Proverbes dramatiques/Le Boiteux
LE
BOITEUX.
PERSONNAGES.
| JUSTINE. | Marchandes de Modes. En Marchandes, avec des tabliers de tafetas verd. | |
| ROSALIE. |
Scène premiere.
Justine, la lettre pour Monsieur Raimond, est-elle cachetée ?
Oui, la voilà.
Il faut la donner à Grand-Pierre.
Je m’en vais l’appeller. Grand-Pierre, Grand Pierre.
Tout-à-l’heure, Mademoiselle. Il va regarder dans la boutique de Madame Louvier.
Hé bien, Grand-Pierre ?
Me voilà, me voilà.
Qu’est-ce que tu regardois donc ?
Eh, je regardois si Mademoiselle Javotte, n’étoit pas dans sa boutique ; mais il n’y a que Monsieur De l’Aune.
Bon, tu as toujours peur.
C’est que je crains que Monsieur Raimond ne découvre que nous le trompons ; & cela pourroit finir mal, voyez-vous.
Tu es bien poltron ! Ne te paye-t-il pas bien ?
Oh, pour cela oui ; j’en ai déjà eu plus de vingt écus.
De quoi te plains-tu donc ?
Je ne me plains pas de ce qu’il m’a donné ; mais…
C’est pourtant nous qui t’avons valu cela ; car tu n’y pensois seulement pas.
C’est bien vrai.
Tu n’as pas refusé le premier écu qu’il t’a donné, pour remettre une lettre à Mademoiselle Javotte ?
Non, & c’étoit sans savoir ce que j’en ferois, de cette lettre.
Hé bien, si nous ne faisions pas toutes les réponses au nom de Mademoiselle Javotte, aurois-tu ces vingt écus ? Et si tu lui avois rendu cette lettre de Monsieur Raimond, & qu’elle l’eût dit à sa mère, Madame Louvier, tu aurois été chassé de chez elle : & tu ne ferois plus les commissions.
Sûrement : mais tromper ce Monsieur Raimond, qui est le meilleur homme du monde, il me semble que c’est mal fait.
Mal fait ? Au contraire. N’est-il pas trop heureux, ce vilain boiteux-là, puisqu’il se croit aimé d’une jeune & jolie personne comme Mademoiselle Javotte ?
Vous avez raison ; mais s’il vient à lui parler, il découvrira tout.
Je te réponds qu’il ne lui parlera pas ; nous lui défendons toujours dans nos lettres, & nous lui faisons craindre que si Madame Louvier découvroit son amour pour sa fille, elle ne la mît dans un Couvent.
J’entends bien cela ; mais comme il passe à tout moment devant sa porte, j’ai toujours peur qu’il n’entre dans la maison.
Dis donc toujours la même chose.
Et puis vous lui demandez sans cesse : ce sont des gants, des jarretieres, des mules, des bas de soie…
Et toi, ne prends-tu pas les écus qu’il te donne ?
Oui ; mais je ne lui demande pas ; ainsi ce n’est pas ma faute. Attendez que je voye si Mademosselle Javotte est dans la boutique ; parce que pendant que je suis ici, Monsieur Raimond pourroit bien venir. Il va regarder.
Scène II.
Je vous souhaite bien le bon jour, Mademoiselle Javotte.
Je suis bien votre servante, Monsieur De l’Aune. Elle s’assied & travaille à la tapisserie. De l’Aune a grande envie de lui parler ; mais lorsqu’elle le regarde, il n’ose plus. Il se détermine pourtant.
Vous vous portez bien aujourd’hui, Mademoiselle Javotte ?
Fort bien. Monsieur ; & vous ?
A votre Service, Mademoiselle.
Vous avez bien de la bonté. Elle continue de travailler ; & elle ne leve les yeux qu’à la dérobée sur De l’Aune, qui n’ose lui rien dire.
J’ai bien fait d’aller voir ; elle est dans la boutique ; il faut que je me mette en sentinelle, en cas que Monsieur Raimond passe.
Et la lettre ? Justine ?
Je m’en vais lui donner. Tiens, Grand-Pierre, voilà la réponse à la lettre d’hier, de Monsieur Raimond.
C’est bon, je lui donnerai quand il viendra.
S’il te donne quelque chose pour nous, tu nous l’apporteras.
Sûrement. Ne croyez-vous pas que je le garderai ?
Je ne dis pas cela.
Et puis vous le verrez bien. Il va s’asseoir sur une borne au coin de la rue. La Scène muette de Javotte & De l’Aune continue. Justine & Rosalie travaillent, & parlent ensemble tout bas en riant de temps en temps.
Scène III.
GRAND-PIERRE, M. RAIMOND.
Ne sera-t-elle jamais seule ! Il fait une grande révérence à Mlle. Javotte, qui l’apperçoit à peine, se leve & s’en va. Il en est consterné.
Scène IV.
Que peut-elle avoir contre moi ? Elle ne m’a jamais traité comme cela.
Monsieur, j’allois aller chez vous.
Dis-moi donc, Grand-Pierre, est-ce que Mademoiselle Javotte est fâchée contre moi ?
Pourquoi donc ?
C’est qu’à peine m’a-t-elle vue, qu’elle s’est retirée tout de suite.
Elle a peut-être cru voir venir sa mere.
Non, elle n’y étoit pas ; & voilà ce qui me surprend de plus en plus.
Bon, tout cela ne fait rien. Tenez, voilà sa réponse à la lettre d’hier au soir ; lisez-la, vous verrez de quoi il retourne.
Hé donne donc. Il lit la lettre.
Je vous remercie bien, Monsieur, de ce que vous m’avez envoyé avec votre lettre ; c’est bien galant à vous ; aussi je ne vois personne qui vous ressemble. J’ai bien du regret de ne pas pouvoir vous parler ; il faut que je fasse comme cela, à cause de ma mere, qui me dit toujours qu’il faut fuir l’amour, parce que tous les hommes sont des trompeurs ; je ne crois pourtant pas que vous en soyez un ; c’est pourquoi…
C’est pour cela qu’elle s’est en-allée quand elle vous a vû.
Tu le crois, Grand-Pierre ?
Ah, sûrement, Monsieur.
C’est pourquoi il faut que vous preniez patience, & que vous ne fassiez que ce que je vous manderai quand il en sera temps, J’ai changé d’avis au sujet des bas de soie ; j’aimerois mieux un petit cœur d’or, pour pendre à mon col ; parce que cela ressembleroit tout-à-fait au vôtre, & que je le verrois toujours. Si cependant vous avez acheté la paire de bas de soie, envoyez-la-moi. Adieu, mon cher Monsieur, j’entends ma mere, je ne puis vous en dire davantage. Javotte.
Qu’elle est charmante ! Qu’elle a de l’esprit ! Ne trouves-tu pas, Grand-Pierre ?
Oh, Monsieur, sans doute ; mais ce n’est pas-là tout ; si vous entendiez, quand elle parle, ce qu’elle dit de vous.
Hé, dis donc, dis donc ?
Elle dit tout plein de choses.
Mais quoi, encore ?
Dame, premierement elle disoit… Attendez, attendez… Je ne saurois me souvenir de tout cela.
Disoit-elle qu’elle m’aimoit ?
Oh, beaucoup, beaucoup.
Cela est bien vrai ?
C’est toujours par où elle commence.
Cette chere enfant ! Qu’elle est aimable ! Allons, je m’en vais lui écrire & lui acheter ce qu’elle me demande. Mais, dis donc, n’ai-je pas bien raison de l’aimer de tout mon cœur ?
Vantez-vous-en. N’allez pourtant pas songer à vouloir lui parler avant qu’elle vous le mande.
Ne crains rien, ne crains rien. Ce n’est pas la premiere fois que j’ai eu une intrigue amoureuse ; je sais comme cela se mene.
Vous me paroissez bien malin, vous, Monsieur Raimond.
Pas mal, pas mal. Ah, j’oubliois bien le meilleur. Ma lettre & les bas. Tiens, donnes-lui cela. La joie m’étourdit si fort !…
Je le vois bien.
Sûrement, puisque j’oubliois aussi de te donner quelque chose. Tiens. Il lui donne un écu.
Oh, Monsieur, cela ne fait rien ; & ce n’est pas pour cela que j’en parle.
Adieu, adieu ; je te retrouverai ici ?
Oui, oui, Monsieur ; je n’en démarerai pas.
Il est pris.
Il est pris.
Il est pris.
Scène V.
Tenez, Mesdemoiselles, voilà une lettre.
Oui ; mais il y a encore autre chose.
Il y a des bas. Les voilà.
Voyons, voyons. Ah, il y en a deux paires.
Cela fera une pour toi, & une pour moi.
Sans doute. Ils sont assez beaux.
Et sa lettre ?
Oui, voyons ce qu’elle dit.
Il est bon de savoir s’il n’a pas grande envie de parler à Mademoiselle Javotte.
Je suis bien charmé, Mademoiselle, de ce que vous me faites l’honneur de me dire, que tout ce qui vient de moi vous fait toujours plaisir ; je le redouble aujourd’hui ce plaisir, en vous envoyant deux paires de bas, au lieu d’une que vous m’avez demandée ; je vous prie de les accepter ; je crains seulement qu’ils ne soient trop larges, pour une jambe aussi jolie que la vôtre. Ah ! si je pouvois baiser ce qui est au bout, je veux dire, votre pied ; que je serois heureux !…
Je croyois que c’étoit le genou, moi, qu’il vouloit dire.
Le genou, Justine ! Riant. Ah, ah, ah, il n’est pas si malin que cela.
Oh, pour cela non.
Que je serois heureux ! J’attends le moment fortuné, où je pourrai vous dire de vive voix, que vous régnerez toujours dans mon cœur ; je ne vous crois pas ingrate ; mais il faudroit me le prouver. Je vous l’ai déjà écrit, & vos beaux yeux ont dû lire & penser que je suis incapable de vous rechercher autrement, qu’en légitime mariage, & comme votre très-humble & très-obéissant & respectueux serviteur. Raimond.
Il n’est pas trop empressé ; ainsi, tu vois bien, que tu n’as rien à craindre.
N’a-t-il pas envie de lui parler de vive voix ? S’il alloit l’entreprendre & rencontrer la mere, Madame Louvier, je serois flambé.
Je m’en vais lui recommander encore de se tenir tranquille ; ne sois pas inquiet. Rosalie, donne-moi l’écritoire.
Tiens, la voilà.
Ah bien, je m’en vais vous laisser faire. Il va s’asseoir sur une pierre, & il fume sa pipe.
Ah-çà, que demanderons-nous à présent ? Je voudrois bien avoir une montre.
Ah, une montre ; c’est trop cher.
Oui, c’est vrai ; mais quelque chose qui nous valût un peu d’argent.
Un peu d’argent ? Comment faire ? Ah, tiens, il faut lui demander un bonnet à la rûche ; il viendra peut-être l’acheter ici ; cela nous divertira ; & nous aurons l’argent & la marchandise.
Tu as raison ; c’est bien imaginé. Allons, je m’en vais écrire. Elle écrit, & elle montre à Rosalie à mesure ; & elles rient toutes les deux en faisant la lettre.
Scène VI.
De l’Aune, pendant que nous allons garder la boutique, vous devriez aller replier toutes les pièces de draps d’hier, dans le magasin.
Je m’en y vais, Madame. Il regarde Javotte en s’en allant, qui le regarde aussi.
Scène VII.
Tenez, Javotte, asseyez-vous-là. Javotte s’assied & travaille à la tapisserie. Votre tapisserie est-elle bien avancée ?
Oui, Maman ; tenez, voyez tout ce que j’ai fait depuis hier.
C’est bon. Et votre arithmétique ?
Ah, Maman ! j’ai fait aujourd’hui une multiplication avec sols & deniers, sans faute ; si vous voulez, je m’en vais vous l’aller chercher ; vous verrez. Elle se leve.
Non, non ; restez-là.
C’est que je dis, vous verriez…
Non. Ecoutez-moi ; quand vous êtes ici toute seule avec De l’Aune, qu’est-ce qu’il vous dit ?
Lui ? presque jamais rien, sur-tout depuis quelque temps ; il me paroît même bien triste.
Bien triste ? Je ne vois pas cela ; il me semble qu’il est tout comme à son ordinaire.
Oui, quand vous y êtes ; mais avec moi, il est bien différent. Autrefois, il étoit de la meilleure humeur du monde, quand nous étions ensemble ; à présent ce n’est plus la même chose.
Il s’ennuie peut-être d’être Garçon Marchand.
Ah, mon Dieu, non ; car je lui ai demandé, & il m’a assuré que, tout au contraire, il voudroit rester toujours comme il est.
Tout cela, ce sont des contes. Ma fille, il ne faut pas croire tout ce que disent les garçons ; c’est pour attraper les filles.
Attraper les filles ? Oh, je jurerois bien qu’il ne m’attrapera pas ; vous ne le connoissez pas, Maman ; il n’est pas assez malin pour cela ; je l’attraperois plutôt, moi.
Il ne faut vous attraper ni l’un ni l’autre. Je vais vous parler naturellement, comme une bonne mere & qui a confiance en vous ; répondez-moi de même.
Oui, Maman.
Je voudrois savoir si De l’Aune n’a point d’amour pour vous ?
Je n’en sais rien, Maman ; mais si vous voulez je lui demanderai.
Gardez-vous-en bien.
Pourquoi donc ? si vous voulez le savoir, cela sera bien plutôt fait.
C’est une simple curiosité.
Oh bien, laissez, laissez-moi faire.
Je vous le défends, entendez-vous ?
Mais, Maman, c’est que je ne serois pas fâchée de le savoir aussi, moi.
Comment ; pourquoi donc ?
Maman ; c’est qu’il me diroit peut-être la différence qu’il y a de l’amour à l’amitié ; car je commence à croire qu’il y en a.
Vous me paroissez bien savante.
Ah, Maman, c’est donc vrai ?
Non, non, ce sont des contes qu’on lit dans les Histoires des Romans ; & il ne faut pas qu’une fille en lise jamais.
Oh, je le sais bien ; parce que tout cela n’est pas vrai ; & j’en suis bien fâchée !
Est-ce que vous en avez lu ?
Oui, Maman, au Couvent ; j’en ai lu un qui s’appelloit Hypolite, Comte de Duglas.
C’est fort bien. C’est donc-là que vous avez appris que l’on avoit de l’amour ? Tout cela n’est qu’un nom ; c’est de l’amitié qu’il faut dire ; & une fille ne doit jamais prononcer le mot d’amour, entendez-vous ?
Oui, Maman ; mais si ce n’est pas la même chose.
Comment, & pourquoi ne seroit-ce pas la même chose ?
Je m’entends bien, Maman ; tenez, l’amitié, c’est je crois, ce que je sens pour vous, pour ma tante, pour ma cousine…
Oui, cela est vrai.
Et l’amour est une autre amitié qu’on sent pour…
Achevez, pour ?…
Pour des hommes.
Pour des hommes ? Mais est-ce que vous n’avez pas aussi de l’amitié pour votre oncle ?
Oui ; mais ce n’est pas-là ce que je veux dire.
Allons, allons ; vous rêvez. Croyez-moi ; c’est ce que vous avez de mieux à faire.
Je le sais bien, Maman.
Si vous le savez, pourquoi donc avoir des idées comme celles-là ?
Mais, Maman, ce n’est pas ma faute, elles viennent sans que j’y pense.
Voilà qui est bien ; ne parlons plus de cela.
Comme vous voudrez, Maman.
Scène VIII.
Mad. LOUVIER, Mlle JAVOTTE, GRAND-PIERRE.
Grand-Pierre ?
Mademoiselle.
Tiens, voilà sa réponse.
C’est bon.
Ah, voilà Monsieur Raimond !
Il veut entrer chez Madame Louvier, je crois.
Oh, nous sommes perdus ! Il court écouter ce que dit Monsieur Raimond.
Mademoiselle, je vous apporte moi-même…
Monsieur, qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?
Madame… Mais je me trompe… je cherchois… je croyois que c’étoit ici… l’enseigne de la Lune d’argent.
Non, Monsieur ; c’est dans la rue Thibauthodé, la deuxieme rue après celle-ci.
Madame, je vous demande bien pardon.
Monsieur, il n’y a pas de mal.
Je suis bien votre très-humble serviteur.
Et moi, Monsieur, votre très-humble servante.
Ah, Grand-Pierre, je viens de faire une terrible faute !
Et je vous ai bien vû.
J’ai cru Mademoiselle Javotte seule… J’ai peur qu’elle ne soit fâchée contre moi.
Et que n’attendiez-vous aussi ce qu’elle vous manderoit ?
Hé, vraiment oui, mais quand je ne la vois pas, je veux la voir ; quand je la vois, je veux lui parler, & puis… Mais, dis-moi ; m’a-t-elle fait réponse ?
Oui, Monsieur, la voilà.
Que tu es heureux ! Tu lui parle comme tu veux, toi.
Hum, hum, hum… Ah, toujours charmante ! Hum, hum, hum… Oui, oui ; cela ne m’arrivera plus, bien sûrement. Hum, hum, hum… Comment ne l’aimerois-je pas ? Hum, hum, hum… Un bonnet à la rûche ? Où trouverai-je cela ?
Un bonnet à la rûche ?
Oui ; qu’est-ce que c’est que cela ?
Ma foi, je n’en sais rien. Un bonnet ? Ce ne peut être que pour elle. Les Marchandes de Modes vous diront cela.
Les Marchandes de Modes ? Je crois que tu as raison. Celles qui demeurent là, sont-elles habiles ?
Oh, Monsieur, ce sont les plus fameuses de Paris
Allons, je vais y entrer. Donnant un petit paquet à Grand-Pierre. Tiens, tâche, dès que tu le pourras, de donner ceci à Mademoiselle Javotte, & de lui dire que je suis bien fâché de n’avoir pas vu sa mere ; que je n’aurois pas tenté de lui parler malgré elle, que je lui en demande bien pardon. Entends-tu ?
Oui, Monsieur.
Je dirai qu’on te donne le bonnet à la ruche ; & je t’apporterai une lettre d’excuses pour Mademoiselle Javotte, que tu lui donneras avec… Tu comprends bien ?
Oui, oui, Monsieur ; ne vous embarrassez pas. Je m’en vais entrer chez elle ; & dès qu’elle sera seule, je lui remettrai cela.
C’est fort bien ; je vais acheter ce bonnet qu’elle me demande.
Allez, allez ; ces Demoiselles vous serviront bien. Il entre chez Madame Louvier ; & Monsieur Raimond entre chez Justine & Rosalie.
Scène IX.
Y a-t-il quelque chose pour le service de Monsieur ? Des bourses à cheveux, des nœuds d’épées, cordons de cannes, cordons de montres ?
Des sacs à ouvrage pour les Dames, des bonnets à la paysanne, des bonnets à la rûche ?
Voilà précisément Mesdemoiselles, ce que je demande.
Monsieur, donnez-vous la peine de vous asseoir. Vous allez voir tout ce qu’il y a de plus beau en bonnets à la paysanne.
Non, non ; ce n’est pas cela.
C’est des bonnets à la rûche, que Monsieur veut ?
Oui, Mesdemoiselles, à la rûche.
Oh, Monsieur, nous en avons : vous allez en voir, & tout ce qu’il y a de mieux fait.
Je ne veux pas épargner, ainsi…
Monsieur, vous n’en avez pas l’air ; & nous connoissons un peu notre monde. Tenez, Monsieur, regardez cela ; voilà un des plus beaux bonnets à la rûche, qu’il y ait jamais eu.
Vous me l’assurez ; parce que moi…
Oh, pour cela, ce n’est pas Monsieur que nous voudrions tromper.
Je le crois ; & combien le vendez-vous ?
Faut-il parler à Monsieur en confidence ?
Sans doute, sans doute ; je n’aime pas à marchander.
Hé bien, Monsieur ; c’est douze francs, ni plus, ni moins.
Douze francs ? Ne pourriez-vous pas l’embellir un peu ; mais d’une façon modeste, cependant ; je voudrois y mettre un louis.
Monsieur, rien n’est plus aisé. Justine, il n’y a qu’à y mettre un ruban de dentelle.
Oui ; mais c’est une affaire de quinze francs de plus.
Oh, bon, avec Monsieur ; nous ne regarderons pas à un écu. Si Monsieur veut attendre, cela sera fait dans le moment. Elle travaille au bonnet.
C’est que je suis un peu pressé. Vous demeurez-là dans un beau quartier.
Oui, Monsieur, & un quartier d’honnêtes gens ; voilà ce qu’il y a de plus agréable.
Vous connoissez sûrement Madame Louvier ?
Fort peu, Monsieur ; c’est une femme froide & sévere.
C’est ce qui me paroît. Est-ce sa fille qui est avec elle ?
Oui, Monsieur : oh, c’est bien le plus joli caractère du monde. Elle est charmante.
C’est bien vrai cela, qu’elle est charmante, Mademoiselle Javotte.
Ah, vous savez son nom ; vous la connoissez donc ?
Moi ? non… Comme cela. Vient-elle quelquefois ici ?
Non, Monsieur, elle ne quitte jamais sa mere, & elles ne nous ont encore rien acheté, depuis que nous sommes dans le quartier.
Est-ce qu’elle est méchante, Madame Louvier ?
Méchante ? je crois que non, n’est-ce pas, Justine ?
Je ne sais pas, mais… Il ne faut pas dire de mal de ses voisins.
J’entends ; elle n’est pas trop bonne.
Je ne dis pas cela ; cependant, il ne faudroit pas trop s’y frotter.
Elle a fait mourir son mari de chagrin, par sa jalousie ; c’est une femme qui prend la mouche sur un rien.
Cela n’est pas agréable.
Oh, point du tout, & je crois que la petite personne a beaucoup à souffrir avec elle : enfin, elle n’ose seulement pas nous saluer devant sa mere.
C’est un peu extraordinaire.
Ajoûtez à cela, qu’elle est d’une avarice affreuse.
On m’en avoit dit quelque chose.
Elle refuse tout à sa fille.
Que je la plains !
Monsieur, ne dites pas que nous vous avons dit cela ; car il faut vivre en paix avec ses voisins, tels qu’ils soient.
Ne vous mettez pas en peine ; je ne dis jamais rien de tout ce que je sais.
Voilà votre bonnet qui va être bientôt fini.
Oui ; mais j’ai affaire ; & je ne peux pas rester plus long-temps ; je vais vous le payer ; & je vous prierai de le donner à Grand-Pierre, qui sait où je demeure, & qui me l’apportera.
Grand-Pierre ?
Oui ; vous le connoissez ?
C’est lui qui fait toutes nos commissions.
Voilà douze francs, dix-huit, vingt-quatre.
Monsieur, en vous remerciant ; quand il vous faudra autre chose, nous vous demandons la préférence.
Sûrement.
Donnez une enseigne à Monsieur.
Je n’en ai pas besoin ; je passe tous les jours par ici. Adieu, Mesdemoiselles ; je suis bien votre serviteur.
Monsieur, nous nous recommandons à vous, pour vous & pour vos amis.
Oui, oui.
Scène X.
GRAND-PIERRE, ROSALIE, De L’AUNE.
Hé bien, le bonnet à la rûche a bien réussi.
Je mourrois d’envie de rire.
Paix donc ; il pourroit revenir. Elles parlent bas & rient.
J’ai envie de sortir un moment. Grand-Pierre, dites à De l’Aune de descendre.
Le voilà, Madame.
Monsieur De l’Aune ; c’est que je vais aller chez Madame Dupont ; je vous en prie ne sortez pas ; je m’en vais revenir.
Oui, Madame.
On m’a dit que Monsieur votre oncle étoit à Paris, depuis quelques jours ; je l’ai prié de me venir voir.
Mon oncle, Madame ?
Oui, j’ai affaire à lui.
Mais, Madame, j’ai cru que vous ne le connoissiez pas.
Je ne l’ai jamais vu ; mais il m’a écrit. S’il vient, priez-le de m’attendre ; je ne ferai qu’aller & venir. Elle prend sa robe qu’elle retrousse & sort de la maison.
Madame, je n’y manquerai pas.
Scène XI.
Madame Louvier est sortie ; ainsi je ne m’éloignerai pas. Tenez, voilà ce que Monsieur Raimond m’a donné.
C’est bon ; nous allons voir.
Tu peux être tranquille ; je ne crois pas qu’il ait envie de rencontrer une seconde fois Madame Louvier.
Je vas toujours m’asseoir au coin de la rue, pour le voir venir.
Nous t’avertirons. Elles lisent la lettre de M. Raimond ; & elles rient tout bas. Grand-Pierre se couche à terre & s’endort.
Monsieur De l’Aune, vous avez donc un oncle ?
Oui, Mademoiselle.
Et il est à Paris ?
On me l’a dit ; mais je ne l’ai jamais vu.
Pourquoi cela ?
C’est qu’il est fâché contre moi.
Mais, tans pis. Et à cause de quoi ?
Parce qu’il avoit décidé que je serois Médecin.
Et vous n’avez pas voulu l’être ?
Je vous demande pardon, Mademoiselle.
Et pourquoi donc ne l’avez-vous pas été ?
Parce que… Tout d’un coup, il m’a pris envie de me faire Marchand de drap.
Marchand de drap ?
Oui, Marchand de drap.
C’est bien penser… &… en avez-vous encore envie ?
Toujours, je ne changerai jamais.
Jamais ?
Non, Mademoiselle.
Et comment s’appelle Monsieur votre oncle ?
Monsieur le Roux ; il est Receveur des Gabelles à Melun.
C’est-il bien loin, Melun ?
Oh, oui, Mademoiselle.
Bien loin, bien loin ?
Il y a, je crois, plus de treize lieues.
Treize lieues ! je n’irai jamais dans ce pays-là.
Oh, ni moi non plus, j’en suis bien sûr.
Il ne faut jurer de rien.
Ah, mon Dieu, Mademoiselle ; vous me faites trembler !
On ne sait pas ce qui peut arriver.
Comment, sauriez-vous ?…
Non ; mais c’est qu’un malheur vient tout d’un coup, quelquefois.
Est-ce que vous en auriez jamais vu arriver, des malheurs ?
Non ; mais j’en ai lû ; & quoiqu’on dise que les livres ne sont pas vrais, je ne sais pourquoi, mais je crains toujours ce qu’ils prédisent.
Ah, il disent quelquefois des choses bien heureuses.
C’est que vous en connoissez de bons apparemment ?
Si vous aviez lu Hipolyte, Comte de Duglas, par exemple…
Mais je l’ai lu.
Il y a là une Julie… Il soupire. Je sais bien à qui elle ressemble.
Et Hipolyte ? Il me semble que je le vois tous les jours.
Comme Hipolyte aime Julie !
Et comme Julie aime Hypolyte !
C’est un grand bonheur de s’aimer comme cela !
Oui ; c’est un grand bonheur !… Quand il n’arrive pas de malheur.
Mais, dans le malheur on pense toujours à ce qu’on aime.
Ah, toujours, toujours. C’est bien dommage, qu’on ne puisse pas être comme les personnages des livres !
Je vous assure qu’il y a des gens comme cela.
Oh, gueres, je crois.
J’en connois qui sont à moitié tout de même.
A moitié ?… Qu’est-ce que cela veut dire ?
Cela veut dire… Je n’oserai jamais vous l’expliquer.
Pourquoi ? Ah, je vous en prie, Monsieur De l’Aune, dites, dites donc ?
Hé bien, ne me regardez pas.
Je ne vous regarderai pas.
C’est à-dire, qui aiment… Et qui voudroient…
Et qui voudroient ?…
Et qui voudroient bien être aimés.
Ah, oui, je comprends cela. Vous seriez donc bien aise d’être Hipolyte ?
Et vous, voudriez-vous être Julie ?
Mais cela ne se peut pas.
Non ; mais nous pourrions être comme eux.
Avoir de l’amour ?
Mais…
Si c’étoit de l’amitié, encore passe.
De l’amitié ? ce n’étoit pas de l’amitié que Julie avoit pour Hipolyte.
C’est vrai.
J’imite bien plus en cela Hipolyte, que vous n’imitez Julie ; & voilà mon malheur, à moi.
Sans cet amour, je vous aimerois bien ; ayez de l’amitié.
Julie ne disoit pas cela à Hipolyte.
Comment voulez-vous donc que je fasse ?
Comme moi.
Comme vous ? Rêvant. Si personne que nous ne le savoit encore.
Oh, je vous réponds de vous bien garder le secret.
C’est que ma mere… votre oncle peut-être…
Ils n’en sauront rien.
Il faudra que nous lisions ensemble le livre d’Hipolyte.
C’est bien penser.
Et nous nous dirons tout ce qu’ils se disoient.
Je vous dirois bien encore autre chose, si vous vouliez m’aimer toujours.
Hé bien, Monsieur De l’Aune, dites, je vous le promets ; qu’est-ce que c’est ?
Je voudrois bien que vous voulussiez lire ce que je vous ai écrit, il y a déjà long-temps.
Donnez.
Je vais le chercher.
Attendez, il me vient une idée.
Qu’est-ce que c’est ?
Si nous disions notre secret à votre oncle, peut-être qu’il en parleroit à ma mere ; & puis…
On pourroit nous marier ensemble. Ah, quel bonheur !
Vous en seriez donc bien aise ?
Bien aise ? Ah !… Vous allez le voir dans ce que je vous ai écrit. Laissez, laissez-moi faire. Je vais vous le chercher, & puis j’apporterai aussi le livre d’Hipolyte.
Si Monsieur le Roux venoit avant ma mere.
Cela seroit bien heureux. Nous verrons, je vas revenir.
Scène XII.
Mlle JAVOTTE, M. RAIMOND, GRAND-PIERRE, dormant.
Monsieur De l’Aune ? Monsieur De l’Aune ; venez, venez ; je crois que voilà Monsieur le Roux.
Mademoiselle, je viens de voir Madame Louvier dans une maison ; souffrez que je puisse avoir l’honneur de vous parler un moment.
Monsieur, je serai très-aise de vous parler aussi avant qu’elle revienne ; donnez-vous la peine de vous asseoir. Monsieur De l’Aune va venir ; & j’ai une grâce à vous demander.
A moi, Mademoiselle ? Je suis charmé, enchanté, réjoui de ce que… c’est un bonheur…
Un bonheur, oui, si vous ne retournez pas à Melun, tout de suite.
A Melun ? non, Mademoiselle, je veux rester ici à vous aimer toujours.
Je le voudrois bien, Monsieur, & votre neveu aussi.
Mon neveu, mon neveu ? Je n’ai point d’autre desir, Mademoiselle, écoutez-moi, je vous en supplie. Je suis riche, & si vous voulez consentir…
Monsieur, ce n’est pas le bien qui me fait souhaiter…
Ah, je le sais ; je connois votre façon de penser ; elle est adorable.
De l’Aune paroît ; & Javotte lui fait signe de rester derriere.
Scène XIII.
Monsieur, je suis trop heureuse, si vous m’estimez assez pour me demander à ma mere, pour…
Je n’ai jamais eu d’autre desein, Mademoiselle ; vous le savez bien, &…
Ah, que je suis heureux !
Monsieur, je n’en savois rien ; mais je ne puis vous dissimuler que je suis charmée de vous voir dans des dispositions aussi favorables pour nous.
En ce cas-là, je ne perdrai point de temps ; je vais en parler dans l’instant à Madame Louvier.
Tenez, Monsieur De l’Aune ; venez remercier Monsieur le Roux, de ses bonnes intentions.
Vous vous trompez de nom, Mademoiselle ; quant à mes intentions, je suis bien aise que Monsieur les approuve ; puisque vous le désirez.
Sûrement ; c’est le plus grand bonheur !…
Ah, sans doute.
Pour nous !
Que vous êtes charmante ! Je le croyois bien par tout ce que j’ai lu ; mais vous êtes encore au-dessus de tout ce que je pensois : cependant, vos lettres m’enchantoient !
Mes lettres ?
Oui, puisque Monsieur est dans le secret, je peux le dire devant lui ; je n’ai jamais rien lu qui m’ait fait autant de plaisir.
Quoi, mon oncle ! Mademoiselle Javotte vous a écrit ? Vous ne m’avez pas dit cela, Mademoiselle.
Je ne sais ce qu’il veut dire.
Mademoiselle, est-ce que Monsieur est votre neveu, qu’il m’appelle déjà son oncle ?
Non, Monsieur ; quelle plaisanterie ! Dites-lui donc, je vous en prie, si je vous ai jamais écrit.
Pourquoi ne pas en convenir ? Il n’y a plus de mystere.
Comment, je vous ai écrit ! moi ?
Oui, charmante Javotte ; & sans cela, aurois-je pu vivre, sans le bonheur de me savoir aimé de vous.
En vérité, Monsieur le Roux, je ne vous comprends point.
Mais, je ne vois pas pourquoi vous voulez toujours m’appeller Monsieur le Roux.
Quoi, Monsieur, vous n’êtes pas mon oncle ?
Non, je ne suis pas votre oncle ; en voici bien d’une autre ; quelle fantaisie !
Et Mademoiselle Javotte, vous a écrit qu’elle vous aimoit ?
Oui, Monsieur, pourquoi pas ?
C’est une fausseté.
Ah, Mademoiselle Javotte !
Tenez, Monsieur, cela est si vrai, que je peux vous montrer ses lettres.
Voyons, Monsieur.
Non, je ne le ferai pas ; mais voilà Grand-Pierre, qui vous dira que cela est vrai ; il n’y a qu’à le réveiller ?
Grand-Pierre, Grand-Pierre ?
Qu’est-ce qu’il y a ? Voyant M. Raimond. Eh, Monsieur, qu’est-ce que vous faites ici ?
Grand-Pierre ? N’est-ce pas toi, qui donnois mes lettres à Mademoiselle Javotte ?
Moi, Monsieur ?
Allons, parle.
Oui, oui, Monsieur. A De l’Aune. C’est un fou.
Non, non ; je ne suis pas fou ! & je vais le prouver. Il cherche dans ses poches.
Allons-nous-en. Il veut s’en aller.
Reste-là.
Je vois que vous m’avez trompé, & que vous aimez Monsieur De l’Aune, ingrate.
Ah, voilà Madame Louvier, je suis perdu ! Il veut encore s’en aller.
C’est inutile, tu ne t’en iras pas.
Scène XIV.
M. RAIMOND, De L’AUNE, GRAND-PIERRE.
Monsieur, je vous demande bien pardon, de vous avoir fait attendre.
Ah, Madame ! prenez pitié de l’homme du monde le plus malheureux.
Il n’y a point de malheur à cela, Monsieur : je m’en étois toujours douté.
Quoi, Madame, réellement ?
Oui, vraiment ; & quand on se convient…
Ah, Madame, vous me rendez la vie !
Il y a long-temps que j’ai pensé que Monsieur De l’Aune & ma fille, s’aimoient ; quoiqu’elle n’en ait pas voulu convenir avec moi ; & voilà pourquoi je vous ai fait prier de me venir voir.
Vous m’avez fait prier de venir vous voir ?
Oui, Monsieur.
Et pour me dire cela ?
Sans doute, & je ne vois pas que nous ayons rien de mieux à faire, que de les marier ensemble.
Quoi, Mademoiselle, vous y consentiriez ?
Oui, Monsieur ; puisque c’est la volonté de Maman.
Pourquoi n’y consentiriez-vous pas aussi ?
Peut-on être trompé aussi cruellement !
Répondez-moi donc ?
Allons, Monsieur, croyez-moi, allez-vous-en.
Non, Madame ; ce mariage-là ne se fera pas, si vous voulez m’entendre.
Je ne vous comprends pas.
Je m’en vais m’expliquer. Je vois que vous me croyez l’oncle de Monsieur De l’Aune ; & je ne le suis pas ; mais j’aime aussi Mademoiselle Javotte.
Monsieur, je suis fâchée qu’elle en aime un autre ; mais je ne puis pas la rendre malheureuse pour vous faire plaisir.
Apprenez du moins, comme elle s’est jouée de ma foiblesse.
Ma fille ?
Oui, Madame.
Je m’en vais écouter ; cela me paroît long.
J’ai aimé Mademoiselle Javotte, dès que je l’ai vue. J’ai du bien ; mais j’ai voulu avoir son consentement, avant de vous la demander. J’ai chargé Grand-Pierre de lui remettre une lettre de ma part. Il m’a repporté une réponse favorable ; je lui en ai écrit encore beaucoup d’autres ; elle m’a toujours mandé qu’elle me diroit quand il seroit temps de vous parler.
Ah, Maman ! il n’y a pas un mot de vrai.
Ce que vous me dites là, Monsieur, m’étonne ; qu’elle réponde elle-même.
Non, non, Maman, ne le croyez pas. C’est un procédé dont je suis incapable, Monsieur De l’Aune.
Hé bien, Monsieur ?
Madame, je n’ai rien avancé qui ne soit très-vrai ; en voilà la preuve. Lisez ces lettres. Il donne des lettres à Madame Louvier.
De moi, Monsieur ?
Oui, Mademoiselle ; il n’est plus temps de dissimuler ; vous savez comme je vous aime ; je vous donne tout mon bien, si…
Mais, Monsieur ; ce n’est pas-là l’écriture de ma fille.
Comment, Madame ?
Non, Monsieur ; & je vous crois trop honnête homme, pour vouloir employer des moyens aussi grossiers, pour avoir une fille malgré elle & ses parens.
Ah, je respire !
Je n’y comprends rien ; mais Grand-Pierre peut vous certifier ce que j’avance.
Grand-Pierre, dis ce que tu sais, tout-à-l’heure.
Mais, Monsieur…
Il n’y a qu’à le mener chez le Commissaire.
Hé bien, Monsieur, je vais tout avouer.
Rosalie, viens vîte ici.
Parle donc ?
Hé bien, Madame, tout ce qu’a dit Monsieur, est très-vrai.
Quoi, ma fille ?…
Non, Madame, les lettres ne sont pas d’elle ; mais comme cela me valoit de l’argent, je les ai fait faire.
Et par qui, coquin ?
Ah, Monsieur, par d’aimables Demoiselles, que cela divertissoit beaucoup ; nos voisines d’ici à côté, & qui ne vous demandent rien pour cela ; car vous les avez bien payées.
Tais-toi. J’ai donc été la dupe de ma bonne foi !
Allons nous cacher, jusqu’à ce qu’il soit parti.
Scène XV.
Vous voyez, Madame, que je suis excusable ; j’espere que vous me pardonnerez ceci ; je suis trop puni de ma sotte crédulité. Que Mademoiselle soit heureuse avec Monsieur De l’Aune ; elle le mérite ; & j’en serai charmé. A Grand-Pierre, pour toi, coquin, que je ne te revoye jamais, non plus que celles qui se sont aussi impudemment moquées de moi. Il s’en va.
Scène XVI.
Ma fille, si vous m’aviez dit que vous aimiez Monsieur De l’Aune, votre bonheur seroit plus avancé ; mais il n’y a rien de perdu ; & j’espere qu’avec les avantages que je vous ferai, son oncle ne s’y opposera pas.
Explication du Proverbe :
29. L’occasion fait le Larron.
- ↑ Il est nécessaire que ce Rôle soit rendu en bredouillant, comme un homme qui veut parler vite, qui cherche, qui répéte & non pas en bégayant. Sans cette façon de le rendre, il feroit moins d’effet, & ne seroit point comique.