Psalmanaazaar et la langue formosane

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PSALMANAAZAAR ET LA LANGUE FORMOSANE

Lorsque j’ai publié (Revue t. XIX, p. 147-169) un article sur la langue taensa, j’y rappelais naturellement la grande fourberie de Psalmanaazaar. Plusieurs personnes m’ont fait l’honneur de me demander où j’avais pris les détails que je donnais sur cette langue imaginaire, faite de toutes pièces par l’aventurier provençal. Je les avais empruntés simplement au livre de Psalmanaazaar lui-même, dont il me paraît intéressant de reproduire la partie linguistique tout entière. (Description de l’île Formosa en Asie, Amsterdam, 1705, in-12, p. 137-150, chap. xviii.)

J. V.
DE LA LANGUE DES FORMOSANS

La langue qui est en usage à Formosa est la même que celle du Japon, avec cette différence que les Japonnois ne prononcent pas les lettres gutturales comme les Formosans, et qu’en certaines expressions ils n’ont ni élévation ni inflexion de voix ; par exemple, les Formosans distinguent le tems passé d’avec le présent, en élevant la voix, et le futur en la baissant. Cette inflexion de voix, dans une ou plusieurs syllabes d’un même mot, fait presque toute la différence des tems des verbes. Ils ont trois genres, qu’ils distinguent par trois articles : toutes les créatures vivantes sont ou du masculin ou du féminin, et toutes les choses sont du neutre. Leurs noms ont tous les cas semblables, un singulier et un plurier seulement. Comme je n’ai pas dessein de faire ici une grammaire, je me contenterai de dire, en général, que cette langue est assez aisée, fort riche et fort harmonieuse, mais difficile à prononcer. Si on demande d’où elle est dérivée, je répondrai qu’il n’y a que la seule langue du Japon avec laquelle elle ait du rapport. Cependant on trouve quantité de mots qui paroissent venir de plusieurs autres langues, en changeant seulement ou la signification, ou la terminaison.

Il semble que les Japonnois, qui, selon la commune opinion, sont originaires de la Chine, d’où leurs Ancêtres ont été bannis, auroient deu au moins en conserver la langue ; mais les meilleurs Auteurs veulent nous persuader qu’un grand nombre de Chinois ayant été véritablement réléguez par leurs compatriotes dans les isles du Japon, qui étoient alors inhabitées, en punition de quelque soulèvement contre leur Prince, ils conceurent tant de haine contre leur Païs, qu’ils résolurent non seulement de prendre des coutumes et de se gouverner par des lois toutes contraires à celles des Peuples dont ils sortoient, mais même d’oublier leur langue naturelle pour en inventer une qui ne pût être entendue des Chinois, qu’ils vouloient oublier, et avec lesquels ils ne vouloient plus avoir aucun commerce ni liaison. De quelque raison qu’on puisse appuyer cette conjecture, on a peine à comprendre que tout un Peuple puisse venir à bout d’une telle entreprise et qu’un si grand changement se soit pu faire, sans qu’il en paroisse au moins quelque trace dans les mots, ou dans le tour de la phrase : car il n’y a pas dans le monde deux langues plus opposées que l’est celle de la Chine avec celle du Japon. Quoi qu’il en soit, les Formosans ont apporté avec eux la langue du Japon, ils l’ont conservée sans aucune altération, au lieu que les Japonnois la changent tous les jours, retranchent des mots et en adoptent de nouveaux, ce qui fait la grande diversité qui se trouve à présent entre le langage du, Japon et celui de Formosa.

Les Japonnois écrivoient, autrefois, en fort petits caractères, semblables à ceux des Chinois ; mais depuis qu’ils ont eu commerce avec les Formosans, ils ont imité leur manière d’écrire, comme étant beaucoup plus belle et plus aisée, en sorte qu’on voit à présent très peu de personnes au Japon qui se servent des caractères chinois.

Cette manière d’écrire des Formosans leur fut enseignée par leur Profète Psalmanaazaar, qui, en leur donnant de nouvelles lois, leur donna en même temps de nouveaux caractères, qu’ils receurent apparemment avec autant de soumission, mais avec moins de répugnances que la barbare et cruelle loi à laquelle il les assujetit, en leur commandant de sacrifier leurs propres enfants.

Leur Alphabet n’est composé que de vingt lettres, qu’on lit de la droite à la gauche, comme l’Hébreu. Le Dessein ci-contre en montre la figure et la couleur[1]. Pour donner au Lecteur curieux quelque idée de cette langue, on a joint ici quelques mots familiers, avec l’Oraison dominicale, le Sirabole des Apôtres et les Commandements de Dieu, écrits en caractères Italiques, et qu’on a traduits mot pour mot.

L’Empereur ou le plus grand Monarque. Baghathaan Chevereal.
Le roi. Bagalo ou Angon.
Le vice-roi. Bagalendro ou Bagalender.
Les nobles. Os Tanos.
Les gouverneurs de places. Os Tanos soulletos.
Les bourgeois. Poulinos.
Les paysans. Barhan.
Les soldats. Plessios.
Un homme. Banajo.
Une femme. Bajané.
Un fils. Bot.
Une fille. Boti.
Un père. Pornio.
Une mère. Porniin.
Un frère. Geovreo.
Une sœur. Javraiin.
Un parent. Arvauros.
Une île. Avia.
Une ville. Tillo.
Un village. Casseo.
Le ciel. Orhnio.
La terre. Badi.
La mer. Anso.
L’eau. Ouillo.
DU SEIGNEUR L’ORAISON.
KORIAKIA VOMERA.

Notre Père qui dans Ciel es, sanctifié soit ton nom, vienne

Amy Pornio dan chin Orhnio viey, Gnayjorhe sai lory, eyfodere

ton Roiaume, faite soit ta volonté comme dans Ciel, et dans

sai Bagalin, jorhe sai domion apo chin Orhnio, kay chin

terre aussi, notre Pain quotidien donne nous aujourd’hui, et

Badi eyen, amy Khatsadanadakchion toye ant nadayi, kay

pardonne nous nos offenses, comme nous pardonnons nos

radonaye ant amy sochin, apo ant radonem amy

offenseurs, induy nous pas en tentation, mais délivre nous

sochiakhin, bagne ant kau chin malaboski, ali abinaye ant

du mal, car tien est Royaume, et Gloire, et

tuen broskaey, kens sai vie Bagalin, kay Fary, kay

toute Puissance à tous fidèles. Amen.

Barhaniaan chinania sendabey. Amien.

LA CHRÉTIENNE CROYANCE.
AI KRISTIAN NOSKIAYEY.

Je croi en Dieu tout Puissant Père, Créateur du Ciel

Jerh noskion chin Pagot Barhanian Pornio, Chorhe tuen Orhnio

et de la Terre, et en Jésus-Christ son bien aimé fils notre

kay tuen Badi, kay chin Jeso-Christo ande ebdoulamin bot amy

Seigneur, qui conçu fut du Saint-Esprit, né de Marie

Koriamj dan vienen jorch tuen gnay Piches, ziezken tuen Maria

Vierge, souffert sous Ponce-Pilate, été crucifié, mort et

Boty, lakchen bard Pontio Pilato, jorh carokhen bosken kay

enseveli, descendu dans infernales places, troisième jour,

badakhen, mal-fion chin xana khie, charby nade,

ressuscité des morts, monté dans Ciel, assis à

jandafien tuen bosken, kan-fien chin Orhnio, xaken chin

Les caractères, nommés Am̃, Mem̃, Taph, Lam̃do, Kaphi, Gomera, etc., sont copiés du grec, du russe et de cette écriture qu’on prétend être la cryptographie des francs-maçons : L, П, etc.

droite main de Dieu son Père tout Puissant, qui viendra

testar-olab tuen Pagot ande Pornio Barhanian, dan foder

juger vivants et morts. Je crois dans Saint Esprit,

banaar tonien kay bosken. Jerh noskion chin Gnay Piches,

Sainte Catholique Église, Communion des Saints, rémission

Gnay Ardanay Chslae, Ardaan tuen Gnayij, radonayun

des péchés, résurrection de chair, vie éternelle.

tuen sochin, jandasiond tuen krikin, ledum chalminajey.

Amen.

Amien.

LES DIX COMMANDEMENTS DE DIEU.
OS KON BELOSTOS TUEN PAGOT.

Écoute, ô Israël, je suis le Seigneur ton Dieu.

Gistaye, ô Israël, jerh vie oi Korian sai Pagot.

I.

N’auras autre Dieu devant moi.

Kau zexe apin Pagot oyto jenrh.

II.

Ne feras te statuë, ni image semblable aux choses

Kau gnadey sen Tandatou, Kan adiato bsekoy oios

qui dans Ciel sont, ou dans terre, ou sous terre dans l’eau,

day chin Orhnio vien, ey chin badi, ey mal badi chin ouillo,

ni adoreras, ni serviras les, car je suis ton Seigneur Dieu

kau eyvomere, kau conraye oion, kens jerh vie sai Korian Pagot

jaloux, et je visite les péchés du Père sur les enfants

spadou, kay jerh lournou os sochin tuen Pornio janda los botos

jusque dans troisième et quatrième génération de ceux qui me

pei chin charby kay kiorbi Grebiachim dos oios dos jenrh

haïssent, et miséricorde je fais dans mille générations de

videgan, kai teltulda jerh gnadon chin janate Grebiachim dos

ceux qui m’aiment et mes commandements gardent.

oios dos jenrh chataan kai mios belostos naatuolaan.
iii

Ne prendras le nom de Dieu ton Seigneur vainement, car

Kau chexneer oi lory tuen Pagot sai Korian beiray, kens

le Seigneur ne tiendra innocent celui qui son nom prendra

oi Korian kau avitere azaton oion dan ande lory chexneer

vainement.

beiray.

iv

Souviens toi, tu sanctifieras le Sabbat, six jours travailleras

Velmen ido, sen mandaar ai Chenaber, dekie nados farbey

et feras tout ton ouvrage, mais le septième est le jour du

kaignadey ania sai farbout, ali oi meniobi vie ai nade tuen

Sabbat de ton Seigneur, ne travailleras dans ce jour, toi ni

Chenaber tuen sai Korian, kau farbey chin oi nade sen, kau

ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni

sai bot, kau sai boti, kau sai sgerbot, kau sai sger-boti, kau

l’étranger qui devant tes portes est, car le Seigneur a créé

oijanfiero dan splan sai brachos viey, kens oi Korian chorheye

Ciel, Terre, Mer, et tout qui dans eux sont en six jours,

Orhnio, Badi, Ansa, kai ania dai chin oios vien chin dekie nados,

et le septième reposé, c’est pourquoi il a béni le septième jour

kai ai meniobe stedello, kenzoy oi skeneaye ai meniobe nade

et sanctifié l’a.

kay gnayfrataye oion.

v

Honore Père et Mèra tiens, afin que soient prolongés les

Eyvomere Pornio kai Porniin soios, ido areo jorhen os

tiens jours dans terre, laquelle le Seigneur ton Dieu donne te.

soios nados chin badi, dnay oi Korian sai Pagot toye sen.

vi

Ne tueras.

Kau anakhounie.

vii

Ne paillarderas.

Kau verfierie.

viii

Ne déroberas.

Kau lokieyr.

ix

Ne diras faux témoignage contre ton frère.

Kau demech stel modion nadean sai geovreo.


x

Ne convoiteras la maison de ton frère, ni convoiteras la

Kau violiamene ai Tcaa tuen sai geovreo, kau voliamene ey

femme de ton frère, ni son serviteur, ou sa servante, ou

bajane tuen sai geovreOj kau ande sger-bot, ey ande sger-boti, ey

son bœuf, ou son âne, ou quoi que ce soit à lui appartienne.

ande macho, ey ande signou, ey ichnay oyon tavede.

  1. Je regrette beaucoup de ne pouvoir reproduire cette planche.