Proverbes dramatiques/Les Deux Chapeaux
LES DEUX
CHAPEAUX.
PERSONNAGES.
Scène premiere.
Il est inconcevable, que j’aie perdu la lettre du Marquis ! Mais dites donc, Mademoiselle, qu’est-ce que j’en ai fait ?
Madame l’a reçue à la toilette.
C’est vrai. Ah, la voilà ! Dites un peu qu’on ne me laisse entrer personne.
Hors Monsieur le Marquis ?
Sans doute ; mais il ne viendra pas, il vient de me le mander.
Cela n’y fera rien, peut-être…
Donnez-moi mon écritoire & allez-vous-en.
Scène II.
Comment peut-il ne me pas voir aujourd’hui, quand j’ai tout arrangé… Qui est-là ?
C’est moi.
Par quel hasard, à l’heure qu’il est ?
Qu’est-ce que vous cachez-là ?
Ce n’est rien, Monsieur. Elle ferme son écritoire.
Je veux le voir.
Moi, je ne le veux pas.
Je vous dis que je veux absolument que vous me le montriez.
Cela est inutile, vous dis-je.
Madame, ces façons-là ne me conviennent point du tout.
J’en suis bien Tâchée ; mais cela ne sera pas autrement.
C’est ce que nous verrons. Vous confirmez mes soupçons, si vous voulez que je vous le dise.
Et quels soupçons, Monsieur ?
Vous devez m’entendre.
Je ne suis pas aussi pénétrante que vous.
Madame, ceci n’est point du tout une plaisanterie.
Je le vois bien.
Ne me forcez donc pas de m’expliquer.
Oh, c’est précisément ce que je vous demande.
Hé bien, Madame, vous devez être assez raisonnable pour vous déterminer à ne plus voir le Marquis.
Le Marquis ! & la raison, s’il vous plaît ?
Je n’ai pas d’autres choses à vous dire.
Mais, Monsieur, c’est un homme de fort bonne compagnie.
Il peut l’être pour vous ; mais il ne l’est pas pour moi.
Cela est d’une singularité !…
Singularité, tant qu’il vous plaira…
Mais, comment voulez-vous que je l’empêche de venir ici ?
En lui faisant défendre votre porte.
Cela sera fort honnête.
Plus que vous ne pensez. Enfin, je vous en prie, & très-sérieusement.
Vous vous donnerez-là une belle réputation ; car on vous devinera.
C’est mon affaire. Il sort.
Scène III.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Elle écoute. Le voilà sorti. Écrivons au Marquis. Elle écrit.
Scène IV.
Madame, vous me voyez, malgré ce que je vous ai mandé, j’ai trouvé le moment de m’échapper ; mais qu’avez-vous donc ?
Je suis desespérée, je ne sais qui vous a desservi auprès de mon mari…
Comment ?
Il ne veut plus que je vous voye.
Est-il bien possible ? je sais d’où cela vient.
De qui ?
De Madame de Mirecourt.
Elle en seroit capable ?
Vous ne la connoissez pas.
Que lui avez-vous fait ?
Rien ; mais c’est vous qu’elle veut persécuter ; elle ne vit que de tracasseries ; elle avoit voulu m’y associer ; mais je l’ai traitée avec un si grand mépris, que je ne suis pas surpris de ce qui nous arrive. Mais que vous a dit votre mari, que croit-il ?
Fort peu de chose, je crois. Je ne l’ai même jamais vu jaloux.
C’est sûrement cette femme-là qui a tout fait. Mais quel parti prenez-vous ? m’abandonnerez-vous ?…
Ah ! Marquis, tout cela m’afflige, me tourne la tête.
Si vous m’aimiez réellement !…
Et c’est parce que je vous aime.
Il faut laisser passer cette boutarde ; elle ne sauroit durer. J’ai même un moyen sûr, si vous y voulez consentir, & très-facile, je dérouterai Madame de Mirecourt.
Et comment ?
Elle m’a cru lié avec une autre femme, je n’ai qu’à feindre de lui rendre des soins…
Non, ce moyen-là ne me plaît point du tout.
Que craignez-vous ?
Cette femme peut devenir sensible, & d’indifférente qu’elle vous seroit, vous pourriez…
Vous ne vous rendez pas justice.
Il vaut mieux que vous me voyez chez ma sœur.
Quoi, jamais ailleurs ?
Je ne peux pas empêcher que vous ne soupiez quelquefois dans les mêmes maisons.
Vous feignez de ne me pas entendre.
Pardonnez-moi, je vous entends ; si le soin de ma gloire vous occupoit…
Ah ! pardonnez…
Voilà à quoi nous exposent nos maris avec leurs façons ; mais ne comptez pas en profiter jamais.
Je n’ai point d’autres desseins que de faire ce qui pourra vous plaire.
Ne m’en parlez donc plus.
Je vous le promets. Il lui baise la main.
Qu’est-ce que j’entends ; j’ai fait fermer ma porte, voyez un peu.
C’est votre mari !
Et votre carrosse ?
Il est chez ma mere, je suis venu tout seul.
S’il va entrer ici ! je crois l’entendre, cachez-vous dans mon boudoir.
J’y vais. Il laisse son chapeau sur le fauteuil où il étoit assis, & il entre dans le boudoir.
Scène V.
Qu’on n’ôte pas mes chevaux. Et continuant de lire ; il s’approche du fauteuil où étoit le Marquis, y laisse tomber son chapeau & s’assied. A Madame de Brécourt, toujours en lisant. Vous n’êtes pas sortie ?
Non.
⸺ Pourquoi n’avez-vous pas été à l’Opéra[1] ?
C’est que je ne m’en suis pas souciée apparemment.
⸺ Vous ne vous en êtes pas souciée ? ⸺ Si vous n’aviez pas de petite loge, vous me tourmenteriez pour en avoir une.
Cela pourroit bien être.
⸺ Le Marquis est-il venu ?
Vous avez donné de si bons ordres…
Moi ?
Apparemment. ⸺ Pourquoi rentrez-vous donc à présent ?
Pourquoi ? ⸺ Il remet ses papiers dans sa poche. Parce que je veux reposer mes chevaux ; j’ai couru tout le Marais sans trouver personne.
Il falloit aller chez Madame de Mirecourt.
⸺ Il monte sa montre. Madame de Mirecourt ?
Sans doute ; c’est une femme charmante, elle vous ressemble.
⸺ Il remet sa montre. Je ne peux la souffrir.
Vous ne soupez pas ici apparemment ?
⸺ Il ronge le bout de son doigt. Je ne sais pas si je souperai. Il se coupe une envie au doigt. Ils veulent que je prenne du lait.
A la bonne heure, car je vous avertis qu’il n’y a point de souper. Je ne mangerai rien.
⸺ Il remet ses ciseaux. Vous ne mangerez rien ?
Non ; ainsi si vous voulez souper, je vous conseille de vous en aller plutôt, que plus tard.
⸺ Il prend du tabac lentement. Je verrai.
Mais si vous n’avez pas de chevaux, prenez les miens.
Oui, & puis vous direz que je vous les ai estropiés.
Quel raisonnement !
⸺ Remettant sa tabatiere. A propos de chevaux, je vous en ai acheté deux beaux, fort grands.
Je ne me soucie pas plus des grands chevaux, que des grands hommes.
Vous vous en servirez pourtant.
Déterminez-vous donc, si vous voulez souper dehors.
⸺ Il raccommode une de ses boucles de jarretieres. Oui, vous avez raison.
Allons, allez-vous-en donc, Monsieur.
Il la regarde. ⸺ Savez-vous que je ne vois personne coëffee comme vous.
Qu’est-ce que cela vous fait ?
Oh, moi, rien du tout ! Il se leve lentement, & il prend le chapeau du Marquis pour le sien, sans y regarder. ⸺ Je reviendrai peut-être vous tenir compagnie, puisque vous êtes seule.
Ne vous gênez pas.
Sûrement, je reviendrai. A ses gens. Allons, hé.
Scène VI.
Mais, savez-vous qu’il est assommant.
Vous êtes bien heureux qu’il ne se soit pas endormi ; car quelquefois, il vient chez moi pour pour me faire cette faveur-là. Le Marquis veut s’asseoir, & prend le chapeau de M. de Brécourt, sans y regarder. Que faites-vous donc ?
Mais…
Non, je ne veux pas que vous restiez.
Et pourquoi ?
Vous avez dû entendre qu’il va revenir.
Mais un instant seulement.
Je ne veux pas qu’il vous surprenne ici.
Mais quand vous verrai-je ?
Je vous le manderai ; allez-vous-en, je vous en prie.
Comme vous me renvoyez sans peine.
Je ne veux pas vous perdre tout-à-fait ; voilà ce que vous devriez voir, au lieu de me faire des reproches.
Hé bien, je vous demande pardon. Il lui baise la main.
Adieu, Marquis, adieu.
Adieu, Madame, puisque vous le voulez. Il sort.
Scène VII.
Ah, Madame, j’ai été dans une belle inquiétude quand j’ai entendu arriver Monsieur ! Où avez-vous donc caché Monsieur le Marquis ?
Dans mon boudoir.
C’est qu’il a été long-temps ici, Monsieur.
J’ai cru qu’il ne s’en iroit jamais ; bon, le voilà qui revient ; je suis fâchée de n’être pas sortie.
Il est encore temps. Je m’en vais demander vos chevaux.
Hé bien, oui ; je dirai que ma sœur m’a envoyé chercher : il y viendra peut-être ; mais cela vaudra mieux que de rester seule ici avec lui. Victoire sort par la garde-robe.
Scène VIII.
Quoi, Monfteur, vous voilà déjà ?
Oui, Madame, me voilà.
Qu’avez-vous donc ? est-ce encore quelque nouvelle folie ?
Non, Madame, ce n’est pas une folie.
Vous m’épouvantez ! Que vous est-il donc arrivé ?
Vous m’avez dit que le Marquis n’étoit pas venu ici ?
Oui, Monsieur ; quoi, c’est encore cela !
Oui Madame, vous avez le front de me soutenir qu’il n’est pas venu.
Pourquoi ne le soutiendrois-je pas ?
Parce que cela n’est pas vrai.
Allons, Monsieur, vous rêvez. Si vous allez vous mettre à me tourmenter comme cela, je n’y tiendrai pas ; je vous en avertis.
Quand on ne fait que des choses honnêtes, on n’a pas recours au mensonge.
Je vous dis ce qui est ; & je vous prie de me laisser.
Non, Madame, vous ne dites pas la vérité. Il est peut-être ici encore au moment que je vous parle.
Hé bien, Monsieur, cherchez, si vous ne me croyez pas.
Je n’ai pas besoin de chercher pour vous convaincre.
Comment donc ?
Tenez, Madame, voilà son chapeau que j’ai pris sur ce fauteuil, au lieu du mien.
Son chapeau ?
Oui, voyez le cachet.
Hé bien, s’il est meilleur que le vôtre, vous n’avez pas perdu au change.
Vous le prenez sur ce ton-là, Madame ; hé bien nous nous séparerons.
A la bonne heure.
Je vais trouver tous vos parens, & leur rendre compte de votre conduite.
Explication du Proverbe :
19. Le feu ne va point sans fumée.
- ↑ Nota. ⸺ Cette marque indique des temps de silence nécessaires dans le jeu de cette Scène.