Règlement de la Calotte du régiment de la Fère

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Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 7-20).

II

RÈGLEMENT DE LA CALOTTE DU RÉGIMENT DE LA FÈRE[1] — ARTILLERIE[2]


Messieurs[3], vous nous avez chargé de rédiger les principaux articles du règlement de la Calotte ; nous nous sommes empressé de nous rendre digne de votre confiance, et nous soumettons aujourd’hui à votre profonde sagesse des idées que nous a inspirées l’amour de l’ordre public.

Il est, Messieurs, des lois constitutives auxquelles il n’est pas permis de déroger ; elles doivent dériver directement de la nature du pacte primitif ; leur développement sera le premier objet sur lequel nous attirerons votre attention.

Il est des lois qui ne sont que fondamentales ; l’unanimité des suffrages peut alors les anéantir. Celles-ci, Messieurs, nous découvriront la nature de l’autorité du plus ancien lieutenant.

Entrant ensuite dans les détails des formes à donner à notre administration, nous désignerons la portion d’autorité que vous devez accorder aux chefs et aux infaillibles, pour éviter à la fois les inconvénients de l’anarchie et les abus du pouvoir arbitraire.

La police de vos assemblées, la forme à suivre dans vos procédures, ce qui nous portera à vous parler de ces dernières, l’institution d’un grand maître des cérémonies, terminera la tâche glorieuse et pénible que vous nous avez imposée ; heureux si notre travail peut mériter votre approbation ; heureux s’il peut être de quelque utilité à la chose publique.

Article premier.
Institution première de la Calotte et de ses lois constitutives.

Nos ordonnances nous prescrivent obéissance aveugle aux officiers supérieurs ; de là est né le tribunal fraternel de la Calotte. L’intérêt commun est le premier agent qui éleva ce tribunal, et son pre- mier bienfait fut de faire respecter aux chefs des jeunes gens, sans doute, mais des jeunes gens qui, remplis des préceptes de l’honneur, et non encore avilis par les fureurs de l’ambition, ne le cèdent à aucun corps par leurs sentiments.

Il fallait être respectable pour être respecté, et l’on ne tarda pas à sentir la nécessité de soumettre à la volonté générale … qui nuisaient à l’intérêt commun.

Par quelle fatalité étrange une institution aussi avantageuse devint-elle l’instrument des fantaisies des particuliers ? Par quelle fatalité, ce qui n’avait été imaginé que pour l’avantage de tous, devint-il dans plusieurs corps la source des vexations les moins pardonnables ? Ainsi, Messieurs, dans la main des hommes tout se corrompt ; ainsi le monde languit aujourd’hui dans l’esclavage.

C’est en réfléchissant sur cet exposé que vous verrez, Messieurs, que la Calotte doit être composée de tout ce qui a le grade de lieutenant. On voudrait en vain … les prérogatives de quelques membres ; tous sont égaux ; tous sont animés par l’intérêt du corps ; tous doivent avoir voix délibérative. La date du brevet, l’ancienneté du grade, distinctions puériles. Tous ceux qui partagent également les dangers, doivent partager également les honneurs.

Article 2e.
Lois fondamentales.

Les lois qui dérivent de la nature du pacte sont constitutives ; aucun législateur, aucune autorité ne peut y déroger. Nous n’en connaissons qu’une, c’est l’égalité dans les membres qui composent la Calotte. Les lois qui dérivent des rapports qu’ont les corps entre eux, tout ce que nous appelons lois fondamentales, telle est l’institution qui confère au plus ancien lieutenant la dignité de chef de Calotte. Toutes les personnes étrangères à votre assemblée sont accoutumées à considérer le plus ancien lieutenant comme votre chef. Ceci est consacré par une longue suite d’années ; vous ne pouvez donc l’en déchoir sans lui faire le plus grand tort ; c’est pourquoi il faut qu’il soit convaincu d’une incapacité absolue, ce qui ne peut être que par l’unanimité des suffrages.

Nous distinguons, Messieurs, deux sortes de Chef de Calotte : le Chef de Calotte premier lieutenant, et le chef de Calotte plus ancien lieutenant. Le Chef de Calotte premier lieutenant ne peut être déposé que par les grandes assemblées, où tous les Calottins assistent ; le Grand Chef de Calotte plus ancien lieutenant peut l’être par la Calotte particulière où il préside.

Article 3e.
De l’autorité des Chefs de Calotte et des Infaillibles.

Tout gouvernement doit avoir un chef, et nous venons de prouver que le plus ancien lieutenant est Chef né de la Calotte. Toute l’autorité attribuée aux puissances exécutives est de son ressort. Le droit de convoquer l’assemblée, d’y présider, de la représenter dans toutes les occasions, de veiller au maintien des intérêts et des égards qui nous sont dus, le droit de faire des démarches … de parler au nom de tous dans les occasions, sans y être autorisé, ne peut lui être contesté.

Il est auprès de chaque individu particulier l’organe de l’opinion publique. La nuit n’a point pour lui de ténèbres ; il ne doit rien ignorer de tout ce qui pourrait compromettre votre rang ou votre habit.

Les yeux perçants de l’aigle, les cent têtes d’Argus lui suffisent à peine pour satisfaire à toutes ses obligations, aux devoirs que lui impose sa charge.

Si jamais il s’endormait comme celui-ci, il faudrait alors lui faire subir la même destinée et s’armer du glaive de la loi. Son élévation ne le rend que plus comptable de sa conduite ; la loi, toujours passive, ne reconnaît jamais aucun respect humain. Vous recommanderez sans doute à vos membres de lui porter les plus grands égards. Vous réprimerez la fougue … de vos éloquents et parfois braves orateurs ; mais nous entendons déjà leurs véhémentes réclamations. Ils vous représentent la liberté sur le point de succomber sous le faix de la colossale autorité du chef.

Son autorité n’est pas trop étendue sans doute, tant qu’il sera fidèle à l’esprit de la loi ; mais si jamais il prétendait s’en affranchir ; si jamais, contre l’esprit d’association, le chef voulait s’ingérer dans les affaires étrangères à l’intérêt public ; si jamais, par cet esprit de partialité qui caractérise si souvent les hommes en place, il vexait les uns pour en obliger d’autres ; si jamais par oubli des lois constitutives, il refusait de convoquer l’assemblée à la réquisition d’un ou de plusieurs membres, il faut prévoir un moyen de … sans tomber dans l’excès de l’anarchie. Établissez deux Infaillibles ; donnez-leur le pouvoir, lorsqu’ils sont d’accord, de s’opposer à l’exécution journalière de sa charge au moyen de la formule : « Nous nous opposons au projet que vous avez. » Donnez-leur le pouvoir de convoquer l’assemblée si absolument le premier lieutenant refuse. Donnez à chaque Infaillible la faculté de proposer une motion contre le chef sans courir aucun risque, et soyez sûrs que moyennant leur autorité votre constitution est assurée à jamais.

Qui appellerez-vous à remplir les places importantes d’Infaillibles ? Y appellerez-vous les deux lieutenants qui suivent le premier ? Nous n’avons pas besoin de renouveler des plaies qui saignent encore. Trop près … ils auraient le même intérêt à la propagation du despotisme. Liés par une longue connaissance, éloignés par leur âge du commun de l’assemblée, ils seraient moins propres à être ses défenseurs. Ces raisons vous engageront sans doute à appeler, pour occuper ce poste … lieutenant en premier et le plus ancien lieutenant en second. Par ce moyen, les deux ordres qui com- posent la république seront liés entre eux, auront plus de raison de se ménager, et auront chacun leur organe pour être l’expression de leur opinion. Vous ne craindrez plus alors, Messieurs, qu’un intérêt contraire au vôtre ne les lie. D’ailleurs, il est indispensable d’accorder une certaine prépondérance à l’ancien lieutenant, afin qu’il commence de bonne heure à apprendre l’art difficile de gouverner avec équité. Vous sentez qu’il est indispensable au premier lieutenant en second, qui était membre de la députation dans vos discussions avec les corps étrangers, de participer aux honneurs, participant aux dangers.

Article 4e.
Police des Assemblées.

Le Chef de la Calotte, qui seul peut convoquer l’assemblée, en désignera l’heure et le lieu ; il aura soin de choisir le moment le plus convenable aux Calottins. S’il manquait souvent aux convenances, convoquait l’assemblée pour des choses futiles, l’assemblée lui donnerait un des Infaillibles pour le conseiller. On accordera six minutes de grâce au delà du temps désigné, et tout membre venant après se placera sur la sellette pour être jugé. Si le Chef outrepassait les six minutes, les deux Infaillibles iraient occuper leur place ordinaire et feraient siéger sur le trône le plus ancien lieutenant présent. Le Grand-Maître des cérémonies ferait une courte harangue et exposerait le sujet de la convocation de l’assemblée, et tout se ferait comme à l’ordinaire. Si le premier lieutenant arrivait dans ces circonstances il siégerait au milieu de la Chambre, sans avoir la faculté de parler. Si l’on n’avait pas encore voté, on le rétablirait avec les cérémonies usitées, et dès ce moment il aurait voix prépondérante.

Le Chef sera placé entre les deux Infaillibles ; les deux plus anciens les suivront, l’un d’un côté et l’autre de l’autre. Si alors il y avait à la Chambre plus de quatre nouveaux votants qui n’auraient pas vu les assemblées, les deux premiers d’entre eux seraient placés immédiatement après …

Article 5e.
Des procédures du Grand-Maître des cérémonies.

La Chambre peut s’assembler pour tant d’objets différents, les objets discutables sont en si grand nombre, que si l’on voulait déterminer les différents procédés à suivre dans les différentes discussions, nous n’aurions jamais tout prévu, ce qui nous a porté à vous proposer l’institution d’un Grand-Maître des cérémonies.

Les anciens connaissent toujours assez les lois ; s’ils les oublient ce n’est que pour leur avantage, c’est pourquoi il faudrait que le Grand-Maître des cérémonies ne fût pas trop ancien et fût éloigné des puissances. Il serait élu à la pluralité des voix et par scrutin, et devrait être au corps depuis deux promotions. La loi serait déposée chez lui ; il devrait la connaître, en avoir saisi l’esprit. La direction de toutes les cérémonies serait un des objets de son occupation : c’est lui qui aurait le droit de représenter le texte de la loi lorsqu’elle aurait été violée. Dans les discussions épineuses, il serait consulté sur les moyens de procéder pour discuter de manière à éclairer la Chambre et en connaître l’avis. Le Grand-Maître des cérémonies n’aurait aucune autorité, il n’aurait jamais que le droit de parler, sans pouvoir être jamais pris à partie de ses discours, surtout s’il s’agissait de représenter à l’assemblée les vexations qu’éprouve quelque membre nouvel arrivé de la part de quelques anciens. Il serait à la fois Grand-Maître des cérémonies, orateur et conseiller de la Calotte.

L’éloquence, l’activité, la chaleur et une bonne poitrine sont des qualités requises pour parvenir à cette place … Le bon choix seul pourrait la rendre utile à la république. Il pourrait, d’ailleurs, être déposé pourvu qu’il y ait les trois quarts des voix contre lui, et tout … qui proposerait de le déposer et qui n’en aurait pas la moitié, serait … du premier lieutenant et ses Infaillibles. Vous engagerez sans doute vos orateurs à le ménager dans leurs discours.

Toute personne dénoncée à votre tribunal par le Chef, sera d’abord reconnue par … des Infaillibles. Si elle avance la plainte, elle passera à la barre : le Chef fera aussitôt choix d’un avocat, qui sera un de ceux instruits à fond du délit. Aucun membre ne pourra refuser d’être avocat de la Chambre. L’accusé nommera également son avocat. Si celui-ci y consent, ils pourront s’entretenir en particulier l’espace de cinq minutes, ou plus, si le cas l’exigeait ; après quoi, l’on ira aux voix.

Article 6e.
Observations diverses.

Tous les membres sont égaux ; on ne peut porter atteinte à cette loi qu’en renversant la constitution. Vous jugerez cependant, Messieurs, que si le nombre des nouveaux arrivés était trop considérable, ils auraient avis prépondérant, et par leur … et leur inexpérience, ils pourraient jeter le navire du bien public sur quelque roche malfaisante.

C’est pourquoi vous arrêterez que si le Chef et les deux Infaillibles sont d’accord et d’un avis opposé à celui des nouveaux votants, ceux-ci seraient-ils dix, ne pourraient avoir que trois voix contraires. Nous entendons par nouveau votant tout membre qui n’aura pas vu les assemblées d’été, ces assemblées majestueuses, sublimes.

Cette loi vous paraîtra dure ; mais considérons, Messieurs, qu’il est rare que d’une promotion il en vienne plus de cinq ou six, et qu’ils ne peuvent être unis que par … L’unanimité des suffrages est requise pour pouvoir déposer le Chef. Il est bien entendu que les parents n’y seront pas compris ; et comme les liens de l’amitié ne sont pas moins sacrés, l’on ne comprendra ni les proches parents, ni ceux de ses amis. C’est pourquoi, avant de procéder à la déposition du Chef, l’assemblée exclura deux votants comme amis du Chef de Calotte. Quel est l’infortuné qui n’a point deux amis parmi ses camarades ? … des sujets dont toute la conduite est une contradiction continuelle à la dignité de votre habit. Il faut alors accorder au premier lieutenant une autorité plus marquée. Vous arrêterez donc que, moyennant cette formule : « La Chambre vous charge, illustre Chef, de prendre les moyens les plus expéditifs pour ramener … », moyennant cette formule, dis-je, le premier lieutenant acquerra sur le Calottin toute l’autorité de la Chambre, et sera obligé de lui obéir comme si tous parlaient. Vous pourrez, Messieurs, déposer les Infaillibles, pourvu qu’il y ait les trois quarts de voix contre eux.

Lorsque la Calotte sera mécontente du premier lieutenant, elle pourra le lui témoigner par injonction de mieux se conduire ; le premier Infaillible sera l’organe de l’assemblée. Le mécontentement de la Chambre peut se manifester en ordonnant aux deux Infaillibles de veiller sur sa conduite, ou en lui en associant un pour le conseiller dans toutes ses fonctions.

Nous avons à vous proposer une loi peu nécessaire au moment actuel, mais qui peut le devenir d’un moment à l’autre. C’est que le lieutenant qui n’aura pas deux ans de service, ne pourra se battre sans avoir pour témoin une personne de trois promotions avant lui. Quel avantage pour ce jeune homme d’avoir un ancien pour le conseiller ! Si l’on transgressait cette loi, il faudrait une punition exemplaire. Mais non, ce cas n’arrivera jamais : l’activité du premier lieutenant saura contenir cette brûlante jeunesse ; la sévérité de la Chambre le secondera, et moyennant leur prévoyance, on ne verra plus de ces scènes à la fois ridicules et barbares.

Telles sont, Messieurs, les lois que vous devez … Si elles ne sont pas les meilleures que l’on pourrait donner à une association sans préjugés, ce sont, à notre avis, les meilleures de celles qui lui conviennent. Puissent-elles ne pas être des toiles d’araignées ! Puissent-elles être respectées du faible, craintes du puissant, amener à jamais le bonheur, la prospérité, la félicité de notre très chère république ! Ce sont les sentiments qui nous ont animé, qui nous animent dans ce moment. Vos lumières … ce que mes faibles talents n’ont peut-être fait qu’imparfaitement. Souvenez-vous cependant, Messieurs, que ces lois méditées dans les profondeurs de la retraite, éclairées par l’amour du bien, ont captivé dans tous leurs points l’unanimité des suffrages des trois commissaires que vous avez nommés.

Après avoir fait lecture à haute et intelligible voix desdites lois à la Calotte assemblée et présidée par son Chef, nous tous déclarons devoir être lesdites lois reçues et mises à exécution.

1o  L’assemblée de la Calotte, composée de tout ce qui a le grade de lieutenant, est le corps législatif qui a le droit de tout entreprendre, ne …[4] d’autre loi que son intérêt ;

2o  Tous les membres qui ne sont pas en place sont égaux ; les nouveaux venus n’auront tous ensemble que trois voix à opposer aux Chefs et aux Infaillibles quand ceux-ci seront unis ;

3o  Le premier lieutenant est Chef de la Calotte et a tout pouvoir exécutif.

  1. Avant 1789, certains régiments français possédaient, depuis Louis XV, une société dite de la Calotte. C’était, à proprement parler, une espèce de chambre syndicale et de discipline des officiers subalternes. Formée en tribunal, cette société, simplement tolérée dans l’armée, tranchait tous les différends survenus entre camarades. Le plus ancien lieutenant, qui la présidait, portait le titre pompeux de Chef de la Calotte.
  2. Écrit à Auxonne, en 1788, par Bonaparte alors lieutenant en second au régiment de la Fère. Publié par M. le baron de Coston, lieutenant-colonel d’artillerie en retraite, dans les Premières années de Bonaparte, brochure parue en 1802 à Montélimart.
  3. Les officiers subalternes du régiment.
  4. Il va sans dire que toutes ces différentes lignes de points indiquent les lacunes du texte original.