Promenade dans la Grande Bretagne - 2e/Mer de l’ouest, Dumbarton

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MER DE L’OUEST.


Traversant lestement un pays tantôt bon, tantôt mauvais, je m’acheminai vers York, mais n’y arrivai pas sans malencontre, que l’on pourrait à peine deviner sur le continent. Un peu fatigué des trente milles que j’avais faits depuis mon déjeûné, je trouvai enfin une auberge d’assez bonne mine, mais seule dans cet endroit ; je demandai un lit. L’hôte me répondit en ricanant, You have no horse[1]. Aussi lui dis-je ce n’est pas pour mon cheval que je le demande, c’est pour moi. À cela il ne répondit rien. Croyant voir le motif de son silence, je lui présentai de l’argent, et lui dis de prendre d’avance le prix du souper et de la couchée ; il me refusa, en disant qu’il n’était pas accoutumé à recevoir des gens, sans chevaux ni carrosse. Comme il n’y avait point d’autre auberge qu’à une grande distance, qu’il était fort tard, et que j’étais trop fatigué pour aller plus loin, je fus obligé de coucher sur la paille chez un misérable paysan, qui fit ce qu’il put pour m’accommoder, mais qui n’avait que du pain et du lait à me donner. Je suis fâché de ne pas me rappeler de l’enseigne de cet honnête aubergiste, mais il demeure à douze milles au sud d’York, sur la route de Hull. Je donne ce petit avertissement, dans le cas que quelques voyageurs à pied lisent mon livre, afin qu’ils prennent leurs précautions en conséquence.

York est la capitale du comté le plus fertile de l’Angleterre, et comme telle, cette ville devrait être fort riche ; mais depuis que le commerce est devenu si considérable et si général, les profits du fermier ne sont plus capables d’enrichir un pays. Quoique la rivière qui passe dans la ville soit navigable depuis la mer pour les barques, York languit, et il s’en faut beaucoup, que cette ville soit ce qu’elle a été. L’enceinte à une grande étendue, mais elle renferme un petit nombre d’habitans, et l’on y voit peu d’apparence de grandes fortunes ; il n’y a pourtant guères que soixante ans, qu’York passait pour la seconde ville de l’Angleterre.

L’ancienne cathédrale est un immense bâtiment gothique, le plus régulier de la Grande Bretagne. Il y a dans la ville une très-jolie chapelle catholique, et j’ai entendu dire qu’on y avait formé parmi les Anglicans un établissement assez semblable à celui de nos couvens pour l’éducation des jeunes personnes.

Le château a deux beaux édifices, l’un vis-à-vis de l’autre. C’est là que l’on retient les prisonniers pour dettes ; on leur donne la liberté de travailler et de se promener dans la cour ; douceur dont ils ne jouissent guères par-tout ailleurs. J’achetai quelques petites choses dans leurs différentes boutiques, ils parurent m’en avoir grande obligation. Combien il est cruel de retenir ainsi oisif un père de famille, qui a peut-être été obligé par des circonstances malheureuses de faire des dettes, et dont le travail seul faisait vivre les enfans, que sa détention réduit à la plus profonde misère, sans satisfaire son créancier.

Je fus fort bien reçu par le marchand à qui j’étais recommandé. Il m’invita à dîner, à une heure, suivant l’usage du Yorkshire ; et comme, je m’abstenais de boire aussi souvent que les autres, j’entendis un des convives dire tout bas à son voisin, qu’il croyait que j’étais le général Dumourier, et que je ne buvais pas, crainte de me trahir. Dans cette idée, ils me firent quelques questions, auxquelles je répondis exprès mal-adroitement, de sorte que ces bonnes gens demeurèrent persuadées de leur opinion, ce qui me divertit d’autant plus, que je partais le lendemain de grand matin.

Étant retourné à l’auberge, on me servit à souper sur la même table qu’un gros chanoine, dont l’énorme bedaine, cadrait passablement avec la face bourgeonnée. Ce bon personnage connaissant bientôt à mon accent que j’étais étranger, me demanda pour première question, How do you find this country ?[2] Je répondis poliment, que je le trouvais fort bon. I believe so, dit-il avec emphase, it is the best in the world[3]. Ce que je me gardai bien de contredire.

Je rencontrai sur la route de Durham, deux jeunes garçons, qui chassaient devant eux, un troupeau de bêtes qu’à leur petitesse on aurait plutôt pris pour des chiens que pour des ânes. Je demandai aux conducteurs l’agrément de passer le gué d’une petite rivière, sur un de leurs misérables peccatas ; ils y consentirent volontiers, et ensuite je continuai quelque temps d’aller de cette manière, causant avec eux, sur leur manière de vivre et sur leur commerce. Ils me dirent, que l’été comme l’hiver, ils portaient du charbon, de la mine, à quarante milles au-delà, au premier port sur la rivière ; que leurs ânes vivaient sur le chemin, du peu d’herbe qu’ils pouvaient attraper ; qu’ils gagnaient à-peu-près un shilling par jour à ce métier, dormant la nuit dans un sac sur la terre, et vivant de pain et de fromage. Quelques réflexions sur le sort de ces misérables servirent à adoucir un peu l’amertume de celles que je faisais sur le mien, et j’en cheminai plus gaiement.

La ville de Durham est située sur un roc escarpé, presqu’entièrement entouré par la rivière, qui en baigne le pied. L’énorme gothique cathédrale est, je crois, plus grande que celle d’York, et même que celle de Westminster. L’évêque de cette ville prend le titre de prince Palatin, et le chapitre est composé des meilleures familles. On m’a assuré aussi que les chanoines étaient très-honorables, et que l’évêque tenait table ouverte, où tous les étrangers étaient reçus cordialement ; mais je n’eus pas le temps de le savoir par expérience, car je fus coucher le soir à Sunderland, qui ainsi que Shiels, est un très-grand port pour le charbon, et qui lui ressemble par la saleté des rues et la laideur des bâtimens. Sans craindre de leur faire tort, je puis les déclarer les deux plus vilaines places de toute l’Angleterre ; la dernière sur-tout, où les habitans ont de plus, le désagrément de manquer d’eau à boire. Il est curieux de voir les femmes et les enfans venir le matin chercher de l’eau sur la colline au-dessus de la ville ; ils sont un quart d’heure à remplir leurs cruches, avec des cuillers de bois qu’ils enfoncent dans certains endroits du sable, où l’on aperçoit un petit suintement d’une eau, il est vrai, excellente.

Tinmouth est à un quart de mille de Shiels, de l’autre côté de la rivière, on y voit les restes d’un château, bâti par les Romains, au bout de la muraille du sud, élevée par Sévère contre les barbares du nord de l’île.

Le château existe, et a même un gouverneur ; il y a un fanal et quelques batteries de canon ; je ne prétends pas assurer que ce soit le même, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est très-vieux. On voit au milieu, les ruines d’une ancienne église, dont le cimetière sert encore aux habitans de la petite ville.

La ville basse de Newcastle, ne vaut guères mieux que Shiels, qui en est le véritable port, mais la ville haute est bien bâtie ; il n’y a guères que ce quartier où l’étranger puisse se plaire, mais les gens de ce pays sont si accoutumés à la fumée du charbon qui s’élève de leurs ateliers, ou de leurs manufactures, que je crois qu’ils ne se trouveraient pas mal à l’aise dans la fournaise des Cyclopes.

On m’a assuré, qu’il existait encore à quelque distance de la ville, quelques vieux restes de l’ancienne muraille de Sévère ; je ne les ai point vus, mais il semblerait par le rapport qu’on m’en a fait, que cette muraille était une masse solide de maçonnerie, et non pas comme quelques-uns le prétendent, un ouvrage en terre, revêtu de pierres sèches. Au surplus, cela est assez indifférent à présent, mais on aime, et je ne sais pourquoi, à s’occuper même des sottises et des folies des anciens. Je crois que l’on peut justement donner ce nom à cette grande muraille ; car quelle folie ne serait-ce pas, et de quel œil regarderait-on l’Espagne par exemple, si pour se défendre des attaques de la France, elle en faisait une pareille de l’Océan à la Méditerranée ? Avec quelle facilité n’y forcerait-on pas un passage ? et une fois ouverte, tout serait perdu. Aussi on a beau nous répéter mille fois, que les Romains, ces maîtres en l’art de la guerre, avaient fait deux fortifications de ce genre dans la Grande Bretagne, je n’en crois rien. Il est naturel de penser qu’ils avaient établi une ligne de postes fortifiés, à quelque distance les uns des autres, mais non une muraille.

On pourra dire avec quelque apparence de raison, qu’avant l’invention du canon, un tel rempart était d’une très-grande défense ; mais enfin dans ce temps, on prenait des villes entourées de murailles, on montait à l’assaut après y avoir fait brèche, et pourquoi n’aurait-on pu faire la même chose à celles-ci. La preuve qu’on le pouvait, c’est que les barbares l’ont fait. Tout ce que je vois de clair en cela, c’est que les habitans se croyant protégés par cette fortification en étaient moins diligens, et se tenaient tranquilles, croyant qu’elle devait suffire à leur défense et que vraisemblablement elle a avancé leur ruine.

Les chemins sont les seules promenades autour de cette ville, mais on y voit tant de mouvement, et tant de chariots allans et venans des mines de charbon qui sont innombrables, qu’il serait difficile d’en avoir une plus agréable pour le premier moment, de l’arrivée dans le pays.

J’aurai de la peine à oublier qu’avant de pouvoir trouver un logement, je me présentai à plus de vingt auberges, et que de la même manière, que si j’eusse demandé à être reçu par charité, on m’éconduisait avec une dureté inconcevable. Ah ! pauvre étranger, si tu viens jamais en Angleterre, rappelle-toi que les voyageurs à pied n’y sont pas en odeur de sainteté. Quant à moi, comme mon dessein principal était de me fatiguer, quoique dans ce temps je souffrisse assez impatiemment les impertinences, peut-être en changeant l’objet de mon chagrin, ont-elles produit autant d’effet sur moi que la fatigue même que j’ai endurée ; quoi qu’il en soit, je fus bien dédommagé de ce petit désagrément par l’accueil honnête que me fit Mr. Willam Row, à qui j’étais recommandé.

Les mines ont plus de deux cents toises de profondeur ; presque à chaque puits, il y a une pompe à feu qui sert à tirer l’eau et le charbon. La personne avec laquelle j’étais, m’offrit de me faire descendre au fond d’une mine, au retour du panier qui apporte le charbon ; mais comme j’en avais déjà vu un grand nombre, je trouvai que douze cents pieds en ligne directe étaient bien des affaires.

Je ne sais pourquoi le claret paraît meilleur en Angleterre qu’en France, quoiqu’il semble un peu froid, après les vins d’Espagne et de Portugal, dont on fait d’assez copieuses libations.

Après avoir fait cette belle réflexion, je quittai la ville de Newcastle, et traversant un assez bon pays, j’arrivai le lendemain à Alnwick. Quoiqu’un peu fatigué, je ne pus m’empêcher de rendre une visite au château du duc de Northumberland. C’est une immense et gothique structure, qui a dû être de défense avant l’invention du canon. Il y a des soldats de pierre au sommet de la muraille, qui lancent des flèches, donnent des coups de lance, et jettent des cailloux et de l’huile bouillante aux assaillans. Comme j’étais en paix, je m’approchai tranquillement, et fis tout le tour sans accident ; mais par malheur ma curiosité me poussa vers une grande porte ouverte : en m’en retournant, deux énormes sentinelles fondirent tout-à-coup vers moi en aboyant. Heureusement que j’étais juste au milieu, et que leurs chaînes laissaient entre eux, l’espace d’environ un pied et demi que j’occupais ; la position était délicate, je n’osais faire un mouvement, crainte que la dent de l’ennemi ne m’atteignît. Un vaisseau Russe entre les Dardanelles ne serait pas plus embarrassé que je l’étais. Enfin prenant mon parti, et pensant qu’il valait mieux en combattre un, que de passer devant les deux, qui pouvaient chacun attraper une fesse ; — je courus courageusement, mon bâton à la main, sur celui qui paraissait le moins enragé. — Ma contenance et mon geste lui firent peur, il lâcha pied un instant, et j’en profitai pour m’échapper.

Avant de prendre mon logement, je me promenai encore quelque temps dans les bosquets charmans qui entourent la petite ville : lorsque tout-à-coup, au milieu d’une allée, ma vue fut frappée d’une inscription, qui m’apprit qu’un roi d’Écosse, à la tête d’une armée considérable assiégeant le château, fut fait prisonnier dans cet endroit, par un faible parti de la garnison[4]. Je fus quelque temps embarrassé avant de savoir bien au juste ce que je devais dire à cela ; en rire, ou en pleurer ; enfin pourtant je ne fis ni l’un ni l’autre. N’est-il pas surprenant comme les plus grands événemens deviennent indifférens après quelques années : Ah ! pourquoi les hommes n’ont-ils pas les mêmes yeux que la postérité ; combien ce qui les plonge dans le désespoir et les rend misérables, leur paraîtrait petit et méprisable !

Je n’eus pas été deux minutes à l’auberge, que l’hôte m’apprit, que le lendemain il devait y avoir, entre autres réjouissances un combat de coqs, et une course de chevaux. Sur quoi, — je séjourne ici demain, lui dis-je ; et comme mon train ne lui paraissait pas considérable, il parut un instant aussi embarrassé, que je l’avais été en rencontrant l’inscription au sujet du roi d’Écosse, puis — il ne dit rien.

Ah ! que de bon cœur je souhaiterais être assez fort, pour obliger les spectateurs de ce plaisir barbare, à combattre les uns contre les autres, avec un éperon à leurs talons, aussi long que celui des coqs, qui leur ensanglantât les jambes durant la bataille. Rien ne peut sauver la vie aux pauvres combattans, car les spectateurs ayant mis quelquefois d’assez fortes sommes sur leur tête, il faut qu’ils se battent, tant qu’ils peuvent se tenir. Haletant de fatigue et de rage, ce n’est souvent qu’après une demi-heure, que l’un des deux est enfin percé par l’éperon fatal de son adversaire, dont la fatigue et l’agonie sont si grandes, qu’il meurt lui-même après la bataille. Sur douze coqs un seul survit communément.

L’après dînée, suivant le cours pittoresque d’un ruisseau, qui coule au pied du château, après de longs détours, je me trouvai au sommet d’une montagne, où l’on a placé une colonne élevée ; je ne pus savoir de quel événement elle était destinée à perpétuer le souvenir. De là, je découvris la foule qui était déjà sur le terrain, pour voir la course des chevaux ; quoique ce fût à trois milles, j’y fus bientôt rendu. Les chevaux, les voitures, faisaient une confusion inexprimable, chacun paraissait préparé à avoir bien du plaisir, mais lorsque les trois casse-cous parurent, les transports de joie éclatèrent ; quant au troisième tour, ils pressèrent les flancs de leurs montures, et en augmentèrent la vitesse : les cris, les transports de la multitude furent inouïs.... et voilà les gens qu’on dit si phlegmatiques, — puis croyez la renommée.

Je ne sais qui s’avisa de donner aux gens de ce pays, le caractère sévère, qu’on leur attribue chez les étrangers. Au contraire ils aiment la joie et le plaisir tout autant qu’aucun autre peuple, l’expriment de la même manière, et n’ont chez eux que des nuances très-légères de différence entre les autres habitans de l’Europe ; il est aussi mal de juger d’une nation par les fous qui s’en échappent, que par les bons livres qui en viennent ; les uns et les autres ne forment point une masse générale, et ne peuvent que donner un aperçu qu’il est très-imprudent de généraliser.

Comme les principales règles des races ou course de chevaux sont peu connues, je crois devoir les expliquer : six semaines avant qu’elles n’ayent lieu, on met le cheval et l’homme qui doit le monter à une diette austère, crainte qu’ils ne soient trop gras ; le jockay particulièrement souffre vraiment une espèce de martyre, on le met dans un lit, chargé d’une douzaine de couvertures, on le fait marcher au soleil avec quatre ou cinq vestes de flanelle, en un mot on le fait suer, jusqu’à ce qu’il soit diminué et venu au poids requis. Si dans l’intervalle des races et du pari un cheval venait à mourir, ou à se blesser, son maître serait obligé de payer le pari entièrement, et l’homme le plus honnête ne ferait point de façon pour le prendre, ou pour tâcher d’évader. Ainsi que le fit ce parieur, dont le cheval s’était cassé la jambe : il s’en fut trouver son adversaire, et lui conta que son cheval étant tombé malade, il demandait à défaire le pari et à en payer la moitié, à quoi l’autre consentit volontiers, sur quoi le premier dit, I am very well of, I thinck, for my horse has broken his leg, et le second répondit : I am much better of, I thinck, for my horse is dead[5].

Après une sévère journée de trente milles, j’arrivai fort tard et bien fatigué à Berwick. Cependant en traversant le long pont qui joint l’Écosse à l’Angleterre, l’idée de voir un nouveau pays, de nouvelles mœurs, une autre religion, et d’autres manières, me fit presque oublier ma fatigue, je passai la porte qui est au milieu avec un certain plaisir. Le lendemain, je pris des informations sur la constitution et sur le gouvernement de la ville, qui n’est ni Angleterre ni Écosse ; elle est gouvernée par ses magistrats, par l’officier-commandant, et gardée par sa milice. Les bills (décrets) du parlement ne pourraient être exécutés dans cette ville, si elle n’y était absolument spécifiée par son nom : c’est un reste des temps où pour la sûreté de l’Angleterre et de l’Écosse, les deux peuples avaient cru devoir la déclarer neutre. Je fis le tour des remparts, qui quoique faibles, sont en état de résister à une insurrection, et même à une attaque réglée, si l’on achevait de détruire les anciennes murailles qui sont au dehors. Les sentinelles ont ordre d’éloigner les étrangers du sommet du parapet ; j’imagine que la véritable raison de cet ordre, est la même que dans beaucoup de villes de guerre en France, afin de ne pas gâter l’herbe du commandant.

Dans un endroit écarté, je vis tout-à-coup arriver une foule de jeunes gens ; ils s’empressaient autour de deux d’entre eux, qu’on déshabilla, et à qui on ôta jusqu’à la chemise, la bande se dispersant ensuite en deux parts forma une espèce de cercle, au milieu duquel on lança les deux champions, qui commencèrent à se gourmer ; ils étaient encouragés par leurs partisans à se bien battre, et relevés lorsqu’ils tombaient sous les coups qu’ils se portaient. La mère d’un des combattans vint tout échevelée réclamer son fils. Elle se jeta dans la mêlée, et voulait l’emmener malgré lui ; ses camarades s’y opposèrent ; je trouvai cela si dur pour la pauvre mère, que j’entrepris de l’aider à le retirer, mais on me fit entendre assez clairement, que, si je ne me retirais, les combattans et les spectateurs allaient me tomber dessus ; voyant la mère se mettre à l’écart, je crus plus prudent d’en faire autant. Les pauvres enfans recommencèrent la bataille, et ne la finirent qu’après s’être poché les yeux et le nez d’une manière cruelle ; après quoi, l’un d’eux s’avoua vaincu, prit sa chemise, s’habilla, et ensuite au milieu de l’assistance, les deux champions ensanglantés s’embrassèrent, et vidèrent le champ de bataille.

C’était le moment des élections au parlement, et l’un des prétendans qui venaient d’être élus, donnait le soir un grand bal aux votans du comté. Les freeholders trouvèrent que son vin était assez bon.

On m’a assuré que les prétendans à l’élection, jettèrent dans cette occasion plus de cent mille livres sterlings dans la circulation, ce qui certainement est très-avantageux au commerce. La constitution britannique est élevée sur de telles bases, que je ne crois pas que les choses allassent beaucoup mieux, quand les places du parlement ne seraient données qu’au seul mérite. Il est à-peu-près indifférent, de quelle espèce de personnes les députés au parlement soient composés, pourvu qu’ils soient de riches propriétaires : qu’ils vendent ou qu’ils achettent leurs places, cela ne fait rien, la morale en souffre sans doute, mais la sûreté de l’état ne peut être compromise, parce qu’ils sont intéressés à sa fortune.

Le seul mal que cela fasse au pays, c’est d’y répandre un esprit de corruption, qui s’étend rapidement sur toutes les classes ; en outre des divisions sans fin que les élections jettent parmi les prétendans : elles sont telles que même après plusieurs années, il arrive souvent qu’ils ne veulent pas se voir, et qu’ils refuseraient d’accepter les services les uns des autres.

Les Anglais à tout prendre sont d’assez bonnes gens et très-industrieux, leurs négocians entendent mieux le commerce peut-être que ceux d’aucune nation ; jamais le commerçant n’a dit en Angleterre : c’est assez — jouissons.

Dans le fait, ce n’est que lorsque le négociant a amassé une grande fortune qu’il peut faire des spéculations considérables et utiles à l’état. Le petit marchand qui souvent ne pense qu’à se procurer le nécessaire, ne peut qu’avoir des vues bornées : si après avoir acquis quelque richesse, il quitte le commerce, un novice lui succède avec les vues bornées, qu’il avait lui-même en commençant, et l’état ne profite en aucune manière, ni de l’argent qu’il a amassé, ni des connaissances commerciales que son travail et son expérience lui ont données.

La fureur des extrêmes leur a fait bien du mal, et pourtant ils n’en sont point corrigés. La nation est divisée en deux partis depuis un temps infini, tour-à-tour vainqueurs et vaincus ; quand quelque grand revers vient accabler le parti dominant, alors, tort ou raison, le peuple est pour son adversaire, qui étale sa joie en ridiculisant l’autre, chez les marchands d’images, ou quand il est assez fort, en l’écrasant ; ce qui est arrivé si souvent, que cela n’a pas besoin de preuve. Cependant les conséquences les plus communes de leurs grands mouvemens, se bornent à changer le ministère, qui alors ne manque pas de se jeter dans l’opposition, jusqu’à ce qu’il puisse se faire rétablir. On prétend que la sûreté publique dépend de cette opposition ; et que s’il n’y avait pas dans le parlement un parti, entièrement résolu à résister à toutes les démarches de l’autre, la liberté nationale serait en danger.

Il y a beaucoup de gens en Angleterre qui ne parlent de nos soi-disant constitutionnels, que comme de gens sublimes, qui ont seulement laissé le regret de ne s’être pas déclarés permamens et héréditaires, avec une chambre des pairs et une chambre des communes, tirées de leur propre sein. Voilà comme chacun prêche toujours pour le saint de sa paroisse ; parce que les Anglais ont une chambre des pairs héréditaire, et une chambre des communes, qui l’est presque ; ils ne peuvent pas s’imaginer qu’aucune nation dans le monde puisse être heureuse et libre sans ces deux choses, ou du moins sans leurs noms, car c’en est assez pour le peuple en tout pays.

Ainsi l’on voit certaines nations en Europe, dont les sots admirent le gouvernement libre, parce qu’on voit en lettres d’or, le mot libertas, écrit par-tout, même sur la porte de la prison[6] ; tandis que l’on traite d’esclaves et de lâches, d’autres qui ont de très-grands priviléges, et vivent tranquilles et heureuses, parce que leurs souverains disent dans leurs édits, tel est notre bon plaisir. C’est ainsi que la pauvre humanité a toujours été menée par des sons, et que tel misérable et esclave des cent mille tyrans qui déchirent sa patrie, se croit libre, parce que son pays s’appelle une république ; tandis qu’un autre très-indépendant, n’obéissant qu’aux lois, payant ses impositions, et vivant heureux sur sa terre avec sa femme et ses enfans, se croit esclave parce que quelques grimauds ont dit que son souverain était despote.

La rage effroyable, et les révoltes soudaines et en apparence terribles, auxquelles le peuple de Londres se livre souvent, ne sont pas moins étonnantes pour l’observateur, que la facilité singulière avec laquelle elles s’apaisent tout-à-coup. J’en eus un exemple bien frappant à mon retour d’Écosse, en Janvier 1796. La fureur avec laquelle le roi fut accueilli par le peuple, en se rendant au parlement, me surprit étrangement. La foule entourait sa voiture en poussant des hurlemens effroyables, accompagnés de huées ; le retour fut pareil, et lorsque le roi quitta la voiture de parade au palais de Saint James, et monta dans un carrosse ordinaire, pour se rendre chez la reine, la populace le suivit et tirait par les jambes, les valets de pied qui étaient derrière ; heureusement que la garde, qui suivait le carrosse de parade, s’aperçut du mouvement et arriva bientôt pour dégager sa majesté. Le peuple alors se vengea sur le carrosse et en brisa les glaces avec des pierres.

Comme j’avais vu des tumultes à-peu-près semblables, les suites m’en semblaient effrayantes. J’étais alors avec un vieil officier anglais, qui dit : « Ce n’est rien, ils seront tout aussi tranquilles après qu’avant, c’est seulement pour faire connaître leur bon plaisir à sa majesté. » Effectivement il avait raison, dès que la nuit fut tombée chacun fut se coucher, et il n’y paraissait pas le lendemain.

C’est communément ainsi que se terminent les émeutes en Angleterre. Le cardinal de Rets prétend, qu’à Paris, c’est à l’heure des repas qu’elles se dissipent ordinairement, pour peu que l’on agisse alors contre elles avec un peu de vigueur. Il a certainement raison : si ce n’est pas la même chose à Londres, c’est peut-être que l’usage de manger froid est plus commun, et qu’ainsi les mets ne risquant pas de se gâter, on peut attendre sans gêne jusqu’au soir, mais alors le sommeil et l’appétit se joignant aux coups que l’on est exposé à recevoir, déterminent à quitter la place.

Pendant la bagarre, deux jeunes femmes assez jolies, effrayées, vinrent toutes tremblantes se jeter entre nos bras. Après avoir examiné celle qui se jeta dans les miens, je l’embrassai bien cordialement....... pour tâcher de la rassurer : quant à mon Anglais, il mit sur-le-champ ses deux mains dans ses poches, crainte de surprise. Je pense que dans bien des cas, ceci ne serait pas une représentation très-défectueuse, de la manière d’agir des gens des deux pays.

Les Anglais sont aisément enclins à penser que tout ce qui n’est pas dans leur religion, dans leur manière de gouvernement, ou dans leurs usages, est superstitieux, esclave, ou frivole. Il semblerait à les entendre, que la terre n’est productive que pour eux, et qu’à peine les autres peuples peuvent gagner une frêle subsistance ; à tout moment l’étranger est surpris par des questions ironiques sur la manière misérable dont il vit chez lui ; ils se moquent particulièrement des Français, à qui ils reprochent leur maigreur, leur petitesse, leurs ragoûts et sur-tout les grenouilles. À tout cela, il serait aisé de leur faire voir qu’ils ont tort ; quant à la petitesse, par exemple : la taille commune en France, est de cinq pieds deux pouces, mesure française, dont le pied a sept lignes de plus que l’anglais, et ainsi revient à cinq pieds, cinq pouces, et quelques lignes mesure anglaise, qui est juste la taille commune de l’Angleterre. Quant aux ragoûts, on peut dire à cela, que chacun a son goût, et que si les mets français ne s’accommodent pas à leur palais, les leurs ne plaisent guères davantage à un étranger. Si un Anglais, voyageant de bonne foi, en France, examinait avec attention le peuple des provinces, et qu’il le comparât avec le sien, il trouverait peut-être un peu plus d’activité dans la Grande Bretagne, pour les affaires du commerce ; mais au fond, il serait surpris de voir quel rapport les habitans ont entre eux, dans les endroits reculés, loin du bord des rivières, des grandes villes, et des côtes.

Arthur Young, dans son voyage de France, cite deux ou trois petits traits d’ignorance de gens assez stupides, qui l’accablant d’impertinentes questions, lui demandaient constamment, de quel pays il était, s’il y avait des rivières et du bois en Angleterre ? et ayant répondu au premier qu’il était de la Chine, on lui demanda, si ce pays était bien éloigné. Dans celui-ci on ne se donne pas la peine de s’informer de quel pays vous êtes, tous les étrangers sont Français ; et il y a bien des gens dans l’intérieur, qui ont de la peine à s’imaginer qu’il y ait d’autre nation dans le monde. Je tiens d’un Italien, à qui un manufacturier ayant demandé de quel pays il était, et ayant répondu, qu’il était de Gênes en Italie ; — Italie, dit l’autre, une province de France. Ainsi l’on trouve dans tous les pays les mêmes sottises. On m’a souvent fait aussi des questions des plus ridicules, comme, s’il y avait des chèvres, des vaches, des choux, des groseilles, ou tout autre chose en France ! Que conclure de cela ? c’est que les gens qui faisaient ces questions, ne s’en souciaient guères, et s’informaient de ces choses-là, avec la dernière indifférence, aussi je ne me permettrai pas de conclure cet article comme M. Arthur-Young[7], en attribuant cette ignorance au gouvernement.

Je croirais cependant manquer à la justice, si je ne disais, que la classe des gens instruits est très-considérable, et que généralement on y trouve une façon de penser des plus libérales, et beaucoup de politesse. Quant à l’infatuation des classes inférieures sur leurs prétendues bonnes chères, sur leur taille, et sur leur force ; la politique a fait naître ces idées, et les entretient. Dans le fait si elles leur font aimer davantage leur pays, être plus contens de leur sort, et mépriser dans l’occasion le nombre de leurs ennemis, qui oserait se permettre de dire, que c’est à tort qu’on les berce de ces chimères ?

Je dirai même plus : le politique profond qui fit germer en Angleterre, ces idées, en apparence si bizarres et si folles, a rendu plus de service à son pays, que les plus grands généraux, ou amiraux. Un général passe, il ne reste que le souvenir de ses grandes actions ; mais ses opinions restent et servent d’égide au pays. Il est certainement très-ridicule de les entendre énoncer à un homme bien élevé, mais elles siéent bien à un homme du commun, et j’aurais voulu que le roi accordât la grâce entière à ce malfaiteur qui devant périr par la potence, en fut exempté à condition d’un bannissement perpétuel dans les pays étrangers. Mais celui-ci prétendit que vivre hors de l’Angleterre était un plus grand supplice, que d’y être pendu, et refusa la grâce du roi.

Le gouvernement de la Grande Bretagne a montré plus d’énergie qu’aucun autre, dans les dissentions qui agitent à présent l’Europe. Je ne serais pas éloigné de croire que cela vient du même principe. Les individus de la nation joignent à la haine et au mépris le plus invétéré contre les Français et les autres peuples, un amour de leur pays, que l’on ne trouve point ailleurs au même degré. Cette haine ne tient en aucune manière à la jalousie, car les Anglais se croient mieux qu’aucun autre peuple ; ils ont pitié de leur prétendue misère, ils les méprisent, mais ils ne les jalousent pas. Combien il doit être facile à un gouvernement de faire agir des gens qui ont sucé de telles idées avec le lait de leur nourrice, et qui les considèrent comme des vérités incontestables.

Il est certains gouvernemens, qui par des idées d’économie, ont restraint la forme de l’habillement, sa couleur et son étoffe : les ordonnances se sont même étendues sur la nourriture, et sur certaines boissons, que l’on a permises ou défendues, comme on l’a jugé convenable. Ces ordonnances, qui dans les pays où l’exportation des denrées est moins considérable que l’importation des marchandises étrangères, sont quelquefois nécessaires à l’état ; mais malheureusement elles produisent souvent un mauvais effet sur les sujets, en les accoutumant à chercher des prétextes pour éluder les loix afin de satisfaire leurs goûts particuliers. Il arrive aussi, que peu-à-peu l’esprit s’habituant à attacher une importance réelle à ces vétilles, il se rappetisse, se concentre en lui-même, et l’on finit par croire avoir toujours bien fait dès lors qu’on a économisé.

Dans un pays aussi riche que la Grande Bretagne, de telles ordonnances ne sauraient avoir lieu sans de grands inconvéniens. Toutes les classes prennent une telle quantité de thé, que pour fournir à ce besoin imaginaire, on pourrait croire qu’une grande partie du produit du royaume y est employé ; le parlement cependant, ne défend pas au peuple de boire du thé, parce qu’il sent bien que l’on chercherait à éluder la défense et qu’elle serait presque inutile, mais il fait tourner au profit de l’état, cette fantaisie des peuples, en faisant payer de gros droits à cette denrée. Il fait de même pour tous les objets qui viennent de l’étranger ; une bouteille de vin de bordeaux, par exemple, est taxée trois ou quatre fois autant que sa valeur ; en boit qui veut, ou qui peut ; mais tout homme qui le fait, enrichit l’état.

Cette persuasion, sans doute, beaucoup plus que leur goût particulier, est ce qui engage les princes et les ministres anglais à ne pas l’épargner sur leurs tables, afin d’avoir des imitateurs. Un roi, ou un ministre qui ne boirait que de l’eau, aurait bientôt ruiné l’état. Ces messieurs savent fort bien cela, et leur patriotisme dans ce genre est vraiment remarquable et digne d’éloge.

Quant à l’habillement, autant vaudrait proposer au têtu John Bull de changer de peau, que la forme de ses habits, par autre règle que son caprice ; il est vrai que l’on peut aisément guider son caprice, mais il ne faudrait pas lui dire qu’on veut le faire.

Le peuple à qui, pour ainsi dire, on a mâché tout ce qu’il avait à faire, est souple, poli, courtisan, embrasseur, jaloux, plutôt avare que généreux, sans grand vice ni grande vertu, comme l’homme de Prométhée avant qu’il ne lui eût soufflé le feu du ciel. Qu’on examine celui-ci, on lui verra sans contredit de grands défauts, mais aussi des qualités brillantes. S’agit-il de venir au secours de l’état, tout le monde, sans avoir recours aux réquisitions forcées, est prêt, non seulement de sa personne, mais aussi de sa fortune. Combien de simples particuliers n’ont-ils pas donné au gouvernement la moitié de leurs revenus, montans à des sommes considérables, de dix à douze mille livres sterlings par an, tant que durera la guerre.

On trouvera l’Anglais fort peu complimenteur et plutôt que de vous embrasser, il s’irait, je crois, noyer ; mais faites qu’il s’intéresse à vous, et vous verrez le bon naturel qui est caché sous cette rude écorce. Une ville brûle-t-elle : faut-il faire une souscription pour les veuves des matelots et des soldats morts en défendant leur pays : dans quelques jours on recueille vingt, trente mille livres sterlings. En 1797, on a eu un moment de crainte pour le crédit de l’état et de la banque : toute la nation s’est rendue solidaire, et les marchands sont convenus de prendre le papier de l’état au pair de l’argent.

Ce que j’ai dit ici, n’est en aucune manière pour flatter messieurs les grands Bretons, ils n’en ont pas besoin et connaissent fort bien leurs avantages. Sans trop se gêner il leur arrive souvent de heurter les gens en les accablant de leurs comparaisons cruelles. — Eh mon Dieu ! pourquoi ne pas laisser le pauvre monde tranquille et chercher à augmenter son chagrin, en lui reprochant sa misère et lui faisant voir qu’on est mieux. Comme étranger, je puis dire ceci moi, parce que cela pourra peut-être être utile à quelques-uns ; mais si j’eusse été Anglais, ce n’eût pas été à sa place ; cela eût choqué avec raison l’amour-propre des autres, et n’eût été bon qu’à augmenter le nombre de ses ennemis.

Le roi est le chef de la religion ; c’est par lui seul, et au conseil qu’il lui plaît de nommer, que toutes les affaires religieuses sont décidées.

Toutes les sectes chrétiennes sont tolérées en Angleterre ; cependant il faut prendre le test, ou recevoir la communion à la façon de l’Église anglicane, pour pouvoir parvenir aux charges. Les églises sont communément fort bien tenues, et le service est presque une traduction littérale de la liturgie romaine.

La langue anglaise est un composé de la langue gothique[8] et du français, joints à quelques mots tirés de l’ancien breton. Quant aux mots qui paraissent venir du latin et même du grec, ils me semblent n’y avoir été introduits, que par le français. Quoique la prononciation soit un peu différente, il est surprenant de voir le nombre d’expressions qui ont rapport aux deux premières langues.

Les Anglais ont une recherche et une délicatesse de mots, inconnues au reste de l’Europe, et qui d’abord semblent bien extraordinaires à un étranger ; outre ceux qui expriment une chose déshonnête, et que l’on a bannis de la conversation avec les dames, dans toutes les langues ; ils en ont un grand nombre d’autres qui expriment des choses fort simples, et qui cependant feraient rougir les femmes les moins modestes, si on les prononçait devant elles, et auxquelles la plus prude du continent ne trouverait rien à redire. Un étranger commet bien des méprises à ce sujet, et excite souvent le souris des dames à qui il parle. Ils ont aussi une manière de parler d’un homme riche, qui leur est particulière ; presque tous les gens du commun disent : He is a great man, (c’est un grand homme), et tout le monde pour s’informer de la fortune de quelqu’un, demande, How much is he worth ?[9] à quoi l’autre répond le montant de sa fortune, ce qui semblerait donner à entendre qu’ils n’estiment la valeur d’un homme que par ses biens.

Ils sont si peu galans dans leurs expressions que tout ce qu’il y a de mauvais et de vicieux, est introduit sous le nom de mademoiselle (miss) comme misbehaviour, mauvaise conduite, mischief, malice, etc. etc. Voyez la liste des mots commençant par mis dans le dictionnaire. Ils appellent aussi une femme woman : woe malheur, man homme, comme qui dirait malheur de l’homme ; assurément ce n’est pas galant.

On doit user de périphrase pour dire en anglais qu’étant à la chasse, « Votre chienne a passé entre vos jambes, qu’elle vous a fait tomber sur le derrière ; qu’en tombant, vous avez déchiré vos culottes et vous vous êtes fait mal au ventre. » Pour parler poliment il faudrait dire : « My she dog in running through my legs, has made me fall on my bottom ; I have torn my small cloathes, and hurt myself in my bowels. Mon chien femelle m’a fait tomber sur mon fond, j’ai déchiré mes petits habits et heurté moi-même dans mes boyaux[10]. »

Je n’ai point la prétention d’avoir parfaitement fait connaître le caractère anglais : j’ai dit ce que j’ai vu et les réflexions que m’ont fait naître les différens accidens que j’ai rencontrés, sans vouloir assurer que je ne me sois pas trompé, ni qu’un autre ne puisse voir différemment et peut-être mieux. J’ai sans doute tâché de repousser les préjugés dont les Anglais sont plus particulièrement bercés, contre la nation parmi laquelle je suis né. J’ai répondu aux puérils sarcasmes de leurs auteurs, par des plaisanteries, souvent beaucoup mieux fondées.

On aurait grand tort cependant, d’en tirer la conclusion, que l’humeur ou la haine ont pu me les dicter ; j’estime et j’honore la nation Britannique. Il y a sans doute dans son établissement social, de grands vices et de grands abus, mais ils sont tous calculés. Loin d’imaginer un être de raison, en supposant l’homme, un ange, (comme notre philosophique assemblée, soi-disant, constituante), la loi a toujours tablé, sur ce qu’il pourrait faire de pis, et les résultats se sont trouvés justes. Après tout, c’est sans contredit, dans la Grande Bretagne que les établissemens de la société sont au plus grand point de perfection : c’est là seulement, que l’on trouve le véritable esprit public, et c’est aussi le pays dont l’homme sensé, le vrai patriote, a plus de raison de se glorifier d’être membre.


  1. Vous n’avez point de cheval.
  2. Comment trouvez-vous ce pays ?
  3. Je le crois bien, c’est le meilleur dans le monde.
  4. Macduff roi d’Écosse fut tué par le gouverneur, qui lui présenta les clefs du château au bout d’une pique, et la lui passa au travers du corps ; Malcolm fut fait prisonnier, c’est de lui dont l’inscription parle.
  5. « Je me suis assez bien tiré d’affaire, à ce que je présume, car mon cheval s’est cassé la jambe. — Je me suis encore mieux tiré d’affaire, je pense, car mon cheval est mort. »
  6. À Lucques et à Gênes, le mot libertas était en lettres d’or sur toutes les portes. On le voit aussi sur le revers d’un chapeau, que tient une statue au-dessus des fers et des chaînes de la porte de Newgate, la principale prison de Londres.
  7. M. Arthur-Young, après avoir rapporté les questions qu’on lui faisait, dit page 37 : « This incredible ignorance, when compared with the knowledge universally disseminated in England, is to be attributed, like every thing, to government ».
    En comparant cette ignorance incroyable, avec les connaissances si généralement répandues dans l’Angleterre, on doit les attribuer, ainsi que toute autre chose, au gouvernement.
  8. Dans la première édition, j’avais dit que la langue anglaise était en partie tirée de l’allemand. Ayant eu depuis occasion d’apprendre le suédois et le danois, qui sont dérivés du gothique, dont il me semble que l’allemand est aussi un dialecte, je lui ai rendu sa véritable origine.
  9. Combien vaut-il ? Quelle est sa valeur ?
  10. J’engage fort messieurs mes commentateurs, traducteurs, etc. etc. etc., de rapporter ces graves sentences, aussi sérieusement qu’elles sont débitées, et de ne pas manquer de faire de belles remarques et notes scientifiques, ainsi qu’ils ont déjà fait dans les éditions de Riga et d’Erfurt, pour d’autres, qui valaient bien celles-ci.