Prostitués/III/Catulle Mendès

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(p. 39-43).


III


Soubrettes et bonnes à tout faire


Étymologiquement, la soubrette — sobretarde — c’est la servante entremetteuse qui, sur le tard, à la brune, va porter les lettres d’amour. Tandis que sa main frôleuse glisse le billet doux, son regard et ses lèvres sourient des promesses ou des malices et par le mot excitant qu’elle souffle à l’oreille on ne sait si elle raccroche pour elle ou pour sa maîtresse.

Ce rôle d’allumeuse est celui qui plaît le plus à Catulle Mendès. Même en sa jeunesse première, dans la gloire de sa beauté blonde, quand il portait fièrement la tête d’un Christ qui rêve d’être Madeleine : cet être à deux faces jouisseuses aima surtout les besognes crépusculaires et équivoques. Sans doute, il sait se déguiser de toutes les ambitions et il lui arrive de représenter le poète ou le critique comme un cabotin, aux lumières, est le roi ou l’honnête conseiller. Et ses attitudes ne marquent jamais raideur ni gêne. Mais sous les noblesses théâtrales on sent toujours la joie espiègle de celui qui se travestit. Il rit de la bonne farce et, bientôt redevenu lui-même, fait l’entremetteur. Il est heureux de nous offrir, soubrette chuchoteuse ou camelot à la croupe souple, des bonbons à la cantharide et des contes transparents.

Naguère, en un livre sur les femmes qui écrivent, il me parut juste d’étudier Catulle Mendès. Mais certains sexes hésitants troublent le naturaliste ; on reste toujours inquiet, quelque état civil qu’on ait attribué à celui-là : si cette femme n’était qu’un homme qui nous tourne le dos...

Donc, quoique j’aie donné sur elle un jugement d’ensemble auquel je n’ai rien à changer, voici que je reviens vers lui. Lui ou elle, masculin ou féminin, Mendès s’en fiche, qui écrivit dans le Journal du 6 mars 1897 : « L’accomplissement de cette chimère, les États-Unis de l’intelligence humaine, est-elle souhaitable ? »

Willy, élève de Stanislas qui oublie ses condisciples vieillis pour Claudine « petit pâtre bouclé » et qui, devant l’objectif du photographe, ne boucle plus la boucle d’un p’tit jeune homme que si c’est Polaire qui offre ses grâces postérieures ; Willy qui ne sut jamais voir aux yeux d’autrui que ses propres vices, m’accusera, j’espère, d’avoir cédé à une nostalgie perverse : je viens de relire deux de ces volumes de contes où Mendès, fameux par ses imitations, se laisse saisir lui-même, fuyant et onduleux seulement comme une amuseuse qui s’amuse.

Dans les exercices de L’homme-orchestre, il m’a paru masturbateur remarquable. Je recommande ce livre — dirai-je : émouvant ? — aux potaches, pour qui il vaudra un portrait d’actrice. Les vieillards, grâce à lui, mendieront moins de caresses préparatoires et paraîtront rajeunis de dix ans. Quelque esprit est dépensé, d’ailleurs, à cette basse besogne et, si on le compare au travail de Willy, notre plus récent allumeur, on trouve délicat et élégant le geste dont Mendès nous frôle et nous énerve.

J’ai relu aussi Arc-en-Ciel et Sourcil-Rouge. Ce recueil a le mérite négatif d’être moins ignoble que d’autres produits du délicieux pornographe décoré. Même, par comparaison, sur les trente-deux fragments qu’il contient, deux offrent quelque intérêt. Le livre débute par l’histoire d’un amour brutal, sorte de mélo psychologique. Gâté par les agaçantes roublardises du conteur, il réussit encore à nous secouer d’une émotion grossière, pas artistique, à nous secouer cependant. Et puis, figurez-vous qu’on rencontre, au courant du volume, une idée. Peut-être Mendès l’a volée et maquillée, cette idée ; mais je ne l’ai pas reconnue. Il imagine un peintre qui cessa de peindre pour une raison noble et subtile : la couleur, pense ce pauvre homme, est dans l’univers en quantité limitée ; celle qu’on perd à fabriquer de l’artificiel, on la vole à la nature que nos larcins condamnent à créer une vie plus pâle. Ne l’avez-vous pas remarqué, en effet ? depuis que salons et expositions se multiplient, nous n’avons plus de belle saison. Et ce nous est un grief supplémentaire contre Bouguereau, qui ne vole pourtant pas beaucoup de couleur à la nature appauvrie. Le petit fou que nous présente Mendès n’ose pas non plus, le soir venu, allumer sa lampe : il craint trop de diminuer les rayons du jour. Je trouve cette conception exquise. Certes, le récit est agaçant de mièvreries, de puérilités séniles, d’habiletés bêtes. Tant qu’on lit, on est furieux contre l’auteur qui gâte une pensée supérieure à son talent. Mais, quelques heures après, quand le silence s’est fait autour de son bavardage, quand la nuit a recouvert ses grimaces, on peut dépouiller l’intéressante imagination du vêtement barbarement pailleté, oublier la robe de foraine dont Catulle crut embellir cette duchesse. Les autres contes sont radotages de vieille qui, pour être moins infâme dans cette conversation, n’en reste pas moins inepte.

Les innombrables critiques qui saluèrent en Mendès un poète firent, presque tous, une cour intéressée à cette puissance des bureaux de rédaction. Pourtant cette cabotine, il faut le reconnaître, sait se maquiller et un dauphin prit un singe pour un homme.