Révolution du Mexique en 1832

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RÉVOLUTION
DU MEXIQUE

EN 1832.


C’est une chose remarquable que rarement la force qui réussit le mieux à constituer soit la meilleure pour maintenir et pour affermir. La république mexicaine s’est formée au milieu d’une sanglante révolution ; elle avait à protéger son berceau contre le fer des Espagnols, aussi se donna-t-elle une force militaire considérable. Aujourd’hui que tout péril extérieur est écarté, cette force aveugle laissée aux mains du gouvernement peut devenir un terrible instrument d’oppression. Dans un pays où il n’existe pas d’esprit public, où l’état militaire est considéré avec une certaine religion, l’armée doit avoir une grande influence ; et la constitution, qui remettait aux mains du président la force armée pour arrêter tout mouvement intérieur, avait bien prévu le danger de l’abus, en prononçant qu’il serait formé des milices citoyennes dans les divers états ; mais ces milices ne sont pas organisées, et l’armée n’a aujourd’hui aucun contre-poids. Le fait seul des révolutions successives dont le Mexique a été le théâtre, montre combien est grande l’action de l’armée : toutes les fois que les troupes de ligne n’ont pris aucune part dans le mouvement d’un parti, ce parti n’a jamais pu triompher, quelque populaire qu’il parût, et quelque justes que fussent les motifs sur lesquels il s’appuyait. Qu’on ne se forme pas cependant de cette armée une idée analogue à celle de nos troupes françaises, où la discipline est la suprême loi, où la désobéissance envers un supérieur est punie de mort ; cette inflexibilité de la discipline n’est pas applicable au Mexique : les officiers sont souvent obligés d’user de persuasion pour obtenir l’obéissance de leurs soldats. Et c’est tout simple ; l’ordre social n’est pas bien affermi, ce n’est aujourd’hui que contre des concitoyens que les soldats ont à marcher, et ils hésitent souvent sur le choix du drapeau : les troupes de ligne, aux journées de juillet, se sont-elles battues dans les rues de Paris, comme aux plaines d’Austerlitz ou d’Iéna ?

On se demandera peut-être pourquoi le pouvoir législatif n’oppose pas une barrière aux passions qui agitent et bouleversent le pays ; mais si l’on se rappelle que la constitution n’est pas née des besoins du peuple, qu’elle n’a été transplantée dans le pays que parce qu’après l’expulsion des Espagnols un système organique quelconque était nécessaire, on concevra que le congrès ne doit avoir qu’une autorité titulaire, et qui n’est soutenue par aucune sympathie dans les classes inférieures.

Deux choses antipathiques se trouvent en froissement continuel dans cette république : une force militaire considérable et une constitution toute libérale ; l’une paraît devoir absorber l’autre. Déjà Iturbide a donné l’exemple, et l’audace ne manquera probablement pas à certains généraux pour le suivre.

Comme introduction nécessaire à la révolution de 1832, nous allons rappeler en peu de mots les derniers événemens politiques qui ont troublé le Mexique. Avec l’année 1828 expirait la présidence de Vittoria : à l’approche des nouvelles élections, tous les hommes qui aspiraient au fauteuil commencèrent à remuer ; Santa-Anna éclata ouvertement, et Guerrero répondit à son cri de révolte. Le pays alors se trouva partagé en deux factions rivales ; la première, composée de fédéralistes outrés, voulait la constitution dans toute sa vigueur, et portait à la présidence Guerrero, soldat de race indienne, parvenu par sa bravoure au rang de général, républicain zélé et ennemi des demi-mesures. La seconde était opposée aux proscriptions et favorisait les moyens de conciliation : son candidat à la présidence était Gomez Pedraza, ministre de la guerre et député aux cortès d’Espagne, en 1822, homme d’une éducation cultivée, et en tout l’opposé de son compétiteur. La plupart des législateurs des états chez lesquels régnait généralement un esprit de modération, donnèrent leurs suffrages à Pedraza ; mais Santa-Anna, qui ne voulait obéir aux lois qu’autant qu’elles satisfaisaient ses passions, se déclara contre cette élection. Guerrero, de son côté, marcha sur Mexico ; Pedraza fut obligé de fuir, et la chambre des représentans, dominée par la force armée, annula son élection, éleva Guerrero à la présidence, en conservant le vice-président Bustamente. Mais bientôt Guerrero, investi d’un pouvoir discrétionnaire, par suite de l’expédition des Espagnols dans le Mexique, donna de l’ombrage aux hommes de son parti, qui s’en lassèrent. Les choses changèrent tout à coup de face : Guerrero fut déposé, et quelque temps après, pris et fusillé. Pedraza fut reconnu président légitime ; mais l’adroit Bustamente, conservé dans une dignité qu’il eût été dangereux de lui ôter, fit déclarer que le bien public exigeait que Pedraza, retiré aux États-Unis, ne rentrât pas dans sa patrie pendant le temps de sa présidence.

Le vice-président Bustamente se trouva donc, aux termes de la constitution, chargé par intérim des rênes de l’état. Il s’aida de deux ministres puissans et capables, Alaman et Faccio, dont les efforts réunis tendirent ou parurent tendre à établir le centralisme dans la république. S’il faut juger des hommes par leurs actions, sans rechercher les motifs personnels qui ont pu les guider, on ne peut nier qu’Alaman et Faccio n’aient bien mérité de la patrie. Alaman surtout, comme ministre des finances, a rendu de grands services à son pays. Le trésor public était obéré, exposé à de honteuses dilapidations ; il sut y rétablir l’ordre. Dans les différens emprunts que les circonstances avaient rendus nécessaires, l’état avait émis des billets pour des sommes considérables, et ces billets, quoique acceptés par le trésor pour leur valeur nominale, étaient frappés d’un tel discrédit par les étrangers qui monopolisent le commerce du pays, que, dans leurs transactions avec les habitans, ils ne les recevaient qu’avec une perte de 30, 40 et 50 pour cent, tandis qu’ils les rendaient au trésor public au pair. Alaman s’empressa de retirer ces billets de la circulation, et souleva contre lui la haine des étrangers, dont il arrêtait ainsi les déprédations.

D’un autre côté, les étrangers faisaient la contrebande avec une audace inouïe ; Alaman organisa une douane bien disciplinée, fit confisquer plusieurs marchandises de contrebande, et augmentant par une bonne administration les revenus du trésor public, le mit en état de payer la dette nationale. Désireux de voir ses compatriotes se lancer dans les opérations commerciales, et faire valoir les ressources immenses de leur pays, l’un des plus riches de l’univers, il refusa certains privilèges que les étrangers lui demandaient, chercha à exciter l’émulation des Mexicains, établit aux frais de l’état des manufactures qui devaient être alimentées par les productions du pays, et de nouveaux cris de haine se firent entendre. De tous côtés circulèrent des bruits fâcheux sur le gouvernement : les étrangers surtout, qui voyaient leur échapper une proie riche et sûre, publièrent que les ministres voulaient rappeler les Espagnols, constituer le centralisme, afin d’exercer eux-mêmes la tyrannie, anéantir le commerce étranger et chasser entièrement tous les commerçans autres que les Espagnols ; qu’un tel gouvernement était intolérable. Une mesure adoptée alors par le ministère donnait de la consistance à ces accusations. Les Espagnols sont bannis du Mexique par une loi ; mais les ministres, espérant qu’en leur permettant de rentrer, ils reviendraient avec leurs trésors, et que le pays en retirerait de grands avantages, laissèrent tomber la loi sans l’appliquer, et les Espagnols reparurent bientôt de tous côtés. Malheureusement le but principal fut manqué ; aucun Espagnol riche ne profita des bonnes dispositions du gouvernement, et ceux qui rentrèrent, se voyant tolérés, se crurent appuyés, et irritèrent l’opinion publique par leur indiscrétion. Alors des bruits sourds de conspiration contre la constitution fédérale se répandirent partout, fomentés par tous les mécontens de l’administration existante.

Un fait isolé donna tout à coup une force imposante aux accusations qui planaient sur le gouvernement. Le rédacteur du journal El Phœnix de la libertad inséra dans sa feuille un article qui parut offensant au général Inclan, commandant la division militaire de l’état de Jalisco ; celui-ci, peu habitué sans doute aux formes républicaines, fit saisir et jeter en prison le rédacteur, et nomma une commission militaire pour le juger. Déjà la sentence de mort était prête, lorsque Rocafuerte, tel est le nom du journaliste, fit un appel au gouverneur de l’état. Ce magistrat populaire interposa vigoureusement son autorité et menaça le chef militaire. Inclan hésita, Rocafuerte ne fut pas exécuté ; mais un attentat contre la liberté individuelle d’un citoyen avait été commis, et l’on trembla pour la liberté de tous. Dans un état où la presse est libre, le journalisme est une puissance ; tous les individus qui partagent l’opinion d’un journal semblent attaqués dans la personne du rédacteur : aussi mille cris d’indignation s’élevèrent soudain contre cet attentat. Tous les journaux répétèrent au loin et avec aigreur l’injustice dont Rocafuerte avait failli être la victime. Par malheur, le gouvernement ne désavoua pas son général, soit qu’en effet il partageât l’opinion de celui-ci, soit qu’il craignît de se faire un nouvel ennemi d’un homme puissant. Inclan resta à son poste, mais aussitôt la haine publique changea d’objet et retomba à-plomb sur les ministres.

Cet évènement eut de terribles conséquences ; il décida la révolution, car un grand nombre de mécontens n’attendaient, pour éclater, qu’un instant favorable. Le nom de Rocafuerte devint le mot de ralliement des rebelles, et donna à leur cause un air de légalité qui centupla leurs forces.

Tous les yeux étaient tournés vers le général Santa-Anna, alors retiré dans sa maison de campagne près de Jalapa. Le bruit courut, soit vrai, soit adroitement inventé pour justifier la conduite postérieure du général, que le gouvernement, craignant qu’il ne se mît à la tête d’un soulèvement, avait envoyé plusieurs fois des assassins pour s’en défaire, mais que le général avait toujours été heureusement protégé par l’affection des Indiens qui l’entouraient. Quoi qu’il en soit, l’attente des mécontens ne fut pas trompée : on profita d’une cérémonie religieuse pour se réunir et se concerter. Le 2 janvier 1832, Santa-Anna fut invité à être le parrain d’une chapelle qu’on venait d’élever à huit ou dix lieues de la Vera-Cruz. Là se trouvèrent aussi les hommes de parti les plus influens, entre autres le colonel Lendero, commandant l’un des meilleurs régimens de la république. Un banquet suivit la solennité, et ce fut au milieu de la gaîté apparente d’un festin, au bruit de mille toasts patriotiques, que l’on arrêta les mesures de la révolution.

Le 7 janvier, Santa-Anna quitte sa retraite, et accompagné d’un seul aide-de-camp, se présente aux portes de la Vera-Cruz ; là, il est accueilli par le colonel Lendero, qui commandait la garnison, et par les autres officiers : il va droit au palais du gouverneur, suspend par un acte de sa volonté toutes les autorités constituées de la ville, adresse à ses anciens compagnons d’armes (antiguos compañeros de armas) une proclamation dans laquelle il se dit appelé par eux-mêmes à délivrer le pays, et se déclare médiateur entre les troupes mécontentes et le gouvernement. Le bruit se répand à l’instant que Santa-Anna s’est enfin prononcé contre le système présent ; son nom vole de bouche en bouche, on le répète avec un murmure flatteur. Enfant de la ville, il y est adoré : on lit avec avidité sa proclamation aux soldats ; on écoute avec enthousiasme les paroles qu’il adresse aux habitans ; chacun fait des vœux pour lui. Les étrangers surtout, et ils sont nombreux à la Vera-Cruz, les étrangers voient en lui leur sauveur, et laissent percer la joie qu’ils éprouvent.

Dès qu’il eut pris les premières mesures de sûreté générale, Santa-Anna envoya à Mexico, au nom de l’héroïque garnison de la Vera-Cruz (heroïca guarnicion de la Vera-Cruz), un message qui imposait au gouvernement le renvoi des ministres Alaman et Faccio. En même temps, il s’occupa de mettre la ville en état de défense ; il fit réparer les murailles, dresser des batteries ; il marqua lui-même les postes et n’oublia rien pour se concilier l’amour du soldat. Les Arrochos, auxquels il fit un appel, accoururent en foule de tous les environs ; il les organisa, établit parmi eux un certain degré de discipline, et leur donna des chefs qui pussent les instruire aux manœuvres militaires : le commandement de cette nouvelle milice fut confié au capitaine Arago, frère de notre célèbre astronome. La réponse du gouvernement se fit attendre quelques jours, ce retard seul indiquait de la faiblesse ; enfin elle arriva : elle déclarait illégale cette levée de boucliers de la garnison, et traitait le général de rebelle.

Alors s’établit entre les divers journaux une guerre de plume où tous les principes furent remis en question. On pourra juger du degré d’ignorance où l’on est encore au Mexique en fait de formes constitutionnelles, quand on saura qu’on y regardait presque comme légal cet acte de la force armée, qui imposait au gouvernement des conditions d’existence. Les deux partis se disputaient avec acharnement sur la justice des accusations dont on chargeait les ministres ; mais les organes même du ministère n’attaquaient qu’en hésitant la légalité de l’adresse. L’article 4 de la constitution confère bien aux soldats les droits de tous les citoyens, et par conséquent le droit de réclamation contre les ministres ; mais trouver dans cet article un droit par lequel l’armée puisse ordonner au président le renvoi de ses ministres, c’est ce qu’on concevra difficilement ailleurs qu’au Mexique.

Cependant il était évident que le sort des armes allait décider la question : chaque parti se fortifia et ne négligea rien pour se faire des partisans. Mais avant d’en venir aux mains, le gouvernement, soit qu’il se sentît faible pour une telle lutte, soit qu’il voulût faire retomber sur Santa-Anna tout l’odieux d’une guerre civile, essaya d’amener ce dernier à un accommodement. Il envoya à la Vera-Cruz quatre délégués tirés des rangs du sénat, des représentans du peuple et des chefs de l’administration. Le général les reçut en conférence publique. Mais de pareilles démarches manquent presque toujours leur but ; elles ne font qu’augmenter l’aigreur des partis, et sont un motif d’encouragement pour celui qui, se voyant recherché, se croit redouté. Sur le refus que firent les délégués d’accorder le renvoi des ministres, Santa-Anna trancha la question par ces mots : « Le 1er  avril, je serai à Mexico, et Santa-Anna n’a jamais manqué à sa parole. » Ceux-ci voulurent lui répondre par des reproches amers sur quelques actes de sa conduite passée, mais les cris de viva Santa-Anna ! étouffèrent leur voix, et la guerre fut décidée.

Comme cette révolution est l’ouvrage de quelques hommes, je crois nécessaire de faire connaître les principaux chefs. La cause du gouvernement était soutenue par le vice-président Bustamente, les deux ministres Alaman et Faccio, et les généraux Calderon et Teran.

Le général Bustamente favorisa toujours le centralisme ; après la chute d’Iturbide, il fut un des derniers à lutter contre le fédéralisme : contraint de céder, il parvint, à force d’intrigues, à la vice-présidence, quand Pedraza fut nommé président. Il encouragea en secret les mécontens de l’administration de ce dernier, et sut habilement se conserver dans sa dignité, quand Guerrero envahit le pouvoir ; il s’unit ensuite aux ennemis de l’usurpateur, le fit arrêter par un traître et fusiller au mépris des lois existantes. Délivré de Guerrero, il se maintint à la tête des affaires en refusant, sous le prétexte du bien public, l’entrée du Mexique à Pedraza.

Alaman et Faccio possèdent tous deux des richesses considérables, Alaman surtout, auquel on reproche de les avoir acquises par des moyens peu honorables. Ils étaient déjà les favoris du pouvoir sous les Espagnols. Si les projets politiques qu’on leur prête sont réels, ils étaient seuls capables de les faire réussir. Astucieux, réservé, Alaman semble cependant avoir des vues étendues, et Faccio a toujours suivi la même ligne politique qu’Alaman.

Calderon s’est fait connaître dans les premières révolutions du Mexique : d’abord il combattit dans les rangs des Espagnols contre les patriotes et le curé Morelos, ensuite avec Iturbide contre ces mêmes Espagnols ; à son nom se rattachent des souvenirs d’horribles cruautés. Général sans capacité, sans mérite personnel, il s’est couvert de honte en plusieurs circonstances. Toujours du parti opposé à Santa-Anna dans les troubles civils, il a toujours été battu et joué par ce dernier.

Teran était probablement le meilleur général de la république ; plein de courage et de connaissances militaires, il se distingua d’abord contre les Espagnols, mais jamais il ne brilla au premier rang, soit que son caractère fût peu entreprenant, ou que les circonstances lui eussent manqué. Il avait fait une étude profonde de l’art de la guerre, et dans une expédition qu’il commandait vers le Goazacoalco, il sauva toute son armée de la destruction en lui frayant un chemin à travers des marais impraticables : alors, comme officier de génie, il déploya des ressources infinies ; il construisit des chaussées et des ponts qui font encore aujourd’hui l’admiration des gens de l’art. Ceux qui l’ont connu disent qu’il était d’un commerce agréable ; néanmoins, il eut peu d’amis et vécut presque toujours seul : rarement il sut inspirer l’enthousiasme à ses soldats. Il aima son pays, et comme Caton d’Utique, il se tua pour n’être pas témoin des malheurs auxquels il crut voir sa patrie exposée.

Santa-Anna n’eut d’abord dans son parti que le colonel Lendero et tous les aventuriers dont le Mexique fourmille. Autour de lui vinrent ensuite se ranger plusieurs Français qui occupaient des places dans le pays, mais que le gouvernement abreuvait de dégoûts, tels que le colonel et le capitaine Arago, le capitaine Reybaud, corsaire fameux dont le nom seul, pendant la révolution de Colombie, faisait trembler les Espagnols, et plusieurs autres, tous hommes de résolution qui jouaient leur va-tout dans cette affaire.

Santa-Anna s’est élevé par son audace : il n’était rien ; sa vivacité, sa témérité frappèrent Iturbide, qui le fit avancer rapidement au grade de général de brigade, et croyant se l’être attaché par des bienfaits, mit en lui une entière confiance. Iturbide était au faîte de sa puissance : Santa-Anna, qui commandait à la Vera-Cruz, poussa le premier un cri de révolte qu’on dédaigna d’abord, et, un mois après, l’empereur tomba. Il contribua à élever et à renverser Guerrero ; et dernièrement, il vient de rappeler Pedraza qu’il avait abattu. Sans connaissances profondes de l’art de la guerre, il est cependant aujourd’hui le général le plus redoutable de la république : jeune, actif, entreprenant, rusé, prompt à prendre une résolution, vainqueur ou vaincu, il est toujours sorti triomphant des luttes où il s’est engagé. Il a sur les Indiens et sur les soldats une grande influence, et ses exploits précédens l’environnent d’un brillant prestige. Il a renversé ou contribué à renverser tous les gouvernemens qui se sont succédés depuis plus de quinze ans dans son pays. À Tampico, en 1828, seul avec une poignée d’Indiens, sans l’appui ou même en dépit du gouvernement, il arrêta les belles troupes espagnoles que commandait Barradas. Il développa dans cette circonstance une adresse et une audace extraordinaires, et les beaux régimens de la Péninsule disparurent du sol mexicain. Santa-Anna est d’une taille ordinaire, et n’a de remarquable dans la physionomie que l’extrême vivacité de ses yeux : les hauts faits d’armes le remplissent d’enthousiasme ; il aime à se faire raconter les merveilles de Napoléon, et c’est par admiration pour ce grand homme qu’il affectionne particulièrement les Français.

Quoique Pedraza ne joue dans la révolution qu’un rôle secondaire, nous rappellerons cependant ses antécédens. Il était député aux cortès d’Espagne, et se formait en Europe, tandis que les dissensions civiles déchiraient son pays. Il rentra au Mexique quelque temps avant le cri d’Iguala (el grito de Iguala), et se mêla ensuite à la lutte qui abattit Iturbide, la première idole de l’indépendance. Nommé gouverneur de Puebla, sa patrie, il refusa d’abord ou fit semblant de refuser ; mais nommé une seconde fois, il accepta. Disgracié bientôt sous des prétextes frivoles, il se vit peu après recherché par Vittoria, qui crut reconnaître en lui l’homme nécessaire pour réorganiser la guerre et l’armée. Il fit de bonnes choses pendant son ministère, et se montra souvent habile, résolu, ferme et au-dessus des partis. Nommé à la présidence, il ne sut pas se maintenir dans sa dignité, et fut obligé de céder aux factions et de s’exiler aux États-Unis. Il supporta courageusement ses infortunes, et certes l’on ne peut lui refuser un caractère estimable ; mais il manqua peut-être de cette trempe d’âme énergique qu’il lui eût fallu pour commander aux circonstances critiques dans lesquelles il s’est trouvé.

Tels étaient les hommes qui devaient jouer les premiers rôles dans cette révolution. Je ne parlerai pas des écrivains ; un seul mérite d’être cité, parce qu’il était l’organe du gouvernement, et qu’on peut juger par ses manifestes des intentions du ministère : c’est le député Bustamente, connu par une histoire des révolutions du Mexique. Dans une lettre publique qu’il adressa au général Santa-Anna, il accuse les étrangers d’être la seule cause des troubles civils, et les désigne à l’animadversion des deux partis. C’en eût été fait sans doute de l’influence des étrangers au Mexique, si le gouvernement eût réussi.

Cependant les troubles du sud étaient à peine apaisés, on ne pouvait dégarnir ces provinces de troupes ; aussi ce ne fut qu’avec difficulté que les ministres parvinrent à réunir une armée de trois mille hommes à la tête desquels ils mirent Calderon. Le choix d’un chef aussi inhabile ne peut guère être motivé que par la haine qu’on lui connaissait pour Santa-Anna.

Pour juger des opérations de l’un et de l’autre parti, il suffit de se représenter le but principal auquel chacun d’eux devait aspirer. Là, comme en France, la possession de la capitale est d’un grand poids dans la balance des affaires, ou plutôt toutes les provinces suivent à l’envi l’impulsion donnée par le siège du gouvernement. C’était donc à Mexico que Santa-Anna devait arriver en vainqueur : du palais de Montézuma ses arrêts devenaient des lois ; partis de tout autre lieu, ils n’étaient que les cris d’un rebelle[1]. Les ministres le sentaient ; aussi leur général ne s’avançait-il que lentement, se recrutant par tous les moyens imaginables, et cherchant à faire sortir Santa-Anna de la Vera-Cruz, pour l’attirer loin du centre de ses ressources ; là, une seule défaite l’eût anéanti. Mais Santa-Anna comprenait bien sa position ; il savait que la Vera-Cruz serait le tombeau des troupes de l’intérieur, et d’ailleurs il était sûr d’y trouver, en cas de revers, un moyen de s’échapper par mer. Cette ville, située sur le golfe du Mexique, est entourée d’une muraille à peine susceptible de soutenir un coup de main ; cependant, du côté de la mer, elle est protégée par l’îlot et le château de Saint-Jean de Ullua : cette forteresse était un asile assuré au général. Le climat brûlant de cette partie du littoral est mortel pour les habitans des provinces intérieures : voilà le grand auxiliaire sur lequel comptait Santa-Anna, et il resta paisiblement à la Vera-Cruz, attendant que la saison des pluies vînt décimer les bataillons ennemis avec plus de fureur que le fer et le canon. Néanmoins il ne négligeait aucun moyen de défense ; toutes les batteries du château furent relevées, et la place approvisionnée pour plusieurs mois. Il arma deux goëlettes et plusieurs bâtimens légers pour protéger les côtes et couper au gouvernement toute communication avec l’extérieur ; en un mot, il fit les dispositions nécessaires à un long siège. Il veilla surtout à ce que le mouvement révolutionnaire ne suspendît pas un instant la marche des affaires. Les lois conservèrent toute leur action, les engagemens contractés par le gouvernement avec les nations étrangères furent fidèlement remplis par Santa-Anna : ainsi il paya du produit de la douane de la Vera-Cruz les dividendes de l’emprunt anglais au moment précis des échéances. Il laissa les impôts tels qu’ils étaient, s’arrogeant seulement à lui-même l’exercice de l’autorité du gouvernement existant. Il avait heureusement trouvé le trésor des douanes de la Vera-Cruz dans un état prospère, et il put subvenir aux besoins de ses soldats.

Calderon, voyant Santa-Anna immobile, avançait toujours, mais lentement, à travers les forêts immenses et les montagnes qui séparent Mexico de la Vera-Cruz : il craignait quelque surprise de la part d’un général qui l’avait si souvent défait ; moins il rencontrait de dangers, et plus il en redoutait. Au milieu du chemin qui mène de la Vera-Cruz à la capitale, se trouve un pont magnifique nommé el puente del Rey, à l’entrée d’une gorge de montagnes impraticables. Dans tous les précédens soulèvemens, les révoltés y avaient établi des postes militaires nombreux, qui toujours avaient disputé avec avantage le passage à l’ennemi. Santa-Anna, fidèle à son plan, fit retirer ses troupes, et laissa libre l’entrée de la tierra caliente. Calderon ne pouvait croire qu’on lui abandonnât ainsi un point qu’il regardait comme le boulevard de son adversaire : était-ce faiblesse ? était-ce un piége ? Dès-lors il ne marcha plus qu’avec des précautions infinies, se fortifiant dans toutes ses haltes, comme s’il eût été menacé d’une attaque. Sa prudence lui fut favorable, heureux s’il eût su l’allier à plus de fermeté et à une habileté plus grande.

Le bouillant courage de Santa-Anna ne put s’accommoder long-temps du système négatif qu’il avait adopté, et qui cependant devait le faire triompher. Il s’impatientait des lenteurs de son ennemi, et ne soutenait qu’avec peine les murmures des habitans et de son armée, qui demandaient pourquoi il restait ainsi enfermé dans ses murailles, et qui l’accusaient de prolonger inutilement une guerre qu’une seule affaire pouvait terminer. Le commerce que ces troubles civils paralysaient hâtait de tous ses vœux l’instant de leur conclusion. Il fallait contenir les dix-huit cents hommes que renfermait la Vera-Cruz, et dont douze cents seulement étaient des troupes régulières ; le reste n’était qu’un ramas d’Indiens armés de leurs machettes[2], qu’aucune discipline n’avait assujétis jusque-là. Il attendait donc le moment de faire une sortie, et crut enfin l’avoir trouvé. Le 3 mars, Calderon s’était avancé jusqu’à huit lieues de la ville dans un endroit appelé Tolomé, et là, selon son habitude, il s’était fortement retranché. Soit habileté, soit hasard, il avait placé son camp sur de petits monticules qui s’élèvent dans une plaine couverte de broussailles ; il était adossé à des bois, et une petite rivière couvrait sa gauche. Ce choix permettait à l’artillerie du camp de tout dominer, tandis qu’en cas d’attaque la cavalerie de l’ennemi ne pouvait exécuter aucune manœuvre. Santa-Anna, avec la rapidité qui caractérise ses résolutions, conduisit son armée par des chemins à lui seul connus, et parvint à tourner Calderon. Quoique ses troupes fussent harassées de fatigue, il fit ses dispositions pour le combat. Sa droite était appuyée à un petit pont jeté sur la rivière qu’un bois taillis bordait ; il en confia la garde à la meilleure compagnie de ses troupes régulières, et le signal fut donné. D’abord ses troupes chargèrent avec impétuosité, mais la mitraille de l’ennemi mit bientôt le désordre dans tous les rangs ; les Indiens qui se précipitaient tête baissée s’effrayèrent tout à coup à la vue des parapets contre lesquels ils allaient se briser. Un bataillon ennemi attaqua le pont qui protégeait la droite ; le capitaine, qui en avait la garde, se croyant trop faible, lâcha pied, retomba sur le centre, y répandit l’alarme, et la déroute commença. La cavalerie, empêtrée dans les broussailles, se débanda ; on dit aussi que les Indiens s’étaient enivrés d’eau-de-vie en marchant au combat, et qu’une fois effarouchés, rien ne put les ramener[3]. Alors ce ne fut plus qu’un carnage affreux, chacun chercha son salut dans la fuite ; les premiers fuyards qui arrivèrent à la ville y répandirent la consternation. « Tout est fini, disait-on ; Santa-Anna et tout son parti sont détruits. » Lui-même, obligé de fuir, ne dut la vie qu’à la vitesse de son cheval et au dévoûment de deux Indiens. Il resta deux jours caché dans les bois, d’où il entendait les pas des chevaux et la voix de ceux qui étaient à sa poursuite.

C’en était fait de toute cette révolution, si Calderon eût su profiter de sa victoire. En marchant à l’instant sur la Vera-Cruz, il y serait arrivé même avant les fuyards, et l’eût enlevée sans coup férir ; tout y était désolation et désespoir. Au lieu de cela, il fit preuve d’une incapacité inconcevable : satisfait de son triomphe, il resta fortifié dans son camp, et laissa l’ennemi réunir ses débris et se reformer. On dit qu’alors il se livra envers les vaincus à des cruautés que les antécédens de son caractère ne rendent que trop croyables. Le malheureux colonel Lendero, qui toute la journée s’était distingué par des prodiges de valeur, enveloppé par le nombre, fut pris les armes à la main ; deux soldats l’amenèrent devant Calderon, qui l’insulta par d’amères railleries, et ordonna de le délivrer d’un traître dont la présence, disait-il, le souillait : il fut égorgé sous ses yeux.

Cependant les fuyards s’étaient ralliés dans la Vera-Cruz, et Santa-Anna se trouva encore à la tête de quatre ou cinq cents hommes : le reste avait été pris, tué ou dispersé. Quelque sanglante qu’ait été cette journée, il est difficile de croire néanmoins que le nombre des morts se soit élevé à huit cents hommes du côté des vaincus ; les premiers rapports furent exagérés.

Enfin Calderon se mit en marche avec sa timidité ordinaire, et la ville fut mise en état de siège. Ici il est difficile pour un Européen, en jetant les yeux sur les opérations de ce siège, de retenir un sourire de pitié. La Vera-Cruz est bâtie sur une plage de sable demi circulaire d’environ un mille de rayon ; cette plage est terminée par un double rang de dunes derrière lesquelles commencent les forêts du Mexique. La révolution qui expulsa les Espagnols, a laissé quelques traces de destruction, et en dehors des murs se trouvent les ruines d’un grand nombre de maisons de plaisance, d’églises et d’anciens couvens, au milieu desquels les assiégeans auraient pu venir se loger, y placer des batteries et de là écraser la place. Du côté de la terre, un simple mur d’enceinte en état de dégradation met la ville à peine à couvert d’un coup de main. Santa-Anna, soit par ignorance, soit qu’il connût l’incapacité de son ennemi, ne fit pas déblayer la plaine ; il se contenta de mettre des canons le long des remparts. Calderon plaça son camp derrière les dunes ; il fit élever à peu de distance du rivage un bastion armé de trois mortiers, et alors commença ce qu’on appela le siége. Le matin et le soir les assiégeans lançaient sur la ville quelques bombes, qui souvent éclataient à mi-distance, presque aucune n’arrivait jusque dans l’enceinte des murailles ; les assiégés, par courtoisie, leur rendaient le salut par le même nombre de bombes, dans la direction présumée des batteries ennemies, et avec aussi peu d’effet que les premières. Ce manége dura deux mois, sans que de part et d’autre on obtînt aucun avantage. Deux chaloupes canonnières sous les ordres du capitaine Cochrane, ayant pour second notre compatriote Reybaud, allèrent du côté d’Antigoa attaquer un petit fortin qu’avait construit Calderon. La canonnade fut vive ; Reybaud, audacieux comme un pirate, alla se placer aussi près que possible du feu de l’ennemi, mais il fut obligé de se retirer après avoir eu un bras emporté par un paquet de mitraille. Son courage et son sang-froid ne l’abandonnèrent pas un instant, et il supporta les suites de sa blessure avec une admirable résolution.

Pendant que le siége traînait ainsi en longueur, la garnison de Tampico, composée de deux mille hommes de troupes régulières, balançait encore incertaine ; un tailleur se mit dans la tête de la décider en faveur de Santa-Anna. Il réunit plusieurs soldats influens avec lesquels il se trouvait lié, les enflamma par un bon repas à la suite duquel il parcourut avec eux les rues de la ville, aux cris de viva Santa-Anna ! Un grand nombre de leurs camarades se rallièrent à eux, et l’entraînement devint général. Les officiers subalternes en favorisèrent le mouvement, ou n’osèrent s’y opposer, et la garnison entière se déclara pour Santa-Anna. Elle offrit au général Moctezuma de le mettre à la tête de l’insurrection, et celui-ci, par conviction peut-être, mais plus probablement par nécessité, accepta ce poste. Moctezuma avait été envoyé par le gouvernement pour prendre le commandement des troupes et aviser aux moyens de maintenir la tranquillité dans l’état de Tamaulipas ; il est peu naturel de supposer qu’il soit entré spontanément dans l’insurrection, mais les circonstances et son intérêt personnel le décidèrent : aussi était-il l’objet de beaucoup de soupçons, et sa conduite était surveillée de près par les autres chefs du parti.

Moctezuma est un homme d’environ cinquante ans, d’une taille élevée ; sa figure est douce et peu expressive. Quoique parvenu au rang de général, en passant lentement par tous les grades inférieurs de l’armée, il n’est connu cependant par aucun exploit militaire. Courageux de sa personne, il saura exécuter les ordres d’un chef, mais il n’est point fait pour briller au premier rang. Quoique doué d’un sens droit, il a l’esprit faible : les circonstances ont pu l’élever, mais il est incapable de les maîtriser ou de les faire naître. Tel est l’homme que le hasard porta à la tête du mouvement révolutionnaire de Tampico. Autour de lui on ne distinguait aucun personnage remarquable ; aussi nulle entreprise ne fut tentée de ce côté, et c’est à la fortune seule qu’on doit attribuer tous ses succès.

À la première nouvelle de la révolte de Tampico, le gouvernement fit partir douze cents hommes de troupes, sous les ordres du général Teran, espérant que celui-ci s’emparerait de la ville sans coup férir. Mais Moctezuma s’était hâté de pousser avec vigueur les fortifications déjà commencées ; il avait fait couper les bois qui avoisinent Tampico ; lui-même présidait aux travaux de ses soldats, et déjà plusieurs forts et bastions s’élevaient pour protéger la ville et ses alentours. Teran se vit donc obligé de s’arrêter quelque temps à Altamira, pour essayer les moyens de corruption sur un ennemi qu’il trouvait bien fort pour une attaque.

Ce fut au milieu de ces circonstances qu’arrivèrent les naufragés du brick de guerre français le Faune. Les Français domiciliés à Tampico les reçurent avec joie ; chaque jour on craignait un assaut de la part de Teran ; chaque jour quelque nouvelle proclamation de ce général jetait l’alarme parmi les étrangers ; lui aussi criait : « Haine et mort aux Espagnols !… » et ce cri était le ralliement du parti de Santa-Anna. Aussi les négocians français, qui craignaient que, dans le cas d’une réaction populaire, on ne les confondît sous cette dénomination, suppliaient-ils le consul de retenir nos marins dans la ville, persuadés que leur présence seule imposerait au peuple. Moctezuma lui-même n’était pas fâché qu’ils restassent ; il offrit même de les armer, dans l’espérance vague peut-être d’en tirer un appui, ou au moins comme un moyen de maintenir l’ordre.

Santa-Anna, qui jugeait que Tampico était le point le plus fort sur lequel il pût s’appuyer, envoya deux goëlettes de guerre sous les ordres du capitaine Cochrane, pour s’assurer du mouvement. Ces bâtimens avaient en outre la mission d’arrêter, s’ils le rencontraient, un navire anglais chargé pour le compte du gouvernement, et qui devait débarquer des munitions de toutes sortes sur quelque point de la côte : ils devaient s’opposer encore à ce que l’Yucatan envoyât par mer des secours de troupes aux ministres, car il paraissait certain que cet état se disposait à appuyer fortement le système ministériel. Moctezuma changea l’objet de leur mission et les fit embosser au-dessous de la ville, pour empêcher Teran d’arriver jusqu’à Tampico, en remontant la rive gauche du fleuve. Du côté de la terre, sans doute, la ville était bien protégée ; mais comme elle ne l’était pas du tout du côté de la rivière, un général audacieux eût pu, en une seule nuit, faire descendre dans des pirogues, par les lacs et le haut de la rivière, des troupes qui eussent enlevé la ville peut-être sans tirer un coup de fusil. Teran se borna à des pourparlers et à des démonstrations hostiles dans lesquelles on lui tua quelques hommes.

Tel était l’état des choses quand la saison des pluies commença. On parlait de remplacer le général Calderon par Iberie, lorsque tout à coup l’armée du gouvernement disparut de devant la Vera-Cruz, laissant un grand nombre de malades et ses canons encloués. Une fièvre maligne, ce puissant auxiliaire sur lequel comptait Santa-Anna, avait déjà fait de grands ravages dans le camp de l’ennemi, et Calderon, craignant de perdre jusqu’au dernier de ses soldats, s’était enfin décidé à se retirer. Santa-Anna marcha sur-le-champ à sa poursuite ; ils se firent une petite guerre d’observation ou d’escarmouches peu sanglantes, l’un fuyant lentement, et l’autre suivant pas à pas. Ce mouvement de Calderon avait été annoncé d’avance par le vice-président Bustamente dans la séance de clôture du congrès, le 23 mai. Après avoir dit que la saison des pluies empêcherait les troupes de tenir la campagne, il terminait en demandant la permission de se mettre lui-même à la tête des forces de la république ; mais le congrès refusa sous prétexte que la révolte de Santa-Anna était trop peu redoutable. Cependant le parti des révoltés croissait rapidement ; les garnisons d’Orizaba et de Cordova s’étaient jointes à eux, et le gouvernement offrit d’entamer de nouvelles négociations. De part et d’autre on nomma des commissaires pour discuter les intérêts des deux partis ; Arago fut un de ceux que choisit Santa-Anna, et le 13 juin les deux généraux signèrent un armistice non loin de Jalapa. La nouvelle de la fuite de Calderon fut accueillie à Tampico par des fêtes : les différens forts qu’on avait construits autour de la ville furent baptisés, et les officiers de la garnison donnèrent un bal où ils fêtèrent les officiers français.

La retraite de Calderon entraîna celle de Teran, qui se dirigea dans le nord de Tamaulipas, vers Soto-la-Marina et Matamoros, qui tenaient encore pour le gouvernement. Moctezuma le laissa partir sans courir à sa poursuite ; mais les bâtimens de guerre, devenus inutiles à Tampico, reprirent leur première mission, et firent voile le 19 juin pour Matamoros. Cette petite flotte, sous les ordres du capitaine Cochrane, était composée d’un brick, trois goëlettes, et portait trois cents hommes de troupes. La garnison de la forteresse, ébranlée d’abord par la nouvelle des succès de Santa-Anna, éclata à l’arrivée de ces navires, et se prononça contre le ministère. L’entraînement gagna les troupes de Teran, réunies dans la petite Place de Padilla. Teran, effrayé de l’agitation de ses soldats, assemble ses principaux officiers dans une chapelle. Là, il leur expose l’état de la république, essaie d’émouvoir leur patriotisme ou de réchauffer leur attachement au gouvernement ; partout il ne trouve qu’une désespérante froideur, ou une ferme résolution de changer de drapeaux. Se voyant ainsi abandonné de ses troupes, il désespéra de sa cause ; peut-être vit-il sa patrie exposée de nouveau aux horreurs de la guerre civile ; sans doute alors le sort de Guerrero lui revint en mémoire, et il frémit de tomber vivant entre les mains d’ennemis implacables… Il sortit et se perça de son épée (le 12 juillet).

Ainsi périt Teran, le meilleur ou plutôt le seul général du parti ministériel, en ce même village de Padilla, au même lieu où avait péri Iturbide. Sa mort fut un triomphe pour le parti contraire, qui s’en réjouit comme d’une victoire. Cependant il trouva même parmi ses ennemis des hommes qui firent son éloge funèbre, alors qu’il était dangereux de ne pas outrager sa mémoire.

Moctezuma quitta enfin Tampico, pour se rendre à San-Luis-Potosi, et sa marche eut lieu sans obstacle.

Le 23 mai, dans la séance de clôture du congrès général, Bustamente, annonçant officiellement la levée du siége de la Vera-Cruz par le général Calderon, exprimait encore l’intention de maintenir, à l’égard de Santa-Anna, l’attitude d’un juge sévère ; mais, en même temps, il déclarait qu’il avait jugé à propos d’accepter la démission des ministres ; et les chambres avaient accueilli favorablement cette mesure. On crut généralement que la retraite des ministres affaiblirait beaucoup le parti des révoltés ; car, dès ce moment, la question changeait de nature : leur général ne pouvait plus alléguer que c’était à des ministres responsables qu’il venait demander compte de leur administration ; désormais c’était contre le vice-président lui-même, contre le chef légalement reconnu de l’état, qu’il dirigeait ses attaques, et ses armes semblaient menacer les lois du pays. Sa levée de boucliers devait donc prendre un caractère odieux pour tous les hommes amis de l’ordre public. Afin de ne pas donner une couleur tranchée à la politique du gouvernement, Bustamente laissa vacantes les places des ministres, lesquelles furent réellement remplies par les premiers secrétaires ou par les chefs des administrations, sous l’impulsion directe du vice-président. Cette marche incertaine de l’autorité, ces lois au nom desquelles on combat et qu’en même temps on foule aux pieds, doivent présenter d’étranges anomalies pour les hommes élevés sous un gouvernement depuis long-temps reconnu et respecté ; mais le Mexique est encore plongé dans un chaos politique que le temps seul peut débrouiller.

Santa-Anna sentit le coup que portait à son parti la dissolution du cabinet, et pour se replacer sur le terrein de la légalité, il conçut l’idée de s’autoriser du nom de Pedraza : il lui expédia sur-le-champ à Philadelphie, où il vivait retiré, un officier de confiance, le colonel Castillo, pour lui offrir de le conduire en triomphe jusqu’à Mexico, s’il voulait consentir à reprendre le fauteuil. Les rôles se trouvaient ainsi subitement changés. Bustamente n’était plus qu’un usurpateur qui avait chassé l’élu du peuple, et qui, au mépris des lois existantes conservait une autorité dont il était indigne ; tandis que Santa-Anna se présentait, non plus comme simple médiateur entre l’armée et le gouvernement, mais comme général en chef des troupes du président légitime de la république. Il ne s’agissait plus que d’obtenir le consentement de Pedraza, et il n’était guère douteux que celui-ci ne le donnât bientôt.

C’était beaucoup que d’avoir su mettre la légalité de son côté ; mais, tout en profitant de cet avantage, Santa-Anna sentait bien que ce serait réellement la force qui déciderait en dernier ressort, et il continuait à agir avec vigueur : dès le 17 mai, il avait quitté la Vera-Cruz à la tête de mille hommes environ et d’un train assez considérable d’artillerie pour se mettre à la poursuite des troupes du gouvernement : considérant toujours cette ville comme le centre de ses opérations, son principal point d’appui, et surtout comme un asile assuré en cas de revers, il y avait laissé la moitié de ses troupes ; les forces qu’il emmenait lui paraissaient plus que suffisantes pour harceler l’ennemi et même engager au besoin avec lui une bataille rangée. Quoiqu’il s’exagérât la détresse de l’armée ministérielle, l’état où elle se trouvait réduite était réellement déplorable : au moment de la levée du siège, le nombre des malades s’élevait à neuf cents, et la contagion qui décimait ces malheureux laissait des traces si profondes, que la plupart des convalescens eux-mêmes n’étaient pas en état de porter les armes. En vain le gouvernement, pour protéger sa retraite, avait-il envoyé des troupes fraîches, Santa-Anna qui connaissait parfaitement le pays trouvait moyen de rendre ces secours presque inutiles ; il interceptait les convois, et ce n’était pas sans peine que l’armée en retraite conservait quelques communications avec Mexico. Le colonel Mendaca, auquel était confiée la garde de l’important point de Jara, à trois lieues de Jalapa, venait de se déclarer pour le mouvement révolutionnaire ; et les villes de Cordova et d’Orizaba, situées sur la route de la capitale, les avaient imitées, avant même la nouvelle de la fuite de Calderon : tout réussissait au gré de Santa-Anna. Cependant il fut arrêté dans sa marche ; le colonel Rincon, à la tête de douze cents hommes de troupes fraîches, l’attendait à Puente Nacional et se disposait à l’attaquer, et il l’eût sans doute défait, car Santa-Anna, croyant les ministérialistes aux abois, avançait sans beaucoup de précautions ; mais, averti à temps, il tira habilement parti de sa mauvaise position, se replia sur lui-même, prit un détour et tendit une embuscade à Rincon, dans laquelle il faillit l’envelopper ; un secret avis sauva ce dernier à son tour. Quelque favorable que fût la nouvelle tournure que prenaient ses affaires, le général n’était pas néanmoins sans inquiétude : du côté de la mer, Campêche le menaçait d’envoyer une expédition formidable au secours du gouvernement, et l’on désignait les environs de Tampico comme point de débarquement ; huit cents hommes de troupes ministérielles marchaient, disait-on, sur Tuzpan et Pueblo Viejo de Tampico, et il craignait que Tampico, point d’appui de sa seconde armée, en ce moment si belle et si forte, ne lui échappât par l’impéritie de Moctezuma. Mais partout où il se portait de sa personne, la fortune semblait le suivre, et quoique la rencontre de Rincon l’eût forcé pendant quelque temps, par une marche rétrograde, à se mettre sur la défensive dans le bas pays, à-la-fois malsain et fatigant pour ses soldats, il avait bientôt repris l’avantage, et les positions militaires qu’il occupait lui donnaient sur son ennemi une supériorité telle, qu’il espérait arriver promptement à une conclusion glorieuse.

Ce fut au milieu de ces circonstances que Calderon lui proposa un armistice dans le but de renouveler auprès du gouvernement des propositions d’accommodement ; il accepta, et le 13 juin les deux généraux signèrent une suspension d’armes dont les conditions avaient été arrêtées au camp de Coral Falso, à quatre lieues de Jalapa, entre le colonel don Juan Arago et le colonel Jose-Maria Vidal du côté de Santa-Anna, et le colonel don Félix Maximo et le premier adjudant don José Garcia pour Calderon. Cet acte déterminait la position des deux armées en observation, de manière à laisser libre et neutre Puente Nacional, où l’on établirait des conférences sous la médiation de S. E. le lieutenant-général Guadalupe Vittoria[4] et don Sébastien Camacho, gouverneur de l’état, dans le but de s’entendre sur les moyens les plus efficaces pour rendre la paix au pays, et ainsi que l’ont toujours répété les chefs de parti, afin de prévenir l’effusion du sang des citoyens. Les conférences s’ouvrirent en effet, on discuta, on disputa ; aucun des partis ne voulut rabattre de ses prétentions[5], qui de part et d’autre étaient exagérées ; enfin le 15 juillet, une proclamation adressée par Santa-Anna à ses troupes, vint annoncer que tout était rompu et que le sort des armes allait seul décider la question.

Les hostilités recommencèrent ; les troupes du gouvernement en donnèrent les premières un sanglant signal. Cent quatre-vingts habitans de Jalapa s’étaient armés en faveur de Santa-Anna ; surpris et attaqués par un détachement de quatre cent cinquante ministérialistes, ils furent battus et pris malgré une courageuse résistance, et tous les officiers passés par les armes pour servir d’exemple. Néanmoins Puente Nacional resta au pouvoir du général, dont tous les efforts tendaient à pénétrer jusqu’à Mexico, pour pouvoir enfin y parler en maître. Bientôt son parti prit un accroissement considérable ; dès le 14 août, il s’était avancé, en personne, jusqu’à Orizaba, où il se trouva à la tête de trois mille hommes de troupes bien organisées et animées d’un excellent esprit ; le commandant et toute la garnison s’étaient ralliés à ses drapeaux. Il avait refoulé au loin Calderon, et il manœuvrait de manière à tenir en échec Faccio, alors posté en observation à San Augustin del Palmar avec deux mille hommes seulement. Mais il n’y avait pas à craindre qu’un combat s’engageât entre eux ; Faccio doutait trop de lui-même et de ses soldats, pour tenter contre des forces supérieures le sort des armes dont le résultat, s’il lui eût été défavorable, aurait ouvert, à Santa-Anna, les portes de Mexico ; et celui-ci, de son côté, ne voulait pas exposer légèrement aux chances d’un combat une cause qui prenait de moment en moment un nouveau caractère d’importance et de force. Chaque jour, en effet, quelque nouvel état se déclarait en sa faveur ; le rappel de Pedraza lui avait concilié soudain une grande partie des législatures ; on commençait à reconnaître un but légitime à son soulèvement ; on ne craignait plus que, dans l’ivresse du succès, il ne se déclarât souverain absolu, en faisant taire les lois : aussi paraissait-il déjà évident que bientôt l’adhésion unanime des états à ses projets rendrait inutile tout appel aux armes, et rapprocherait tous les drapeaux. Du côté de Tampico, les nouvelles continuaient à être favorables ; la municipalité de cette ville venait de déclarer Manuel Gomez Pedraza président légitime de la république, et dénonçait Bustamente comme usurpateur du pouvoir ; cet acte était signé par tous les officiers civils et militaires du département. Le général Moctezuma avait poussé jusqu’à San-Luis-Potosi sans rencontrer aucun obstacle. En vérité, la conduite des généraux du gouvernement serait inexplicable, si l’on ne savait qu’il régnait dans l’armée une désorganisation effrayante : la désaffection des soldats pour le drapeau qu’ils suivaient, était tellement prononcée, que les chefs n’osaient pas compter sur leurs troupes. Comment, autrement, pourrait-on comprendre la fuite de Teran vers Matamoros, tandis qu’il lui eût été si facile d’arrêter Moctezuma au milieu des gorges des montagnes presque impraticables, dans lesquelles il faut s’engager pour arriver à San-Luis ? Ce dernier s’empara de la ville presque sans résistance, le détachement de troupes qui en composait la garnison s’étant prononcé pour lui, après un léger engagement dans lequel le commandant en chef et son second, Ottero, furent blessés et faits prisonniers. Ottero est le même officier qui signa l’arrêt de mort de Guerrero. Mais ce qui dut surtout encourager Santa-Anna, ce fut l’adhésion de la province de Zacatecas. Le 10 août, la législature assemblée déclara que Bustamente occupait le fauteuil au mépris des lois existantes, rappela Pedraza et l’invita à rentrer en fonctions, conformément aux vœux de Santa-Anna : en même temps elle vota six mille hommes de troupes pour soutenir la cause de ce dernier, et les fonds nécessaires à l’équipement et à l’entretien de cette petite armée. De quelle importance, en effet, devait être ce changement dans la cause des révoltés ! Le commerce de Tampico, paralysé par le manque d’argent, devait reprendre son activité, lorsque la communication entre San-Luis et cette dernière ville serait rétablie ; les trésors de Zacatecas allaient suivre leurs cours naturel, et chaque jour on attendait une conducta de 2,000,000 de dollars. Les troupes, dont la paie avait été long-temps suspendue, se voyant sur le point de recevoir les arrérages de leur solde, s’animaient d’une nouvelle ardeur. À cinq lieues de la capitale, le colonel Santos, qui commandait deux mille cinq cents hommes bien armés et bien équipés, se déclarait pour Santa-Anna. Campêche, par un étrange revirement, les états de Jalisco, Durango et Sonora appuyaient solennellement son mouvement et accusaient le vice-président ; un brick de guerre appareillait de la Vera-Cruz avec deux commissaires, Zerconi, ancien membre du congrès, et le colonel Soto, chargés de supplier Pedraza, au nom de la majorité des états mexicains, de reprendre les rênes du gouvernement. Pedraza, qui comptait peu sur le succès des révoltés, avait d’abord refusé l’offre du colonel Castillo ; mais alors son rappel lui fut présenté comme un cri du peuple, et il accepta. Matamoros avait suivi l’exemple de la Vera-Cruz et de Tampico, et sa garnison avait destitué et emprisonné son commandant, le colonel Peridas. L’état de Chiapas votait en faveur de Pedraza, et Guanaxuato, hésitant à se prononcer en cette affaire, se déclarait neutre. Les provinces du sud avaient enfin répondu à la voix du vainqueur de Tampico, leurs législatures se prononçaient pour le rappel de Pedraza ; le colonel Alvarez, entraîné par l’élan général ou par ses propres intérêts, avait fait une proclamation pour augmenter les partisans de la nouvelle cause qu’il embrassait, et la forteresse de San-Diego d’Acapulco n’obéissait plus qu’au nom de Pedraza. À Mexico, les plus fermes soutiens de la cause du gouvernement commencèrent à trembler, quelques malheureux devinrent victimes de leurs opinions, et Rocafuerte, ce journaliste dont nous avons déjà fait connaître la courageuse conduite, était traîné et enchaîné dans les prisons de la capitale.

Tel était le nouvel aspect des choses, tandis que Santa-Anna, cantonné à Orizaba et immobile devant Faccio, attendait avec impatience l’arrivée de Pedraza. Moctezuma, de son côté, après avoir joui pendant quelque temps de ses succès, à San-Luis, allait marcher sur Mexico : c’était sous les murs de cette ville que devait s’opérer la jonction des deux corps d’armée des indépendans. Désormais, le dénoûment de ce drame paraissait facile à prévoir… Tout à-coup la scène change, Bustamente donne sa démission de vice-président, et nomme un ministère qui devait remplir les fonctions de gouvernement provisoire. Fagoaga est appelé aux relations extérieures ; Godoy, à la justice et aux affaires ecclésiastiques ; Alas, aux finances, et le général Iberie, à la guerre. Cette soudaine résolution de Bustamente doit paraître étrange ; elle est cependant le résultat d’une des plus profondes combinaisons de cet homme adroit et rusé. Il sentait qu’il ne pouvait plus soutenir la guerre avec avantage comme chef du gouvernement ; la légalité qui, jusque-là, avait fait sa force, lui devenait hostile, puisqu’à son tour il attaquait une autorité légitime ; car il paraissait certain que Pedraza ne tarderait pas à réunir les vœux de la majorité des états. Voulant, avant tout, conserver son influence de général et de citoyen puissant, il résigna donc les fonctions de vice-président et se mit à la tête des troupes opposées à Santa-Anna.

Cependant, en quittant le fauteuil, il ne se trouvait pas tout-à-fait dans la même attitude que Santa-Anna, au commencement de la révolution ; il se disait commandant en chef des forces de la république, car il tenait ses pouvoirs du congrès général qui, prorogé à cause des événemens politiques, prétendait représenter seul la souveraineté nationale : la question restait donc pendante entre Pedraza et le congrès. Le rusé Bustamente se couvrait de ce nom, mais c’était lui qui, en réalité, menait toutes les affaires. Il traça au ministère la marche à suivre : on concentra à Mexico des forces considérables, et Rincon fut nommé commandant de la garnison. Néanmoins il ne faut pas chercher ici un plan de campagne d’une haute conception et exécuté d’après une volonté unique, une intelligence supérieure et régulatrice de tous les mouvemens ; les divers chefs étaient autant de centres d’action qui opéraient presque tous indépendamment l’un de l’autre : dès qu’un corps de troupes avait été obligé de lâcher pied, un autre se présentait avec un autre général, et souvent sans relation avec le premier. Du reste, il ne s’agissait, pour Bustamente, que de gagner du temps et de maintenir son influence jusqu’à l’arrivée de Pedraza, c’est-à-dire, jusqu’au moment où, par un accord entre les divers chefs, le pays serait appelé à élire un nouveau président, et à juger en dernier ressort ce litige que les armes ne pouvaient terminer. Attaquer Santa-Anna, c’était tout risquer d’un seul coup ; il connaissait, par expérience, les ressources de ce général, il le savait alors fortement appuyé ; ce fut donc vers San-Luis, contre Moctezuma, qu’il se décida à marcher. Ses troupes, à la vérité, étaient inférieures en nombre à celles de son ennemi, car celui-ci avait neuf mille hommes sous ses drapeaux, tandis qu’il ne pouvait lui en opposer que quatre mille ; mais il comptait sur la supériorité de ses talens militaires et sur la discipline de ses régimens, l’élite de l’armée républicaine ; tandis que les six mille hommes, fournis à Moctezuma par l’état de Zacatecas, n’avaient aucune expérience de la guerre et comprenaient à peine ce que c’est que l’obéissance militaire. Le 30 août, les deux armées n’étaient plus qu’à peu de distance l’une de l’autre. Chacun des contendans lança des proclamations belliqueuses, où ils se déchaînaient l’un contre l’autre avec une fureur étrange ; on eût dit qu’un combat à outrance pourrait seul mettre fin à la lutte ; et cependant, une fois encore, avant que le canon, dernière raison des peuples et des rois, eût prononcé ses arrêts de mort, Bustamente voulut tenter une négociation : il envoya des commissaires à Moctezuma, mais cette démarche n’aboutit à rien.

Pendant les premiers jours de septembre, les deux armées manœuvrèrent en présence l’une de l’autre, à peu de distance de Queretaro ; enfin, le 18, elles en vinrent aux mains en bataille rangée, près des bourgs d’Abanda et de Huerta de Gallinas, non loin de la ville de Dolores. Après huit heures d’un combat acharné et dans lequel Moctezuma fit preuve de plus de courage que d’habileté, Bustamente remporta une victoire complète. Le bagage, l’artillerie, la caisse de l’armée ennemie, les provisions qui étaient considérables, la voiture de Moctezuma et un grand nombre de chevaux tombèrent entre ses mains. Les vaincus laissèrent quatorze cents des leurs sur le champ de bataille ; quatre cents furent faits prisonniers : le reste prit la fuite dans toutes les directions.

Ce succès coûta cher à Bustamente, mais il en tira d’immenses avantages ; l’ennemi sembla s’être évanoui complètement, et la campagne resta libre devant lui jusqu’à Tampico. Le colonel Cuerto, qui venait de Guadalaxara avec 600 hommes pour se joindre à Moctezuma, était entré à Guampala le 21 septembre ; Bustamente détacha contre lui le général Cortezar, qui le menaça de ne lui faire aucun quartier s’il ne quittait sur-le-champ la ville ; la sommation eut son effet, et Cuerto se retira. Un autre officier, Abezana, s’était avancé jusqu’à Testillo, avec deux cent quatre-vingts hommes destinés à renforcer Moctezuma : la nouvelle de la défaite de ce général l’épouvanta, et il s’enfuit au plus vite vers Tampico.

Une des suites de cette victoire fut le retour de la législature de Zacatecas sous l’autorité de Bustamente. Ce général conclut avec elle une convention qui rétablissait le pouvoir du gouvernement dans toute l’étendue de l’état. Il attendait aussi la soumission de l’état de Guadalaxara, et se flattait d’être bientôt maître de Tampico. Son plan était de diviser ses troupes, et d’occuper les points principaux, afin d’assurer la tranquillité de tout le pays qu’il venait de ressaisir ; mais d’autres événemens vinrent suspendre ses rapides conquêtes. Santa-Anna, que nous avons laissé stationné à Orizaba, avait tiré avantage de l’absence de Bustamente, et s’était porté en avant avec ses meilleures troupes. Profitant alors de l’indiscrétion d’un des officiers de Faccio, qui engagea imprudemment un combat sans l’ordre de son général, il défit un détachement de trois cents hommes qui occupaient un poste avancé. Le beau-frère de Pedraza, fut tué dans cette affaire. Cet échec fit reculer l’ennemi, et Santa-Anna, poursuivant son succès avec ardeur, entra à Puebla le 5 octobre.

Le bruit de la prise de Puebla retentit à Mexico comme un coup de foudre. Déjà l’on croyait l’ennemi aux portes de la ville ; le victorieux Bustamente était trop loin pour rassurer les esprits ; et Santa-Anna, si prompt dans ses résolutions, serait peut-être maître de la capitale avant que son rival eût fait un mouvement pour venir traverser ses plans, La peur exagère toujours, et chacun tremblait pour sa fortune et pour sa vie, car les souvenirs de 1828 sont récens et sanglans. Au seul mot d’émeute dans la ville, on se rappelait les malheurs que la dernière révolution avait enfantés, l’incendie et le pillage des magasins, les massacres dont tant de bons citoyens avaient été les victimes ; on voyait encore cette horde de ladreros (espèce de lazzaronis qui fourmillent à Mexico) tous déguenillés, se répandre dans les rues en poussant d’atroces vociférations. Tous les négocians et la classe aisée frémissaient à l’idée d’être encore une fois témoins de tant de scènes d’horreur et de carnage. Déjà un mouvement intérieur avait donné l’alarme ; le 25 septembre, dans l’après-midi, les prisonniers de l’Acordada (maison de force où sont renfermés douze ou treize cents malfaiteurs des plus dangereux) venaient de faire une tentative d’évasion à main armée, et ce mouvement n’avait pu être réprimé qu’en versant beaucoup de sang (il y eut une vingtaine de prisonniers de tués et quarante environ de blessés plus ou moins grièvement). Sans la promptitude avec laquelle elle fut étouffée, cette émeute aurait pu avoir des suites terribles, car les ladreros étaient prêts à répondre aux cris féroces des prisonniers. Mais le gouvernement, éclairé par cette tentative, sentit le besoin de déployer une grande énergie ; il ne négligea dès-lors aucun moyen d’assurer la tranquillité publique, laquelle, en effet, depuis ce moment ne fut plus troublée[6].

Santa-Anna avançait, mais ce n’était plus comme autrefois avec la rapidité du torrent qui bouleverse et entraîne tout : la cause qu’il soutenait ne flattait plus assez son ambition personnelle pour qu’il donnât beaucoup à la fortune ; néanmoins, dès le 9 octobre, sa cavalerie n’était plus qu’à huit lieues de la capitale ; et enfin, renforcé par un corps de deux mille hommes sous les ordres du général Valentea, il commença vers le 15 ce qu’on appela le blocus de la cité de Mexico. Quelles que soient les raisons qui ralentirent sa marche, ce retard sembla funeste à sa cause ; le gouvernement eut le temps de rallier ses forces, toutes les troupes éparses aux environs furent réunies dans la ville ; et la garnison, qui n’était d’abord que de deux mille hommes, se trouva bientôt dépasser quatre mille hommes : on expédia au plus vite des courriers à Bustamente et à Bravo, pour les appeler au secours de la capitale. Malgré cela, les craintes des habitans, assoupies pendant quelque temps, se renouvelèrent à l’apparition des troupes de Santa Anna ; le commerce resta anéanti, un grand nombre de marchands cachèrent et enfouirent leurs marchandises et leurs trésors, presque tous les magasins furent fermés, plusieurs habitans se retirèrent à la campagne, le change du papier tomba jusqu’à 39, et l’on négocia bon nombre de billets à ce taux, tant l’argent était devenu rare. Au milieu du désordre que causa cette agitation générale, on fut obligé de proclamer la loi martiale. Quel blocus cependant !… qu’on se figure l’immense ville de Mexico, située sur le bord d’un lac, au fond d’un vaste vallon, l’aboutissant de plusieurs grandes routes, défendue par une garnison d’environ cinq mille hommes, tremblant et gémissant de se voir bloquée par un corps de huit à neuf mille hommes ! Et pourtant les habitans souffrirent beaucoup ; car, outre la cherté des vivres, ils étaient encore privés d’eau, Santa-Anna ayant arrêté un aqueduc qui alimente d’eau presque toute la ville.

À la nouvelle des progrès de Santa-Anna, Bustamente avait réuni ses forces, et s’était remis en marche vers Mexico ; il comptait toujours environ quatre mille hommes sous ses ordres, et il pouvait se fier à ses soldats ; car, enorgueillis de leur victoire sur Moctezuma, ils se croyaient invincibles : tel est le caractère mexicain ; le moindre succès l’élève, le moindre revers l’abat.

Dès le 5 novembre, son armée était campée à Zula, à 15 lieues de la capitale.

Santa-Anna, effrayé de l’approche de Bustamente, avait fait une dernière sommation à la ville, la menaçant d’un assaut, si dans les 24 heures elle ne se rendait pas : la ville ne fut pas livrée, et Santa-Anna quitta sur-le-champ sa position, et se porta avec toutes ses forces à la rencontre de son ennemi. Cette retraite était urgente, car il se voyait sur le point d’être pris entre deux feux. Le général Quintamar accourait avec près de six mille hommes pour opérer sa jonction avec Bustamente et délivrer Mexico. La levée soudaine du blocus laissa Quintamar libre de ses manœuvres ; il ravitailla Mexico, et prenant avec lui une partie de la garnison, il continua sa marche avec sept mille hommes d’infanterie, huit cents cavaliers et sept pièces de canon pour se réunir enfin au général en chef, alors campé à la plantation de la Goletta. Ici les mouvemens de Santa-Anna présentent une incertitude inexplicable : supérieur en forces à Bustamente, il pouvait tout-à-coup tomber sur lui, l’écraser, puis revenant sur ses pas, faire face à Quintamar avec des forces égales et supérieures même à cause de la confiance qu’inspire toujours le succès. Au lieu d’agir ainsi, il s’arrête tout-à-coup, concentre ses forces à Zampango, où il est joint, à la vérité, par un renfort de deux mille hommes sous les ordres du colonel Cuesta ; mais il laisse Bustamente et Quintamar opérer leur jonction, le 12 novembre, à Tesayaca. Il y eut ce jour-là une légère rencontre dans laquelle de part et d’autre on perdit une trentaine d’hommes ; le nombre des blessés ne dépassa pas soixante.

Après cette jonction, Bustamente s’approcha de Mexico, afin de se placer entre cette capitale et Santa-Anna ; il comptait environ douze mille hommes sous ses ordres, et sa supériorité numérique donnait à son parti un tel espoir de succès qu’à Mexico on fit de grandes réjouissances, et dès-lors le gouvernement ne parla plus que de châtier promptement les rebelles. Cependant, les deux armées restèrent en présence sans tenter les hasards d’une bataille rangée ; quelques engagemens partiels maintenaient seulement l’animosité des partis, mais la question restait indécise : ainsi, le 1er  décembre, un détachement de Bustamente, dans une excursion aux environs de Puebla, surprit un convoi chargé de 50,000 dollars appartenant à Santa-Anna ; mais ce général, averti à temps, se mit en route sur-le-champ, et, dès le lendemain, il le reprit et fit en outre quelques prisonniers.

Quoique Santa-Anna ne parût pas avoir su tirer tout le parti possible des circonstances qui le favorisaient, ses affaires étaient néanmoins dans un état prospère. Moctezuma, délivré de la présence de Bustamente, avait rallié les débris de son ancienne armée, et l’on disait qu’il s’était avancé jusqu’à Queretaro à la tête de seize cents hommes. Alvarez, de son côté, marchait, et déjà il était sur le point de se réunir aux libéraux. Pedraza était arrivé à la Vera-Cruz le 8 novembre, et il y avait été accueilli avec de grandes démonstrations de joie. Il avait lancé une proclamation dans laquelle il engageait les Mexicains à rapprocher leurs drapeaux, et à concourir unanimement au maintien de la tranquillité générale ; mais on y fit peu d’attention, car alors tous les esprits étaient tournés vers la lutte qui s’était engagée entre Santa-Anna et Bustamente : ces deux généraux absorbaient l’attention publique. Pedraza quitta la Vera-Cruz le 28 novembre, pour se rendre sur le théâtre de la guerre, et beaucoup de personnes espérèrent que les communications fréquentes qu’il pourrait avoir avec le gouvernement, hâteraient la conclusion des troubles.

Concentré à Zampango, Santa-Anna ne faisait aucun mouvement qui annonçât qu’il fût disposé à tenter les hasards d’un combat ; il se contentait de se tenir rigoureusement sur la défensive, et généralement ses mesures étaient si bien prises, qu’il était toujours vainqueur dans les escarmouches d’avant-postes. Bustamente avait fait de grands préparatifs pour l’assiéger ; on lui avait envoyé de la grosse artillerie de Mexico, et les batteries étaient dressées prêtes à faire feu, lorsque l’ennemi coupa les digues qui retiennent les eaux des lacs situés entre Zampango et Mexico, et noya toutes ces batteries. Néanmoins, Santa-Anna, peu confiant dans sa position, se retira vers Puebla pour se joindre à Pedraza qui venait d’y arriver ; mais il fut devancé par Bustamente qu’une étrange manœuvre plaça entre Puebla, où Pedraza avait armé et organisé les gardes civiques, et Santa-Anna qui, par une marche rétrograde, avait repris position sur la route de Mexico. Il serait vraiment curieux de représenter ici les divers mouvemens de tous ces corps d’armée : on dirait presque des jeux d’enfans, si le sang n’avait pas coulé ; car le 6 décembre, il y eut entre Bustamente et Santa-Anna une affaire assez chaude qui ne décida rien. Qu’on juge des capacités militaires des généraux par la manière dont leurs divisions restèrent échelonnées ! Quintamar était le plus rapproché de Mexico ; puis venaient Santa-Anna et son armée, ensuite Bustamente ; Pedraza se tenait renfermé dans Puebla, et il était pressé du côté de Zalapa par une seconde division de Bustamente. Le 8 décembre, Pedraza tenta des propositions d’accommodement, elles furent écoutées ; car l’armée du gouvernement commençait à éprouver de grandes privations ; enfin, le 11, un ordre du jour annonça aux deux armées qu’un armistice venait d’être conclu et signé entre les généraux, afin de pouvoir mettre à exécution un traité dont voici les principales dispositions :

1o  Confirmation de toutes les élections et actes législatifs postérieurs au 1er  septembre 1828, époque à laquelle Santa-Anna a pris les armes contre Guerrero ;

2o  et 3o  Chaque état procédera à de nouvelles élections pour le congrès général selon les formes constitutionnelles ;

4o Le nouveau congrès sera assemblé le 15 février 1833 ;

5o Le 25 mars, les votes pour le président et le vice-président seront ouverts ; avant le 30, ces fonctionnaires seront élus ;

6o Toutes les troupes et leurs officiers quitteront la capitale des états huit jours avant les élections ;

7o Toute loi martiale est révoquée ;

8o Pedraza est reconnu président jusqu’au 1er  avril 1833 ; Bustamente, vice-président ;

9o Amnistie générale et complète pour tout ce qui a été fait depuis le 22 septembre 1828.

Les généraux engagent leur honneur pour l’exécution de ce traité.

Cependant les chambres, qu’on n’avait pas consultées, se soulevèrent contre cette convention qui les blessait dans leurs plus chers intérêts, puisque les membres étaient soumis aux chances d’une nouvelle élection : le traité fut désapprouvé, Bustamente déclaré traître à la patrie et privé du commandement. Mais tous ces arrêts que n’appuyait aucune force armée n’étaient que l’expression d’un ridicule dépit ; les armées maintinrent leur acte de pacification, et le 26 décembre, la ville de Puebla fut témoin d’un magnifique spectacle, lorsqu’au milieu d’immenses acclamations les généraux, naguère ennemis, prêtèrent serment à la constitution. Dans cette circonstance, Pedraza remercia en termes pompeux le libérateur au nom du peuple entier ; et le 28, les chefs réunis marchèrent sur Mexico. Tout à coup la nouvelle arrive que San-Luis s’est rendue à Moctezuma ; les autorités civiles et militaires de la capitale, craignant pour leurs places et même pour leur sûreté, se déclarèrent pour l’armée, et le changement se fit si tranquillement, qu’on ne le sut dans la ville que par les annonces officielles. Enfin, le 2 janvier, anniversaire de l’entrée de Santa-Anna à la Vera-Cruz, un corps de dix mille hommes entra à Mexico. Le lendemain, Pedraza fit son entrée ; il fut reçu solennellement dans la cathédrale où l’on chanta un Te Deum. Les négocians étrangers, auxquels ce nouveau gouvernement promettait de grands avantages, offrirent 300,000 dollars pour le mettre en état de subvenir à ses premiers besoins. Enfin, le 14 janvier, les chambres sanctionnèrent le traité.

Le pays sera long-temps en proie aux factions militaires. Une armée, dont les cadres ne renferment que vingt mille hommes, qui compte plus de quatre-vingts généraux, et absorbe chaque année l’immense somme d’environ 15 millions de dollars (75 millions de francs), doit détruire tout élément de prospérité publique ; car elle n’a plus d’ennemis extérieurs à combattre. Quelque énervés et incapables que soient les officiers-généraux, qui pourra détruire leur pouvoir ? Chaque chef leur doit son influence. Il est difficile de dire combien durera cette paix ; sa durée probable est au plus de deux ans.

Santa-Anna a été élu président à la majorité de treize voix sur vingt.


Un Officier de marine.

Depuis que le récit qui précède, a été rédigé, une nouvelle tentative a éclaté au Mexique, organisée par le parti aristocratique, c’est-à-dire par les Espagnols et le clergé, auxquels se réunirent les mécontens de l’armée dont l’ambition n’avait pas été satisfaite, et cette foule d’hommes sans aveu qui abondent dans le pays. Par une combinaison assez profonde, ce parti, afin de préparer les voies au pouvoir absolu, jeta les yeux sur Santa-Anna lui-même, pour faire une expérience dans ce genre, sauf à lui substituer par la suite un homme plus dévoué à ses intérêts. Deux mois après son élection, le nouveau président fut proclamé dictateur par divers chefs militaires dans la province de Valladolid, à Cuernavaca et à Queretaro, près de la capitale. Santa-Anna n’osant pas, à ce qu’il paraît, porter hardiment la main sur le pouvoir suprême, marcha avec appareil, mais en même temps avec une indécision marquée contre ses propres partisans. Abandonné par une partie de ses troupes, il fut fait prisonnier par les rebelles et proclamé dictateur malgré sa résistance apparente ; il parvint cependant à s’échapper et rentra à Mexico, où le congrès, enhardi par cette démarche, rendit un décret sévère contre les auteurs de cette échauffourée. Les principaux chefs parmi lesquels se trouvaient l’ex-président Bustamente et son ministre Manjino ont été bannis pour six ans du territoire de la république avec une trentaine d’autres individus. À la date du 29 juin, époque des dernières nouvelles, le calme était complètement rétabli ; le parti fédéral ou démocratique l’emportait sur ses adversaires, et Santa-Anna restait au pouvoir. Malgré la conduite du président dans cette circonstance, de forts soupçons planaient sur son attachement au parti qu’il sert momentanément, et peut-être apprendrons-nous bientôt qu’une nouvelle révolution pareille à celle qui l’a porté au pouvoir, l’a fait rentrer dans la vie privée.


(N. du D.)
  1. Le congrès général siège à Mexico, et il vote toujours pour le chef entre les mains duquel est la ville.
  2. La machette est une espèce de sabre dont les Indiens sont toujours armés : elle leur sert d’arme offensive et de hache pour couper les branches d’arbres. Ils ne s’en séparent jamais, et la nuit ils l’ont à leur côté.
  3. C’est ainsi que généralement combattent les Indiens : quand ils sont à portée, ils tirent le premier coup de fusil et se jettent sur l’ennemi avec leurs machettes. Si l’on résiste au premier choc, ils sont vaincus ; mais il faut une bonne discipline pour en soutenir l’impétuosité.
  4. L’ex-président, si célèbre par son héroïque résistance à la tyrannie des Espagnols : il resta deux ans caché dans les forêts de l’état de la Vera-Cruz, sans rapport avec aucun être humain, se nourrissant d’herbes et de fruits sauvages. Son nom est en grande vénération dans le pays.
  5. Santa-Anna demandait que le vice-président quittât le fauteuil, et que les législatures fussent convoquées pour procéder à l’élection d’un nouveau président : il comptait sans doute sur son influence armée pour déterminer une partie des états en sa faveur, car il serait ridicule de croire à tout ce que ses partisans débitaient sur sa modération. Je me souviens qu’au commencement de la révolution, je me trouvais à la Vera-Cruz dans une réunion où plusieurs personnes vantaient devant le chef politique du département (M. G****) le peu d’ambition de Santa-Anna et son amour du bien public ; ils répétaient avec complaisance ces paroles de Santa-Anna : « Je ne veux que rétablir le calme dans la république et déposer ensuite mon épée ; je refuserais même la présidence si j’y étais appelé. » — « Que je croie à la modération du général, dit M. G****, moi qui l’ai vu ivre de joie quand ses soldats l’ont salué du nom d’imperador (Antonio i, empereur) dans une des révolutions précédentes ! »
  6. M. Arthur Short, lieutenant de vaisseau en demi-solde de la marine anglaise, était en prison à l’Acordada depuis plus de deux ans ; pendant la mêlée, il fut tué dans sa chambre, sans qu’on sache positivement à quoi doit être attribuée sa mort. Seulement, son cadavre portait les traces d’une mort violente et douloureuse. Il s’était marié en 1827 à dona Maria de la Luz Iriarte, fille du riche Francisco Iriarte ; le père, irrité de ce mariage, avait tout tenté pour en obtenir la cassation, mais ses efforts ayant été vains, il avait prodigué l’or pour retenir son gendre en prison.