté ont soumises au pouvoir de la Russie. Une partie des Kirghis qui se trouvent maintenant sous sa domination étaient auparavant sous la dépendance de la Chine. Il est vrai qu’il est assez probable que la cour de Pékin, tenant peu à conserver des sujets aussi turbulens et incommodes, les a vus sans regret passer sous l’empire de la Russie, qui saura mieux les maintenir dans l’obéissance. Lorsque cette puissance aura établi dans ce pays, qui n’est pas partout couvert de steppes arides, une ligne de places fortes, elle y enverra des colonies militaires, on pourra exploiter les mines de fer dont ce terrain abonde, la cavalerie sera facilement remontée avec les excellens chevaux de cette partie de l’Asie, pour l’achat desquels la Compagnie anglaise des Indes avait même envoyé M. Mourcroft en Boukharie. Bientôt on établira partout des grandes routes, et Kokand, Samarcande, Bokhara, ne tarderont pas à subir le joug russe. La nouvelle frontière de la Russie de ce côté, n’est plus éloignée que de deux cent quatre-vingts lieues des possessions anglaises aux Grandes-Indes ! »

    « Voilà des aveux importans. Nous croyons seulement qu’il s’est glissé une assez grande inexactitude dans le calcul de la distance qui sépare la frontière russe des possessions britanniques. L’empire russe ne dépasse pas encore la mer d’Aral. De cet endroit au point le plus rapproché de l’Inde anglaise, on doit compter au moins cinq cents lieues. Cette observation servira à rectifier l’erreur beaucoup plus forte de quelques journaux anglais et français qui assurent que la frontière russe n’est éloignée que de vingt-huit lieues des limites de l’Inde anglaise.