Récit de l’examen et du jugement des écrits envoyés pour le prix

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Texte établi par Léon Brunschvicg, Pierre Boutroux et Félix Gazier, Hachette (p. 241-246).


RÉCIT
DE L’EXAMEN ET DU JUGEMENT
des Escrits envoyez pour les prix proposez publiquement sur le sujet de la Roulette,
où l’on voit
Que ces Prix n’ont point esté gagnez, parce que personne n’a donné la veritable solution des problesmes.


L’absence de Monsieur de Carcavy ayant retardé l’examen des escrits qu’il a receus sur les problemes proposez touchant la Roulette, aussi-tost qu’il fut de retour, il assembla, le 24. Nov.[1], des personnes tres sçavantes en Geometrie, lesquelles il pria de vouloir examiner ces escrits : et leur dit qu’encore qu’on luy en eust envoyé plusieurs, il y en avoit peu neantmoins à examiner, parce que la plupart avoient esté retirez par les Autheurs qui avoient prié qu’on ne les soumist pas à l’examen, et qu’ainsi il ne luy en restoit que de deux personnes qu’il ne voulut point nommer.

Que l’un de ces escrits consistoit en un simple calcul d’un cas proposé[2], lequel luy fut envoyé signé par l’Autheur en datte du 15. Septembre 1658. et porté chez luy le 23. par une personne qui demanda qu’on marquast sur le paquet le jour de la reception, en disant qu’il estoit question d’un prix ; ce qui fut fait. Mais qu’il receut incontinent apres des lettres du mesme Autheur, du 21. Septembre, par lesquelles il mandoit que son calcul estoit faux : en quoy il persista par d’autres des mois de Septembre, d’Octobre et de Novembre, sans neantmoins envoyer d’autre calcul, mais declarant aussi qu’il ne pretendoit point aux prix destinez à ceux qui auroient resolu les problesmes dans le temps determiné. De toutes lesquelles choses M. de Carcavy conclud qu’encore que cet Autheur ne luy eust pas mandé qu’on ne soumist point son calcul à l’examen, il jugeoit neantmoins que cela n’estoit pas necessaire, un Autheur estant le meilleur juge des deffaux de son propre ouvrage : de sorte qu’on ne fut pas obligé d’y apporter beaucoup d’attention ; et mesme on vit d’abord qu’il en falloit peu pour en juger, parce que les mesures qui y sont données sont differentes des veritables, chacune presque de la moitié ; et que dans un solide aigu par une extremité, et qui va tousjours en s’elargissant vers l’autre, il assigne le centre de gravité vers l’extremité aiguë, ce qui est visiblement contre la verité. On jugea aussi que, ce calcul ayant esté envoyé seul, pour faire juger, selon qu’il seroit vray ou faux, que l’Autheur avoit ou n’avoit pas les methodes pour la resolution des problesmes au temps qu’il l’avoit envoyé, les erreurs qui s’y trouvoient lui donnoient l’exclusion, et ne devoient pas estre mises au rang de ces autres simples erreurs de calcul que l’Anonime avoit bien voulu excuser à ceux qui envoyeroient en mesme temps les demonstrations ou les Methodes entieres et veritables, ausquelles si les calculs ne se trouvoient pas conformes, il paroistroit assez que ces erreurs ne seroient que de calcul et non pas de methode ; sur quoy l’Anonime avoit dit, salvo semper errore calcali : au lieu que, quand le calcul est seul, on ne sçauroit juger si l’erreur qui s’y trouve est de methode ou de calcul, dont aussi l’Anonime n’a dit en aucune maniere, salvo errore calculi ; et qu’il y a apparence que c’est une erreur de methode lorsqu’ayant reconnu que le calcul est faux, on n’en envoye ensuite aucun autre. Mais on jugea en mesme temps qu’il faloit laisser à l’Autheur de ce calcul l’avantage d’avoir reconnu le premier sa faute, puis qu’il l’avoit en effet escrit incontinent apres l’avoir envoyée.

Monsieur de Garcavy dit ensuite qu’il ne restoit donc à examiner que l’escrit d’un autre Autheur[3], datté du 19. Aoust stile ancien, et signé par un Notaire le mesme jour, où l’Autheur pretend donner une methode entiere pour la resolution de tous les problesmes avec les solutions et demonstrations en 54. articles ; que le paquet en fut delivré à Paris au comencement de Septembre, et qu’il avoit receu depuis trois autres lettres du mesme Autheur ; l’une du 3. Septembre, par laquelle il corrige quelques erreurs qu’il avoit remarquées dans son escrit, et il adjouste nnesme qu’il n’est pas encore pleinement assuré du reste, ne l’ayant pas jusqu’à ce temps là assez exactement examiné ; l’autre du 16. Septembre, par laquelle il ne fait qu’avertir de l’envoy des premieres ; et la derniere du 30. Septembre, où il dit en general, et sans rien marquer en particulier, qu’outre les corrections qu’il a envoyées, il peut y en avoir d’autres à faire : par où il semble estre en defiance de ses solutions. Et ce qui le marque encore davantage est qu’il demande, par la mesme lettre, si on ne se contenteroit pas d’une solution approchante de la veritable. Or il n’y a gueres d’apparence qu’une personne qui croiroit avoir donné les solutions exactes et geometriques demandast si on ne se contenteroit par des approchantes ; mais neantmoins, comme il ne revoque pas les siennes en propres termes, quoy qu’il y ait eu beaucoup de temps pour le faire s’il l’eust voulu, on jugea qu’on ne pouvoit pas sur cela refuser d’examiner des escrits envoyez avec acte public, et qui n’avoient pas été expressement revoquez : veu mesme qu’il dit par une de ses lettres, que les defaux qui pouvoient estre dans ses solutions, et qu’il appelle des erreurs de calcul, n’empeschoient pas, selon son advis, que la difficulté des problesmes ne fust suffisamment surmontée.

On s’y appliqua donc, et on jugea que, ny dans son premier escrit, ny dans ses corrections, il n’avoit trouvé, ny la veritable dimension des solides autour de l’axe, ny le centre de gravité de la demy Roulette ny de ses parties (ce qui avoit esté resolu depuis longtemps par Monsieur de Roberval), ny aucun des centres de gravité des solides ny de leurs parties, tant autour de la base qu’autour de l’axe, qui estoient proprement les seuls problesmes proposez par l’Anonime avec la condition des prix, comme n’ayans encore esté resolus par personne ; et l’on trouva qu’outre les erreurs qu’il avoit corrigées par sa lettre, il en avoit laissé d’autres, et qu’il y en avoit de nouvelles dans sa correction mesme, lesquelles se rencontrent dans presque tous les articles, depuis le 30. jusqu’au dernier.

On jugea aussi que ces erreurs n’estoient point de calcul, mais de methode, et proprement des paralogismes : parce que les calculs qu’il y donne sont tres-conformes à ses methodes, mais que ces methodes mesmes sont fausses. Et on remarqua qu’une de ses erreurs les plus considerables consiste en ce qu’il raisonne de certaines surfaces indefinies en nombre, et qui ne sont pas egalement distantes entre elles, de mesme que si elles l’estoient ; ce qui fait qu’ayant à mesurer la somme de ces surfaces, ou la somme de forces de leurs poids (à quoy se reduit toute la difficulté et tout le secret), il n’en trouve que de fausses mesures, ses methodes n’allant point aux veritables.

C’est ce qui le mene à comparer, comme nombre à nombre, des quantitez qui sont entr’elles comme des arcs de cercle au diamettre, ou comme leurs puissances ; et c’est ainsi que, voulant donner la raison du solide de la Roulette à l’entour de l’axe à la Sphere de sa Rouë (ou de son cercle generateur), apres l’avoir donné comme 23. à 2. dans son premier escrit, il la donne comme 37. à 4. dans sa correction par un calcul tres-conforme à ses methodes ; au lieu que la veritable raison, que M. de Roberval a donnée de ce méme solide à son cylindre de mesme hauteur et de mesme base, est comme les 3. quarts du quarré de la demy base de la Roulette, moins le tiers du quarré du diamettre de la Rouë, au quarré de cette demy base.

Il n’est pas moins éloigné du veritable centre de gravité des solides à l’entour de la base, et encore plus de ceux à l’entour de l’axe, à cause d’un nouveau paralogisme qu’il y adjouste, en prenant mal les centres de gravité de certains solides élevez perpendiculairement sur des trapeses, dont il se sert presque partout, et coupez par des plans qui passent par l’axe. Et on jugea que les erreurs de ces écrits donnoient encore sans difficulté l’exclusion.

Le jugement de ces écrits ayant esté ainsi arresté, il fut conclu que, puis qu’on n’avoit receu aucune veritable solution des problesmes que l’Anonime avoit proposez dans le temps qu’il avoit prescrit, il ne devoit à personne les prix qu’il s’estoit obligé de donner à ceux dont on auroit receu les solutions dans ce temps ; et qu’ainsi il estoit juste que Monsieur de Carcarvy luy remist les prix qu’il avoit mis en depost entre ses mains, puis qu’ils n’avoient esté gagnez par personne ; ce qui a esté executé.

À Paris le 25. Novembre 1658.

  1. Le recueil coté B. 5667 R. à la Bibliothèque de Clermont-Ferrand contient un exemplaire du Récit où on lit : « il assembla, le 24. Sept. » La faute a été corrigée avant que fussent tirés les exemplaires qui furent distribués.
  2. Le calcul envoyé par le Père Lalouère, vide supra p. 157.
  3. Cet auteur est Wallis ; vide supra p. 133.