Rêve d’été (Carducci)

La bibliothèque libre.
Traduction par F.-T. Marinetti.
Vers et Prosetomes 5-8, 1906-1907 (p. 79-81).


RÊVE D’ÉTÉ

(Sogno d’estate)



C’est parmi le fracas rythmé de tes batailles,
Homère, que le poids de la chaleur solaire
vainquit mon corps, et j’inclinais ma tête
assoupie sur les bords parfumés du Scamandre !…
Mais mon cœur s’évada vers la mer Tyrrhénienne.

Et j’ai rêvé longtemps aux paisibles douceurs
de mon enfance… et j’oubliais mes livres en rêvant.
La chambrette embrasée par un soleil torride
et toute secouée par les sursauts tonnants
des chariots sur les dalles s’élargit brusquement.
Et voici qu’à miracle je vis autour de moi
surgir tous mes coteaux aux versants escarpés
que l’Avril puéril éclaboussait de fleurs…
Par la pente adoucie des prairies vers la mer
descendait doucement un murmure d’eau vive
qui se muait en frais ruisseau… et sur la rive
j’ai revu tout à coup ma mère épanouie
de force, qui marchait en traînant par la main
un jeune enfant tout ruisselant de boucles d’or.
L’enfant marchait à petits pas glorieux
tout fier d’être abrité par cet amour sans bornes

et le cœur inondé par la fête exaltante
que la nature auguste menait avec splendeur
en déchaînant le cœur sonore de ses cloches.
Car le bronze chantait au beffroi du château
pour annoncer la pure ascension du Christ.

Dans les plaines et sur les cimes vaporeuses,
sur l’ondoyant froufrou des forêts riveraines
courait avec souplesse en déferlant
la mélodie surnaturelle du printemps.
Les pêchers se couvraient de leur neige odorante,
les pommiers se paraient d’une robe de sang.
L’herbe égrenait ses sourires couleur d’azur.
La boule éblouissante des genêts et des trèfles
baignait de pourpre et d’or la pente des collines.
Leurs fleurs et leurs parfums se balançaient d’ivresse
au gré d’un vent suave qui venait de la mer.
Sur la mer s’avançaient mollement en cadence
quatre voiles légères aux blancheurs idéales
avec un doux roulis de berceau, dans l’immense
auréole de flamme dont le soleil prodigue
enveloppait la mer et la terre et les cieux.

Je regardais ma mère se griser en marchant
parmi l’extase ensoleillée de la nature,
et mes yeux nostalgiques s’attardaient par instants
sur mon frère adoré qui maintenant repose
sur un coteau fleuri que l’Arno jaune arrose.
Elle dort aujourd’hui aux profondeurs de la Chartreuse.
Mais je me demandais en rêve alors
s’ils respiraient tous deux l’air pur qui nous anime,
ou si plutôt, pour consoler ma douleur solitaire,

ils n’étaient point venus de la patrie céleste
qui fait revivre le bonheur de nos années défuntes,
parmi l’amour ressuscité de ceux que nous aimâmes.

Voici que le sommeil emporte en s’en allant
les ombres adorées, cependant que Laurette
emplit de joie folâtre la chambrette sonore,
et que, penchée sur son métier, Bice suit de la tête
le va-et-vient de son aiguille.

GIOSUÉ CARDUCCI
Traduction en vers de F.-T. MARINETTI