Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 29

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 175-178).


CHAPITRE XXIX.
DES PALLES ET DES CORPORAUX


I. Pendant que le prêtre lave ses mains, le diacre arrange sur l’autel la palle dite corporal, pour avertir ses assistants et le peuple de se purifier de tous désirs de la chair, de même que la palle est pure de la verdeur naturelle au lin dont elle est faite, et de toute humidité. La netteté du corporal symbolise la pureté du peuple fidèle. C’est dans ces termes qu’il est parlé de la palle dans le canon (De consec., dist. i, Ex consulto).

II. « Or, de l’avis de tous, nous avons établi que personne ne doit prendre sur lui de célébrer le sacrifice de l’autel avec une étoffe de soie ou de couleur, mais avec un linge blanc consacré par l’évêque. Ce linge sera le produit d’une plante de la terre, c’est-à-dire qu’il sera fait et tissu du lin que produit la terre. Et, de même que le corps de notre Seigneur Jésus-Christ fut enseveli dans un linceul de lin blanc, et que le Christ a tiré du corps terrestre d’une vierge sa véritable chair passible et mortelle, ainsi le corporal est fait de lin blanc et non teint, d’après la règle établie par le pape Sixte-Eusèbe. »

III. Le corporal symbolise le but de la passion ou le corps du Christ, parce que, de même que le lin n’acquiert sa blancheur qu’après beaucoup de travail et un grand nombre d’opérations diverses (tunsionibus), ainsi la chair du Christ n’est arrivée à la gloire de la résurrection qu’après un grand combat. Le corporal symbolise aussi l’Eglise, qui figure elle-même le corps du Christ, et elle n’arrive à l’éclat de la vie éternelle qu’après beaucoup de souffrances et d’afflictions. Troisièmement, le corporal signifie le Christ. Or, de même que le corporal est plié de telle façon qu’on n’en voit ni le commencement ni la fin[1], ainsi la divinité du Christ n’a pas eu de commencement et n’aura jamais de fin. Et, de même que l’hostie est déposée [sur le corporal et ensuite mise sur l’autel, ainsi la chair du Christ, unie à sa divinité, a été attachée à la croix.

IV. Et remarque que dans certaines églises la palle dite corporal, que l’on met sous le calice, s’étend le long de l’autel ; elle a quatre plis en longueur et trois en largeur. On l’étend le long de l’autel, parce que, au dire de quelques-uns, le linceul dans lequel le corps du Fils de Dieu avait été enveloppé fut trouvé ainsi étendu dans la longueur du sépulcre. Ses quatre plis en long désignent les quatre vertus cardinales, savoir : la justice, la prudence, la tempérance et la force, par lesquelles sont réprimées les passions qui nous sont naturelles. Les trois plis du corporal dans sa largeur désignent les trois vertus théologiques, savoir : la foi, l’espérance et la charité, par lesquelles nous sommes unis à Dieu. Ces plis peuvent encore avoir d’autres significations. Or, la palle dite corporal se compose de deux pièces, une que le diacre étend sur l’autel, l’autre qu’il met sur le calice après l’avoir pliée, ce qui figure les deux linceuls dans lesquels Joseph enveloppa le corps du Christ. La pièce étendue sur l’autel représente le suaire dans lequel le corps du Christ fut enseveli dans le tombeau, et voilà pourquoi on l’appelle corporal ; la pièce pliée et mise sur le calice figure le suaire dans lequel la tête du Christ fut séparément enveloppée. La pièce étendue que l’on appelle corporal signifie la foi ; celle qui est pliée, et que l’on appelle suaire, représente l’intelligence : car ce mystère doit être cru, mais il ne peut être compris, afin que la foi ait un mérite indépendant des preuves que donne la raison humaine (De pœn., d. iv, in Domo). Deuxièmement, le corporal, qui fait l’office de linceul, signifie aussi l’humilité du Christ dans sa passion, et le suaire figure ses souffrances. Troisièmement, le corporal représente le linge dont le Christ se ceignit les reins le soir de la Cène, et le suaire représente ses fatigues au milieu des persécutions. La palle que l’on met sur le calice ne couvre pas toute la partie supérieure de ce vase, pour donner à entendre que le suaire couvrait une partie de la tête du Christ et en laissait une autre à découvert, comme c’est la coutume chez les Juifs. Cependant quelques églises n’ont qu’un corporal, parce qu’on lit dans l’Évangile que Joseph enveloppa le corps de Jésus dans un drap blanc, et non dans plusieurs ; et c’est pour marquer l’unité du sacrement et représenter le linceul dans lequel le corps du Christ fut enseveli.

V. Le corporal reste sur l’autel jusqu’après la consommation du corps et du sang du Christ, et jusqu’à ce qu’on enlève le calice de dessus l’autel, parce que le linceul et le suaire restèrent dans le tombeau jusqu’au moment de la résurrection. En outre, le corporal étendu sur l’autel montre, par sa blancheur, la pureté d’esprit que doit toujours avoir celui qui reçoit le corps du Seigneur.

VI. Le pape Soter (xxi d., Sacratas) établit qu’aucune sainte femme ou religieuse ne toucherait au calice, à la patène, aux saintes palles et au corporal. Cependant elles peuvent confectionner les ornements de l’autel et des prêtres, à l’exemple de Marie, qui fit divers tissus pour servir au mystère du tabernacle d’Alliance.

VII. Communément on donne le nom de palle à la nappe blanche sur laquelle on développe et l’on étend le corporal. Son nom palle vient de ce qu’elle couvre (palliat) ou cache en elle-même le mystère dont nous venons de parler. L’autel doit être couvert de deux nappes, pour figurer la robe de l’ame et celle du corps.

  1. Ut nec initium, nec finis ejus appareat. — Le corporal, appelé aussi linceul, comme le dit Durand, ne se distinguait pas autrefois de la palle. Palle vient de pallium, manteau ou couverture : les nappes et les corporaux qui couvraient l’autel étaient appelés pallæ, palla corporalis. Le corporal était autrefois aussi long et aussi large que le dessus de l’autel, et il était si ample, qu’on le repliait sur le calice pour le couvrir (Greg. Turon., lib. 7, cap. 12). Mais, comme cela était embarrassant, surtout depuis qu’on a fait l’élévation du calice, que quelques-uns voulaient tenir couvert même en l’élevant, on a fait deux corporaux plus petits, l’un qu’on étend sur l’autel, et l’autre plié d’une manière propre à couvrir le calice. L’on a mis ensuite un carton entre deux toiles, afin qu’il fût ferme et qu’on le prît plus commodément, et on lui a toujours laissé le nom de palle.