Questions scientifiques — Les Nouvelles radiations — Rayons cathodiques et rayons Röntgen

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Questions scientifiques — Les Nouvelles radiations — Rayons cathodiques et rayons Röntgen
Revue des Deux Mondes5e période, tome 6 (p. 682-702).
QUESTIONS SCIENTIFIQUES

LES NOUVELLES RADIATIONS

RAYONS CATHODIQUES ET RAYONS RÖNTGEN

On est généralement d’accord pour voir dans l’énorme développement des applications scientifiques un des traits distinctifs de notre époque. C’est là une vérité banale. Nous sommes tellement enveloppés par ces applications de toute sorte : elles sont si intimement mêlées à toutes les complications de notre vie matérielle ; elles interviennent si bien pour nous loger, nous vêtir, nous éclairer, nous transporter de toute façon, nous mettre en communication avec nos semblables de près et de loin, pour nous portraiturer, ou même simplement pour nous divertir, qu’aucun de nous ne saurait les méconnaître.

Mais cet aspect utilitaire de la science de notre temps ne doit pas nous masquer sa haute valeur doctrinale et philosophique. Et, par exemple, pour ne parler que de la physique contemporaine, le mouvement des idées n’y a pas été moins remarquable que le progrès des découvertes. La théorie y a marché de pair avec la pratique : la hardiesse de la spéculation a été à la hauteur de l’habileté expérimentale. On peut dire que, sur ce terrain, le développement des doctrines soutient la comparaison avec le merveilleux développement des faits, et la philosophie de la science avec la science même. C’est ce que nous avons essayé naguère de montrer, en entretenant nos lecteurs de l’osmose, de la cryoscopie et de la tonométrie. Nous voudrions, aujourd’hui, examiner, au même point de vue, les notions acquises depuis quelques années sur les rayons cathodiques, sur les rayons de Röntgen et sur la radio-activité de la matière.


I

Le nom de rayons cathodiques a été proposé, en 1883, par le physicien allemand bien connu, Wiedemann, qui venait d’en faire l’étude. Mais l’objet de cette appellation n’était pas nouveau. Les rayons cathodiques avaient donné lieu, quelques années auparavant, à des expériences retentissantes de la part d’un savant anglais, W. Crookes sur qui, déjà, d’autres recherches originales avaient depuis longtemps attiré l’attention. Les belles expériences de Crookes, promenées par leur auteur à travers l’Europe, avaient eu pour témoins non seulement la plupart des physiciens, mais le grand public lui-même. Présentés lors du congrès de Sheffield, en 1879, aux membres de l’Association Britannique ; reproduits, en 1880, à l’une des soirées solennelles de l’Association française, à l’Observatoire de Paris, ces phénomènes nouveaux et si brillans avaient provoqué un véritable enthousiasme. Crookes les attribuait à un état particulier de la matière, qu’il appelait l’état radiant. Les rayons cathodiques ne sont autre chose que la matière radiante électrisée. Le savant anglais faisait jouer un rôle considérable à ce quatrième état de la matière : il croyait — et d’autres crurent avec lui, — qu’il venait d’ouvrir des voies nouvelles à la science.

Cette espérance fut trompée, ou tout au moins ajournée pour assez longtemps. Il a fallu attendre, quinze ans plus tard, la découverte des rayons X, — liés, comme on le verra tout à l’heure, aux rayons cathodiques, — pour ramener sur ceux-ci l’attention du public scientifique. Toutefois, les chercheurs n’avaient pas abandonné cette piste nouvelle. Ils la suivaient avec persévérance dans le silence des laboratoires. Et parmi ces travailleurs zélés, il faut citer, au premier rang, le physicien allemand Hittorf. C’est à lui que revenait, en définitive, l’honneur de la découverte des rayons cathodiques. C’est lui qui, le premier, — dix ans avant W. Crookes, — en avait signalé l’existence. En bonne justice, ces rayons cathodiques devraient être appelés rayons de Hittorf, pour la même raison et au même titre que les rayons X sont appelés rayons de Röntgen et les rayons radio-actifs, rayons de Becquerel.

A côté de Hittorf, il faut signaler Hertz, Wiedemann et Ebert, Schmidt, Lenard et J. J. Thomson, dont les travaux se développèrent lentement jusqu’en 1895. Brusquement, à cette époque, apparut la découverte de Röntgen : les recherches en reçurent une vive impulsion. On vit se succéder, en peu d’années, à l’étranger, les publications de Birkeland, de Majorana, de W. Wien, et, en France, celles de J. Perrin, Villard, Deslandres et H. Poincaré.

Ces nombreux travaux ont un double objet. On se proposa, d’une part, de compléter l’étude expérimentale des phénomènes — et, d’autre part, d’en fournir l’explication. La tâche est dans les deux cas fort attachante : mais l’intérêt de la question théorique est incomparable. On voit, en effet, se renouveler ici, sur ce terrain particulier des phénomènes cathodiques, la querelle qui, pendant plus d’un siècle, avait divisé les physiciens relativement à l’interprétation des phénomènes lumineux. Les rayons cathodiques ne sont point des rayons lumineux, mais leur explication met également aux prises, comme ceux-ci le faisaient, la théorie de l’émission et la théorie des ondulations, la matière pondérable et l’éther. Le procès jugé, au commencement du siècle, à propos de la lumière, s’engage à nouveau à son déclin, à l’occasion de l’électricité. Les péripéties et les coups de théâtre se succèdent : avec Crookes, en 1880, c’est l’émission qui triomphe : le rayon cathodique semble décidément une projection matérielle, une trajectoire balistique ; avec Lenard, en 1894, qui fait pénétrer les rayons cathodiques dans le vide sans que celui-ci cesse de se maintenir, on est ramené à un substratum immatériel, à des radiations éthérées : J. J. Thomson, en 1897, revient à l’émission de particules, mais ces projectiles ne sont plus des molécules, des atomes ou des ions — dernier degré admis jusque-là, de la divisibilité de la matière — ce sont des fragmens d’atomes, des corpuscules atomiques. Enfin, M. Villard, en 1899, précise la nature de ces corps ; il les montre formés d’hydrogène ; il en fait des corpuscules ou fragmens d’atome d’hydrogène. On constate, en effet, que les rayons cathodiques présentent le spectre de l’hydrogène ; et, s’il arrive qu’on réussisse à éliminer toute trace de ce gaz, on supprime du même coup l’émission cathodique.


II

Après avoir fait comprendre l’intérêt doctrinal de ces nouvelles radiations il convient d’en donner une courte description. Leur apparition est liée aux conditions de la décharge électrique dans les gaz raréfiés. Tout le monde a vu des faits de ce genre : l’illumination des tubes de Geissler ou de l’œuf électrique. Comme ces expériences sont parmi les plus brillantes et les plus décoratives que l’on puisse réaliser avec l’électricité, on les reproduit à toute occasion, pour la beauté du spectacle plutôt que pour l’instruction du spectateur.

Imaginons donc l’œuf électrique, le vase ovoïde en verre, où se trouvent, disposées en regard, deux pointes métalliques, deux boules, ou, en général, deux électrodes de forme quelconque séparées par un intervalle plus ou moins grand, et chargées d’électricité. Leur électrisation sera entretenue, par exemple, en les mettant en rapport avec les pôles induits de la bobine de Ruhmkorff. On peut, aussi, se servir d’une machine électro-statique (munie de condensateur) dont le collecteur est mis en rapport avec l’une des électrodes. Une armature munie de robinet permet d’épuiser l’air dans le vase ovoïde. Lorsque la tension électrique dépasse une certaine limite, la décharge se produit. Un trait de feu va de l’électrode positive (anode) à l’électrode négative (cathode). Dans l’hypothèse où nous nous plaçons, d’un gaz raréfié et d’une charge convenable, cette trajectoire lumineuse, au lieu d’être le trait blanc éblouissant, net, rectiligne ou en zigzag, qui constitue f étincelle ordinaire, est une lueur plus diffuse, colorée diversement suivant la nature du gaz.

Si l’œuf ou l’ampoule quelconque qui contient les électrodes permet de changer la place du pôle positif et de l’accrocher à différens points de la surface on verra la traînée lumineuse partir toujours du point d’attache ambulant pour se rendre au pôle négatif fixe. Le trajet sera plus ou moins direct ou infléchi ; il se rapprochera, plus ou moins, de l’axe du vase et variera, en conséquence, avec la forme de celui-ci. Mais, toujours, en déplaçant le pôle positif, on promènera cette ligne de courant, cette trajectoire de décharge, pour ainsi dire à volonté. Telle est la manière bien connue dont se passent les choses dans le cas ordinaire, c’est-à-dire lorsque la raréfaction est modérée, lorsque le vide existe à quelques centièmes ou, au plus, à quelques millièmes d’atmosphère.

Il ne faut point se borner à cet effort insuffisant, si l’on veut observer le rayonnement cathodique. Il faut, comme Lenard et Crookes, aller plus loin, sans aller trop loin cependant. Le physicien anglais, surtout, a poussé l’épuisement jusqu’à un degré prodigieux. Dans les tubes ou ampoules de Crookes, le vide atteint un millionième d’atmosphère. La pression du résidu gazeux, évaluée en millimètres de mercure, n’atteint plus que 0,00076. Le savant anglais prétendait que, raréfié à ce point, ce résidu n’avait plus les propriétés des gaz ordinaires : c’était, selon lui, un hypergaz, aussi différent de l’état gazeux véritable que celui-ci l’est de l’état liquide, et constituant dans la hiérarchie des états physiques, après le solide, le liquide, le gaz proprement dit, un quatrième degré sous le nom de matière radiante. Crookes, en se fondant sur ce que la théorie cinétique nous enseigne relativement à la constitution des gaz, a voulu préciser les caractères de ce quatrième état de la matière. En réalité le gaz, raréfié au millionième d’atmosphère, n’a point acquis, par ce fait seul, un caractère tout à fait nouveau ; mais il l’acquiert, très certainement, quand l’électrisation vient s’ajouter à la raréfaction ; et c’est alors qu’il constitue l’émanation ou le rayon cathodique.

Nous avons dit qu’il ne faut point pousser le vide trop loin. Si l’on va au delà du millionième d’atmosphère, beaucoup au delà, — et le perfectionnement de la technique le permet, — le résidu gazeux ne peut plus être électrisé : l’électricité ne passe plus ; il n’y a plus de décharge. Le vide absolu est infranchissable à l’agent électrique. Cette résistance du vide qui se refuse au passage de l’électricité, est un article de foi chez les physiciens, depuis les expériences de Walsh, de Morren et de Schultz. L’importance de ce principe est extrême au point de vue doctrinal ; il fournit, en effet, un nouveau critérium de la matérialité. Mais, dans l’application, sa valeur pratique est très restreinte. Les expériences de Lenard après celles de Hertz, en nous montrant la propagation de certaines formes d’électricité dans le vide, nous instruisent des restrictions qu’il comporte. Nous dirons, avec J. Perrin, qu’il est très probable que l’électricité reconnaissable, décelable expérimentalement, ne peut pas se propager sans un support matériel : mais ce n’est pas certain.

Si nous revenons maintenant à notre ampoule de Crookes où le vide a été poussé jusqu’au millionième, nous verrons que la décharge s’y comporte un peu autrement que dans les tubes où la raréfaction était moindre. La trajectoire de décharge a perdu considérablement de son éclat ; elle ne se traduit plus que par une lueur vague, imprécise, à bavures, d’une teinte intermédiaire au rose et au violet. Tout le reste est obscur, à l’intérieur de l’ampoule de verre. L’électricité passe encore et suit le même trajet que précédemment entre l’électrode positive et la cathode. A l’afflux principal est même venu s’en adjoindre un autre, secondaire. De tous les points de l’ampoule, des charges positives se dirigent vers la cathode et vont renforcer le courant principal. Ces charges positives qui dévalent de tous les points de la périphérie forment la contre-partie des charges négatives que nous allons voir fixées sur les rayons cathodiques. Leur existence, leur développement, leur circulation, résultent, par voie de conséquence, de l’existence, du développement et de la circulation inverse de l’électricité négative qu’emporte avec elle l’émission cathodique.

Tel est l’afflux cathodique ; il est composé de la ligne de courant amorcée à l’électrode positive et des courans secondaires dirigés de tous les points du récipient vers la cathode. M. Villard a bien mis en évidence tous ces affluens obscurs ou blafards qui viennent se réunir, sur l’axe de figure de l’ampoule, au flux principal.

Cet afflux cathodique a d’ailleurs les caractères et les propriétés que les physiciens et les chimistes attribuent à l’effluve électrique. Il vient aborder directement la cathode. S’il arrive que cette électrode négative, — que nous supposerons être un petit disque métallique de forme circulaire, — soit percée d’un trou, une partie de l’afflux cathodique traverse cet orifice et poursuit sa route, par delà, après s’être déchargée au passage. Ce courant électriquement neutre, ces rayons déchargés, constituent les Canahtrahlen étudiés par Goldstein.


Tous ces détails relatifs aux courans qui affluent vers la cathode témoignent du soin avec lequel les physiciens se sont appliqués à ne rien laisser échapper des phénomènes dont l’ampoule de Crookes est le théâtre. On pourrait dire, toutefois, qu’ils sont étrangers à notre objet principal, qui est l’émission cathodique. L’afflux que nous venons de voir gagner la cathode est, en effet, parfaitement distinct, à tous égards, du rayonnement cathodique qui la fuit et qui seul nous intéresse. Celui-ci est constitué par un faisceau perpendiculaire à la surface de la cathode. C’est, dans le cas présent, un faisceau cylindrique, ayant pour base le disque circulaire qu’elle représente : il parcourt l’ampoule avec une rectitude parfaite, sans paraître gêné par les affluens cathodiques à direction opposée, dont il vient d’être question : il les croise et les traverse imperturbablement.

Ce faisceau nouveau, normalement implanté sur la cathode, n’est pas lumineux : il n’est pas directement visible, il forme une tache obscure dans l’ampoule de Crookes. Il échapperait donc entièrement à l’observation, s’il ne provoquait à l’opposé de la cathode, dans les points où il rencontre la paroi de l’ampoule, une fluorescence particulière. La substance du verre s’illumine en ces points, et présente une tache lumineuse, brillante, de couleur verte. Crookes eut l’idée de disposer dans l’intérieur de l’ampoule, sur le trajet de ce faisceau, entre la cathode et la paroi, divers corps opaques, par exemple une croix d’aluminium. Il vit alors se dessiner sur le fond clair fluorescent l’exacte silhouette de la croix. On obtient ainsi, dans tous les cas, des ombres géométriques parfaites des objets interposés.

La conclusion obligatoire de cette expérience est que l’émission cathodique est rectiligne. La cathode, l’écran, la silhouette sont en ligne droite. Les choses se passent, en définitive, comme si de chaque point de la cathode partait un rayon unique provoquant la luminosité au point unique où il rencontre la paroi. Il est donc permis, sans rien préjuger de la nature du phénomène, de parler des rayons cathodiques.

L’examen attentif des ombres portées par des écrans divers, des silhouettes différentes dessinées par ces rayons, apporte un nouvel enseignement : il montre qu’ils sont implantés perpendiculairement à la surface de l’électrode : ils lui sont normaux en chaque point. Il faut ajouter toutefois, avec Goldstein, que ce n’est point là une règle rigoureuse. Si on l’accepte, il en résulte que la forme du faisceau varie d’une manière simple avec celle de la cathode. On donne souvent à celle-ci la disposition d’un disque légèrement convexe : alors, les rayons figurent un tronc de cône qui va découper sur la paroi de l’ampoule une calotte circulaire. Si le disque cathodique est un miroir sphérique concave, les normales à la surface constituent un faisceau conique et convergent au centre de la sphère spéculaire où elles forment foyer. Les effets propres aux rayons cathodiques sont amplifiés par cette concentration, de la même manière que les effets des rayons lumineux sont amplifiés au foyer des lentilles. C’est ainsi que Crookes a pu manifester l’action calorifique de sa prétendue matière radiante, c’est-à-dire du rayonnement cathodique : il a réussi à fondre, à l’un de ces foyers de concentration, non pas seulement le verre, mais un fil de platine iridié ; opération qui exige une température de plus de 2 000 degrés.


Ce n’est pas seulement au terme de son trajet, à sa rencontre avec la paroi de verre, que le faisceau cathodique peut être rendu visible. MM. Hittorf et Goldstein, en 1876, ont fourni le moyen de le mettre en évidence sur tous les points de son parcours. Ils ont découvert le pouvoir phosphorogénique de la nouvelle radiation. L’illumination que ces rayons obscurs provoquent dans le verre de l’ampoule, ils la produisent aussi dans les autres corps placés à l’intérieur. Le cristal s’y éclaire en bleu : les pierres précieuses se colorent diversement, les rubis projettent une belle lueur rouge. Le diamant y prend un éclat extraordinaire. Les sulfures alcalino-terreux qui sont naturellement phosphorescens (c’est-à-dire capables d’emmagasiner les radiations lumineuses pour les restituer ensuite) s’illuminent aussi très vivement. La wurtzite (sulfure de zinc cristallisé) y devient éblouissante. En disposant une plaque de quelqu’une de ces substances le long du trajet prévu du faisceau, on rend celui-ci visible dans toute son étendue. Il devient possible, de cette manière, d’étudier les propriétés des rayons cathodiques.


Les résultats de cette étude doivent être mentionnés brièvement. C’est d’abord la vérification des deux lois déjà énoncées : que le rayonnement cathodique est rectiligne et qu’il est assez sensiblement normal à la surface de l’électrode.

En second lieu, les effets mécaniques produits par ces rayons offrent un grand intérêt, par l’appui qu’ils semblent donner à la doctrine de l’émission matérielle. Ils sont manifestés par une élégante expérience. Deux rails formés par des baguettes de verre et placés dans la direction du rayonnement cathodique supportent l’essieu d’une roue à palettes. Ce petit équipage entre en mouvement, tourne et progresse, dès que l’on établit la communication électrique, comme si les palettes recevaient le choc, — le bombardement, selon l’expression de Crookes, — de particules matérielles issues de l’électrode négative. En renversant le sens des décharges on renverse aussi le sens de la rotation. L’explication balistique fait si bien image, qu’elle s’insinue tout naturellement dans l’esprit et fait naître la foi aux projectiles cathodiques. Cependant, à la réflexion, l’argument n’est nullement décisif. Tout le monde a vu, aux devantures des opticiens, le petit instrument que l’on appelle le radiomètre, dont l’invention, précisément, appartient encore à Crookes. Il est formé d’une sorte de moulinet à ailettes, très léger, enfermé dans une ampoule de verre où le vide a été fait. Il entre en mouvement à la façon de la roue à palettes de l’expérience précédente, mais, sous l’action des rayons lumineux, c’est-à-dire des vibrations de l’éther, sans que l’on puisse invoquer, cette fois, un bombardement de projectiles matériels.

Une seconde propriété, inattendue et singulièrement remarquable des rayons cathodiques, est d’être attirables par l’aimant. En rendant le faisceau visible, à la faveur d’un écran phosphorescent introduit dans l’ampoule, on le voit s’infléchir si l’on approche un aimant ; on peut l’attirer et le repousser à volonté en faisant varier la position de l’agent magnétique. La grandeur de la déviation dépend de la force de l’aimant d’une part, et d’autre part de la vitesse du faisceau cathodique, vitesse que l’on peut influencer en faisant varier la pression du résidu gazeux qui emplit l’ampoule. En imprimant un mouvement convenable à l’aimant on conçoit que l’on puisse réussir à enrouler le faisceau en spirale. Cette obéissance à l’action directrice de l’aimant, va jusqu’à permettre de le ramener et de le fermer en cercle sur lui-même. Dans cette expérience, le rayon cathodique se comporte comme un courant électrique dont le pôle négatif serait à la cathode, et qui courrait le long d’une ligne métallique. La déviation magnétique est facilement explicable dans la théorie de l’émission : le rayon serait constitué par une file de particules matérielles électrisées qui se suivent d’un mouvement rapide en charriant une charge électrique. Ce transport d’électricité par transport de matière est ce que l’on nomme un courant par convection. Rowlahd, Röntgen et d’autres physiciens ont montré que les courans de ce genre sont assimilables aux courans ordinaires par conduction. Au contraire, l’on ne connaît pas de déviations imprimées par l’aimant aux radiations de l’éther, aux rayons calorifiques, lumineux ou actiniques.

En troisième lieu, le rayon cathodique est électrisé. Nous l’avons supposé, implicitement, tout à l’heure, en disant qu’il était assimilable à une file de particules électrisées, c’est-à-dire à un courant. Il faut donc que l’on puisse manifester la charge qu’il transporte. Crookes avait cru y réussir. Ebert et Wiedemann firent voir le caractère illusoire de sa démonstration. Ce fut un jeune physicien français, M. Jean Perrin, qui, par une expérience très élégante, mit en évidence ce caractère essentiel de la radiation cathodique, d’être chargée d’électricité négative.


Le phénomène cathodique, tel que nous venons de le décrire, s’accomplit tout entier à l’intérieur de l’ampoule : il y a son commencement et sa fin. Jusqu’en 1894, il avait été impossible d’étudier ces rayons à l’abri des complications expérimentales du milieu où ils ont pris naissance. Ils restaient enfermés dans leur berceau d’origine comme dans une prison. Lenard réussit à les en faire sortir, et ses belles expériences de 1894, qui tirèrent ces rayons captifs de leur geôle de verre, eurent un légitime retentissement dans le monde des physiciens.

Le verre arrête les rayons cathodiques : on ne le savait que trop. La plupart des autres substances en font autant. Toutefois Hertz, dès 1883, avait annoncé que les lames métalliques peuvent leur livrer passage, à la condition d’être assez minces. Leur épaisseur ne doit pas dépasser quelques millièmes de millimètre (microns). Lenard se proposa donc de remplacer la portion fluorescente de l’ampoule de verre où tombe le faisceau cathodique par une pièce de métal. Encore fallait-il que cette pièce fût assez solide pour ne pas céder à la poussée de l’air. Toute la difficulté était là. Lenard réussit à la lever. Il pratiqua dans son tube de Crookes une petite fenêtre qu’il ferma au moyen d’une lamelle d’aluminium de 3 millièmes de millimètre d’épaisseur. Cette feuille se montra capable de résister à la pression atmosphérique et de tenir le vide. Les rayons cathodiques, plus subtils que les molécules gazeuses, s’échappèrent, et l’on put les étudier en liberté.

Ils apparurent, au dehors, tels qu’ils s’étaient montrés dans l’ampoule, rectilignes, déviables par l’aimant, capables de produire la fluorescence. Ils étaient capables, également, d’impressionner la plaque photographique. Chose remarquable ! ils avaient conservé leur électrisation négative, malgré l’épaisseur de métal qu’ils avaient traversée. C’était un fait inattendu et jusque-là sans exemple. Il signifie que la charge électrique négative est un caractère essentiel et indélébile du rayon cathodique, et que celui-ci ne peut la perdre sans cesser d’exister.

Ces expériences ont appris du même coup que les rayons cathodiques possèdent un pouvoir de pénétration très restreint. Nous ne parlons pas seulement des solides, mais aussi des gaz. A moins que ceux-ci ne soient très raréfiés, les rayons sont rapidement arrêtés et diffusés par les obstacles moléculaires. Au contraire, lorsque le vide est poussé très loin, ils se maintiennent et se conservent sans changement. On a pu les suivre sur une longueur d’un mètre et demi sans constater d’affaiblissement.


Il faut signaler, pour finir, deux autres caractères des rayons cathodiques.

Le premier consiste dans la faculté qu’ils confèrent aux gaz qu’ils traversent de conduire l’électricité. On sait que les gaz secs sont isolans. Un corps électrisé, par exemple un électroscope à feuilles d’or ou un condensateur, y conserve sa charge. S’il paraît quelquefois en être autrement, c’est que le gaz n’est pas sec, et la déperdition doit alors être attribuée à la vapeur d’eau. Mais qu’un rayon cathodique vienne à tomber sur l’air réellement desséché, en contact avec ces appareils, et l’on voit aussitôt ceux-ci se décharger. Le gaz a acquis une certaine conductivité. Cette même propriété appartient, comme nous le dirons tout à l’heure, aux rayons de Röntgen et aux rayons de Becquerel. C’est là un caractère commun à toutes ces radiations, et c’est peut-être, de tous, celui qui se prête le mieux à une investigation rapide et même à des mesures. Aussi est-ce au moyen d’un électroscope maintenu dans une cage remplie d’air sec que l’on fait la recherche de ces diverses radiations. C’est en appliquant ce procédé que M. et Mme Curie ont découvert les nouveaux corps radio-actifs, le polonium, le radium, et M. Debierne, l’actinium[1].

La dernière particularité est encore commune aux trois espèces de radiations en même temps qu’à toute espèce de décharge électrique. Elle consiste en ce que les unes et les autres provoquent la condensation, sous forme de brouillard, de la vapeur d’eau lorsque celle-ci est près de son point de saturation. Ce brouillard qui se forme tout à coup sur le passage de la décharge ou de la radiation devient un signe visible et palpable de leur présence. C’est une belle expérience de cours ou de conférence publique, facile à réaliser, et souvent répétée depuis deux ou trois ans. La vapeur s’échappe, invisible, d’un tube étroit en rapport avec un ballon plein d’eau bouillante. On en approche une pointe métallique fortement électrisée et d’où le fluide s’échappe sous forme d’aigrette que l’on pourrait distinguer dans l’obscurité. Dès que le rapprochement a lieu, on voit le jet de vapeur prendre l’aspect d’un brouillard très dense ou d’une épaisse fumée.

On entrevoit, sans qu’il soit nécessaire d’y insister, les applications possibles de ce phénomène à la météorologie. Il y en a une autre, fort curieuse, qui a été faite par J. J. Thomson à la mesure du nombre de projectiles cathodiques qui, à un moment donné, existent dans un espace déterminé. En combinant cette détermination avec des recherches électrométriques, on est arrivé, par des détours très subtils, à calculer la charge négative que porte chaque projectile cathodique, et enfin sa masse. Celle-ci est extrêmement faible.


Les rayons cathodiques d’un même faisceau ne sont pas tous identiques. Leur vitesse de propagation n’est pas la même ; et c’est la raison pour laquelle l’aimant les dévie d’une manière inégale, comme le prisme dévie inégalement les rayons qui forment un pinceau de lumière solaire. Il y a une dispersion magnétique et un spectre magnétique pour les rayons émanés de la cathode, comme il y a une dispersion lumineuse et un spectre lumineux pour les rayons émanés du soleil. MM. Birkeland et Jean Perrin ont constaté le fait presque en même temps.


Par des artifices extrêmement ingénieux, on est parvenu à mesurer la vitesse de propagation des rayons cathodiques qui est — dans l’hypothèse de l’émission, — la vitesse même du projectile lancé par l’électrode. Cette vitesse est énorme et d’ailleurs très variable avec les circonstances de la production. Elle peut être de 200 kilomètres à la seconde, ce qui est une limite inférieure — et atteindre 30 000 kilomètres, ce qui semble être une limite supérieure. Cette dernière est seulement six fois moindre que la vitesse de la lumière.

Nous ne pouvons qu’indiquer à peine les principes d’après lesquels le calcul a été fait. Il est fondé sur la mesure expérimentale de la déviation magnétique exercée par un aimant connu et de la déviation électrique provoquée par un courant électrique d’intensité également connue. Il est bien clair que ces déviations dépendent de la vitesse et de la masse des projectiles cathodiques. Il est évident, en effet, que l’aimant ou le courant dévieront davantage le rayon cathodique s’il est lancé avec une faible vitesse et moins si la vitesse est grande.

On peut d’ailleurs atténuer cette vitesse pour donner aux mesures plus de précision. Lenard a employé à cet effet, non plus les rayons engendrés par l’ampoule de Crookes, mais ceux dont l’existence a été révélée par Gustave Le Bon et qui résultent de l’action de la lumière sur les métaux.

La vitesse du rayon cathodique est prodigieuse, et pourrait avoir des effets mécaniques passant l’imagination, si, par compensation, la masse du projectile n’était infiniment faible et si le projectile, lui-même, était autre chose qu’un fragment d’atome. M. Jean Perrin s’est amusé à calculer l’un des effets, l’effet calorifique que produirait le choc d’une proportion appréciable de ces projectiles. La quantité de chaleur que mettrait en liberté un kilogramme de cette matière si un obstacle l’arrêtait brusquement dans sa course, serait capable de porter instantanément à l’ébullition l’eau d’un lac de 1 000 hectares d’étendue et de 5 mètres de profondeur.

La mesure de la vitesse cathodique apporte un dernier argument en faveur de la théorie balistique ou matérialiste. Si le rayonnement cathodique était l’effet d’un mode de vibration quelconque de l’éther, au lieu d’être une projection de matière, on ne concevrait pas facilement qu’un tel ébranlement se propageât avec une vitesse variable à partir de 200 kilomètres, alors que le même milieu transmet l’ébranlement-lumière avec une vitesse uniforme de 300 000 kilomètres. De quelque côté que l’on envisage la question, l’avantage reste donc toujours à la doctrine de la projection matérielle. Dans cette querelle que notre temps a vue se renouveler entre les deux systèmes de l’émission et des ondulations, cette fois c’est le premier qui l’emporte.

On considérera donc le rayon cathodique comme formé par une file de projectiles, électrisés négativement. Pourquoi se meuvent-ils en ligne droite perpendiculairement à la surface cathodique ? C’est qu’ils sont repoussés et chassés violemment par la charge électrique de la cathode.

Les mesures électro-métriques et électro-magnétiques, combinées avec celle dont nous avons parlé plus haut, — et qui permettait de calculer, au moyen de la condensation d’un brouillard le nombre des projectiles cathodiques dans un espace déterminé, — ont conduit à des résultats surprenans et dont la précision tient du prodige. C’est ainsi que l’on a constaté que le projectile cathodique a une masse toujours la même. Cette masse est égale à la millième partie de l’atome d’hydrogène.

Le projectile ne dépend donc point de la cathode, et c’est ce que déjà Crookes avait reconnu. Sa matière constituante est l’hydrogène ; M. Villard l’a prouvé sans contestation. Il provient donc nécessairement de la démolition de l’atome d’hydrogène. Celui-ci au lieu d’être le dernier terme de la simplicité et de la légèreté, — comme le croient les chimistes, — nous apparaît, en définitive, un édifice assez compliqué et assez lourd, puisque la décharge de l’ampoule de Crookes en enlève des pierres qui ne représentent que la millième partie de sa masse. Ces pierres sont les fragmens d’atome ou corpuscules atomiques de J. J. Thompson. L’atome n’est plus insécable ! Nous nous arrêtons ici et nous ne poursuivrons pas plus loin cette analyse, bien que l’état de la science le permette. Mais ce serait entrer dans l’étude de la constitution de la matière, et c’est là un sujet qui ne saurait être abordé incidemment.


III

Les rayons cathodiques n’ont aucune application pratique. Ils sont engendrés dans des conditions extrêmement particulières au sein du vide barométrique, à l’intérieur d’un vase dont il est presque impossible de les faire sortir. Nous n’aurions pas d’excuse à en avoir entretenu si longuement notre lecteur, si cette étude n’offrait qu’un intérêt de simple curiosité et une occasion de mettre en lumière la virtuosité de nos physiciens. Mais elle a une autre portée. En faisant leur histoire, on se trouve avoir fait celle des radiations de la même famille, des rayons Röntgen qui sont, eux, fertiles en applications, et des rayons de Becquerel qui ne sont qu’un mélange des deux autres espèces.

En second lieu, les rayons cathodiques sont les ascendans et les générateurs obligés des autres. Leur mécanisme et leur véritable nature sont mieux connus.

De plus, les rayons cathodiques (et les rayons de Röntgen et de Becquerel qui les accompagnent ou qui en émanent) ne sont pas le simple résultat d’un artifice de la part des physiciens. Ils constituent un phénomène naturel qu’il est impossible de négliger. Loin d’être rare, leur production est incessante. Il ne tombe pas un rayon de soleil sur une surface métallique, il ne s’allume pas une flamme, il n’éclate pas une étincelle électrique, il ne se produit pas une décharge, pas un corps ne devient incandescent sans qu’apparaisse le rayon cathodique pur ou transformé. C’est à G. Le Bon que revient le mérite d’avoir aperçu, dès l’abord » la grande généralité de cet ordre de phénomènes. Encore bien qu’il se soit servi du terme impropre de lumière noire — il n’en a pas moins saisi l’universalité et les principaux caractères de cette production. Il a, surtout, remis le phénomène à sa vraie place en le transportant du cabinet du physicien dans le grand laboratoire de la nature. P. de Heen, le professeur bien connu de l’université de Liège, a adopté une conception analogue. Il considère que presque tous les foyers d’ébranlement de l’éther engendrent une émanation comparable à celle du tube de Crookes. Nous aurons l’occasion d’y revenir à propos de la radio-activité de la matière.


IV

On se souvient de l’étonnement et de l’admiration qui accueillirent, vers la fin de l’année 1895, la découverte de M. Röntgen. Le savant physicien de Wurzbourg montrait des silhouettes photographiques obtenues à travers des corps opaques, des lames de carton, des feuilles de papier, des livres épais, des dictionnaires, des plaques de bois de plusieurs pouces. Il donnait le moyen de recueillir sur un écran l’ombre fluorescente des corps cachés par des paravens, ou enfermés dans des boîtes, c’est-à-dire, en quelque sorte, de voir indirectement à travers ces obstacles.

Les applications utiles vinrent bientôt ajouter à l’intérêt de curiosité qui s’était manifesté dès le début. On a appliqué la radiographie à reconnaître les falsifications de certains produits, à vérifier le contenu d’une boîte sans l’ouvrir, et à d’autres usages du même genre. Mais la plus importante de ces applications, — de beaucoup, — est celle qui en a été faite à la médecine et à la chirurgie. Tout le monde a vu ces radiographies partout exposées. Elles montrent les déformations et les lésions du squelette, les altérations des os, la présence dans les tissus des corps étrangers, tels que projectiles, aiguilles, débris de métal, et même, dans quelques cas, elles révèlent l’existence de lésions viscérales de diverses natures. Plus parfaites, elles réaliseraient le rêve et le but de l’anatomie normale ou pathologique, qui est de montrer le corps, sain ou malade, comme s’il était transparent à toute profondeur.

Il est inutile d’insister ici sur toutes ces particularités ; c’est une histoire qui se déroule sous nos yeux et dont la presse quotidienne nous entretient tous les jours.


Les rayons de Röntgen tirent leur origine des rayons cathodiques. La source dont faisait usage le physicien allemand et que tous les opérateurs ont utilisée, à sa suite, c’est précisément l’ampoule de Crookes, génératrice du rayonnement cathodique. Mais, dans cet appareil, la seule partie utile pour la production que nous avons en vue, est la tache fluorescente qui est placée vis-à-vis de la cathode et en reçoit l’émission.

C’est elle qui projette la nouvelle radiation dans toutes les directions, et non pas seulement dans le prolongement de l’ancienne. Toute matière qui arrête les rayons cathodiques devient le siège d’une émanation de Röntgen. Il importe peu que cette substance soit placée à l’intérieur de l’ampoule ou qu’elle en forme la paroi ; il n’importe pas davantage qu’elle devienne ou non fluorescente sous l’action cathodique : du moment qu’elle reçoit et arrête la première radiation, elle engendre la seconde. On a trouvé avantageux, pour augmenter la puissance de l’appareil, de lui faire subir une légère modification. On emploie une électrode en forme de miroir sphérique qui concentre les rayons cathodiques en un foyer unique. Près de lui est disposée une l’âme de platine ou de quelque autre substance infusible ; celle-ci intercepte l’émission cathodique et, en l’arrêtant, la transforme en rayonnement Röntgen que l’on recueille, au dehors, à travers une portion amincie de la paroi. C’est ce que l’on nomme le tube focus.


Le rayon de Röntgen se distingue nettement du rayon cathodique qui l’a engendré par plusieurs caractères dont les deux plus essentiels, au point de vue de la théorie, consistent en ce qu’il est insensible à l’aimant et qu’il n’est pas électrisé. Le rayon cathodique, au contraire, porte une charge électrique et il est déviable à l’aimant. C’est sur ces deux caractères que l’on se fonde pour établir, comme nous l’avons dit, sa matérialité. Ils font défaut chez le rayon de Röntgen ; aussi, ne pouvons-nous plus assurer qu’il résulte d’une émission de matière. Au contraire, les vraisemblances sont en faveur de su nature immatérielle, éthérée, vibratoire.

Il faut ajouter à ces deux traits distinctifs essentiels, les deux suivans, qui ne sont pas non plus sans importance : le rayon cathodique n’a pas de force de pénétration : il est immédiatement absorbé ou diffusé, tandis que le rayon de Röntgen est très pénétrant et non diffusible.

On vient de voir que les rayons de Röntgen prennent naissance au point de rencontre des rayons cathodiques avec les substances solides. La violence du choc du projectile cathodique contre la molécule matérielle ébranle celle-ci et accroît son énergie calorifique : elle fait vibrer, en même temps, l’éther ambiant et produit la fluorescence du tube de Crookes. L’opération qui engendre le rayon X engendre donc en même temps et accessoirement des rayons lumineux, (fluorescence visible) ou, d’autres fois, des rayons chimiques, ultra-violets (fluorescence invisible) et vraisemblablement encore d’autres radiations inconnues.

Laissant de côté ces radiations accessoires — qui, d’ailleurs peuvent faire défaut — pour envisager la principale, nous avons dit que celle-ci se révélait par son action chimique sur les sels d’argent (impression photographique) et par sa faculté d’exciter la luminosité des écrans phosphorescens. Si un corps opaque est placé en ligne droite entre la source et l’écran, sa silhouette se dessine sur celui-ci avec une netteté surprenante. La formation de ces ombres géométriques prouve une propagation parfaitement rectiligne, à partir de la source, et justifie le nom de rayons employé ici.

Le caractère le plus surprenant de ces rayons c’est, au premier abord, leur puissance de pénétration. Ils passent au travers d’un volume de mille pages, comme un rayon de lumière au travers d’une vitre. Ce sont, dans les deux cas, des prouesses de même nature ; et si le dernier fait ne nous étonne plus, c’est que « l’habitude des choses, comme dit Montaigne, nous en ôte l’étrangeté. » Notre surprise naît de ce qu’un nouveau venu fasse ce qui est impossible à notre vieil agent lumineux. Nous n’avons pas été moins surpris d’apprendre, Jadis, que les rayons ultra-violets du spectre solaire traversaient une l’âme d’argent ; ce qui, par parenthèse, a rendu possible pour la première fois la photographie de l’invisible. Ce qui est permis à une radiation est donc interdit à une autre. Le rayon de Röntgen, qui traverse un panneau de chêne de deux pouces et une plaque d’aluminium épaisse de plus d’un centimètre, est arrêté par quelques mètres d’air atmosphérique dont le parcours n’est qu’un jeu pour le rayon de lumière.

Il y a entre le rayon de Röntgen et le rayon lumineux une autre différence, quant à la manière dont ils se comportent au sein de la matière. Ils peuvent être absorbés, au fur et à mesure qu’ils cheminent : ils sont alors dénaturés, anéantis : leur énergie est transformée en quelque autre, par exemple en chaleur. C’est une manière de finir qui leur est commune. Mais la lumière en a une autre qui lui est propre. Dans certains corps, à structure grenue, tels que le verre dépoli, la poudre de cristal, la lumière se diffuse : le trajet des rayons est brisé par des réflexions et des réfractions nombreuses. Chaque particule se comporte alors comme une source lumineuse émettant un rayonnement dans toutes les directions et le corps s’illumine. Il ne servirait à rien de forcer l’intensité du faisceau lumineux incident, dans l’espoir de le voir transiter : on ne réussirait qu’à augmenter l’éclairement.

Rien de pareil avec le rayon de Röntgen : il ne se perd que par absorption ; en forçant l’intensité de la radiation, on le verra gagner toujours, et de plus en plus, en puissance de pénétration. Il ne diffuse point. Il poursuit son trajet, rigide, inflexible, affaibli sans doute, mais jamais dévié par aucun obstacle. Ce n’est point le rayon de lumière que l’on devrait prendre comme le type et le symbole de la rectitude idéale ; c’est le rayon de Röntgen.

Il y a diverses variétés de rayons de Röntgen, comme il y en a de rayons cathodiques. Ils forment toute une gamme et se distinguent les uns des autres par leur degré d’activité pénétrante. Il y en a d’ultra-pénétrans ; il y en a d’autres qui s’éteignent à quelques millimètres de leur source. Cela dépend de l’appareil générateur, du courant employé, et des autres circonstances de la production.


Lorsque le rayon de Röntgen vient à frapper un corps solide, et particulièrement un métal, il engendre des rayons de même nature mais d’une puissance pénétrante moindre. Ils sont aussi beaucoup plus actifs au point de vue électrique et au point de vue photographique. Ces rayons secondaires ont été étudiés par M. Sagnac. Dans les mêmes conditions, le rayon secondaire se résout en rayons tertiaires, et ainsi de suite. De telle sorte qu’il existe à la surface des métaux frappés par les rayons de Röntgen tout un système de radiations qui lui forment une enveloppe compliquée, conductrice de l’électricité et photogéniquement active.


On préjuge facilement que l’absence de diffusion des rayons de Röntgen entraîne d’autres différences avec la lumière, celles-là, capitales. Les rayons ne diffusent point, parce qu’ils ne subissent ni la réflexion, ni la réfraction. Si l’on a pu croire quelquefois à leur réflexion, c’est qu’ils étaient mêlés d’élémens étrangers, et, par exemple, de rayons ultra-violets. M. Gouy a démontré, avec une merveilleuse précision, que, en réalité, ils n’éprouvaient pas la plus petite réfraction. Ils ne présentent pas, non plus, le phénomène de la diffraction, ni celui de la polarisation.

La réflexion, la réfraction, la diffraction sont, avec la polarisation et l’interférence, les caractères universels des vibrations éthérées ; elles appartiennent à toute la série du spectre, depuis les plus lentes jusqu’aux plus rapides ; elles sont communes aux vibrations hertziennes, aux infra-rouges ou calorifiques, aux vibrations visibles et enfin aux vibrations ultra-violettes ou chimiques. Quant à l’interférence, l’opinion du monde savant n’est pas fixée sur le point de savoir si les rayons Röntgen permettent ou non de la réaliser. Il semble cependant que les phénomènes observés par M. Jaumann, au moyen de deux électrodes parallèles reliées au pôle négatif de la bobine par des fils d’égale longueur, doivent être regardés comme de nature interférentielle.

Peut-on, après cela, rapprocher les rayons de Röntgen des rayons lumineux, ou, tout au moins, les attribuer à quelques espèces d’ondulations de l’éther ? C’est la tendance générale. Wiedemann et Lenard les regardent comme formant un nouvel échelon dans l’échelle spectrale, au delà de l’ultra-violet. Röntgen et Jaumann les considèrent comme produits par les vibrations longitudinales de l’éther.

Les rayons de Röntgen déchargent les corps électrisés placés dans leur voisinage. Le rudiment de cette propriété électrique se montre déjà dans le spectre. Les rayons ultra-violets détruisent les charges négatives des corps avec lesquels ils entrent en contact. C’est une analogie plus ou moins lointaine entre les deux espèces de radiations.

Il n’est, pourtant, permis que sous de certaines conditions de rapporter les rayons de Röntgen à de petites ondulations ayant le caractère des ondulations lumineuses et continuant, par delà le violet, la série du spectre. Il faut d’abord imaginer que ces ondulations sont très courtes ou, ce qui revient au même, que les vibrations sont très rapides, ce qui est un moyen de rendre l’interférence peu sensible, et moins sensible encore la diffraction. Il faut, en outre, que la vitesse de propagation ne soit pas différente dans l’air et dans les autres corps. Cette supposition, a priori, n’a rien d’absurde : elle explique l’absence de la réfraction et rend possible celle de la réflexion. D’autre part, comme il n’y a pas d’autres moyens pour réaliser la polarisation que de recourir à la réflexion simple ou double, lesquelles sont ici déficientes, on ne s’étonnera pas que le rayon de Röntgen soit dépourvu de cette propriété. Ainsi privé de toutes ses charges et offices, il lui reste la vibration transversale qui lui ouvre l’accès de la famille spectrale ; mais dans ce milieu, après toutes les diminutions, les restrictions et les limitations qu’il a subies, il fait quelque peu l’effet d’une brebis galeuse. Nous avons dit que quelques physiciens se contentaient pour lui de cette situation.

Les difficultés sont les mêmes, lorsque l’on fait intervenir les vibrations longitudinales de l’éther. Il s’y ajoute, en plus, celle qui tient à l’incertitude de l’existence de ces vibrations. Rien ne prouve, à la vérité, qu’elles n’existent point. Il est au contraire évident qu’il s’en forme aussitôt que le rayon lumineux change de direction, qu’il se réfléchit ou qu’il se réfracte. On ne pourrait les négliger qu’à la condition de regarder l’éther comme rigoureusement incompressible. Quelques physiciens déclarent qu’il l’est, et en effet si l’on veut rester sur le terrain expérimental, il suffit de remarquer que la composante longitudinale est négligeable par sa petitesse. Cela est vrai tant que l’on prend le parti d’ignorer tout phénomène quelconque qui pourrait accompagner les phénomènes lumineux. Alors en effet, en ne tenant pas compte de la vibration longitudinale, on trouve encore, comme l’on sait, un accord satisfaisant entre la théorie et l’expérience. Il est possible que le rayon de Röntgen soit dû à cette vibration longitudinale probable ; mais il reste à le prouver et c’est ce que l’on n’a pas encore fait. La démonstration essayée par Jaumann a été réfutée par M. H. Poincaré.


A défaut de ces explications, il y en a une troisième qui consiste à dire, avec A. Schuster, que la vibration de l’éther qui produirait la radiation de Röntgen, ne serait pas régulièrement périodique. La périodicité étant la condition de l’interférence, on se débarrasse ainsi d’une objection gênante.


D’autre part, les explications fondées sur le système de l’émission matérielle sont tout aussi problématiques. M. Jean Perrin admet que le rayonnement de Röntgen est dû à la vibration des corpuscules atomiques, et elle leur viendrait de leur choc violent contre les molécules matérielles. Cette hypothèse aurait l’avantage de rendre compte des circonstances de sa production. En fin de compte, on sait peu de chose de positif sur la nature de cet agent physique, qui, comme le dit M. Bouty, est demeurée très mystérieuse, malgré les efforts réunis de tout le monde savant.


A. DASTRE.

  1. L’étude de ce phénomène peut être différée, sans inconvénient, jusqu’au moment où il sera question des rayons de Becquerel.