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Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 15

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 264-267).
Livre troisième


CHAPITRE XV.
DU BATON PASTORAL (42)[1]


I. Le bâton pastoral signifie la correction pastorale, à cause de ce que dit le prélat consécrateur à l’évêque consacré : « Reçois le bâton, signe de l’office de pasteur, afin d’être pieusement sévère à corriger les vices. » Touchant ce bâton, l’Apôtre dit : « Je viendrai à vous avec une verge. » Or, la verge pastorale signifie la puissance sacerdotale que le Christ lui a conférée, quand il envoya les Apôtres prêcher, en leur recommandant de porter des bâtons. Et Moïse fut envoyé avec une verge en Égypte. On a parlé de cela dans la première partie, lu chapitre des Consécrations.

II. Donc, le bâton a tiré son origine de la loi et de l’Évangile, et il est à la fois nommé verge pastorale et crosse (sammuca), houlette et baguette ; car Moïse, d’après le commandenent du Seigneur, eut une verge qui fit des choses terribles dans le ciel et sur la mer, puisqu’elle tira du ciel la nourriture et de la pierre l’eau, et qu’elle conduisit son troupeau dans une terre où coulait le lait et qui distillait le miel. On entend encore par le bâton l’autorité de la doctrine ; car par elle les infirmes sont soutenus, les indociles corrigés, ceux qui sont errants attirés à la pénitence. D’où vient qu’on lui donne aussi le nom de houlette (pedum), qui est un bois recourbé avec lequel les bergers tirent en arrière les pieds (pedes) de leurs bêtes.

III. Or, parfois le bâton est fait d’os [ou d’ivoire] et de bois, et l’on y joint des enroulements de cristal et d’or. Le haut de la crosse, qui est d’os ou d’ivoire, est recourbé, et le bois, par le bas, est terminé par un fer en pointe qui ne le recouvre qu’un peu cependant. Car l’os c’est la dureté de la loi, le bois la mansuétude de l’Évangile, qui, réunies toutes deux, forment l’enroulement de la divinité de Jésus-Christ ; ou bien l’os c’est la sévérité, le bois la douceur du pontife, qui doivent être unies en lui au discernement par la charité : car la sévérité ou la miséricorde est nulle, si l’on possède l’une sans l’autre. C’est pour représenter cela que le fer est émoussé, parce que le jugement est tempéré par la miséricorde. Le bâton est recourbé, pour ramener les hommes repentants à la pénitence. Parfois, la tête de la crosse est chambrée, parce que la vie éternelle est promise à ceux qui reviennent à Dieu. Parfois encore, on écrit sur la courbure : « Lorsque tu seras irrité, tu te souviendras de la miséricorde, » de peur qu’à cause de la faute du troupeau, la colère ne trouble dans le pasteur l’œil de la raison. Parfois, sur l’enroulement on grave un homme, afin que le pontife se souvienne qu’il est homme et ne s’enfle pas à cause du pouvoir qui lui a été conféré. Parfois on écrit autour du fer : « Pardonne, » afin que dans la discipline il épargne ceux qui sont soumis, et que, miséricordieux, il mérite par sa miséricorde d’éprouver celle des autres.

IV. Et le bâton, qui est aigu à son extrémité inférieure, droit par le milieu et recourbé à son extrémité supérieure, marque que le pontif doit aiguillonner les paresseux, conduire les faibles dans le droit chemin, et rassembler ceux qui errent. De là ce vers :

Collige, sustenta, stimula, vaga, morbida, lenta.

Et, rendant à chaque partie de la crosse l’action qui lui convient, le vers suivant contient tout ce qui a été dit ci-dessus :

Attrabe per primum, medio rege, punge per imum[2].

V. Mais le pontife de Rome ne se sert pas de la verge pastorale, tant à cause de l’histoire que de la raison mystique. Pour l’histoire, c’est parce que le bienheureux Pierre, apôtre, envoya avec quelques autres, pour prêcher l’Évangile aux Germains, Martial, son élève, que le Seigneur plaça entre ses disciples, lorsqu’il dit : « Si vous ne devenez comme ce petit enfant, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » Et, comme ils étaient en chemin, Frontus, son collègue, étant mort à vingt journées de Rome, il y retourna pour annoncer à Pierre cette nouvelle. Pierre lui dit : « Prends ce bâton, et, le touchant avec, dis : Lèves-toi au nom du Seigneur et prêches. » Et lui, le quarantième jour après sa mort, il le toucha, et il se leva, et il prêcha, et c’est ainsi que Pierre envoya son bâton loin de lui, et le donna à ses inférieurs, et ne le recouvra plus. Mais le pape Innocent III a écrit dans le Miroir de l’Église (Speculum Ecclesiœ) que le bienheureux Pierre envoya son bâton à Eucharius, premier évêque de Trêves, qu’il avait destiné, avec Valerius et Maternus, à prêcher l’Évangile à la nation des Teutons. Maternus, qui lui succéda dans l’épiscopat, avait été réveillé du sommeil de la mort par le bâton de Pierre, que jusqu’à ce jour l’église de Trêves a conservé avec une grande vénération. Et voilà pourquoi le Pape se sert du bâton pastoral dans ce diocèse et non pas ailleurs.

VI. Et, quant à la raison mystique, c’est que le bâton est recourbé par le haut, comme pour attirer à soi ; ce dont le pontife romain n’a pas besoin, car personne ne peut tout-à-fait s’écarter de lui. En outre, le bâton désigne le droit de correction, et, comme les autres pontifes le reçoivent d’un homme, voilà pourquoi ils reçoivent et tiennent de leurs supérieurs le bâton pastoral. Mais le pontife romain n’a pas de bâton, parce qu’il reçoit la puissance de Dieu seul.

VII. Enfin, pour ce qui se rapporte à notre chef (capiti), qui est le Christ, la verge du pontife, signifie la puissance du Christ, dont le Psalmiste dit : « Le sceptre de ton règne sera un sceptre de rectitude et d’équité, parce que tu as chéri la justice et haï l’iniquité. » Sur quoi il dit ailleurs : « Tu les conduiras avec une verge de fer. » La dureté du fer signifie la force de la justice ; car le Christ brisera les pécheurs comme un vase d’argile. Mais la puissance du Christ est non-seulement une verge, mais encore un bâton, parce que non-seulement il corrige, mais aussi il soutient. D’où vient que le Psalmiste dit : « Ta verge et ton bâton m’ont encouragé et consolé. »

  1. voir la note 41 page 437.
  2. Il y a unum dans Durand ; c’est une faute.