Promenade autour de la Grande Bretagne/Mer de l’Ouest. Dumbarton

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MER DE L’OUEST


TRaversant lestement un pays tantôt bon tantôt mauvais, je m’acheminai vers York, mais n’y arrivai pas sans malencontre, que l’on pourrait a peine deviner sur le continent, un peu fatigué des trente milles que j’avais fait depuis mon déjeuner, je trouvai enfin une auberge d’assez bonne mine, mais seule sur la route ; je demandai un lit. L’hote me répondit en ricanant, You have no horse. aussi lui dis-je ce n’est pas pour mon cheval que je le demande, c’est pour moi. A cela il ne repondit rien. Voyant son motif je lui presentai de l’argent, et lui dis de prendre d’avance le prix de son souper et de se couchée ; il m’a refusé, en disant qu’il n’était pas accoutumé a recevoir des gens sans chevaux ni carosse. N’y ayant point d’autre auberge qu’a une grande distance, et d’ailleurs étant dix heures du soir, et trop fatigué pour aller plus loin, je fus obligé de coucher sur la paille chez un miserable paysan, qui fit ce qu’il put pour m’accommoder, mais qui n’avait que du pain et du lait a me donner. Cet honnête aubergiste est juste douze milles au sud d’York sur la route de Hull. Je donne ce petit avertissement dans le cas que quelques voyageurs a pied lisent mon livre, afin qu’ils prennent leurs précautions en consequence.

York est la capitale du comté le plus fertile de l’Angleterre ; situé dans le centre de la culture la plus recherchée et de la terre la plus productive. Elle devrait être fort riche, mais depuis que le commerce est devenu si considerable et si général, les profits du fermier ne sont plus capables d’enrichir un pays, et quoique la riviere qui passe dans la ville soit navigable depuis la mer pour les barques, York languit, et il s’en faut de beaucoup qu’il soit ce qu’il a été. Les murailles ont une grande étendue, mais elles renferment un petit nombre d’habitans, et peu d’apparence de grandes fortunes ; il y a pourtant peu d’année, une cinquantaine a peu près, qu’York passait pour la seconde ville d’Angleterre.

L’ancienne cathédrale est un immense bâtiment Gothique, j’ose dire le plus complet de la Grande Bretagne. Le chateau a deux beaux édifices, l’un vis-a-vis de l’autre. C’est la que l’on retient les prisonniers pour dette ; on leur donne la liberté de travailler et de se promener dans la cour ; douceur dont ils ne jouissent gueres partout ailleurs. J’achetai quelques petites choses dans leurs différentes boutiques, ils parurent m’en avoir grande obligation. Combien il est cruel de retenir ainsi oisif un pere de famille, qui a peutétre été obligé par des circonstances malheureuses a faire des déttes, et dont le travail seul faisait vivre ses enfans, que sa détention réduit a la plus profonde misere, sans satisfaire son créancier. Je fus fort bien reçu par le marchand a qui j’étais recommandé. Il m’invita a diner a une heure, suivant l’usage du Yorkshire ; et comme je m’abstenais de boire aussi souvent que les autres, j’entendis un des convives dire tout bas a son voisin, qu’il croyait, que j’étais le Général Dumourier, et que je ne buvais pas, crainte de me trahir. La dessus ils me firent quelques questions, auxquelles je repondis exprès maladroitment, de sorte que ces bonnes gens demeurerent persuadés de leur opinion, ce qui me divertit dautant plus, que je partais le lendemain de grand matin. Etant retourné a l’auberge, je demandai a souper, que l’on me servit sur la même table qu’un gros chanoine, dont l’énorme équarrure quadrait passablement avec la face bourgeonée. Ce bon personnage connaissant bientot a mon accent que j’etais étranger, me de manda pour première question, How do you find tbis country ? Je repondis poliment, que je le trouvais fort bon. I belive so, dit il emphaticallement, it is tbe best in the world : Ce que je me gardai bien de contredire.

Sur la route de Durham je rencontrai un grand nombre d’ânes, retournans a vide, et conduits par deux jeunes garçons ; comme poür me rendre a Darlington, il y avait une riviere a passer, le pont éloigné et l’eaü trop basse pour les bateaux, dont on ne fait usage qu’a la marée haute, je leur demandai l’agrément de paner le gué sur une de leurs bêtes ; ils y consentirent volontiers, et ensuite je continuai quelques temps d’aller de cette maniere, causant beaucoup avec eux, et sur leur maniere de vivre et sur leur commerce. Ils me dirent, que l’été comme l’hiver, ils portaient du charbon, de la mine a quarantes milles au dela, au premier port sur la riviere ; que leurs anes vivaient sur le chemin, du peu d’herbe qu’ils pouvaient attraper ; qu’ils gagnaient a peupres un shilling par jour a ce metier, dormans la nuit dans un de leurs sacs sur la terre, et vivans de pain et de fromage. Quelques réflexions sur le sort de ces miserables servit a adoucir un peu l’amèrtume de celles que je faisais sur le mien, et j’en cheminai plus gaiment.

Durham est par sa bizarre situation une charmante petite ville, située sur un roc escarpé, presqu’entierement entouré par la riviere, qui en baigne le pied. L’énorme Gothique Cathédrale est, je crois, plus grande que celle d’York, et même que Westminster. L’évêque de cette ville prend le titre de Prince Palatin, et les chanoines sont composés de gens de très bonne famille. On m’assuré aussi qu’ils étaient très honorables, et que l’évêque tenait table ouverte, ou tous les étrangeres étaient reçus cordialement. Mais je n’eus pas le temps de le savoir par experience, car, après avoir monté sur la terrasse de l’évêché qui est dans la partie la plus haute de la ville, et d’ou l’on a une vue vraiment étonnante, je fus coucher le soir a Sunderland, qui ainsi que Shiels est un très grand port pour le charbon, mais aussi il lui ressemble par la saleté des rues et la laideur des batimens. Sans craindre de leur faire tort, je puis les déclarer les deux plus vilaines places de toute l’Angleterre ; la derniere surtout, ou les habitants ont de plus, le désagrement de manquer d’eau a boire. Il est curieux de voir les femmes et les enfants venir au matin chercher de l’eau avec leur cruche, qu’ils sont un quart d’heur a remplir, avec des cuillers de bois qu’ils enfoncent dans le fable sur la colline au dessus de la ville, dans des endroits ou l’on apperçoit un petit suintement, d’une eau, il est vrai excellente.

Tinmouth est a un quart de mille de Shiels, de l’autre coté de la riviere que l’on traverse dans une barque ; ou y voit les restes d’un chateau bati par les Romains, au bout de la muraille du sud, élevée par Severe contre les barbares du nord de l’isle.

Le chateau éxiste, et a même un gouverneur avec un fanal pour les vaisseaux, et quelques batteries de canon ; je ne prétends pas assurer que ce soit le même, ce qu’il y a de sur, c’est qu’il est tres vieux, on voit au milieu, les ruines d’une ancienne église, dont le cimetiere sert encore aux habitans de la petite ville.

La ville basse de Newcastle, ne vaut gueres mieux que Shiels, qui en est le véritable port, mais la ville haute est bien bâtie ; il n’y a guéres que ce quartier ou l’étranger puisse se plaire, mais les gens de ce pays sont si accoutumés a la fumée du charbon que s’élèvent de leurs attelliers, ou de leurs manufactures, qui je ne crois pas qu’ils dussent se trouver mal a l’aise dans l’attellier de Vulcain. On remarque encore a quelques distance de la ville quelques vieux restes de l’ancienne muraille de Severe ; je ne les ai point vu, mais il semblerait par le rapport qu’on m’en a fait, que cette muraille était une masse solide de maçonnerie, et non pas comme quelques uns le prétendent un ouvrage en terre revêtu de pierre séche. Au surplus, cela est allez indifférent a présent, mais on aime, et je ne sais pour quoi, a s’occuper même des sottises et des folies des anciens. Je crois que l’on peut justement donner ce nom a cette grande muraille ; car quelle folie ne serait ce pas, et de quel œil regarderait-on l’Espagne par exemple, si pour se defendre des attaques de la France, elle faisait une muraille de l’ocean a la Méditerranée ; avec quelle facilité n’y forcerait on pas un passage, et une fois ouvert tout serait perdu. Aussi on a beau nous répéter mille fois, que les Romains, ces maitres en l’art de la guerre, avaient fabriqués deux telles murailles dans la Grande Bretagne, je n’en crois rien. Il est naturel de penser qu’ils avaient établi une ligne de postes fortifiés, a quelques distances les uns des autres, mais non une muraille. Cependant ce fait semble tellement attesté qu’il y a peu moyen d’en douter.

Les chemins sont les seules promenades autour de la ville, mais il y regne une telle activité, de chariots allans et venans, des mines de charbon qui sont innombrables, qu’il serait difficille d’en avoir une plus agréable pour le premier moment, de l’arrivée dans le pays.

J’aurai de la peine a oublier qu’avant de pouvoir trouver un logement, je me presentai a plus de vingt auberges, et que de la meme maniéré que si j’eusse demandé a etre reçu par charité, on m’econduisait avec une dureté inconcevable. Ah ! pauvre étranger, si tu viens jamais en Angleterre, rappélles-toi que les voyageurs a pied n’y sont pas en odeur de sainteté ! Quand a moi, comme mon déssein principal était de me fatiguer, quoique dans ce tems, je souffris assez impatiement les impertinences, peutêtre en changeant l’objet de mon chagrin, ont elles produit autant d’éffet sur moi que la fatigue même que j’ai enduré ; quoiqu’il en soit, je fus bien dédomagé de ce petit désagrément par l’accueil honnête que me fit Mr William Row, a qui j’étais recommandé, C’est un personnage possédant sept a huit vaisseaux en mer, plusieurs en construction pour vendre, vingt mines et plus de charbon, outre manufactures d’esprit de charbon, de bierre, et de corde. Les mines ont plus de deux cents toises de profondeur ; a chaque puit il y a une pompe a feu qui sert a tirer l’eau et le charbon. La personne avec qui j’étais, m’offrit de me faire descendre au fond d’une mine, au retour du panier qui apporte le charbon ; mais comme j’en avais deja vu un grand nombre, j’ai trouvé que douze cents pieds en ligne directe étaient bien des affairs.

Je ne sais pourquoi le clairet parait meilleur en Angleterre qu’en France, quoiqu’il semble un peu froid, après les vins d’Espagne et de Portugal, dont on fait d’assez copieuses libations.

Apres avoir fait cette belle réflexion je laissai la ville de Newcastle, et traversant un assez bon pays, j’arrivai le lendemain a Alnwick. Quoiqu’un peu fatigué, je ne pus m’empêcher de rendre une visite au chateau du Duc de Northumberland. C’est une immense et Gothique structure, qui a du être de défense avant le canon. Des soldats de pierre sont au sommet de la muraille, lançans des flèches, donnans des coups de lances, et jettans des caillous et de l’huile bouillante aux assaillants. Comme j’étais en paix, je m’approchai tranquillement, et fis tout le tour sans accident ; mais par malheur ma curiosité me poussa vers un grande porte ouverte, ou je passai sans la moindre difficulté, mais en retournant, deux énormes sentinelles fondirent tout à coup vers moi en aboyant. Heureusement que j’étais juste au milieu, et que leurs chaînes laissait entre eux, environ un pied et demi que j’occupais ; la position était délicate, je n’osais faire un mouvement, de crainte que la dent de l’ennemi ne m’atteignit. Un vaisseau Russe entre les Dardanelles ne serait pas plus embarrassé que je l’étais. Pourtant enfin prenant mon parti, et pensant qu’il vallait mieux en combattre un, que de passer devant les deux, qui pouvaient chacun attraper une pièce, — je courus courageusement, mon bâton a la main, sur celui qui me semblait le moins enragé. — Ma countenance et mon géste lui firent peur, il lacha le pied un instant, et j’en profitai pour m’échapper.

Avant de prendre mon logement je me promenai encore quelques temps dans les bosquets charmans qui entoure la petite ville, lorsque tout à coup au milieu d’une allée ma vue fut frappée d’une inscription, qui m’apprit qu’un roi d’Ecosse a la tête d’une armée considerable assiégeant le chateau fut fait prisonnier dans cette place par un faible partie de la garnison. A dire le vrai, je fus quelques temps embarrassé avant de savoir bien au juste ce que je devais dire a cela ; en rire, ou en pleurer ; enfin pourtant je ne fis ni l’un ni l’autre. N’est il pas surprenant comme les plus grands événemens deviennent indifférens après quelques années ! Ah pourquoi les hommes n’ont ils pas les mêmes yeux que la postérité, combien ce qui les plonge dans le déséspoir et les rend miserables, leur paraitrait petit et méprisable.

Je n’eus pas été deux minutes a l’auberge, que l’hote m’eut appris, que le lendemain il devait y avoir, entre autres réjouissances un combat de coqs, et une course de chevaux. Sur quoi, — Je sejourne ici demain, lui dis-je ; et comme mon train ne lui parraissait pas considerable, il parut un instant aussi embarassé que moi au sujet du roy d’Ecosse, puis — il ne dit rien.

Ah ! que de bon cœur je souhaiterais être assez fort pour obliger les spéctateurs de ce plaisir barbare a combattre les uns contre les autres, avec un éperon aussi long que celui des coqs a leur talons, qui leur ensanglanta les jambes durant la bataille. Rien ne peut sauver la vie des pauvres combattans, car les spectateurs ayant mis quelques fois d’assez fortes sommes sur leur tête, tant qu’ils peuvent réster sur leurs pieds, il faut qu’ils se battent. Haletans de fatigue et de rage ce n’est souvent qu’après une demie heure que l’un d’eux est enfin percé par l’éperon fatal de son adversaire, dont la fatigue et l’agonie sont si grandes, qu’il meurt lui-même après la bataile. Sur douze coqs un seul survit communément.

L’après diner, suivant le cours pittorésque d’un ruisseau, qui coule au pied du chateau, après de longs détours, je me trouvai parvenu au sommet d’une montagne, ou l’on a placé une colonne élevée, dont je ne pus connaître dequel événement elle était destinée a perpétuer le souvenir. De la je découvris la foule qui était déjà rendue pour voir la course des chevaux ; et quoique ce fut a trois milles je m’y rendis précipitament. Les chevaux, les voitures faisaient une confusion inexprimable, chacun paraissait préparé a avoir bien du plaisir ; lorsque les trois casse-cous parurent, les transports de joie éclatèrent ; et quant au troisieme tour, ils presserent les flancs de leurs montures, et en augmenterent la vitésse, les cris, les transports de la multitude furent inouïs ; et voila les gens qu’on dit si phlégmatiques, — puis croyez la renommée.

Je ne sais qui s’avisa de donner aux gens de ce pays ce caractere severe, pour lequel ils sont si fameux chez les étrangers. Au contraire ils aiment la joie et la plaisir tout autant qu’aucun autre peuple, l’éxprimentde la même maniere, et n’ont chez eux que des nuances très légère de différence entre les autres habitans de l’Europe ; il est aussi mal de juger d’une nation par les fous qui s’en échappent, que par les bons livres qui en viennent ; les uns ou les autres ne forment point une masse générale, et ne peuvent que donner un apperçu qu’il est très imprudent de généraliser.

Apres une sévere journée de trente milles j’arrivai fort tard et bien fatigué a Berwick. Cependant en traversant le long pont qui joint l’Ecosse a l’Angleterre, l’idée de voir un nouveau pays, de nouvelles mœurs, une autre religion, et d’autre maniérés me le fit presque oublier, et je passai la porte qui est au milieu avec un certain plaisir. Ayant rencontré une homme assez bien mis, je le priai comme il était tard, de me conduire a une auberge, ce qu’il fit volontiers. Le lendemain, quoique j’eus envoyé mon paquet de Newcastle a Edinboung, me trouvant très fatigué, je me déterminai a rester, et a presenter ma lettre, qui fut fort bien reçue.

Apres m’etre informé de la constitution et du gouvernment de la ville, qui n’est ni Angleterre ni Écosse, mais gouvernée par ces magistrats et par l’officier commandant, et gardée par sa milice. Je fis le tour des ramparts, qui quoique faibles, sont en état de resister a une insurrection, et meme a une attaque reglée si l’on achevait de détruire les anciennes murailles qui sont au dehors. Les sentinelles ont ordre d’eloigner les étrangers du sommet du parapet, dont j’imagine que la véritable raison, est la même que dans beaucoup de villes de guerre en France, afin de ne pas gater l’herbe du commandant.

Dans un endroit écarté, je vis tout à coup arriver une foule de jeunes gens, d’ecoliers a ce que je présume ; ils s’empressaient autour de deux d’entre eux, et j’apperçus qu’on les deshabilla, et qu’on leur ota jusqu’a leur chemise, la bande se dispersant en deux parts forma une éspéce de cercle, au milieu du quel on lança les deux champions, qui commencèrent a se gourmer ; ils étaient encouragés par leurs partisans a se bien battre, et relevés lorsqu’ils tombaient sous les coups qu’ils se portaient. La mere d’un des combattans vint toute échévelée réclamer son fils, Elle se jetta dans la mêlée, et voulait l’amener malgré lui ; les camarades s’y opposerent ; je trouvai ce la si rude pour la pauvre mere, que j’entrepris de l’aider a le recouvrer, mais on me fit entendre assez clairment, que si je ne me retirais les combattans et les spectateurs m’allaient tomber dessus ; voyant la mere se mettre a l’écart, je crus plus prudent d’en faire autant, les pauvres enfants recommencèrent la bataille, et ne la finirent qu’après s’être pochés les yeux et le nez d’une maniere cruelle, enfin pourtant l’un d’eux s’avoua vaincu, prit sa chemise, s’habilla, et ensuite au milieu de l’assistance, les deux champions ensanglantes s’embrasserent, et vuiderent le champ de bataille.

L’heure du diner venu, je me rendis chez Mr Cluny, ou je trouvai un convive, qui après avoir longtemps causé avec moi, et parlai très pur Français, eut la bonté de m’inviter pour le lendemain. Ce n’était pas mon intention de rester plus d’un jour a Berwick ; mais comme un bon diner n’est jamais une chose a dedaigner, particulièrement dans la position ou j’étais alors, et que, grâces a Dieu, nous sommes tout aussi bien dans un endroit que dans l’autre, pour ajouter un jour de plus, au nombre de ceux que le ciel déstine a nos malheurs, j’acceptai avec plaisir son honnête proposition. Le lendemain avant mon départ, il m’envoya une paire de gants, avec un billet fort honnête, ou il m’engageait a les accepter, en ajoutant qu’il avait cru remarquer que j’en avais besoin : effectivement il avait paru plusieurs fois la veille, regarder attentivement mes mains, qui étaient, il est vrai, un peu brulés du soleil, a quoi je n’avais gueres pensé, mais les gens de ce pays ne peuvent pas souffrir, qu’un homme aille sans gants*

Les Anglais a tout prendre sont d’assez bonnes gens, très industrieux, et leur negocians entendent mieux le commerce peutêtre que ceux d’aucune nation, quoique a dire vrai, leur ésprit général soit bien loin de la modération ; jamais le commerçant n’a dit en Angleterre, C’est assez — jouissons.

La fureur des extremes leur a fait bien du mal, et pourtant ils n’en sont point corrigés. La nation est divisée en deux parties depuis un temps infini, tour a tour ils sont vainqueurs et vaincus, et quand quelque grand revers vient accabler le parti dominant, alors tort ou raison, le peuple est pour son adversaire, qui étalle sa joie en ridiculisant l’autre, chez les marchands d’image, ou quand il est allez fort, en l’ecrasant, ce qui est arrivés si souvent que cela n’a pas besoin de preuve ; cependant les consequences le plus communes de leurs grands mouvemens, se bornent a changer le ministere, qui alors ne manque pas de se jetter dans l’opposition, jusqu’a ce qu’il puisse se faire rétablir ; on prétend que la sureté publique dépend de ce change pèrpétuelle ; et que s’il n’y avait pas dans le parlement un parti entièrement resolu a resister a toutes les demarches de l’autre, la liberté nationalle serait en danger.

Ils sont aisément enclins a penser que tout ce qui n’est pas dans leur religion, dans leur maniéré de gouvernement, ou dans leurs usages, est superstitieux, esclave, ou frivole. Il semblerait a les entendre, que la terre n’est productive que pour eux, et qu’a peine les autres peuples peuvent gagner une frêle subsistance ; a tout moment l’étranger est surpris par des questions ironiques sur la maniere miserable dont ils vivent chez eux ; ils se moquent particulièrement des Français, a qui ils reprochent leur maigreur, leur petitesse, et leur ragoûts. A tout cela il serait aisé de leur faire voir qu’ils ont tort, quant a la petitesse, par exemple : la taille commune en France est de cinq pieds deux pouces mesure Française, dont le pied a sept lignes de plus que l’Anglais, et ainsi revient a cinq pieds cinq pouces, et quelques lignes mesure Anglaise, qui est juste la taille commune de l’Angleterre. Quant au ragoûts, on peut dire a cela, que chacun a son gout, et que si les mets Français ne s’accomodent pas a leur palais, les leurs ne plaisent gueres davantage a un étranger. Si un Anglais, voyageant de bonne fois, en France examinait avec attention le peuple des provinces, et qu’il les compara, avec le sien, il trouverait peutêtre un peu plus d’activité dans la Grande Bretagne, pour les affaires du commerce ; mais au fond, il ferait surpris de voir quel rapport ont les habitans dans les endroits recullés, loin du bord des rivières, des grandes villes et des côtes.

Young, dans son voyage de France, cite deux ou trois petits traits d’ignorance de gens assez stupides, qui l'accablant d’impertinentes quéstions, lui demandaient constament, de quel pays il était, s’il y avait des rivieres et du bois en Angleterre ? et ayant reponda au premier, qu’il était Chinois, il lui demanda, si ce pays était bien éloigné. Dans celui-ci on ne se donne pas la peine de s’informer de quel pays vous êtes, tous les étrangers sont Français ; et il y a bien des gens dans l’interieur, qui ont de la peine a s’imaginer qu’il y ait une autre nation dans le monde. Je tiens d’un Italien, a qui un manufacturier ayant demandé de quel pays il était, et ayant répodu, qu’il était de Gênes en Italie ; — Italie, dit l’autre, une province de France ! Ainsi l’on trouve dans tous les pays les mêmes sottises. On m’a souvent fait aussi des questions des plus ridicules ; comme, S’il y avait des chevres, des vaches, des chous, des groseilles, ou tout autre chose en France ! Que conclure de cela ; c’est que les gens qui faisaient ces questions, ne s’en souciaient gueres, et s’informaient de ces choses la avec la derniere indifference, aussi je ne me permettrai pas de conclure cet article comme Young[1], en attribuant cette ignorance au gouvernement.

Je croirais manquer a la justice, il je ne disais, que la classe des gens instruits est très considérable, et que générallement on y trouve une façon de penser des plus liberalle, et beaucoup de politesse, Quant a l’infatuation des classes inférieures sur leur prétendue bonne chere, sur leur taille, et sur leur force ; la politique a fait naître ces idées, et les entretient, et dans le fait si elles leur font aimer davantage leur pays, etre plus contents de leur sorts, et mepriser dans l’occasion le nombre de leurs ennemis, qui oserait se permettre de dire, que c’est a tort qu’on les berce de ces chimeres.

Le Roy est le chef de la religion ; c’est par lui seul, et au conseil qu’il lui plait de nommer, que toutes les affaires religeuses sont décidées.

Toutes les sectes Chrétiennes sont tolerées en Angleterre ; cependant il faut prendre le test, ou recevoir la communion a la façon de l’eglise Anglicane pour pouvoir parvenir aux charges. Les églises sont communément fort bien tenues, et le service est presque une traduction littérale de la liturgie Romaine.

La langue Anglaise est un composé de l’Allemand et du Français, joints a quelques mots tirés de l’ancien Breton. Quand aux mots qui paraissent venir du Latin et même du Grec, ils me semblent n’y avoir été introduit, que par le Français. Quoique la prononciation soit un peu différente, il est surprenant de voir le nombre d’expressions qui ont rapport aux deux premières langues.

Les Anglais ont une recherche et une délicatesse de mots, inconnus au reste de l’Europe, et qui dabord semble bien éxtraordinaire a un étranger, car en outre de ceux qui éxpriment une chose déshonnête, et que l’on a banni de la conversation avec les dames, dans toutes les langues ; ils en ont un grand nombre d’autres qui expriment des choses fort simples, et qui cepéndent feraient rougir les femmes, les moins modestes, si on les prononçait devant elles, et auxquelles la plus prude du continent ne trouverait rien a redire. Un étranger com met bien des méprises a ce sujet, et excite souvent les souris des dames a qui il parle[2]. Ils ont aussi une maniere de parler d’un homme riche qui leur est particulière ; presque tous les gens du commun disent, He is a great man, et tout le monde pour s’informer de la fortune de quelqu’un, demande How mucb is he worth ? a quoi l’autre répond le montant de sa fortune, ce qui semblerait donner a entendre qu’ils n’estiment la valeur d’un homme que par ses biens.

J’espere qu’on me pardonnera cette petite digression, c’est en quelque façon le quadre de tableau, quoiqu’il s’en faille de beaucoup que je pretende avoir parfaitement bien montré le caractere Anglais ; mais au moins j’ai dit ce que j’ai vu, et les réfléxions que m’ont fait naître les différents accidens que j’ai rencontré, sans prétendre vouloir dire que je ne me sois pas trompé, ni qu’un autre ne puisse voir differement et peutêtre mieux ; j’ai taché d’eloigner les préjugés, et de voir tout, de sang froid pour ma propre instruction, et pour occuper le cruel loisir de mon exil.

  1. Young dit, après avoir rapporté les questions qu’on lui faisait, page 37. “This incredible ignorance, when compared with the knowledge universally disseminated in England, is to be attributed, like every thing, to government.
  2. Pour illustrer ce que je viens de dire, voici une petite histoire, que j’éspere le lecteur éxcusera en Français, mais qu’on n’oserait se permettre de traduire mot a mot en Anglais.
    Un fameux chasseur, s’étant égaré dans les Alpes avec Mirza, une favorite chienne de chasse, a la poursuite d’un daim, de la peau du quel, il éspérait avoir une paire de culottes neuves ; suivant la coutume des gens de ce pays, qui communément après avoir attrapé la bête qu’ils chassent, au grand peril de leurs membres, qu’ils leur arrivent souvent de briser, en sautant de rochers en rochers a sa poursuite, la dépècent, en enlevent la peau, et laissent le corps dans les montagnes, leur étant absolument impossible de l’emporter avec eux. Apres bien des sueurs et des fatigues inutilles, il vint un orage terrible, qui lui ota toute esperance de joindre sa proie.
    N’en pouvant plus, et desirant se reposer, et se mettre a l’abri, il se rappella avoir vu dans son enfance une caverne a quelque distance, il s’y rendit ; l’entrée en étant très basse, il fut obligé de s’y glisser sur le ventre ; et y étant parvenu quoique avec beaucoup de peine, il fit un repas copieux des provisions qu’il avait apporté avec lui. Le tems étant redevenu serein, et ayant recruté ses forces, il voulut sortir ; mais helas ! il n’était plus possible. Cependant Il éssaya et redoubla ses efforts ; la tête passait bien ; main quand ce venait au derrière, le bon diner qu’il avait fait était un obstacle invincible. Il eut beau se donner a tous les diables, se damner, jurer, tempester, force lui fut de prendre patience et de rentrer dans son trou, d’ou il ne put sortir qu’apres avoir fait une entière digestion.