Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 15

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 88-101).


CHAPITRE XV.
DE L’ORAISON OU COLLECTE.


I. Après avoir dit la salutation, on récite des oraisons, parce que toute notre prière, commençant par Dieu, doit se terminer à lui comme un cercle ; et c’est pourquoi la messe commence par une oraison et se termine par une action de grâces. C’est ici le lieu de voir qui doit dire les oraisons, comment et pour quelles personnes ou quelles choses on doit prier, ce que c’est que la prière, et quand, où et de quel côté on doit dire les oraisons. Il nous faut parler du changement du prêtre d’une partie de l’autel à l’autre, d’où vient le nom d’oraisons, et quelle est leur origine, comment on doit entendre leurs termes, comment elles se terminent, pourquoi on les appelle collectes, quelles sont les oraisons et en quel nombre on doit en dire, quels sont ceux qui les ont imaginées, comment le pontife ou le prêtre doit se tenir en les disant.

II. Touchant la première question, ainsi formulée ; Qui doit dire les oraisons ? il est à remarquer que les prêtres, qui sont les médiateurs entre Dieu et le peuple, disent seulement celle par laquelle le peuple se met immédiatement en rapport avec Dieu. Parmi ces prières, certaines sont récitées publiquement, qui s’appliquent à tout le peuple, que le prêtre seul, comme représentant du peuple, offre à Dieu ; ce sont, par exemple, les prières et les actions de grâces. Il est certaines prières qui ont trait seulement au saint ministère, telles que les consécrations et oraisons de ce genre que le prêtre fait pour le peuple, sans cependant prier dans la personne du peuple ; et dans toutes ses prières il commence par Dominus vobiscum, afin que l’esprit du peuple s’unisse à Dieu, et parce que le peuple, dans ces prières qui se rapportent à Dieu, a pour guide et pour chef le prêtre : voilà pourquoi à la fin de chacune de ses prières le peuple donne son assentiment, en répondant : Amen,comme on le dira tout-à-l’heure, parce que toute oraison se termine à voix haute, lors même qu’elle serait faite en particulier.

III. On doit prier en peu de mots et non avec une grande abondance de phrases, comme on le dira bientôt (xii d., Omnia ; xliii d., Sit rector., prope fin.). D’où vient que les Grecs prient peu et souvent, mais c’est avec larmes et le cœur pur ; non en élevant la voix et jetant des cris ; mais c’est avec une ferme intention et componction qu’il faut que nous soyons en présence de la divine majesté et des anges, afin que notre esprit soit à l’unisson de nos paroles, selon cette parole du Psalmiste : « Le Seigneur a exauce la voix de mes larmes ; » et encore : « Un esprit brisé de douleur est un sacrifice digne de Dieu, etc. » La prière doit aussi être dévote, car on doit supplier avec dévotion le Créateur de toutes choses. Et pendant que le prêtre dit à voix haute l’oraison, les assistants ne doivent pas la réciter, mais la suivre attentivement et y répondre : Amen. Pour qui ou pourquoi doit-on prier ? On dira cela dans la sixième partie, au chapitre du Vendredi saint. Qu’est-ce que la prière ; à quelle heure et en quel lieu les Heures canoniales doivent elles être dites, et de quel côté doit-on prier ? On répondra à toutes ces questions dans la préface de la cinquième partie. Que signifie l’oraison qu’on dit avant l’épître ? On le saura au chapitre où l’on parle de la manière dont s’asseoit le pontife. Or, pendant que le prêtre prie, il se tient à la droite de l’autel, selon cette parole de l’Exode : « Aaron priera une fois l’an sur les cornes de l’autel, et cette expiation continuera toujours parmi vous de race en race. » Cette position du prêtre à la droite de l’autel figure ce qui avait été prophétisé, savoir, que Dieu viendrait du côté du midi. Car le Christ a enseigné les Juifs, vers qui il avait été envoyé par son Père, parce que le côté droit figure les Juifs et le côté gauche les Gentils ; et comme l’allégresse est symbolisée par la droite, et la tristesse par la gauche, voilà pourquoi le prêtre va d’abord au côté droit de l’autel, pour montrer la joie que causa au monde la naissance du Seigneur. Ensuite, quand il va dire l’évangile il se tourne du côté gauche, pour marquer la tristesse de la passion. Mais il revient encore à droite, pour annoncer la joie de la résurrection ; on parlera autrement de cela au chapitre du Changement de Place du prêtre. Et quand le pontife romain va prier, il se rend à son siège, élevé derrière l’autel ; et pour ce qui est d’un autre évêque, il monte au coin de l’autel, et, s’y tenant debout, prononce la collecte, qu’il lit dans le livre ouvert ; et ensuite il va s’asseoir, parce que, comme l’atteste l’évangéliste, Jésus étant venu à Nazareth, où il avait été élevé, il entra, selon sa coutume, le jour du sabbat, dans la synagogue, et il se leva pour lire. On lui présenta le livre du prophète Isaïe, et, l’ayant ouvert, il trouva le lieu où ces paroles étaient écrites : « L’esprit du Seigneur s’est reposé sur moi ; c’est pourquoi il m’a consacré par son onction ; » et, ayant fermé le livre, il le rendit au ministre et s’assit. Le pontife, s’étant assis à côté de l’autel, y demeure jusqu’à ce qu’on chante l’offertoire, comme on l’a dit au chapitre qui a pour titre : Comment l’Evêque ou le Prêtre et ses Ministres doivent se tenir devant l’autel.

IV. Voyons maintenant, en poursuivant, d’où l’oraison tire son nom, et d’où les oraisons ont pris leur source. Oraison vient de orare, prier ; en effet, c’est par la prière que le peuple demande les biens du corps et de l’ame. Car, quoique Dieu sache ce dont nous avons besoin, nous devons cependant prier, comme on le dira à l’article de l’Oraison dominicale ; or, le prêtre prie pour les bons, afin de les inviter à s’approcher de Dieu, et pour les méchants, afin qu’ils s’éloignent de sa face. Dans l’Apocalypse, les prières sont désignées par la fumée des parfums qui monta des mains de l’Ange en la présence du Seigneur. Le Christ vraiment fait homme s’est livré pour nous à la passion, en disant : « Tu n’as point demandé d’holocauste ni de sacrifice pour le péché, et j’ai dit alors : Me voici, je viens. » Le Christ priait toujours pour nous, parce que, selon l’Apôtre, « il a été exaucé en toutes choses, à cause de son humble respect pour son Père. »

V. Voyons comment on doit entendre les termes des prières. Or, ce que disent certains livres peut servir à cette intelligence ; et la prière, qui s’adresse au Saint par excellence, et qui est toute à sa gloire et à son honneur, a pour objet de le faire glorifier de plus en plus par les infidèles, et de le faire honorer par eux sur la terre (Extra De celeb. mis. cum Marthœ, prope fin.). Et, comme les saints sont parfaitement heureux, et que tout, dans les cieux, se rend à leur désir, ils n’ont pas besoin que nous priions pour eux. Ce serait même faire injure à un martyr que de prier pour lui, quoique plusieurs auteurs pensent que la gloire des saints peut, par ces prières, être accrue jusqu’au jour du jugement ; et c’est pourquoi l’on souhaite, à juste titre, que l’Église s’efforce d’augmenter leur gloire. En ajoutant, à la fin de l’oraison, la formule : « Par notre Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, » on marque ce que le Christ lui-même dit dans l’Évangile : « Quoi que vous demandiez à mon Père en mon nom, cela vous sera accordé. » Le prêtre prie Dieu le Père, afin que, par son Fils, qui est également notre Seigneur, comme son Père, sa prière soit exaucée.

VI. C’est pourquoi toute prière, en général, est adressée au Père et se termine au nom du Fils. Nous ne pouvons, en effet, arriver aux bienfaits éternels de Dieu par une voie autre que lui, qui est le médiateur de Dieu et des hommes, homme lui-même. Christ Jésus (x d., Quoniam) ; de même que, par le moyen d’un cristal, on met le feu à un combustible placé loin du soleil[1]. Cet usage de terminer les oraisons en invoquant le nom du Christ est pris de l’épître aux Romains, où il est dit : « Nous nous glorifierons en Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ. » Le Christ a dit : « Personne ne vient à mon Père que par moi. » Et ailleurs : « Si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera. »

VII. Et remarque que Jésus est proprement le nom du Christ, comme on l’a dit dans la préface de la seconde partie. Ce qui fait, c’est-à-dire la formule : « Qui vit et règne avec toi dans l’unité de l’Esprit saint, etc., » peut s’interpréter ainsi : Dans l’unité de l’Esprit saint, » c’est-à-dire qui ne forme qu’un avec l’Esprit saint, car le Père, le Fils et l’Esprit saint sont un ; ou : « Dans l’unité de l’Esprit saint, » c’est-à-dire dans l’Esprit saint, qui est l’union du Père et du Fils, l’amour et la connexion de l’un et de l’autre. On peut encore expliquer de la manière suivante les paroles précitées : « Par notre Seigneur Jésus-Christ, etc., » en leur donnant ce sens : « Père ! exauce-nous par ton Fils, qui le veut et le peut ; il le veut, parce qu’il a la vie ; il le peut, parce qu’il est roi ; il vit, dis-je, et règne avec toi dans l’unité de l’Esprit saint, et il vit et règne non comme un tyran plein de l’esprit d’iniquité, mais il vit et règne comme un Dieu plein de l’esprit de bonté. » Ce qui suit : « Dans tous les siècles des siècles, » peut s’entendre, ou bien consécutivement, ou bien personnellement (consecutive, vel antonomastice) ; consécutivement, comme « les générations des générations, » et comme si le prêtre disait : « Dans tous les siècles des siècles qui se succéderont l’un à l’autre. »

VIII. On dit, en effet, les siècles (secula), parce qu’ils suivent (quia sequuntur), car lorsque l’un finit, l’autre suit. On emploie cette formule personnellement, comme dans le Cantique des cantiques, et en voici le sens : ce De même qu’avant tous les siècles le Fils, avec le Père, dans l’unité de l’Esprit saint, vit et a vécu dans la divinité, ainsi il vit à présent et dans l’avenir, où les justes habiteront éternellement avec les anges, et les méchants seront torturés avec les diables. » On croit également qu’il vit avec le Père et l’Esprit saint, et que leur union, qui est sans bornes, n’aura jamais de fin.

IX. Suit : Amen, qui est un terme de souhait ou d’affirmation, qui montre le désir ou le consentement, comme on l’a dit ci-devant. En effet, le peuple donne son assentiment aux paroles du prêtre, qui vient de dire : « Dans tous les siècles des siècles. » Il donne son assentiment à ces mots, parce que le siècle a été créé par le Christ. D’où vient qu’à la fin des psaumes où nous disons : Fiat, fiat, l’hébreu dit : Amen, amen. Et le Christ, dans l’Évangile, dit souvent : Amen, amen, ou : « Je vous le dis, en vérité. » Cette formule se rapporte donc bien à la forme de l’oraison pour qu’il arrive ce qu’on demande ; ou bien elle est une sorte de conclusion, pour affirmer ce qui vient d’être dit : par exemple, quand le prêtre dit, en priant : « Accorde-nous, nous t’en supplions, Seigneur, le salut de l’ame et du corps, » le peuple répond : Amen, c’est-à-dire ; « Que cela arrive, fiat ; » et quand le prêtre conclut en ces termes : « Qui avec toi vit et règne dans l’unité de l’Esprit saint, étant Dieu. Dans tous les siècles des siècles, » le peuple répond avec affirmation : Amen, c’est-à-dire : « C’est vrai. » Amen, c’est vérité ; et dans l’Apocalypse, Jean, ce témoin fidèle, dit Amen dans ce sens. On a parlé de cela dans le précédent Traité.

X. Pour ce qui est de la terminaison des collectes, il est à remarquer qu’on y adresse quelquefois la parole au Père, quelquefois au Fils, quelquefois à l’Esprit saint, et parfois à toute la Trinité. Si l’on adresse la parole au Père seul, sans faire mention du Fils ni de l’Eprit saint, alors on dira en terminant : « Par notre Seigneur Jésus-Christ, ton Fils, qui avec toi vit et règne dans l’unité de l’Esprit saint, étant Dieu. Dans tous les siècles des siècles, » sans dire « par le même » et « du même » (per eumdem et ejusdem), comme dans cette oraison : Protector in te sperantium, etc. Mais si l’on fait mention du Fils ou de l’Esprit saint, on place cette mention soit avant la fin ou à la fin de l’oraison. Si, par contraire, on s’adresse au Père, en faisant mention du Fils avant de terminer, alors on dit à la fin : Per eumdem Dominum nostrum, etc., | comme dans cette oraison : Deus, qui de beatœ Mariœ virginis, etc. Si c’est à la fin, alors on ajoute immédiatement : qui tecum, sans per eumdem et ejusdem, comme dans cette collecte de saint Étienne : Omnipotens sempiterne Deus, qui primitias martyrum, et dans cette autre : Deus qui salutis œternœ ; ou Dominum nostrum Jesum Christum, sans per, comme dans cette collecte : Deus, qui nos redemptione, que l’on dit la veille de Noël, et dans cette autre : Illumina quœsumus, que l’on dit le jour de l’Epiphanie ; ou Jésus Christus Dominus noster, comme dans celle-ci : Deus, qui ad œternam, que l’on dit dans la troisième férie après Pâques, et dans cette secrète : Ipsi tibi, du Jeudi saint (in Cœna Domini). Et si, dans l’oraison qu’on adresse au Père, il est fait mention de l’Esprit saint, on dit en terminant : Per Dominum nostrum, en ajoutant alors in unitate ejusdem Spiritus sancti Deus, comme dans celle-ci : Deus qui corda fidelium, et dans cette autre : Adsit nobis, quœsumus, virtus Spiritus sancti, etc. Que si l’on fait mention de l’Esprit saint et ensuite du Fils, alors on ajoute à la fin, immédiatement, qui tecum, comme dans cette oraison : Mentes nostras quœsumus Domine Paracletus, et dans celle-ci : Ure igne, etc. Encore, quand nous adressons la parole au Père pour le prier de nous donner l’esprit de vie ou tout autre don, nous disons alors : Per Dominum, sans per eumdem ou ejusdem, comme dans cette oraison que l’on dit à la bénédiction des cendres : Deus, qui humiliatione, etc., et dans cette autre : Omnipotens sempiterne Deus, respice, etc. Mais, si l’on adresse la parole au Fils, comme dans cette prière : Excita, Domine, potentiam tuam, et veni, et semblablement dans les autres collectes de l’Avent, et dans celle-ci : Deus, qui virginalem aulam, alors on dit en terminant : Qui vivis et regnas cum Deo Patre in unitate Spiritus sancti Deus, etc. Et si l’on y fait mention du Père, alors on dit : Qui cum Deo Patre, etc., comme dans cette oraison du canon : Domine Jesu Christe, Fili Dei, etc. Et si la parole s’adresse à l’Esprit saint, il y en a qui disent qu’alors on prononce en terminant cette fornmle : Qui cum Patre et Filio vivit, et regnat Deus, etc.

XI. Mais, cependant, toute prière s’adresse au Père ou au Fils, et aucune n’est adressée à l’Esprit saint, parce que ce dernier est le don, et qu’on ne demande pas un don au don, mais plutôt à celui qui peut accorder ce don ; on le demande donc au Père et au Fils, et c’est à eux qu’on adresse la parole, comme aux donateurs, et non à l’Esprit saint, qui est le don, et qui procède également de l’un et de l’autre. Mais, si on adresse la parole à toute la Trinité, alors on dit en terminant : Per Dominum, sans per eumdem ou ejusdem, comme dans cette oraison du canon : Suscipe, sancta Trinitas, et dans cette autre, que l’on dit à la fin de la messe : Placeat tibi sancta Trinitas, où l’on emploie la formule : Per Christum Dominum nostrum, pour abréger. De même, dans la prière qu’on adresse à Dieu le Père, il en sera fait mention, comme dans celle-ci : Omnipotens sempiterne Deus, qui dedisti famulis tuis ; il y en a qui disent alors : Qui vivis et regnas Deus, per omnia secula seculorum. D’autres, par contraire, comprenant que cette prière même s’adresse à Dieu le Fils, disent alors : Qui vivis et regnas in unitale Spiritus sancti Deus, per omnia secula seculorum, et dans cette oraison : Fidelium Deus omnium conditor ; car la Trinité tout entière est créateur et rédempteur, quoique le Christ soit, à proprement parler, le rédempteur. On peut aussi dire que la prière qu’on adresse à la Trinité se termine sans distinction de personnes ; exemple : Qui vivis et regnas Deus per omnia secula seculorum. Que celui qui prie s’applique la prière ou la dise pour le peuple la Trinité daignera lui accorder ce qu’il demande, et ainsi encore les prières sont accompagnées de bénédictions. Dans la prière où l’on adresse la parole au chef (caput) de l’Église, il semble qu’on doit s’exprimer ainsi : Qui vivis et regnas, puisque le Christ est le chef de l’Église (Extra De sacra unct., cap. i) ; mais il n’en est pas ainsi, car la Trinité tout entière est le chef de l’Église ; c’est pourquoi l’on doit dire : Per Dominum nostrum.

XII. Dans les exorcismes pour chasser le démon, on se sert d’une autre formule, car, en bénissant l’eau, on dit : « Par Celui qui doit venir juger les vivants et les morts, et le monde par le feu. » De même, dans les instructions préliminaires (in catechismis), on dit aussi : Qui venturus est, etc. Et aussitôt que le diable entend dire que le Christ doit venir juger le siècle par le feu, il s’enfuit, redoutant le jugement du feu, parce qu’il sait qu’il doit être précipité dans le feu éternel après le dernier jugement. C’est pour la même raison que maître Gilbert dit qu’aux obsèques des morts les oraisons doivent se terminer de la même façon ; cependant l’usage général de l’Église est de dire : Per Dominum nostrum, etc. Pourtant, dans cette oraison : Fidelium Deus omnium conditor, etc., on doit dire : Qui vivis et regnas, etc., comme on l’a indiqué ci-devant. Et remarque que les oraisons à laudes, à la messe et aux vêpres sont dites sur un ton uniforme et plus solennel, parce que ces heures sont célébrées dans l’Église avec plus de solennité et d’allégresse. Aux autres heures et offices on observe un ton moins solennel, tant parce qu’on les dit moins solennellement que parce qu’on peut leur donner une autre signification. Mais, quoique dans toutes les prières, excepté dans celles qui servent aux exorcismes, on dise d’abord : Oremus, cependant on ne dit pas toujours avant : Dominus vobiscum, comme on l’a fait observer dans le chapitre précédent.

XIII. Il reste à voir pourquoi l’on appelle collectes les oraisons qu’on dit au commencement de la messe. C’est parce que le prêtre, qui remplit auprès de Dieu les fonctions de délégué du peuple, en faisant ces prières, réunit (colligit) en une seule toutes les demandes et en fait un faisceau pour les offrir au Seigneur. Cependant on appelle ces prières proprement collectes, parce qu’elles sont dites pour le peuple assemblé (collectum), soit dans les processions, ou lorsqu’on réunit le peuple (colligitur) pour faire une station, pour aller d’une église à un autel (liv dist., Quoniam de consec. ; dist. v, Convenit). Car, dans une ville, toute église dite de station a une autre église dans son voisinage où l’on réunit (colligitur) le peuple au jour de la station, et où l’on dit la collecte (collecta) sur ce peuple assemblé (collectum), et de là tous se rendent ensemble à l’église où a lieu la station. D’où vient qu’au Concile d’Agde (De cons., dist. v, Convenit, in fine) il fut dit que le peuple rassemblé (collecta) pour prier à vêpres serait congédié par l’évêque avec sa bénédiction. Cet usage est pris du Lévitique, où la Scenopegia[2], qui est la dernière des fêtes de l’ancienne loi, est appelée collecte, parce qu’elle avait lieu lorsqu’on cueillait (collectione) les fruits ; et elle figurait la récolte (collectam) future de nos œuvres, alors qu’on dira : « Voici l’homme et toutes ses œuvres avec lui. »

XIV. Les collectes ont eu divers auteurs ; le nombre et la variété de ces oraisons s’accroissaient tellement chaque jour, que le VIII° concile d’Afrique statua qu’on ne dirait aucunes prières, oraisons, messes, préfaces, recommandations ou impositions des mains, que celles qui auraient été approuvées par le concile. Et l’on dit que le pape Gélase mit en vigueur les prières composées tant par lui que par ses prédécesseurs. Le bienheureux Grégoire, ayant retranché celles qui lui paraissaient trop longues ou inconvenantes, rassembla en un seul corps celles qui étaient selon les règles de la raison, en y ajoutant beaucoup de choses convenables et non moins nécessaires.

XV. Mais il y en a qui, dépassant la forme et le nombre des prières, les multiplient tellement, qu’elles n’inspirent à ceux qui les entendent qu’ennui et fatigue ; ils croient donc que Dieu et l’homme peuvent être apaisés par la multitude des paroles, comme on l’a dit ci-devant (De consec., dist. v, Non mediocriter), tandis qu’au contraire Isaïe dit : « Lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point. » Et le Seigneur dit dans l’Évangile : « N’affectez pas de parler beaucoup dans vos prières, comme les païens, qui s’imaginent que c’est par la multitude des paroles qu’ils méritent d’être exaucés. » Et les apôtres lui ayant dit : « Seigneur, apprends nous à prier, » il leur enseigna cette courte prière : Pater noster, etc. Donc, en restant fidèles à cette manière de prier, les prêtres ne disent pas plus de sept oraisons dans le cours de la messe. Le Christ, en effet, comme on le dira à l’article du Pater, a réuni dans les sept demandes de cette prière les choses qui sont nécessaires pour le corps et pour l’ame. Et, comme Dieu aime le nombre impair, quelques-uns observent que l’on dit un nombre impair d’oraisons pendant la messe, ou une seule, de même qu’on dit une seule épître et un seul évangile, et le nombre ordinaire des oraisons est de trois, cinq sept. Un, pour marquer l’unité de la foi ou le mystère d’un seul Dieu. Trois signifie le mystère de la Trinité, et que le Christ a prié trois fois pendant sa passion, en disant : « Père, si cela peut se faire, que ce calice s’éloigne de moi. » Cinq est la figure des cinq plaies du Christ, ou les cinq parties de sa passion. Sept marque l’esprit de grâce aux sept formes, ou les sept dons de l’Esprit saint. Dieu déteste la division et le désaccord. D’où vient qu’ayant béni ses œuvres de tous les jours de la création, on ne lit pas qu’il ait béni celles du deuxième, parce que le nombre deux s’éloignait de l’unité, et que c’est de lui que la division des autres nombres tire son origine ; le nombre impair est pur (XXXII, q. i, Nuptiœ).

XVI. Et remarque que dans les plus grandes fêtes on dit une seule collecte, à moins que par hasard une autre fête se rencontre le même jour. Il faut aussi savoir qu’on doit dire autant de collectes et dans le même ordre à la secrète qu’après la communion, qu’on en a dit avant l’épître, au commencement de la messe, ni plus ni moins ; car la fin doit se rapporter à son principe, et les collectes d’après la communion à celles qui ont précédé la secrète. Il faut prendre garde aussi de ne pas faire entrer la secrète pour les morts dans la messe qu’on dit pour les vivants. Il ne faut pas la dire à la fin, mais presque à la fin ou avant la fin, parce que la fin doit retourner à son principe (De consec., dist. i, Episcopus). On doit toujours faire mémoire des morts, comme on le dira à l’article de la dixième partie de la secrète, au mot Memento etiam, Domine, etc., parce qu’on a besoin du secours des vivants et des saints qui vivent de la vie glorieuse, en l’honneur desquels l’on célèbre le divin sacrifice. Mais dans la messe pour les défunts on ne doit pas introduire la collecte pour les vivants, quoiqu’il y en ait qui disent que la collecte Deus qui vivorum dominaris, etc., est commune aux vivants et aux morts. [Saint] Augustin l’a composée pour marquer que les défunts ne peuvent aider ceux qui vivent en ce monde, ni implorer pour eux la vie éternelle, quoiqu’ils puissent s’aider les uns les autres. Cependant on peut, dans la messe pour les défunts, comme certains auteurs le disent, insérer une avant-dernière collecte des saints, et réciproquement. Le pape Innocent Ier composa quatre collectes pour le mois de septembre. Innocent III est auteur de celle-ci : A cunctis nos, quœsumus, Domine, mentis et corporis défende, etc.

XVII. Dans l’église de Latran jamais on ne dit d’oraison ; seulement à la messe et dans toutes les heures canoniales, au lieu d’oraison on prononce à voix haute l’oraison dominicale, qui fut la première prière du Nouveau-Testament. Dans la primitive Église on en agissait de même.

XVIII. Le pontife ou le prêtre, lorsqu’il commence à prier ou à dire une oraison élève ses mains et les étend, selon cette parole de saint Paul aux Hébreux, chapitre xii : « Élevez vos mains que vous teniez baissées, et affermissez vos genoux chancelants ; » et dans beaucoup d’églises les assistants soutiennent les mains élevées du pontife romain, et aussi celles des autres évêques. Cette élévation des mains tire son origine de l’ancienne loi. On lit, en effet, dans l’Exode, chapitre xvi et (xxxvi dist., Si quis) que pendant qu’Israël combattait contre Amalech dans le désert. Moïse monta sur le sommet d’une colline, et lorsqu’il levait les mains Israël était vainqueur, tandis que quand il les laissait aller quelque peu Amalech faisait plier le peuple de Dieu. Mais Aaron et Hur se mirent des deux côtés pour lui soutenir ses mains. On lit aussi dans le troisième livre des Rois, chapitre viii, que Salomon se tint debout devant l’autel du Seigneur, en présence de toute l’assemblée d’Israël, et qu’il étendit ses mains vers le ciel en priant pour le peuple ; et dans la Genèse, chapitre iv : « Je lève ma main vers le Seigneur Dieu Très-Haut. » Cette élévation des mains représente le Christ montant au ciel, les mains étendues. Ou bien encore le prêtre élève ses mains comme le Sauveur attaché à la croix. D’où vient qu’on lit : « Que l’élévation de mes mains te soit agréable comme le sacrifice du soir. » Le prêtre étend encore ses mains, parce que le Christ, après avoir étendu les siennes sur la croix, pria pour ses bourreaux, en disant : « Mon Père, pardonne-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font. » Le prêtre fait ainsi comprendre, dans le sens moral, que le Christ est toujours prêt à ouvrir ses bras au repentir, selon cette parole et cette promesse de lui : « Je ne jetterai point dehors tout homme qui vient à moi. » Cependant certains hérétiques perfides tournent en dérision cette extension des mains, se fondant sur cette parole d’Isaïe : « Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous. »

  1. Sicut per mediantem crystallura mittitur ignis in escam superpositam a sole longinquo. — Allusion au miroir ardent d’Archimède, et dont cet homme illustre se servit pour détruire successivement la flotte des Romains. Les expériences de Buffon ont rendu à cette découverte, dans le XVIIIe siècle, tout l’honneur qu’elle méritait et la croyance qui lui était refusée. Il paraîtrait qu’au XIIIe siècle on avait renouvelé la découverte d’Archimède ; mais l’appliquait-on à la guerre ? c’est ce que nous ignorons jusqu’à présent.
  2. De skènè, tente, et de pègnuô, assembler ; c’était la fête des Tabernacles chez les Juifs.