Psychologie politique et défense sociale/Livre VI/Chapitre II

La bibliothèque libre.
◄  Livre VI - Chapitre I Livre VI - Chapitre II Livre VI - Chapitre III  ►

CHAPITRE II

Les progrès de la criminalité


Un des résultats les plus visibles du développement de l’anarchie sociale est l’extension de la criminalité.

La lecture des récentes discussions parlementaires sur la criminalité et la peine de mort est instructive. On y apprend avec quelle facilité des orateurs, dont l’intelligence n’est cependant pas au-dessous de la moyenne, arrivent à déraisonner lorsqu’ils ont pour guide unique leurs convictions sentimentales. Nous y voyons comment, du groupement habile des mêmes chiffres, il est possible de tirer des conclusions diamétralement contraires.

Pour protéger la vie des assassins et leur permettre d’exercer sans trop de risques l’industrie dont ils vivent, des motifs variés ont été invoqués dont je vais donner la liste. Je laisserai de côté dans cette énumération les causes de la criminalité découvertes par un député socialiste et révélées par lui à ses collègues. Les crimes disparaîtront, assure-t-il, quand les citoyens « seront sûrs de trouver de quoi vivre au soleil librement, sans être opprimés comme ils le sont à l’heure actuelle par tout un système capitaliste qui les broie sans qu’ils puissent s’en libérer. »

Supprimons ces vilains capitalistes et évidemment il n’y aura plus d’assassins. La grande force des socialistes est de ne jamais hésiter devant ces solennelles absurdités.

Voici les divers arguments présentés à la Chambre contre la peine de mort

La peine de mort est mauvaise parce qu’elle ne préserve pas la société et punit des irresponsables.

La peine de mort n’est ni moralisatrice ni exemplaire.

La peine de mort est un crime social. Un homme n’a aucun droit sur la vie d’un autre homme.

La peine de mort ne s’explique que par l’idée de vengeance.

On a pu constater qu’un certain nombre de guillotinés étaient des fous. Comme on ne peut pas toujours reconnaître d’une façon certaine les stigmates de la folie avant l’exécution, il faut, afin de ne pas s’exposer à décapiter un fou, un irresponsable par conséquent, supprimer la guillotine.

La peine de mort déshonore plus ceux qui l’appliquent que ceux qui la subissent.

La peine de mort n’a jamais exercé aucune action efficace sur la marche des crimes dans aucun pays.

Seul le dernier de ces arguments présente un aspect sérieux. Il a été invoqué par monsieur Briand et ce ministre s’est donné un mal énorme pour essayer de le justifier sans réussir d’ailleurs à convaincre personne et peut-être pas lui-même.

Pour prouver que la peine de mort n’a aucune influence sur la criminalité, on a cité surtout les données de la statistique. Malheureusement, ses chiffres sont aussi précis que navrants. La criminalité a augmenté dans des proportion véritablement terrifiantes : 30% pour les assassinats, et l’ensemble de la criminalité doublé en 5 ans. Voici d’ailleurs les documents fournis à la Chambre par le Président de la Commission de la réforme judiciaire :

Si nous considérons, non pas seulement les affaires jugées, mais l’ensemble des crimes commis, ce qu’on appelle la criminalité connue, voici les chiffres : 795 en 1901, 1.313 en 1905, 1.434 en 1907.

J’avais donc absolument raison, conclut monsieur Berry, en disant que la criminalité allait en croissant d’année en année depuis la suppression en fait de la peine de mort… Les assassins, assurés de ne plus subir l’expiation suprême, ne redoutent plus d’accomplir les plus grands crimes.

Devant cette recrudescence, on comprend que tous les Conseils généraux, sauf trois, aient sollicité des pouvoirs publics le maintien de la peine de mort et du pouvoir exécutif son application.

La terreur que la peine de mort inspirait autrefois aux criminels est péremptoirement démontrée, par l’orateur précédemment nommé, à l’aide des faits les plus probants : aveux des criminels ayant reculé devant le meurtre par peur de la guillotine, opinion de tous les chefs de sûreté, des avocats ayant plaidé pour les coupables, etc.

Il est évident, d’après ses déclarations, que l’assassin du marchand de bestiaux Leuthereau, ne le tua que parce qu’il savait ne pas être guillotiné et ne pas risquer grand’chose. "Les responsabilités, déclara-t-il après son crime, je les connais. J’irais en Nouvelle Calédonie ou en Guyane, et comme je suis instruit et que je sais être bon sujet quand je veux, je serai, au bout d’un an ou deux, employé de l’administration. Dans dix ans, j’aurai une concession et je me referai une nouvelle vie, une vie peut-être plus heureuse que celle que j’aurais menée en France."

Le rôle de la peine de mort est tellement indiscutable que les rares pays, comme la Suisse, l’ayant supprimée, sont obligés d’y revenir. Dix cantons l’ont rétablie les uns après les autres.

En sa qualité de socialiste, monsieur Briand avait son siège établi, mais les chiffres étaient si clairs, les faits si concluants qu’il importait de se débarrasser au moins des premiers. Sa façon d’épiloguer a été peu probante, mais ingénieuse.

Les meurtres, souvent non prémédités, ont été séparés des assassinats qui le sont généralement. Bien entendu, la victime périt dans les deux cas et ce doit être une maigre consolation pour elle, lorsqu’on l’égorge, de succomber à un meurtre et non à un assassinat. Monsieur G. Berry montra l’absurdité de cette distinction en relatant les meurtres de passants par les voyous sans autre motif que le simple plaisir de tuer et répondit avec raison au ministre de la justice : "Un meurtre accompli dans certaines conditions vaut un assassinat."

Le ministre a simplement maintenu ses distinctions. Il eût mieux fait de se taire. Les applaudissements dont furent saluées les paroles de son adversaire le lui ont suffisamment démontré.


Essayons maintenant, nous élevant au-dessus de cette casuistique de théologiens, de voir le fond du problème et les mobiles secrets de tant de longs discours.

Le moteur inconscient de ces discussions a été la grosse question de la responsabilité qui a tant pesé sur la répression depuis 50 ans, mais que l’on peut considérer comme à peu près élucidée maintenant.

Responsabilité implique libre arbitre. Or, les savants et les philosophes ne croient guère aujourd’hui à ce libre arbitre. Donc, l’individu criminel ne serait pas responsable de ses actes.

Il ne l’est pas en effet, philosophiquement, mais l’est complètement au point de vue social, car, sous peine de périr, une société doit se défendre et n’a pas à se préoccuper de subtilités métaphysiques. Très certainement, ce n’est pas la faute du voyou assassin s’il possède une mentalité de voyou au lieu de celle d’un Pasteur. Cependant le voyou et Pasteur jouissent d’une considération fort différente. Le mouton, lui non plus, n’est pas responsable de sa qualité de mouton et cependant elle le condamne fatalement à se voir dépouiller de ses côtelettes par le boucher.

Cette distinction entre la responsabilité sociale et l’irresponsabilité philosophique a mis quelque temps à être comprise. Les divers congrès consacrés à son étude, et notamment celui des médecins aliénistes, tenu à Genève en 1907, ont fini par la mettre nettement en évidence. J’emprunte à R. de Gourmont le résumé des opinions émises à ce dernier congrès :

Fous et demi-fous doivent être également condamnés s’ils sont coupables, c’est-à-dire s’ils ont volontairement ou involontairement violé les lois sociales… S’il faut abandonner l’idée de responsabilité morale, il n’en est pas de même de l’idée de responsabilité sociale… Peu importe que le criminel ait agi avec conscience ou avec inconscience : il est également dangereux dans un cas comme dans l’autre et il doit être chassé de la société pour laquelle il est un danger. Nul ne doit échapper à la responsabilité sociale. Elle est et doit rester un fait inattaquable, un fait sacré. Sans la responsabilité sociale, aucune civilisation n’est possible.

Jusqu’ici, dit le savant criminaliste Garofalo, les peines sont graduées d’après une idée fausse de libre arbitre et de responsabilité morale. Il nous faut changer tout cela, nul n’étant libre. Nous ne punissons plus en raison du degré de liberté, mais en raison de l’intérêt de la société et en proportionnant la peine au danger que présente le criminel.

Le docteur Bard, de Genève, a été encore plus loin en disant : "Si j’étais législateur, je n’hésiterais pas à faire de la demi-folie une circonstance aggravante du crime, car les demi-fous sont de tous les criminels les plus dangereux pour la société.

Les médecins sont presque tous d’accord pour abandonner l’idée de responsabilité morale, mais ils affirment unanimement la responsabilité sociale des criminels et la nécessité d’une répression de plus en plus attentive des crimes dont plus que jamais souffre la civilisation.

Ce ne sont pas seulement les médecins et les criminalistes qui défendent ces théories. Voici comment s’exprime monsieur Faguet :

Soleilland est-il coupable moralement ? Pas du tout, pas plus qu’un chien, tant il est évident qu’il est une brute, tant on le voit n’avoir aucun remords, aucun regret, aucune inquiétude de conscience. Dès lors, il n’est pas coupable. Absolument pas… Il n’est pas coupable, seulement il est furieusement dangereux.

Pour faire ce qu’a fait Soleilland, il faut une moelle épinière tout à fait particulière. Mais c’est justement parce qu’il a une moelle tout à fait particulière qu’il convient de la lui couper.

… Quand il s’agit de malades, de pauvres malades, bien dignes de pitié, certes, mais dont la maladie consiste à égorger leurs semblables, je ne vois pas du tout pourquoi on ne s’appliquerait qu’à prolonger leur existence.

… Pour moi, la peine de mort est une question d’opportunité. Elle sert ; 1°/ à supprimer la bête féroce qui est un danger permanent ; 2°/ à terroriser les autres bêtes féroces.

Je suis pour la répression très sévère des criminels et tout particulièrement des criminels malades parce que ce sont les plus dangereux. Soyez sûrs que cela fera sur certains malades un effet très curatif.

Il est indiscutable que la plupart des dégénérés, demi-fous, alcooliques, déséquilibrés, etc., sont très influençables par la crainte du châtiment et que plus ce châtiment sera sévère, plus ils le redouteront.

Il existe une catégorie de gredins, pour lesquels la guillotine devrait être rigoureusement appliquée sans exception, alors qu’elle ne l’est jamais. Je veux parler de ces sinistres brutes, terreur de nos faubourgs, tuant uniquement pour le plaisir de tuer. Le passant attardé, la femme et l’enfant rencontrés par hasard, tombent indifféremment sous leurs coups. Arrêtés, ils s’en tirent avec quelques mois de prison et recommencent aussitôt relâchés.

Ce besoin de tuer par simple dilettantisme se développera encore plus si l’on ne prend soin de le vigoureusement réprimer, parce qu’il est un résidu ancestral des temps primitifs toujours prêt à renaître. Le demi-civilisé et même le civilisé lui donnent satisfaction par la chasse, qui n’a guère d’autres motifs que le besoin de tuer. Un magistrat distingué, grand chasseur lui-même, a très bien décrit cette psychologie du chasseur, qui ne se distingue souvent de celle du voyou meurtrier, que parce que leur férocité s’exerce sur des êtres différents.

Ah les remords d’un chasseur, quel douloureux chapitre ! Tuer impitoyablement, et (c’est plus atroce encore), trouver un plaisir intense, violent, magnifique à tuer, à tuer encore ces animaux de douceur, ces oiseaux charmants, ces merveilles de grâce, de beauté… et ne pas pouvoir s’en empêcher, ne pas pouvoir renoncer à verser ce sang innocent, à répandre ces injustes souffrances, quelle misère !

Comme le chasseur, le voyou trouve à tuer "un plaisir intense, violent, magnifique". Pas plus que le chasseur, "il ne peut s’empêcher de tuer". Voilà pourquoi nous devons le supprimer afin d’éviter d’être supprimé par lui.

Remarquons en passant combien se sont modifiées en quelques années les idées des médecins et des criminalistes. Il y a peu de temps encore, tous les criminels étaient des fous irresponsables qu’il fallait se borner à soigner. Aujourd’hui, on les considère encore comme des détraqués mais parfaitement responsables. Au point de vue de l’intérêt social, on réclame maintenant, à leur égard, l’application de toutes les rigueurs du Code. Se contenter de les enfermer ne servirait à rien, car au bout de peu de temps jugés guéris, ils seraient relâchés et recommenceraient aussitôt.

Je suis d’accord avec l’école nouvelle sur la nécessité de la répression, mais je voudrais qu’elle s’étendît à toutes les variétés de délinquants sans cesse récidivistes. Rappelons à ce sujet ce que j’écrivais dans la Revue Philosophique, bien avant l’éclosion des idées actuelles, dans le but de montrer que "tous les criminels sont responsables". J’arrivais alors à cette conclusion pour les criminels d’occasion, des peines corporelles énergiques. Pour les criminels d’habitude qui sont des êtres incurables dont une société doit se défaire, la déportation dans un pays lointain. C’est le traitement qu’on appliquait jadis aux lépreux considérés, eux aussi, comme dangereux et incurables. On pourrait utiliser d’ailleurs les récidivistes en les incorporant dans des compagnies de discipline employées à construire des routes et des chemins de fer au centre de l’Afrique.


Ce qui précède nous conduit à examiner notre pénalité. La peine de mort n’en est qu’un élément d’influence toujours restreinte parce que rarement appliquée.

Le problème est autrement vaste, en effet, que celui discuté a la Chambre. La criminalité croît énormément et quelques douzaines d’exécutions annuelles ne sauraient contribuer notablement à la ralentir. L’assassinat et le meurtre resteront toujours les crimes les moins nombreux. Ce sont donc les autres qu’il faut apprendre à combattre.

Nous les réprimons actuellement de la plus misérable façon, par le seul moyen des bagnes et des prisons. Nos idees humanitaires ont transformé les premiers en véritables villégiatures et les secondes en demeures de luxe.

Un avocat général me parlait récemment des résultats produits aujourd’hui par certaines prisons modèles dont le confortable dépasse de beaucoup celui de la plupart des petits bourgeois. Électricité, chauffage central, eau chaude et froide, salle de bains, promenades dans de beaux jardins ombragés, etc. Il a vu plusieurs fois des individus commettre des délits, uniquement pour se faire enfermer pendant six mois de l’hiver dans ces asiles princiers où se rencontrent tous les luxes, sauf celui de la liberté.

Tout autre est le système de l’Angleterre, pays des peines brèves, mais énergiques, et par conséquent très efficaces sur des âmes criminelles. Dans la prison, c’est le travail forcé et l’application rigoureuse du fouet à neuf queues.

Cette méthode a vite réduit la criminalité. Monsieur Lacassagne remarque qu’on n’a connu à Londres qu’une seule bande de voyous. L’emploi du fouet et du hart labour aux membres capturés la fit disparaître en quelques semaines et depuis cette époque on n’entendit plus parler de ces bandits dont le nombre est de 30.000 à Paris.

Monsieur Lacassagne ajoute :

On sait ce que Paris devient sous l’influence du régime contraire, c’est-à-dire grâce à une excessive indulgence des magistrats et du parquet. Les neuf/dixièmes des malandrins raflés la nuit sont chaque matin remis en circulation après une paternelle admonestation. La mise en parallèle des deux systèmes : peines physiques et tolérance abusive, montre où sont la raison et le bon sens pratique. Les châtiments corporels seuls sont efficaces pour les criminels professionnels.

En 1905, au Danemark, comme il y avait de nombreuses attaques contre des personnes, on rétablit la bastonnade. En peu de temps les crimes de cet ordre ont cessé.

Nous estimons, conclut le professeur Lacassagne, qu’il faudrait introduire l’usage des châtiments corporels : ce sont les seuls qui agissent, l’expérimentation anglaise l’a bien prouvé. Il est plus sûr et plus efficace, nous dirons même plus hygiénique, d’infliger des coups de fouet que d’appliquer des mois ou des années de prison.

Assurément, devant la nullité de la répression et l’incapacité, parfois excessive, de nos magistrats, la criminalité est destinée à s’élever encore. Les lois dites humanitaires, et en réalité féroces, sur le travail dans les manufactures contribuent fortement à augmenter le nombre des criminels. Elles ont eu pour résultat, comme je l’ai dit déjà, de jeter sur le pavé des milliers d’adolescents qui, par désœuvrement, adoptent vite la profession de souteneur et de voyou.

Le peu de risques qu’entraînent le meurtre et l’assassinat, les bons soins attendant les condamnés dans les prisons ou dans les bagnes provoquent également l’accroissement de la criminalité.

Au cours d’une séance récente du Conseil municipal de Paris, deux conseillers se plaignirent de la fréquence des attaques nocturnes à Paris. Le préfet, monsieur Lépine, répondit en montrant que la faiblesse de la magistrature et les amnisties continues avaient entièrement désarmé la répression et conclut par ces mots : "Le vent d’humanitarisme qui souffle depuis quelques années sur le pays porte aujourd’hui ses fruits."

Seul l’excès du mal pourra engendrer le remède. Les cervelles les plus dures, celles dominées par la plus plaintive sentimentalité, sont bien obligées de se rendre aux leçons de l’expérience. Lorsque certains quartiers des grandes villes seront devenus des coupe-gorges redoutables que des bandes de chauffeurs de toutes races infesteront les campagnes, qu’il sera impossible de sortir le soir dans Paris sans être armé jusqu’aux dents, peut-être se décidera-t-on à prendre des mesures pour nous défendre.

Mais alors, les lois répressives sérieuses n’existant pas encore et chacun étant obligé de se protéger lui-même, nous verrons, ainsi que l’a très bien montré à la Chambre le rapporteur de la commission, se déchaîner les fureurs populaires et devenir usuel le lynchage des criminels.

La justice de la foule est impulsive, brutale, sommaire, aveugle parfois et les pouvoirs publics seraient coupables s’ils abdiquaient entre les mains d’irresponsables le droit social d’infliger la peine de mort pour la défense des honnêtes gens. Les pouvoirs publics seraient coupables s’ils amenaient à se munir d’armes pour se faire justice eux-mêmes les citoyens qui n’auraient plus confiance dans la protection de la loi.

La pusillanimité excessive de notre magistrature qui redoute la vengeance des criminels, et ne sévit avec rigueur, que lorsque de bas policiers lui amènent des femmes sans défense, coupables de légers délits, est aussi une cause active d’accroissement de la criminalité. Ce point a été bien marqué par un magistrat dans une interview dont je reproduis ici un fragment :

Vous parlez procédure, dit-il, et vous n’envisagez jamais la répression. Savez-vous que depuis 20 ans l’échelle des peines a été abaissée de 50%, que la libération conditionnelle et la défalcation de la prison préventive ont énervé l’action de la justice. La loi sur la relégation n’est pas appliquée, et ainsi chaque jour grossit le nombre des récidivistes. Vous voulez la procédure anglaise. Soit ! mais alors prenez la répression anglaise, le fouet, le hart labour. Punissez sans pitié les délits et les crimes de nature à affaiblir l’autorité. Entourez les agents du pouvoir d’une telle sollicitude qu’ils soient intangibles. Les policemen n’ont ni sabre ni révolver et ils circulent isolés à Londres dans des quartiers où nos agents n’iraient qu’en troupe et armés jusqu’aux dents. Alors, quand vous aurez supprimé le crime par la terreur du châtiment implacable, nous parlerons de la procédure.

La terreur du châtiment est, au demeurant, l’unique moyen d’arrêter les progrès de la criminalité, comme l’a également fort bien montré Maxwell dans son beau livre Le Crime et la Société. L’aliéné lui-même est parfaitement sensible à la menace du châtiment.


Pour arriver aux répressions nécessaires, il faudra guérir le public de son humanitarisme maladif et la magistrature de ses craintes. Quelques indices, bien insuffisants encore, permettent cependant d’espérer un peu cette guérison.

À l’enterrement d’un brave sergent de ville assassiné par un voyou, le président du Conseil municipal disait très justement :

"Mais, ce qui importe surtout, c’est de ne pas nous laisser envahir par ces doctrines soi-disant humanitaires qui n’aboutissent qu’à énerver toutes les énergies et sont plus pernicieuses que les malfaiteurs eux-mêmes."

Je suis absolument de cet avis. Les humanitaires sont, indirectement mais sûrement, beaucoup plus dangereux que les bandits.

En attendant la vulgarisation de ces vérités, l’humanitarisme continue à s’étendre. Une de ses plus funestes manifestations fut l’incorporation des criminels de profession dans l’armée.

On se demande dans quelle cervelle de bureaucrate borné a pu germer l’idée d’introduire les repris de justice dans nos casernes. Certains régiments, comme le 82° de ligne, ont renfermé à certain moment une centaine de voyous ayant subi de nombreuses condamnations. Le Journal du 28 décembre 1909 indiquait les conséquences de leur présence.

Depuis le mois d’octobre dernier, deux vols à l’esbrouffe, spécialité jusqu’alors inconnue des Montargeois, ont été commis en plein jour, au centre même de la ville. La villa d’un lieutenant fut cambriolée selon toutes les règles de l’art. Un habitant fut nuitamment frappé "au lancé" d’un coup de couteau entre les deux épaules par 2 militaires qu’il ne put malheureusement pas reconnaître. Enfin, il y a huit jours à peine, on retrouvait dans le canal le cadavre d’un soldat noyé "accidentellement", conclut le parquet, à la suite d’une discussion avec un camarade, dit-on ouvertement en ville. La conduite de ces soldats-voyous n’autorise-t-elle pas les pires soupçons ?..

Si l’opinion publique n’avait fini par se révolter et obtenir l’abrogation de cette funeste loi, la pernicieuse engeance des humanitaires, aurait achevé de désorganiser entièrement l’armée.

Malheureusement, les tendances actuelles nous poussent plus en France vers la protection des criminels que vers leur répression. Les divagations de certains professeurs de droit sur la criminalité atteignent le ridicule. Ils font raisonner le criminel comme ils raisonneraient eux-mêmes et agir d’après les mêmes motifs. N’est-ce pas enfantin de vouloir assimiler l’état d’esprit d’un bandit à celui d’un professeur de droit ?

Monsieur Chaumet, député de la Gironde, s’est montré beaucoup plus intelligent en écrivant les lignes suivantes sur la nécessité des peines corporelles, pour limiter les progrès effrayants de la criminalité :

Je m’excuse de scandaliser les âmes sensibles. Mais je le déclare tout net : je demande qu’on punisse de châtiments corporels les jeunes voyous qui commettent tant de lâches et d’odieux attentats contre les personnes.

Avant de philosopher, il faut vivre. La question n’est pas de savoir si les criminels sont responsables, mais s’ils sont dangereux. Hélas à cet égard, il n’y a point de contradiction. Il n’est pas de jour où nous n’ayons à enregistrer des agressions sauvages, des meurtres, des guets-apens, des assassinats, commis le plus souvent par de tout jeunes gens, et parfois sans motif apparent, par bravade, pour rien, pour le plaisir.

Faites l’analyse psychologique de ces voyous. Elle n’est guère compliquée. Ce sont des paresseux, des jouisseurs, mais surtout des cabotins. Au lieu de travailler dans l’usine ou sur le chantier, ils trouvent plus commode de se faire entretenir par des filles. Ils promènent leur prétentieuse oisiveté de cabarets en cabarets, plastronnant devant leurs pareils, désireux de paraître plus audacieux, moins scrupuleux que le voisin, jaloux de provoquer l’admiration particulière de leur milieu très spécial.

Le voyou tue souvent pour voler, mais plus encore par gloire. Que de fois avons-nous lu dans les journaux ces exploits significatifs : "Parie un litre que je dégringole le premier bourgeois qui passe !" Le pari est tenu… et gagné. Voici un brave homme, un père de famille lâchement assassiné par un gamin affolé de cabotinage.

Il faut donc, quand nous songeons à nous défendre contre les voyous, tenir compte de ce trait essentiel de leur caractère. Les pénalités, pour être efficaces, doivent d’abord n’être pas de nature à ajouter un rayon à l’auréole qu’ils ambitionnent.

Le principal avantage des châtiments corporels est précisément qu’ils sont, en même temps que douloureux, humiliants. Un voyou se vantera de risquer le bagne ou même l’échafaud. Il ne se vantera pas d’avoir reçu 10 ou 20 coups de fouet.

Or, si nous ne considérons pas la peine comme un châtiment ni comme une rédemption, si elle nous apparaît, ce qu’elle doit être : un moyen de préservation, un procédé d’intimidation de nature à décourager les tentatives criminelles, quelle objection pourrait-on élever contre les châtiments corporels ?

En attendant, le voyou commence déjà à recruter des défenseurs. Un journal a publié le manifeste d’une brave doctoresse racontant qu’elle fut convertie au "voyouisme" par un jeune gredin, lui ayant fait comprendre que "l’honnêteté ne sert qu’à sauvegarder les riches". Être ouvrier, ajoutait, le triste vaurien, "c’est ennuyeux". La profession de voyou au contraire, est pleine d’imprévus agréables."

Séduite par d’aussi lumineux arguments, l’aimable dame arrive à cette conclusion "qu’il ne serait pas mal qu’il y ait dans notre armée révolutionnaire quelques voyous conscients."

Bel exemple des troubles que peut déterminer l’instruction sur de faibles cervelles.

L’expérience seule pourra nous renseigner sur les conséquences de notre humanitarisme.

Lorsque le danger sera devenu trop aigu, et qu’un nombre suffisant de philanthropes aura été éventré, notre sentimentalité s’évanouira rapidement. Alors, comme les Anglais, nous emploierons des moyens efficaces, les peines corporelles surtout. Quand les 30.000 voyous qui infestent Paris auront acquis la solide conviction qu’au lieu d’une villégiature en Nouvelle-Calédonie ou dans une prison bien chauffée, ils risquent le fouet, un labeur forcé et la guillotine, le travail leur semblera préférable au vol et à l’assassinat. En quelques semaines, Paris sera purgé de son armée de bandits. Nos législateurs découvriront alors que de toutes les formes d’imbécilité connues, l’humanitarisme est la plus funeste, aussi bien pour les individus que pour les sociétés. Il a toujours constitué un énergique facteur de décadence.

* * *