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Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Premier livre/Chapitre 01

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 11-33).
Livre premier


CHAPITRE PREMIER.
DE L’ÉGLISE ET DE SES PARTIES.


La première chose, c’est que nous voyons d’abord ce qui concerne l’Église et ses parties.

I. Donc, il faut remarquer, touchant les Églises, que l’une est corporelle, c’est à savoir celle dans laquelle on célèbre les Divins Offices ; l’autre est spirituelle, et c’est l’assemblée des fidèles ou le peuple convoqué par les ministres du Christ, et rassemblé dans un même lieu par celui qui fait habiter dans sa maison tous ceux qui professent le même culte et les mêmes sentiments. Et, de même que l’église corporelle ou matérielle est construite de pierres jointes ensemble ; ainsi, l’Église spirituelle forme un tout composé d’un grand nombre d’hommes différents d’âge et de rang.

II. Or, Ecclesia, qui est un mot grec, veut dire en latin convocatio (convocation ou assemblée)[1], parce que l’Église appelle tous les hommes à elle, et ce nom convient plus proprement à l’Église spirituelle qu’à l’église corporelle ; car on assemble et l’on convoque les hommes et non les pierres ; mais cependant il arrive souvent que le nom de la chose représentée est attribué à sa représentation, et l’église matérielle représente l’Église spirituelle, comme on le dira lorsqu’on traitera de sa consécration. Le mot Ecclesia, en grec, signifie encore que l’Église est catholique, c’est-à-dire universelle, parce qu’elle est établie ou répandue par tout l’univers entier, et parce que tous ceux qui croient en Dieu doivent se réunir’ dans une seule et même assemblée, ou bien parce l’Église catholique possède en elle une doctrine universelle pour l'instruction de tous les fidèles.

III. Sunagôgè[2], qui est aussi un mot grec, veut encore dire assemblée, et ce nom fut propre au peuple juif ; car leur réunion a coutume d’être appelée Sunagôgè, quoiqu’elle ait même été encore appelée église. Cependant les apôtres n’ont jamais appelé la réunion des fidèles du nom de synagogue, mais toujours église, et c’est peut-être pour les distinguer l’une de l’autre.

IV. Et l’Église d’à présent est appelée Sion, parce que, à cause du pèlerinage de cette vie, placée loin de la promesse des biens du ciel, les hommes l’attendent et la contemplent, et voilà pourquoi elle a reçu le nom de Sion, c’est-à-dire attente ; et, à cause de la patrie et de la paix à venir auxquelles l'Église tend, elle est appelée Jérusalem ; car Jérusalem est interprété vision de la paix. L’église est dite aussi la maison de Dieu, (domus Dei), et ce nom vient de Diogmati, qui signifie, en grec, droit, comme si l’on voulait exprimer par là que Dieu accorde aux hommes la grâce de demeurer unis par les mêmes sentiments dans son sein. On l’appelle aussi parfois Kuria, c’est-à-dire demeure du Seigneur. Quelquefois Basilikè en grec, dont le sens est en latin la cour ou le palais du roi, c’est-à-dire la demeure royale ; et les palais des rois de la terre sont ainsi nommés ; mais notre maison, qui est une maison de prières, est appelée demeure royale, parce que, dans son enceinte, on vient faire sa cour au Roi des rois. Quelquefois on donne à l’église le nom de temple (templum), comme si l’on disait un toit large et étendu (quasi tectum amplum), à l’abri duquel nous offrons des sacrifices à Dieu notre Roi, et parfois le tabernacle ou la tente de Dieu (Dei tabernaculum) ; et ce n’est pas sans raison, parce que sur cette terre notre vie présente est un pèlerinage et qu’elle marche vers la patrie, comme on le dira bientôt ; et elle est appelée Tabernacle, comme si l’on disait l’étape de Dieu (taberna Dei), comme on l’expliquera en parlant de la Dédicace de l’Église. Au Traité de l’autel, on montrera pourquoi elle a été aussi appelée le Tabernacle ou l’Arche du témoignage, et parfois elle prend le nom de martyrium (martyre), quand elle est bâtie en l’honneur de quelque martyr. Quelquefois le nom de chapelle, comme on le dira dans la seconde partie, au Traité du prêtre. Quelquefois cœnobium (couvent), quelquefois sacrificium (sacrifice), quelquefois sanctuaire, quelquefois maison de prière, quelquefois monastère (monasterium)[3], et quelquefois oratorium (oratoire). Généralement, cependant, tout lieu établi pour prier peut être appelé oratorium (oratoire). L’Église est encore quelquefois appelée le corps du Christ ; quelquefois même elle est dite Vierge, selon cette parole : « Je suis jaloux de votre honneur, de la jalousie du Christ ; car j’ai promis de vous garder comme une vierge chaste, pour un seul homme, qui est le Christ. » Quelquefois elle est dite l’Épouse que le Christ s’est fiancée dans la foi, et dont il dit dans l’Evangile : « Celui qui a fiancé une vierge est son époux. » Quelquefois on l’appelle du nom de Mère, parce que chaque jour elle enfante à Dieu, dans le baptême, des fils spirituels ; quelquefois elle est appelée Fille, selon cette parole du prophète : « Pour remplacer tes ancêtres, des fils te sont nés. » De même, elle est appelée Veuve parfois, parce qu’à cause des afflictions qui pèsent sur elle, elle s’habille de deuil, et que, comme Rachel, elle ne peut se consoler ; quelquefois elle est représentée sous l’image d’une Courtisane (Meretrix), à cause de l’Église rassemblée parmi les nations, et parce qu’elle ne ferme son sein à personne de ceux qui reviennent à elle[4]. Quelquefois on l’appelle Cité, à cause de la communion des saints, ses citoyens ; ont dit aussi qu’elle est garnie de murailles, à cause du rempart des Ecritures dont elle se sert pour repousser les attaques des hérétiques ; enfin, elle est faite de pierres et de bois de différente sorte, parce que les mérites de chacun de ses habitants sont différents, comme on le dira bientôt ; et tout ce que la synagogue a reçu par la loi, l’Église le reçoit maintenant par la grâce du Christ dont elle est l’Épouse, et elle le change en mieux par l’usage qu’elle en fait. Assurément, l’institution et le plan d’un oratoire ou d’une église ne sont pas nouveaux ; car le Seigneur commanda à Moïse, sur le mont Sinaï, de faire un tabernacle avec des tapisseries merveilleusement tissues et brodées, et il était divisé par un voile interposé en deux parties, dont la première, où le peuple sacrifiait, était appelée le saint ou la sainte, et l’intérieure, où le prêtre et les lévites faisaient leur office, était dite le Saint des saints, comme on le dira dans la Préface de la quatrième partie de cet ouvrage.

V. Et après que ce tabernacle eut été usé par la longueur des années, et en quelque sorte consumé de vieillesse, le Seigneur ordonna de faire un temple que Salomon édifia d’une manière et d’un travail merveilleux ; et il y avait deux parties comme dans le tabernacle. C’est de l’un et de l’autre, à savoir du tabernacle et du temple, que notre église matérielle a pris sa forme. Dans sa partie antérieure, le peuple écoute et prie, et dans le sanctuaire le clergé prie, prêche, chante, et administre les choses saintes.

VI. Et le tabernacle qui fut fait pendant le voyage d’Israël représente la figure du monde qui passe avec sa concupiscence. Il est aussi constant que les quatre couleurs des voiles de l’un et de l’autre expriment comment le monde est composé de quatre éléments. Donc, Dieu dans le tabernacle, c’est Dieu dans ce monde, comme dans le temple rougi du sang du Christ ; et le tabernacle offre clairement le type de l’Église militante, qui n’a pas ici-bas de cité permanente, mais qui cherche la cité future ; et c’est pour cela qu’elle est appelée tabernacle (tahernaculum) ou tente, parce que les tentes (tahernacula) sont les maisons des soldats. Or, Dieu dans le tabernacle, c’est Dieu au milieu des fidèles rassemblés en son nom. La première partie du tabernacle, dans laquelle le peuple sacrifiait, c’est la vie active à laquelle le peuple s’exerçait par l’amour du prochain ; l’autre partie, dans laquelle les lévites faisaient leur service, c’est la vie contemplative à laquelle s’occupe l’âme pure et sincère des hommes religieux par l’amour et la contemplation de Dieu ; le tabernacle tombe pour faire place au temple, parce que du combat on court à la victoire et au triomphe.

VII. Or, voici comment on doit construire une église. Après avoir préparé la place des fondements, selon cette parole : « La maison du Seigneur est bien fondée sur la pierre ferme, » l’évêque ou le prêtre qui en a obtenu la permission doit y répandre de l’eau bénite, pour chasser de ce lieu les fantômes des démons, et placer dans la fondation la première pierre, sur laquelle on aura gravé et fait le signe de la croix.

VIII. Elle doit être aussi bâtie de telle sorte que la tête regarde droit vers l’Orient ; on parlera de cela dans la préface de la cinquième partie. Le chevet de l’église sera donc tourné vers le lever équinoxial du soleil, pour signifier que l’Église, qui combat sur la terre, doit se conduire avec modération et égalité d’ame dans la joie comme dans les afflictions ; et il ne faut pas tourner le chevet vers le lever du solstice, comme font quelques-uns. Au reste, si les murs de Jérusalem, qui est bâtie comme une cité, doivent être élevés par les Juifs selon l’ordre du Seigneur, comme le dit le prophète, avec combien plus de raison aussi devons-nous édifier les murs de notre église ?

IX. Car l’église matérielle dans laquelle le peuple se rassemble pour louer Dieu représente la sainte Église qui est construite dans les cieux de pierres vivantes, comme nous l’avons déjà dit. C’est la maison du Seigneur bâtie solidement, dont le fondement est le Christ, qui est la pierre angulaire ; fondement sur lequel a été placé celui des apôtres et des prophètes, comme il est écrit : « Ses fondements sont dans les montagnes saintes. » Les murailles bâties sur ces fondements sont les Juifs et les gentils qui sont venus au Christ des quatre parties du monde, et qui ont cru, croient ou croiront en lui. Mais les fidèles, prédestinés à la vie éternelle, sont les pierres employées à la structure de ce mur, qui sera toujours élevé et construit jusqu’à la fin de ce monde. Et une pierre est posée sur une pierre quand ceux qui enseignent dans l’église se chargent avec zèle des enfants pour les enseigner, pour les reprendre et pour les fortifier dans la foi. Et dans la sainte Église, celui qui porte du secours à son frère dans ses peines est chargé de pierres qu’il porte pour l’édifice de la maison spirituelle de Dieu. Et les pierres plus grosses que les autres, et celles qui sont polies ou unies, que l’on place au dehors de l’édifice et entre lesquelles on met les pierres qui sont plus petites, représentent les hommes plus parfaits que les autres, et qui, par leurs mérites et par leurs prières, retiennent leurs frères plus faibles dans la sainte Église.

X. Or, le ciment, sans lequel le mur ne peut être durable et ferme, est fait de chaux, de sable et d’eau. La chaux, c’est la charité brûlante qui s’unit le sable, c’est-à-dire les choses de la terre et leur affection ; parce que la véritable charité a une très-grande sollicitude dans laquelle elle mêle et confond les veuves, les vieillards, les orphelins, les faibles ; et voilà pourquoi les fidèles s’appliquent à travailler des mains, afin d’avoir de quoi leur faire du bien. Mais, de même que la chaux et la terre, employées à l’édification du mur, afin que ses pierres ne s’écroulent pas, sont liées ensemble et conglutinées par l’eau qu’on y introduit (car l’eau est esprit), et, de même encore que sans ciment les pierres du mur ne tiennent pas ensemble et ne peuvent pas constituer la solidité du même mur, ainsi les hommes ne peuvent être joints ensemble pour l’édification de la muraille de la céleste Jérusalem sans la charité que produit l’Esprit-Saint en eux. Toutes les pierres du mur, polies et carrées, représentent les saints, c’est-à-dire les hommes purs qui, par les mains du suprême Ouvrier, sont disposés pour demeurer toujours dans l’Église ; parmi ces hommes, quelques-uns sont portés et ne portent pas : ce sont les plus faibles et ceux qui ont le moins d’expérience dans l’Église ; les uns sont portés et portent : ce sont les pierres spirituelles du milieu du mur et les médiateurs de leurs frères auprès de Dieu ; les autres, et ce sont les hommes parfaits, portent seulement et ne sont portés que par le Christ lui seul, qui est l’unique fondement de l’Église spirituelle. Et une seule charité les unit tous, comme avec un même ciment, jusqu’à ce que, devenus les pierres vivantes de la céleste Sion, ils soient assemblés par le lien de la paix. Le Christ a été notre mur par sa vie et notre rempart par sa passion.

XI. Or, pendant que les Juifs construisaient les murs de Jérusalem, ils avaient contre eux des ennemis qui voulaient empêcher leur ouvrage (comme on le lit dans Esdras, Néhémie, iv), et ils étaient tellement incommodés par eux, que d’une main ils posaient les pierres sur le mur, et que de l’autre main ils combattaient contre les ennemis. Et nous aussi, qui bâtissons les murs de l’Église, nous sommes en butte aux ennemis sortis de notre sein et qui nous entourent ; ce sont les vices ou les hommes pervers qui veulent nous empêcher de faire le bien. C’est pourquoi, en bâtissant les murs de l’Église, c’est-à-dire en pratiquant les vertus du Christ, nous devons chasser les ennemis, et, selon la coutume du peuple juif et à son exemple, nous devons tenir d’une main l’épée de la parole de Dieu, et nous revêtir enfin nous-mêmes du bouclier de la foi, de la cuirasse de la justice et du casque du salut, afin de nous défendre contre eux, avec l’aide du berger ou du prêtre qui représente le Christ au milieu de nous, et qui nous instruira selon son devoir et nous fortifiera par la prière.

XII. Enfin, le Seigneur montra à Moïse, dans l'Ancien-Testament, de quelles matières devait être fait le tabernacle, lorsqu’il lui dit dans l’Exode : « Prends les prémices, c’est-à-dire tout ce qui est précieux parmi le peuple d’Israël ; mais reçois cela de celui seulement qui l’offrira de lui-même et au-delà de ce qu’il faut, savoir : l’or, l’argent, l’airain, l’hyacinthe, la pourpre et l’écarlate deux fois teinte, c’est-à-dire des étoffes couleur d’hyacinthe, de pourpre, d’écarlate et de bysse, qui est une espèce de lin d’Egypte, souple et blanc, et des toisons de chèvres et des peaux de béliers teintes en rouge, que nous appelons toisons et peaux de Parthie, parce que les Parthes ont pensé les premiers à les colorer ainsi, et des peaux de la couleur d’hyacinthe, et des « bois de Sethin. »

XIII. Or, Sethin est le nom d’une montagne et d’un arbre qui est semblable à l’épine blanche pour les feuilles, et c’est un bois très-léger et incorruptible, et qui ne peut brûler ; Dieu ajouta à cela : « L’huile pour les lampes, des aromates, des parfums et de l’encens d’une odeur agréable et des pierres d’onyx, et qu’on me fasse un sanctuaire orné de sardonix et de pierres précieuses, afin que j’habite au milieu d’eux et qu’ils ne redoutent plus d’accourir à cette montagne. » C’est ainsi que le maître et le docteur des Juifs raconte toutes ces choses dans leur histoire, au livre de l’Exode.

XIV. Et la disposition de l’église matérielle représente la forme du corps humain, car le cancel ou le lieu où est l’autel représente la tête, et la croix de l’une et de l’autre partie les bras et les mains ; enfin, l’autre partie qui s’étend depuis l’occident, tout le reste du corps[5]. Le sacrifice de l’autel signifie le vœu du cœur, et, selon Richard de Saint-Victor, la disposition de l’église signifie le triple état de ceux qui doivent être sauvés dans l’Église : l’ordre des vierges, le chœur des continents, le corps des époux. En effet, le sanctuaire est plus étroit que le chœur, et le chœur que le corps de l’église, parce que les vierges sont en plus petit nombre que les continents, et ceux-ci que les époux. Aussi, l’endroit du sanctuaire est plus saint que le chœur, et le chœur que le corps de l’église ou la nef, parce que l’ordre des vierges est plus juste et plus saint que celui des continents, et ce dernier que celui des époux.

XV. Outre cela, l’église se dresse sur quatre murailles, c’est-à-dire qu’elle s’élève par la doctrine des quatre évangélistes. Elle est longue, large et s’élève en haut, c’est-à-dire aux plus hautes vertus ; sa longueur, c’est la longanimité qui supporte patiemment les adversités, jusqu’au moment où elle parviendra à la patrie céleste ; sa largeur, c’est la charité qui, dilatant et élargissant l’ame des hommes, chérit ses amis en Dieu et ses ennemis pour Dieu ; la hauteur de la nef, c’est l’espérance de la récompense à venir, qui lui fait mépriser le bonheur et le malheur de ce monde, jusqu’à ce qu’elle voie les biens du Seigneur dans la terre des vivants.

XVI. Le fondement du temple de Dieu ou de la grâce, c’est la foi, qui consiste à croire ce que l’on ne voit pas. Le toit représente la charité qui couvre la multitude des péchés. La porte est l’obéissance dont le Seigneur dit : « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. » Le pavé est l’humilité dont le Psalmiste dit : a Mon ame est restée collée « au pavé. »

XVII. Les quatres murailles latérales sont les quatre principales vertus de la Religion : la Justice, la Force, la Prudence et la Tempérance. Ces vertus sont également, dans l’Apocalypse, les quatre parois de la cité de Dieu. Les fenêtres expriment l’hospitalité exercée avec joie, et la miséricorde accompagnée de la largesse. C’est de cette maison que le Seigneur a dit : « Nous viendrons à elle ; et nous ferons notre demeure au dedans d’elle. » Certaines églises sont faites en forme de croix, pour montrer que nous devons être crucifiés au monde ou suivre le Christ mis en croix pour nous, selon cette parole : « Que celui qui veut venir à ma suite se renonce lui-même, et qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. » Quelques églises même sont bâties en forme de rotondes et décrivent comme un cercle ; cela signifie que l’Église s’est étendue et dilatée par tout le cercle de l’univers. Sur quoi nous pouvons citer cette parole : « et leurs voix se feront entendre jusqu’aux extrémités du monde, » ou bien, parce que du cercle de l’univers nous parvenons au cercle de la couronne de l’éternité.

XVIII. Le chœur des clercs est l’endroit où ils se réunissent pour chanter en commun, ou la multitude du peuple rassemblée pour assister aux saints mystères. Le chœur (chorus) a pris son nom de chorea (danse) ou de corona (couronne). En effet, autrefois les clercs se tenaient debout autour des autels, en forme de couronne, et chantaient ainsi, sur le même ton, les psaumes ; mais Flavianus et Theodorus établirent qu’ils chanteraient ou psalmodieraient alternativement, étant instruits à ce sujet par Ignace, qui, sur cela, avait été d’abord instruit par Dieu. Donc, les deux chœurs des chanteurs désignent les anges et les esprits des justes qui louent Dieu avec une volonté réciproque, et qui s’exhortent mutuellement entre eux à faire le bien. Les uns tirent le mot (chorus) chœur de (concordia) la concorde, ou mieux l’accord qui consiste et qui existe dans la charité, car celui qui n’a pas la charité ne peut pas chanter convenablement. Et ce que ce chœur, signifie, et pourquoi les plus âgés et les plus élevés en dignité y siègent les derniers et à la place la plus basse, sera dit dans la quatrième partie, à l’Introït et sous la rubrique de l’entrée du pontife à l’autel. Et remarque que, lorsqu’un seul clerc chante, cela s’appelle en grec monodia, et en latin tycinium. Et lorsque deux clercs chantent ensemble, on appelle cela bicinium ; enfin, quand les chanteurs sont en grand nombre, on appelle leur mélodie unanime chorus, chœur.

XIX. L’exedra ou le chapitre, lieu de réunion, est une enceinte voûtée un peu séparée d’un temple ou d’un palais, et, parce qu’elle est en dehors des murs, auxquels elle tient cependant, on l’appelle en grec Exedra, et elle représente les fidèles laïques qui sont attachés au Christ et à l’Église. Les cryptes ou voûtes souterraines que l’on pratique dans certaines églises, ce sont les ermites, qui mènent une vie plus retirée que les autres hommes.

XX. Le porche de l’église[6] signifie le Christ par qui s’ouvre pour nous l’entrée de la céleste Jérusalem ; il est appelé aussi portique (porticus), de la porte (à portâ), ou de ce qu’il est ouvert à tous comme un port (à portu).

XXI. Les tours de l’église sont les prédicateurs et les prélats de l’Église qui forment son rempart et la défendent. C’est pour cela que l’époux parle ainsi à l’épouse dans les cantiques d’amour : « Ton cou, semblable à la tour de David, est élevé et garni de machines de guerre et d’armes pour les combats. » Le pinacle ou le sommet de la tour représente la vie ou l’ame du prélat qui tend aux choses élevées.

XXII. Le coq, placé sur l’église, est l’image des prédicateurs, car le coq veille dans la nuit sombre, partage les heures par son chant, réveille ceux qui dorment, célèbre le jour qui s’approche ; mais d’abord il se réveille et s’excite lui-même à chanter, en battant ses flancs de ses ailes. Toutes ces choses ne sont pas sans mystère ; car la nuit, c’est ce siècle ; ceux qui dorment, ce sont les fils de cette nuit, couchés dans leurs iniquités ; le coq représente les prédicateurs qui prêchent à voix haute et réveillent ceux qui dorment, afin qu’ils rejettent les œuvres de ténèbres, et ils crient : « Malheur à ceux qui dorment ! Lève-toi, toi qui dors ! » Ils annoncent la lumière à venir, lorsqu’ils prêchent le jour du jugement et la gloire future ; mais, pleins de prudence, avant de prêcher aux autres la pratique des vertus, ils se réveillent du sommeil du péché et châtient leur propre corps. L’Apôtre lui-même en est témoin, quand il dit : « Je châtie mon corps, et je le réduis en servitude, de peur que par hasard, après avoir prêché aux autres, je ne vienne moi-même à être réprouvé. » Et de même que le coq, les prédicateurs se tournent contre le vent, quand ils résistent fortement à ceux qui se révoltent contre Dieu, en les reprenant et en les convainquant de leurs crimes, de peur qu’ils ne soient accusés d’avoir fui à l’approche du loup. La verge de fer sur laquelle le coq est perché représente la parole inflexible du prédicateur, et montre qu’il ne doit pas parler de l’esprit de l’homme, mais de celui de Dieu, selon cette parole : « Si quelqu’un parle, que ce soit les discours de Dieu, etc. » Et parce que cette verge elle-même est posée au-dessus de la croix ou du faîte de l’église, cela signifie que les Écritures sont consommées et confirmées. Voilà pourquoi le Seigneur dit dans sa Passion : « Tout est consommé. » et le nom du Christ a été écrit d’une manière ineffaçable sur le livre des nouvelles Écritures.

XXIII. Le dôme, c’est-à-dire le sommet du temple élevé et rond sur lequel on pose la croix, signifie, par sa forme ronde, avec quelle perfection et quelle inviolabilité la foi catholique doit être prêchée et pratiquée ; car, si on ne la garde entière et sans tache, on mourra pour toujours dans l’éternité.

XXIV. Les fenêtres de l’église, qui sont faites d’un verre transparent[7], sont les divines Écritures qui repoussent le vent et la pluie, c’est-à-dire qui empêchent d’entrer dans l’église ce qui pourrait nuire à l’édifice et aux fidèles qui y sont rassemblés. Et, tandis qu’elles livrent passage à la clarté du vrai soleil (qui est Dieu) dans l’église, c’est-à-dire dans le cœur des fidèles, elles illuminent ceux qui habitent dans son sein. Elles sont plus larges au dedans ; parce que le sens mystique est plus étendu et surpasse le sens littéral. Les fenêtres représentent encore les cinq sens du corps ; leur forme signifie qu’ils doivent être resserrés au dehors, afin de ne pas attirer en eux les vanités de ce monde, et s’épanouir au dedans pour recevoir plus largement et plus libéralement les dons spirituels.

XXV. Les grillages qui sont devant les fenêtres nous représentent les prophètes et les autres docteurs obscurs de l’Église militante ; parfois, pour figurer les deux préceptes de la charité, on place deux colonnes jumelles de chaque côté des fenêtres ; cela signifie aussi que les apôtres furent envoyés deux par deux ensemble pour prêcher l’Évangile aux nations.

XXVI. La porte de l’église, c’est le Christ. Et voilà pourquoi on lit dans l’Évangile : « Je suis la porte, dit le Seigneur. » Les apôtres sont aussi les portes de l’église. Le mot ostium (porte) vient de obsistendo (se présenter en face à ceux qui sont dehors), ou de obsidendo (gagner, prendre ceux qui sont dehors), ou de ostendendo (leur montrer l’entrée). Et le battant de la porte (valva) vient de (volvere) rouler, et porte (porta) de (portando) porter, parce que c’est par elle que l’on porte et que l’on apporte dans l’église tout ce qu’on offre à Dieu.

XXVII. Et les colonnes de l’église, ce sont les évêques et les docteurs qui soutiennent le temple de Dieu par la doctrine catholique, comme les évangélistes soutiennent spirituellement le trône de Dieu. Et ceux-ci, à cause du son retentissant de la parole divine dont ils sont les échos, sont appelés des colonnes d’argent, selon cette parole du Cantique des cantiques : « Il fit à sa demeure des colonnes d’argent. » Nous lisons aussi que Moïse plaça à l’entrée du tabernacle cinq colonnes et quatre devant l’oracle, c’est-à-dire le Saint des saints ; ce qui sera expliqué dans la sixième partie, au chapitre du Temps de l’Avent. Bien qu’il y ait un grand nombre de colonnes dans l’église, on dit cependant qu’il n’y en a que sept, selon cette parole : « La Sagesse s’est bâtie une maison, et elle y a taillé et placé sept colonnes ; » cela signifie que les évêques doivent être remplis de la grâce des sept dons de l’Esprit-Saint, etc. « Jacques et Jean (comme dit l’Apôtre) paraissaient des colonnes. » Les bases des colonnes figurent les évêques, successeurs des apôtres, qui supportent tout le poids de l’église. Le sommet des colonnes, c’est l’esprit des évêques et des docteurs. Car de même que les membres sont conduits par la tête, ainsi nos paroles sont dirigées par notre esprit et par nos œuvres. Les chapiteaux sont les paroles de la sainte Écriture que l’Église nous fait un devoir de méditer, et auxquelles nous sommes obligés de conformer nos actions, en les observant.

XXVIII. Le pavé de l’église représente le fondement de notre foi. Or, dans l’Église spirituelle, le pavé, ce sont les pauvres du Christ, à savoir, les pauvres en esprit qui s’humilient en toutes choses ; c’est pourquoi, à cause de leur humilité, ils sont assimilés au pavé. Le pavé que l’on foule aux pieds représente encore le peuple par le travail duquel l’Église est nourrie et entretenue.

XXIX. Les poutres qui lient les murs de l’édifice sont les princes et les prédicateurs du siècle, qui défendent et fortifient l’unité de l’Église, les uns par la parole, les autres par l’action.

XXX. La miséricorde de la stalle de l’église représente les contemplatifs dans l’ame desquels Dieu repose sans offense, et qui, à cause de leur très-grand mérite, contemplent aussi d’avance la splendeur de la vie éternelle, et sont comparés à l’or pour l’éclat de leur sainteté. C’est dans ce sens qu’on lit dans les cantiques la parole suivante : « Il fit un lit de repos en or. »

XXXI. La charpente de l’église figure les prédicateurs qui rélèvent et la soutiennent spirituellement. Les arceaux et leurs nervures, ce sont encore les prédicateurs, parce qu’ils ornent et fortifient la maison de Dieu, et parce que la pourriture des vices ne doit pas atteindre leurs âmes ; c’est d’eux que l’épouse se glorifie dans les mêmes cantiques, lorsqu’elle dit : « La charpente de nos demeures est de cèdre, et nos lambris sont de cyprès. » En effet, Dieu se construit une église de pierres vivantes et de bois incorruptibles, selon cette parole : « Le roi Salomon se fît un palais de bois du Liban. » C’est-à-dire le Christ a bâti sa demeure avec les saints purifiés et devenus incorruptibles par la chasteté. Nous parlerons de cela ailleurs à l’article des peintures. Le sanctuaire, c’est-à-dire la tête de l’église, qui est plus bas que le reste du corps de l’Église mystique, signifie la grande humilité que doit posséder le clergé ou le prélat, selon Cette parole : « Plus tu es grand, plus tu dois t’humilier en toutes choses. » Les balustres par lesquels l’autel est séparé du chœur signifient la séparation qu’il doit y avoir entre les choses de la terre et celles du ciel. On parlera, à l’article des Peintures, du sanctuaire ou de la clôture qui environne le chœur.

XXXII. La stalle, sur laquelle on s’asseoit dans le chœur, signifie que quelquefois il faut que le corps se délasse et que l’esprit se récrée, parce que le travail et l’ardeur que ne vient pas tempérer un repos alternatif avec eux ne sont pas durables.

XXXIII. Le pupitre placé dans l’église, c’est la vie des hommes parfaits, et on l’appelle ainsi pour signifier en quelque sorte un pupitre public, ou placé dans un lieu public et exposé aux regards de tous. En effet, nous lisons ces mots dans les Paralipomènes : « Salomon fit une tribune d’airain, la plaça au milieu du temple, et, se tenant debout dessus et étendant la main, il parlait au peuple de Dieu. » Esdras fit aussi un degré de bois pour y parler, et, lorsqu’il y montait, il était élevé au-dessus de tout le peuple.

XXXIV. On donne encore à ce pupitre le nom d’analogium, parce qu’on y lit et qu’on y annonce la parole de Dieu ; car logos, en grec, veut dire la parole ou règle ; on l’appelle aussi ambon (ambo), de ambiendo, entourer, parce qu’il entoure comme d’une ceinture celui qui y monte. Nous en parlerons dans la quatrième partie, au chapitre de l’Évangile.

XXXV. L’horloge (horologium), sur laquelle on lit et on compte les heures (horœ leguntur), signifie l’empressement et le soin que les prêtres doivent avoir à dire les Heures canoniques au temps voulu, selon cette parole : « Sept fois par jour je te louai, Seigneur »[8].

XXXVI. Les tuiles du toit, qui empêchent la pluie de pénétrer dans l’édifice sacré, ce sont les soldats et les chevaliers qui protègent et défendent l’Église contre les païens et les attaques des ennemis de la foi.

XXXVII. La vis de l’escalier tournant, construit à l’exemple de celui du temple de Salomon, est le sentier qui rampe invisible autour des murs de l’église, et par lequel nous connaissons, sans être vu de personne, le secret de tous les mystères de l’édifice spirituel, dont la révélation n’appartient qu’à ceux qui s’élèvent jusqu’au ciel, par la méditation de ses biens. Il sera parlé dans le chapitre suivant des degrés par lesquels on monte à l’autel.

XXXVIII. La sacristie, ou l’endroit dans lequel on dépose les vases et les ornements sacrés, et dans lequel le prêtre revêt les vêtements sacrés, représente le sein de la très-sainte Vierge Marie, dans lequel le Christ s’est revêtu du saint vêtement de sa chair. Le prêtre s’avance vers le peuple en sortant du lieu où il a revêtu ses habits, parce que le Christ, en sortant du sein de la Vierge, est venu dans le monde. Le siège de l’évêque, dans l’église, est plus élevé que celui des autres prêtres, comme on le dira dans la seconde partie, au Traité de l’Evêque.

XXXIX. Près de l’autel, qui représente encore le Christ, on place une piscine ou un bassin qui figure la miséricorde du Christ, et on se lave les mains dans ce vase pour exprimer que, dans le baptême et par la pénitence, représentés par ce vase, nous sommes purifiés des souillures des péchés ; et ceci a été imité de l’Ancien-Testament, car on lit dans l’Exode que Moïse fit un bassin d’airain avec sa base, et qu’il le plaça dans le tabernacle, afin qu’Aaron, prêtre du Seigneur, et les lévites, ses fils, s’y lavassent avant de s’approcher de l’autel pour y offrir les parfums.

XL. La lumière qui est allumée dans l’église est la figure du Christ, selon cette parole : « Je suis la lumière du monde, » et Jean dit : « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde. » Et les lampes de l’église signifient les apôtres et les autres docteurs, par la doctrine desquels l’Église resplendit comme le soleil et la lune, et dont le Seigneur a dit : « Vous êtes la lumière du monde, » c’est-à-dire Vous donnez les exemples des bonnes œuvres. C’est pourquoi, en les avertissant, il leur dit : « Que votre lumière luise devant les hommes. » Et c’est d’après les ordres du Seigneur que l’Église est éclairée ; et voilà pourquoi on lit dans l’Exode : « Ordonne aux fils d’Aaron de m’offrir l’huile la plus pure que l’on tire des olives, afin que la lampe brûle toujours dans le tabernacle du témoignage ; » ce dont il sera parlé dans la seconde partie touchant l’acolyte. Moïse fit aussi sept lampes, qui sont les sept dons de l’Esprit saint, qui, dans la nuit de ce monde, éclairent et dissipent les ténèbres de notre aveuglement, et l’on place ces lampes sur des chandeliers, parce que l’esprit de sagesse et d’intelligence, l’esprit de conseil et de force, l’esprit de science et de miséricorde, l’esprit de la crainte du Seigneur, se reposa sur le Christ, qui, rempli de ses dons, prêcha, aux hommes captifs dans le péché, l’intelligence de la liberté des enfants de Dieu. Et la pluralité des lampes dans l’église désigne la pluralité des grâces répandues parmi les fidèles et au dedans de leurs âmes.

XLI. Dans un grand nombre d’endroits, la Croix, insigne du triomphe du Christ, est placée au milieu de l’église, pour exprimer que nous chérissons du plus profond de notre cœur notre Rédempteur, qui, selon Salomon, à cause de son extrême charité, a brisé son corps pour les filles de Jérusalem, et afin que tous, voyant l’étendard de la victoire, disent : « Salut ! toi, le salut de tout l’univers, arbre bienfaisant ; » et pour que jamais l’amour de Dieu ne soit livré par nous à l’oubli, lui qui, pour racheter un esclave, a livré son fils unique, afin que nous imitions le Christ crucifié pour nous. Et la croix est mise dans un endroit élevé pour représenter la victoire du Christ. On parlera de cela, lorsqu’on traitera de la Consécration de l’église. On dira, au Traité des peintures, pourquoi l’église est ornée au dedans et non au dehors.

XLII. Le cloître[9], comme le dit Richard, évêque de Crémone (in Mitrali), a pris son origine de l’endroit où veillaient et où couchaient les lévites, autour du tabernacle, ou du parvis des prêtres, ou du portique, qui était devant le temple de Salomon. Car le Seigneur commanda à Moïse de ne pas compter les lévites dans le dénombrement qu’il fit de la multitude du peuple, mais de les établir sur le tabernacle du témoignage, pour le porter et le garder. C’est à cause de ce précepte du Seigneur que les clercs doivent être, dans l’église, séparés des laïques pendant qu’ils célèbrent les saints mystères. Voilà pourquoi le Concile de Mayence a statué (extrà de vi. et hon. cler., cap. i) que cette partie, qui est séparée de l’autel par des balustres, serait seulement réservée aux clers qui psalmodient. Enfin, de même que le temple représente l’Église triomphante, ainsi le cloître est la figure du paradis céleste, où l’on n’aura qu’un seul et même cœur dans l’amour et dans la volonté de Dieu, où l’on possédera tout en commun, parce que, ce que l’un aura de moins en lui, il se réjouira de l’avoir dans un autre ; car Dieu sera tout pour tous. Voilà pourquoi les réguliers, qui demeurent ensemble dans le cloître, se lèvent la nuit pour aller à l’office divin, et, abandonnant les biens de ce siècle, mettent tout en commun et vivent sans avoir rien en propre.

XLIII. La diversité des demeures et des offices dans le cloître est la diversité des demeures et des récompenses dans le royaume céleste : « Car, dans la maison de mon Père, il y a « beaucoup de demeures, » dit le Seigneur. Et dans le sens moral, le cloître représente la contemplation dans laquelle l’ame se replie sur elle-même, et où elle se cache après s’être séparée de la foule des pensées charnelles, et où elle médite les seuls biens célestes. Dans ce cloître il y a quatre murailles, qui sont le mépris de soi-même, le mépris du monde, l’amour du prochain et l’amour de Dieu. Et chaque côté a sa rangée de colonnes. Car le mépris de soi-même est suivi de l’humiliation de l’ame, de l’affliction de la chair, de l’humilité dans les discours et autres choses semblables. La base de toutes les colonnes est la patience. Dans ce cloître, la diversité des demeures, c’est celle des vertus.

Le chapitre est le secret du cœur. Mais nous en parlerons ailleurs, dans la cinquième partie, à l’article de Prime. Le réfectoire, c’est l’amour de la sainte méditation. Le cellier signifie la sainte Écriture. Le dortoir, la conscience pure. L’oratoire, la vie sans tache. Le jardin, planté d’arbres et d’herbes, représente le grand nombre des vertus ; le puits des eaux vives, l’abondance des dons qui étanchent ici-bas la soif, et qui, dans la vie future, en éteindront entièrement les ardeurs.

XLIV. Quant aux sièges épiscopaux, qui, selon la disposition du bienheureux Pierre, sont consacrés depuis les temps les plus reculés dans chaque ville, ainsi qu’on le dira dans la Préface de la seconde partie ; la dévotion des anciens les a dédiés, non en mémoire des confesseurs, mais à l’honneur des apôtres et des martyrs, et principalement de la bienheureuse Vierge Marie.

XLV. Au reste, voici pourquoi nous nous réunissons dans l’église ; c’est afin de demander à Dieu le pardon de nos fautes et de nous appliquer assidûment à chanter les louanges du Seigneur, comme on le dit dans la Préface de la cinquième partie, et pour y entendre les bons ou les mauvais jugements de l’Évangile, et pour apprendre à connaître Dieu, enfin pour y manger le corps du Seigneur.

XLVI. Dans l’assemblée de l’église, les femmes et leshomnes sont séparés les uns des autres, et Bède nous apprend que cette pratique est venue d’une ancienne coutume des Hébreux ; et c’est pour cela que Joseph et Marie perdirent le divin Enfant, parce que l’un pensait que l’Enfant qu’il ne voyait pas avec lui était avec l’autre. La cause de cette séparation, c’est que, si la chair de l’homme et de la femme étaient réunies de plus près, leurs corps seraient enflammés à la luxure. Voilà pourquoi, lorsque nous devons pleurer en ce lieu nos péchés, il est nécessaire d’éviter ce qui peut leur servir d’aliment et de ne pas penser aux satisfactions de la chair ; et les hommes sont dans la partie du midi, et les femmes du côté du nord ou du nord-est, afin de montrer que les saints les plus fermes dans la foi doivent résister aux plus grandes tentations de ce siècle, tandis que les plus faibles doivent être en butte à de plus petits ou à de moindres assauts ; donc le sexe qui est le plus fort doit se tenir dans un endroit plus découvert et plus exposé, parce que, selon l’apôtre, « Dieu est juste et fidèle dans ses promesses, et qu’il ne souffrira pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces. » Cela tient aussi et se rapporte à la vision de Jean ; il vit, en effet, l’ange de la force qui posa son pied droit sur la mer, car on oppose les membres les plus forts aux plus grands périls ; et, selon les autres, les hommes sont dans la partie antérieure et les femmes dans la partie postérieure, pour exprimer que l’homme est la tête de la femme, et c’est pour cela qu’il est son guide et son chef.

XLVII. La femme doit aussi avoir la tête voilée dans l’église, parce qu’elle n’est pas l’image de Dieu et que c’est par elle que la prévarication a commencé dans le monde, et voilà pourquoi dans l’église, et par respect pour le prêtre (qui est le vicaire du Christ), elle doit se tenir devant lui comme devant son juge, à cause de l’origine de la faute dont elle est accusée ; elle aura donc la tête voilée, et non pas découverte. C’est aussi en raison du même respect qu’il ne lui est pas permis de parler dans l’église devant le prêtre. Mais, autrefois, les hommes et les femmes, s’entretenant la chevelure, venaient dans l’église et y étaient assis nu-tête, pleins de vanité à cause de leurs cheveux, ce qui était déshonnête.

XLVIII. Quelle conversation et quels discours doit-on tenir dans l’église ? L’Apôtre nous l’enseigne lorsqu’il dit : « Parlez-vous à vous-même dans le chant des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels. » L’on voit par là qu’il faut s’y abstenir de paroles superflues, selon ce que dit Chrysostôme : « En entrant dans le palais du roi, compose ton visage et ton port, car les anges du Seigneur sont présents, et la maison de Dieu est pleine de vertus spirituelles. » Et le Seigneur dit à Moïse, et l’ange à Josué : « Ote ta chaussure de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est saint. »

XLIX. Enfin, il faut remarquer que l’église, consacrée à Dieu, protège et défend ceux qui sont accusés d’assassinat lorsqu’ils se réfugient dans son sein, afin de ne pas perdre la vie ou leurs membres, si toutefois ils n’ont pas commis le crime dans l’église ou auprès. Car on lit que Joab s’enfuit dans le tabernacle, et y fut tué malgré qu’il embrassât le coin de l’autel. Une église non consacrée, mais dans laquelle on célèbre les divins offices, jouit du même privilège.

L. Mais le corps du Christ ne protège ni les criminels qui le reçoivent, ni ceux qui se réfugient près de lui, autant parce que ce privilège est accordé à l’Église et qu’il ne faut pas l’étendre à d’autres choses, que parce que l’Eucharistie est la nourriture de l’ame et non celle du corps ; et voilà pourquoi elle sauve et délivre l’ame et non le corps.

LI. Il y a trois causes pour lesquelles les églises peuvent être changées d’un lieu à un autre. Premièrement, à cause d’une persécution. Secondement, à cause de la difficulté et de la distance des lieux ; par exemple, pour l’intempérie de l’air ou du climat. Troisièmement, lorsqu’elles sont troublées par le voisinage des méchants qui vont jusqu’à s’y réunir, et ces changements ont lieu alors, tantôt avec l’avis du pape, et tantôt avec celui de l’éveque. On dira, dans la Préface de la cinquième partie, pourquoi l’on se munit du signe de la croix en entrant dans l’église.

  1. Note 1 page 301.
  2. Note 2 page 303
  3. Note 3 page 304.
  4. « Quandoque meretrix figuratur, propter ecclesiam de gentibus congregatam, et quia nulli claudit gremium redeanti ad se. » Magnifique image, sublime et consolante pensée ! Ces comparaisons, qui choquent quelquefois nos oreilles et notre esprit, n’alarmaient pas un siècle chaste sans pruderie, naïf comme l’enfant qui appelle tout par son nom. Le livre inspiré de Dieu, la Bible est remplie de ces pensées qui empruntent leurs couleurs à des choses dont notre faiblesse s’effraie, mais qui, loin d’épouvanter les siècles de foi, faisaient jaillir des sermons de saint Bernard des traits dont la traduction nous est défendue aujourd’hui, grâce à notre extrême civilisation, et dont voici un énergique exemple : « Attende homo, quid fuisti ante ortum, et quid es ab ortu usque ad occasum, atque quid eris post hanc vitam. De vili materia factus, et vilissimo panno involutus, menstruali sanguine in utero materno fuisti nutritus, et tunica tua fuit pellis secundina : sic indutus et ornatus venisti ad nos !… Unde superbis homo, cujus conceptio culpa, nasci pœna, labor vita, necesse mori ? Cur carnem tuam pretiosis rebus impinguas et adornas, quam post paucos dies vermes devoraturi sunt in sepulcro ? Animam vero tuam non adornas bonis operibus, quee Deo et angelis ejus praesentanda est in cœlis ? (*)
      Peut-on imaginer rien de plus hardi : la chaire évangélique seule a pu retentir de ces accents ; seule elle a pu, par la bouche de ses ministres, toucher à toutes les misères de l’homme sans le faire rougir ; car c’était près de l’autel, et dans les livres inspirés de l’Évangile et des Pères de l’Église dont saint Bernard fut le dernier, que le peuple chrétien, hommes, femmes et enfants, entendaient ou lisaient ces choses qui révoltent à présent notre pauvre intelligence, depuis que nous avons remplacé la foi par la raison et ses tristes erreurs.

      (*) Ce passage admirable de la troisième Méditation de saint Bernard est imité lui-même des Soliloques de saint Augustin ; Gerson l’a développé dans un de ses ouvrages intitulé : le Miroir d’Humilité (Speculum humilitatis). V. 0. Le Roy. Etudes sur les mystères. Manuscrits de Gerson, p. 450.
  5. On appelle nef la partie de l’église qui est depuis le portail jusqu’au chœur, parce qu’elle a, en effet, la forme d’un navire renversé. Navis inversa, disait un Anglais, en considérant la grande salle du palais de Rouen, dont la voûte, ou plutôt le lambris fait en arc, a de la ressemblance avec le fond d’un navire. À Rome, un des plus beaux quartiers de cette reine des villes s’appelait le quartier des Carènes, à cause de la forme des toits de ses maisons. Carina, navire ou quille de vaisseau.
  6. Note 4 page 304.
  7. Note 5 page 310.
  8. Note 6 page 315.
  9. Note 7 page 316.