Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 34

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 215-220).


CHAPITRE XXXIV.
DU SANCTUS,


I. L’Église espérant être unie aux Anges et aux Archanges, dont il a été fait mention dans la préface, aussitôt qu’elle est terminée se met à l’unisson du chant des anges, en chantant cette hymne : « Saint, saint, saint, » que le pape Sixte ordonna de chanter. Ce fut le chant que chantèrent les enfants, lorsque le Seigneur parut devant eux à la dixième lune, et fut gardé jusqu’à la quatorzième lune dans Béthanie. Donc, lorsque le prêtre finit le chant de louange ou préface, tout le chœur, qui représente l’Église, chante en même temps l’hymne évangélique précitée, pour célébrer la gloire, la louange et l’honneur qui appartiennent également au Père, au Fils et à l’Esprit saint, comme à un seul Dieu.

II. Il est à remarquer que cette hymne se compose en partie des paroles des anges et en partie de celles des hommes. La première moitié renferme la louange des anges, la deuxième et dernière celle des hommes. On lit, en effet, dans Isaie, chapitre vi, que les Séraphins se criaient l’un à l’autre et disaient : « Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu des armées ; la terre est toute remplie de sa gloire. » On lit aussi dans l’évangile de Mathieu, chapitre xxi, et de Marc, chapitre xi, que ceux qui allaient devant Jésus et ceux qui le suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ; béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur. » La voix des Anges dit : « Hosanna dans les profondeurs de la Trinité et de l’unité qui résident en Dieu ; » et ces accents louent un mystère, tandis que la voix des hommes, qui dit : « Hosanna au fils de David, » célèbre le sacrement de la divinité et de l’humanité unies dans le Christ. C’est avec raison que nous chantons à l’église les cantiques des anges, parce que nous ne doutons pas que par ce sacrifice la terre s’unisse au ciel, et c’est pourquoi nous nous écrions avec eux que le salut réside dans les hauteurs des cieux.

III. Or, il faut remarquer qu’on dit trois fois Sanctus, pour désigner la Trinité et la distinction de ses personnes ; mais on ne dit qu’une seule fois Dominus, Deus sabaoth, pour montrer l’unité de la nature (usia)[1] divine (De consec, dist. ii), parce qu’on adore l’unité, pour établir ainsi le mystère de la Trinité et de l’unité. On dit trois fois Sanctus au singulier, et non. sancti au pluriel, pour faire entendre qu’une seule sainteté et une seule éternité sont communes aux trois personnes de la Trinité. Ce n’étaient pas seulement les Séraphins qui criaient Sanctus sous le trône sublime de Dieu, comme nous l’apprend le Prophète ; ce cri était aussi celui des quatre animaux dont parle l’Apocalypse, qui entouraient ce même trône, et qui ne cessaient jour et nuit de dire : « Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu tout-puissant. »

IV. On dit que Dieu est saint, c’est-à-dire qu’il sanctifie, et non qu’il est sanctifié ; d’où vient cette parole : « Soyez saints, parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. » Le Fils de Dieu, en parlant de son Père, l’appelle saint : « Mon Père, sanctifie dans la vérité ceux que tu m’as donnés, parce que tu es saint. » Le Fils de Dieu est appelé saint par l’Ange, qui rend de lui ce témoignage : « Ce qui naîtra de toi (dit-il à la Vierge) sera saint ; on l’appellera le Fils de Dieu. » L’Esprit saint est nommé saint par le Christ, lorsqu’il dit : » Recevez l’Esprit saint. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. »

V. On dit aussi : « Le Seigneur Dieu sabaoth, c’est-à-dire le Seigneur des armées, des anges et des hommes, dont l’aspect est terrible comme celui d’une armée rangée en bataille. » C’est de Lui que les anges disent dans un psaume : « Qui est ce roi de gloire ? — Le Seigneur des armées est lui-même ce roi de gloire. » Car Dieu a autant d’armées sur la terre qu’il y a d’ordres dans l’Église, et autant dans le ciel qu’il y a d’ordres parmi les anges. Or, en nommant les cieux et la terre, les anges et les hommes, pleins de la grâce divine, témoignent à la lettre que les cieux et la terre sont remplis de la grâce divine ; car la divinité est partout, ce qui a fait dire au Prophète : « Si je monte dans le ciel, tu y es ; si je descends dans l’enfer, tu y es encore. »

VI. Sabaoth se traduit Seigneur des armées, ou des vertus militantes, ou des victoires, ou tout-puissant ; car « le Seigneur notre Dieu est tout-puissant, c’est lui qui range en bataille l’armée des anges et des hommes. » Le prêtre ajoute : « Les cieux et la terre sont remplis de ta gloire, » afin que les cieux et la terre soient gouvernés par la gloire de Dieu, et que ceux qui sont dans les cieux et ceux qui sont sur la terre glorifient et honorent son saint nom ; les cieux sont remplis de gloire, parce qu’ils possèdent Dieu, et la terre est pleine d’espérance de le posséder un jour. Alors elle jouira de l’entière réalité, lorsque cette parole : « Que ta volonté soit faite en la terre comme au ciel » sera accomplie. Quand nous disons : « Les cieux et la terre sont remplis de ta gloire, » nous rendons grâces au Créateur pour tous ses bienfaits.

VII. Quand nous disons : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » nous rendons particulièrement grâces à Dieu pour le bienfait de la rédemption ; et, comme il est nécessaire de confesser le mystère de l’Incarnation pour mériter le salut éternel, c’est avec raison qu’on ajoute : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » — « Je suis venu, dit le Christ, au nom de mon Père. » Le nom du Père, c’est son Fils, dont le Prophète dit : « Voici le nom du Seigneur, il vient de loin. » Quand on commence le Sanctus, nous devons nous tenir inclinés, parce qu’alors nous vénérons l’incarnation et l’inconnue majesté de Dieu, par le chant des anges et des hommes. En disant : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » comme ces paroles sont tirées de l’Évangile, nous devons faire ou mettre sur nous le signe ou l’étendard de la croix, parce que le Christ a triomphé par la croix et nous fait triompher par elle. Lorsque le Christ, venant à Jérusalem, descendit du mont des Oliviers, les enfants d’Israël criaient : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » L’entrée du Christ à Jérusalem figure la résurrection future, quand il viendra lui-même juger les vivants et les morts et qu’il apparaîtra à nos yeux avec ce corps dans lequel il a souffert pour nous ; alors, au nom de Jésus tout genou fléchira au ciel, sur la terre et dans les enfers. C’est pourquoi il y en a qui, au moment où l’on chante « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » se mettent à genoux et prient dévotement.

VIII. Hosanna est un mot hébreu qui veut dire : » Sauve je t’en prie ; » ajoute : « ton peuple, ou le monde entier. » Ce mot se compose de osi, qui veut dire sauve, et de anna, qui, en hébreu, est une interjection suppliante qui exprime l’émotion de l’ame tout entière à l’objet de sa demande. Pour parler correctement, on devrait dire osianna ; mais nous avons corrompu ce mot en supprimant la voyelle i et en disant osanna, ce que nous faisons par ignorance, ou sciemment, par l’élision d’une voyelle que nous supprimons, comme on a coutume de le faire dans les vers[2].

IX. On dit deux fois : Hosanna in excelsis, à cause des deux choses que l’homme a à sauver, qui sont la robe de son ame et la robe de sa chair, qui toutes deux partagent le bonheur des saints dans la gloire, afin que, sauvés dans notre ame et dans notre corps, nous soyons comptés au nombre des anges « dans les lieux élevés, » c’est-à-dire dans les hauteurs des cieux. On trouve dans le psaume cxvii ce petit verset, que disait la foule du peuple : Hosanna ; c’est ce que nous disons dans le Sanctus en ces termes : « O Seigneur ! sauve-moi ; » et à ces paroles on ajoute celles-ci : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. »

X. C’est avec raison que parfois les orgues se font entendre et accompagnent ce chant des anges et des hommes ; usage qui remonte à David et à Salomon, lesquels firent des hymnes qu’on devait chanter pendant les sacrifices qu’on offrait au Seigneur, avec l’accompagnement des orgues (13) et d’autres instruments de musique, unis à la voix de tout le peuple chantant les louanges de Dieu. Mais cependant, autant le cœur est plus noble que le corps, autant nous confessons plus dévotement le Seigneur de cœur que de bouche ; on parlera de cela à la fin de la préface de la cinquième partie.

XI. Par ces paroles et par les gestes qui les accompagnent, à partir du Sanctus on représente la passion du Christ. Quand le diacre et le sous-diacre vont derrière l’évêque ou le prêtre, ils figurent la fuite des apôtres lors de la passion du Christ, comme on l’a dit au chapitre de l’Oblation. S’il en est qui se tiennent debout derrière l’autel, les yeux fixés sur l’évêque, ils représentent les femmes qui virent la passion de loin. Tous ceux qui sont derrière l’évêque ou derrière l’autel s’inclinent, par respect pour la majesté divine et l’incarnation du Seigneur, célébrées par le chant des anges et des hommes. L’ordre des anges, en disant : « Saint, saint, saint le Seigneur Dieu des armées, » fait entrer en scène la majesté divine ; l’ordre des hommes, en disant : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » représente l’avénement corporel du Christ. Cette inclinaison figure aussi la tristesse que les disciples ressentirent de la mort du Christ ; ils n’osaient pas se lever et confesser qu’ils étaient ses disciples ; voilà pourquoi on se tient incliné jusqu’au moment où le célébrant dit : « Délivre-nous du mal. » Il était inutile qu’ils se levassent avant la lumière, c’est-à-dire qu’ils se glorifiassent d’appartenir au Christ avant sa résurrection, qui les délivra de toutes leurs angoisses. De là vient que cette demande est la septième dans l’oraison dominicale ; le nombre sept est le complément de cette prière. On a parlé de cela au chapitre qui a pour titre : Comment l’Evêque ou le Prêtre et ses Ministres doivent se tenir devant l’autel.

  1. Du grec ousia, nature.

    Has tres personas unam dissertat usiam
    Nomine distinctam, sed majestate jugatam,

    lit-on dans les Actes de S. Cassien, martyr (Fontanin. ad calcem Antiquitat. hortœ, p. 353).

  2. Hosanna est un de ces mots hébreux qu’on a conservés dans toutes les églises sans le traduire, comme amen et alleluia. Il signifie sauve maintenant, ou sauve, je te prie. On trouve dans presque tous les anciens Missels manuscrits, et dans Durand, osanna sans h. Il est pourtant mieux d’écrire hosanna avec un h, comme il l’est dans tous les Missels d’à présent, parce que ce mot est écrit en hébreu par un ]"] he. Si l’on voulait même s’en tenir rigoureusement aux lettres hébraïques, il faudrait dire hosianna et même hoschianna. Mais on sait que les manières de prononcer ne sont pas absolument fixes, et que dans toutes les langues il se fait des élisions. Il n’est pas surprenant que l’iod, étant suivi de l’aleph, soit mangé, et qu’ainsi on dise osanna au lieu d’osianna ; c’est la remarque que fait S. Jérôme, ép. 145, ad Damas.