Quel amour d’enfant !/XV

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XV

les brodequins sont retrouvés
éclair de sagesse


Le lendemain, M. Tocambel entra chez M. du Gerville.

m. tocambel.

Je viens vous demander à déjeuner, Victor ; mais avant d’entrer au salon chez Léontine, je suis venu réclamer mes brodequins à Giselle.

m. de gerville, avec embarras.

Vos brodequins ? Quels brodequins ?

m. tocambel.

Ceux que j’ai gagnés hier et que Giselle a cachés sans doute ou emportés par mégarde.

m. de gerville, de même.

Giselle ! Comment ça ? Je ne comprends pas.

m. tocambel, riant.

Si fait, si fait, vous comprenez à peu près. Giselle a succombé à la tentation et je viens reprendre mon bien.

m. de gerville.

Mon cher Monsieur… je suis bien fâché… que vous puissiez croire…

m. tocambel.

Voyons, mon ami, finissons la plaisanterie. Vous êtes… trop bon père, comme toujours. Je réclame mes jolis brodequins, et je viens demander à Giselle de me les rendre. Au revoir, mon cher ; à déjeuner. »

M. Tocambel sortit de chez M. de Gerville et alla chez Giselle.

« Giselle, dit-il en entrant, je vous prie de me rendre mes brodequins que vous avez emportés, j’en ai besoin.

giselle.

Je ne les ai pas ; je ne peux pas vous les rendre.

m. tocambel.

Mais vous les avez pris hier ; j’en suis sûr.

giselle.

Si je les ai pris, je les garde ; ils ne sont plus à vous.

m. tocambel.

Giselle, prenez garde à ce que vous faites. Je veux que vous me rendiez ce qui est à moi. Si vous me le refusez, je vais de ce pas chercher un sergent de ville, qui vous mènera chez le commissaire de police ; je déposerai ma plainte : on vous mettra en prison, ce qui ne sera pas agréable, je vous le garantis. »

Giselle, effrayée d’abord, se rassura par la pensée que M. Tocambel n’oserait pas faire ce qu’il disait. Elle ne voulut donc ni répondre ni bouger.

m. tocambel.

Je reviens dans un instant, Giselle. Attendez-moi. »

Giselle attendit, en effet. Cinq minutes, dix minutes se passèrent ; M. Tocambel ne revenait pas. Au moment où elle s’applaudissait de n’avoir pas cédé, on frappa à la porte. Giselle poussa un cri ; un prétendu sergent de ville à grosses moustaches, à figure terrible, mais sans uniforme, entra ; M. Tocambel le suivait, dissimulant avec peine un sourire.

le faux sergent.

Est-ce là votre voleuse, Monsieur ?

m. tocambel.

Oui, sergent, c’est elle ; mais avant de l’arrêter, essayez de me faire ravoir les deux objets volés. Si elle les rend de bonne grâce, je renonce à ma plainte.

le faux sergent.

Mademoiselle, persistez-vous à refuser ce que vous demande Monsieur ?

— Je vais les rendre », répondit Giselle, pâle d’effroi ; ses dents claquaient, ses jambes tremblaient. Elle se traîna à une armoire, l’ouvrit, retira de dessous un paquet de linge les brodequins de M. Tocambel, et les lui remit sans résistance.

Il les prit et sortit immédiatement, accompagné du prétendu sergent de ville.

m. tocambel.

Votre apparition a produit un effet merveilleux, commissionnaire. Voici les cinq francs que je vous ai promis. Merci bien de votre complaisance.

le commissionnaire.

Il n’y a pas de quoi, Monsieur. Je suis tout à votre disposition pour d’autres occasions, s’il s’en présente.

m. tocambel.

Je pense bien que je n’userai pas souvent de votre obligeance ; la petite vous a pris pour un vrai sergent de ville ; elle a eu une peur effroyable : c’est ce que je voulais. »

Le commissionnaire sortit ; M. Tocambel entra au salon, où il trouva Léontine préparant les cahiers de Giselle.

« Léontine, dit-il en entrant, j’ai été obligé de


Giselle poussa un cri.

faire un coup d’État. Figurez-vous que Giselle a

commencé par nier tout à l’heure avoir pris hier soir mon lot gagné. Ensuite, elle a refusé de me le rendre. Je ne voulais pourtant pas le laisser à Giselle après la mauvaise action dont elle s’est rendue coupable.

léontine, inquiète.

Qu’avez-vous fait, alors ? Quel a été votre coup d’État ?

m. tocambel, riant.

J’ai été chercher un sergent de ville.

léontine, effrayée.

Ah ! mon Dieu !

m. tocambel.

Ne vous effrayez donc pas ; soyez tranquille ; je suis convenu avec mon faux sergent, qui n’était qu’un commissionnaire, que ce ne serait que pour faire peur à un enfant méchant, et que, si nous ne réussissions pas, il s’en irait tout simplement. Effectivement, quand je l’ai ramené avec moi, Giselle a eu si peur qu’elle m’a rendu de suite mes brodequins. »

Une grande tape dans le dos fit retourner vivement M. Tocambel ; il vit Mme de Monclair qui le regardait avec irritation et colère, mais de ces colères riantes et amicales qui ne blessent ni n’effrayent.

madame de monclair.

A-t-on jamais vu un nigaud pareil ? Comment ! à votre âge, avec votre grosse tête, couronnée d’un si magnifique gazon, vous n’avez trouvé rien de mieux à faire que d’effrayer cette enfant à la rendre malade ; que d’attirer l’attention des commissionnaires de la rue sur la maison de Léontine ; que de faire jaser les concierges et les voisins sur la descente de la police chez M. de Gerville ? Je dis et je répète que c’est stupide, absurde, et que si j’étais Léontine, je vous ferais une scène à vous rendre fou.

m. tocambel.

Il n’y a pas besoin de Léontine pour cela, baronne. Vous y réussirez mieux qu’elle, bien certainement.

madame de monclair.

Vous me le payerez, mon cher ; je ne suis pas encore au bout.

m. tocambel.

Pour Dieu, laissez-moi partir. J’en suis fou d’avance.

madame de monclair.

Non, vous ne partirez pas ; vous déjeunerez ici avec nous, et nous vous agonirons de sottises à chaque bouchée que vous avalerez ; et vous resterez tout le temps que je voudrai ; et je vous emmènerai pour faire des courses, et vous resterez chez moi jusqu’à ce que vous ayez crié grâce.

m. tocambel.

Grâce, grâce, cruelle amie et implacable ennemie ! s’écria M. Tocambel en ployant un genou devant elle et en lui baisant la main ; je demande grâce par avance. »

Un petit soufflet, une chiquenaude sur le nez et une saccade donnée à la perruque pour lui faire faire demi-tour du front à la nuque, furent la réponse et le pardon de Mme de Monclair.

« Et toi, ma pauvre Léontine, continua la tante, ne t’effraye pas des suites de l’absurde invention de notre absurde ami. (M. Tocambel voulut parler.) Taisez-vous je dis absurde, je maintiens absurde. J’ai passé chez Giselle avant d’entrer chez toi, car j’avais su par ta concierge que le père Toc avait fait sa visite domiciliaire avec un commissionnaire qui passait pour un sergent de ville, pour Mlle Giselle. J’ai tout de suite deviné le pourquoi de la sottise qu’il avait faite, et j’ai voulu voir si Giselle n’avait pas été trop effrayée de cette étrange visite. Je l’ai trouvée en pleurs.

léontine.

En pleurs ! ma Giselle ! ma pauvre chère enfant ! »

Et Léontine s’élança pour courir chez sa fille. Mme de Monclair l’arrêta.

madame de monclair.

Écoute-moi, ma fille. Tu verras que l’effet de terreur inventé par notre intelligent ami n’a pas fait le mal qu’il espérait.

m. tocambel.

Mais c’est intolérable, ce que vous dites là, baronne ! Je n’y tiens pas ; je m’en vais.

madame de monclair.

Vous écouterez, et vous resterez ; et laissez-moi parler et vous ne parlerez que lorsque je vous le permettrai. »

Mme de Monclair le fit asseoir de force et le surveilla de près.

« Je te disais, Léontine, que Giselle pleurait ; mais c’était l’effet de la colère, pas du tout de la frayeur ni de l’émotion. Elle regrettait ses brodequins.

m. tocambel.

Comment, ses ? Mes brodequins, vous voulez dire.

madame de monclair.

Laissez-moi donc parler. Quel bavard vous faites ! »

Le pauvre Tocambel joignit les mains, leva les yeux au ciel d’un air tragi-comique et ne bougea plus.

« Elle voulait donc ravoir ses brodequins, quand elle me vit entrer ; je la mis de suite à l’aise ; elle me raconta la méchanceté de son bon ami qu’elle aime tant, son invention de sergent de ville ; Giselle est persuadée qu’il l’aurait emmenée en prison si elle n’avait pas rendu les brodequins. Elle était très bien remise de sa frayeur ; seulement, elle pleurait ses brodequins, et je te préviens qu’elle veut demander à son père d’aller lui en acheter d’exactement pareils.

léontine.

Merci, ma tante ; j’espère bien que Victor en trouvera : il demandera à Pierre l’adresse du magasin où il les a achetés.

madame de monclair.

Ha, ha, ha ! voilà une bonne idée ! Comment, Léontine ! au lieu de punir Giselle de sa conduite d’hier, de celle d’aujourd’hui, tu vas encourager Victor à céder à ce ridicule caprice et à récompenser le vol, le mensonge ?

léontine, embarrassée.

Mais, ma tante, ce n’est pas récompenser le mal ; c’est seulement pour rendre à cette pauvre petite les lots que les méchants enfants lui ont enlevés et mis en pièces hier soir.

madame de monclair.

Léontine, tu sais comment les choses se sont passées ; Giselle ne mérite rien qu’une bonne punition et je ne comprends pas que tu ne le sentes pas de toi-même, sans que je te le dise. Au reste, je t’ai prévenue, je t’ai dit mon avis ; fais comme tu voudras, et ne parlons plus du passé. Je délivre mon prisonnier. Allez, mon bon homme, et surtout ne vous échappez pas. J’aurai réellement besoin de vous.

m. tocambel.

Ce dernier mot suffit pour me clouer à vos côtés, mon aimable ennemie. Je suis à vous jusqu’à la mort ! »

Le déjeuner était prêt. Victor entra avec Giselle, dont la mine rayonnante et un peu impertinente alarma Mme de Monclair et M. Tocambel.

« Je parie qu’il vient de faire une sottise, dit Mme de Monclair à l’oreille du père Toc.

m. tocambel.

C’est bien mon avis ; l’air de Giselle annonce le triomphe.

madame de monclair.

Il lui aura promis des brodequins.

m. tocambel.

Ou bien il les aura déjà donnés. »

On se mit à table ; Giselle avait un air goguenard que Léontine cherchait vainement à réprimer. La conversation était animée, grâce à l’inépuisable gaieté de Mme de Monclair et à la repartie vive et spirituelle de M. Tocambel.

À la fin du déjeuner on apporta un paquet, qu’on remit à Giselle ; elle l’ouvrit avec empressement, poussa un cri de joie et éleva en l’air une paire de brodequins semblables à ceux qu’elle avait tant désirés.

Léontine se pencha vers sa tante et lui dit quelques mots tout bas.

« Montre-moi tes belles chaussures, Giselle », dit la tante en riant.

Giselle les lui donna.

madame de monclair.

Qui est-ce qui t’a acheté cela ?

giselle.

C’est mon cher papa, pour me consoler des méchancetés qu’on m’a faites.

madame de monclair.

Charmant, charmant !… J’ai bien envie d’en avoir de pareils.

m. de gerville.

Je vous donnerai l’adresse du marchand, ma tante.

madame de monclair.

C’est que j’ai bien envie de ceux-ci…

giselle, inquiète.

Ah mais, c’est impossible, ma tante : ils sont à moi.

madame de monclair.

Qu’est-ce que cela fait ? Tu as bien pris hier ceux de M Tocambel… Décidément je les garde ; ils sont trop jolis. »

Et Mme de Monclair les mit dans sa poche.

Giselle, surprise, consternée, ne savait quel parti prendre. Elle se tourna vers son père et dit d’une voix larmoyante : Papa !

M. de Gerville, reprenant courage à cet appel, s’adressa à sa tante :

« C’est une plaisanterie, n’est-ce pas, ma tante ? La pauvre Giselle en est tout effrayée et interdite. Ayez la bonté, ma chère tante, de lui rendre ses brodequins.

madame de monclair.

Mais, mon ami, je fais ce que Giselle a fait hier, avec la différence que ce qu’elle a fait en cachette, je le fais ouvertement, devant vous. Si elle n’a pas mal fait, pourquoi ne ferais-je pas comme elle ? Et si elle a mal fait, pourquoi serait-elle récompensée, et pourquoi ne le serais-je pas comme l’a été Giselle ? Ou bien, pourquoi n’empêcherais-je pas Giselle de recevoir la récompense de sa mauvaise action ? Ces brodequins vous ont coûté trente francs, je le sais. Voici vos trente francs, dont je ne veux pas vous dépouiller ; et je garde les brodequins pour moi.

m. de gerville, contenant son humeur.

Il me sera facile d’en acheter d’autres. Ne pleure pas, ma Giselle chérie ; tu les auras.

madame de monclair.

Giselle, si tu veux réparer le mal que tu as fait hier et ce matin, tu as un moyen très simple et qui nous fera oublier à tous ton action honteuse. Refuse ce que t’offre la trop grande bonté de ton papa ; ce sera un acte courageux et généreux ! Tu te relèveras à tes propres yeux, ma pauvre enfant, et quand, plus tard, tu raconteras cette anecdote, tu pourras dire : J’ai fait un beau trait dans mon enfance. »

Giselle, étonnée, restait indécise, regardait alternativement sa tante, son père et sa mère. Ces deux derniers baissaient les yeux.

madame de monclair.

Voyons, ma Giselle ; courage, mon enfant ; je n’y vais pas par quatre chemins : je dis franchement que tu es très coupable, qu’au lieu d’une récompense il te faut une punition ; que, personne n’osant te l’infliger, de peur de te chagriner, tu dois le faire toi-même courageusement, généreusement. Allons, chère enfant, un effort ! ce sera bientôt fait. »

Giselle hésita, pâlit visiblement, rassembla son courage et dit à son père :

« Papa, ma tante a raison : j’ai très mal fait, j’en suis honteuse. Ne m’achetez rien. Mon bon ami, ajouta-t-elle en se tournant vers M. Tocambel, j’ai été bien méchante avec vous ; si vous voulez bien me pardonner cette fois, vous serez bien bon.

m. tocambel, embrassant Giselle.

De tout mon cœur, ma chère, très chère enfant.

madame de monclair.

Bien, ma Giselle ; c’est bien, c’est beau ! je suis très contente de toi ; et, pour t’empêcher d’oublier ce jour, qui est un beau jour pour toi, garde le petit présent que je t’offre de grand cœur. Tu l’as gagné, et tu l’auras. »

Mme de Monclair remit à Giselle les brodequins qu’elle avait confisqués. Giselle, enchantée, remercia et embrassa sa tante à rendre jaloux Léontine et Victor, dont les gâteries coupables et maladroites arrêtaient les bonnes dispositions naturelles de leur fille.

madame de monclair.

Et à présent, mes enfants, que ma besogne est faite, que ma petite Giselle s’est réhabilitée, que j’ai du bien à en dire, je vous quitte avec mon fidèle ami et ses brodequins. Soyez sages tous les trois. Vous, père trop indulgent, toi, mère trop complaisante, imitez votre fille, qui a eu le courage d’écouter la voix de sa conscience et de s’infliger une punition qu’elle croyait méritée ; et toi, ma courageuse Giselle, continue à te traiter avec sévérité et justice, pour devenir parfaite. »

Mme de Monclair embrassa Giselle et sortit avec M. Tocambel, qu’elle se mit à persécuter aussitôt qu’ils eurent quitté l’appartement.

« J’aime beaucoup ma tante, dit Giselle au bout d’un instant.

m. de gerville.

Et moi, cher amour, m’aimes-tu ?

— Certainement, papa, répondit Giselle avec froideur.

m. de gerville.

Autant que ta tante, j’espère bien ?

— Oui, papa », dit Giselle avec hésitation.

Le père s’aperçut que Giselle avait hésité.

« Giselle, reprit-il avec inquiétude, est-ce que… tu m’aimerais moins que ta tante, par hasard ?

giselle, embarrassée.

Je ne sais pas, papa. Je respecte beaucoup ma tante, et j’ai confiance en elle.

m. de gerville.

Et moi, est-ce que je ne t’inspire pas la même confiance ?

giselle, résolument.

Non, papa, vous me gâtez trop.

m. de gerville.

Je te gâte ! je te gâte trop ! Mais ne vois-tu pas que, lorsque je cède à tes demandes, c’est par tendresse pour toi, pour te faire plaisir ?

giselle.

Je le sais bien ; mais je sais bien aussi que j’ai tort ; et que vous ne me le dites pas ; et que, vous aussi, vous avez tort de me laisser faire ; et que vous me faites du mal au lieu de me faire du bien ; et c’est pourquoi je n’ai pas confiance en vous comme en ma tante.

m. de gerville.

Alors, tu n’as pas confiance non plus en ta maman ?

giselle.

Un peu, parce que quelquefois elle m’a empêché de mal faire ; mais pas toujours, pas souvent.

m. de gerville.

Oh ! Giselle, comme tu es ingrate pour nous, et surtout pour moi !

giselle.

Non, papa, je ne suis pas ingrate ! Je vous aime beaucoup ; mais… Je ne sais comment expliquer ce que j’éprouve… Je vous aime, mais il me semble que je n’ai pas pour vous le respect que j’ai pour ma tante. »

M. de Gerville ne répliqua rien ; sa conscience lui faisait très bien comprendre ce que Giselle ne pouvait lui expliquer. Il avait perdu l’estime de sa fille ; elle l’aimait comme on aime quelqu’un de dévoué, de complaisant, qui se rend utile, mais auquel on ne pense pas quand on n’en a pas besoin.

Léontine n’avait rien dit ; son cœur lui faisait tout comprendre. Elle sentait ses torts, elle les déplorait, et la force lui manquait pour se réformer. Elle était un peu jalouse de l’influence de sa tante sur Giselle ; et pourtant sa raison lui faisait comprendre que si elle avait eu la même franchise, la même fermeté, sa fille l’aurait aimée et respectée comme Mme de Monclair.

Giselle examinait son père et sa mère ; quand elle vit des larmes dans les yeux de sa mère, elle alla près d’elle, l’embrassa.

« Maman, dit-elle, n’est-il pas temps que je prépare mes leçons pour Mlle Rondet ? elle va venir dans une heure.

léontine.

Oui, ma Giselle ; tu es bien gentille d’y avoir pensé. Au revoir, Victor. Venez nous prendre à deux heures, pour nous mener à l’Exposition. »

Victor ne répondit pas ; il était resté les coudes appuyés sur la table, la tête soutenue dans ses mains. Léontine fit signe à Giselle de sortir et s’approcha de son mari.

— Victor, mon ami, tu souffres comme moi des paroles de Giselle ?

m. de gerville.

Oh ! Léontine, que ces paroles ont été dures et terribles ! Après tout ce que nous avons fait pour elle !

léontine.

Nous en avons trop fait, mon ami. Elle nous l’a dit elle-même ; tu l’as entendu. Elle ne nous respecte pas, parce que nous manquons à notre devoir en ne la dirigeant pas. Mais il est temps encore de retrouver son respect et son affection. Soyons plus fermes, plus sages.

m. de gerville, impatienté.

Ce qui veut dire, Léontine, que tu veux la rendre malheureuse en la contrariant sans cesse. Je ne peux pas la gronder, lui tout refuser. Cela m’est odieux et impossible. »

Léontine expliqua à son mari ce qu’elle attendait de lui ; elle lui prouva que Giselle n’en serait que plus heureuse. Elle finit par en obtenir la promesse de ne rien accorder de ce qu’elle aurait détendu ou refusé, de ne pas approuver ce qu’elle aurait blâmé. Léontine quitta son mari, après l’avoir rassuré sur l’affection de sa fille.