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Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Sixième livre/Chapitre 001

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 138-155).


CHAPITRE PREMIER.

Dans la précédente partie que nous quittons, nous avons traité des offices divins en général ; maintenant nous allons les prendre en particulier et les montrer dans leur diversité pendant tout le cours de l’année. Ainsi, nous passerons en revue les offices des dimanches, de quelques jours ouvrables, des solennités du Seigneur et des jeûnes des quatre-temps ; nous verrons l’accord des mêmes offices, tant ceux de la nuit que ceux mêmes de la messe ; nous ne parlerons pas seulement de ceux d’une seule église, nous nous attacherons à traiter des offices de diverses églises.

I. Pour l’intelligence de cet ouvrage, nous commencerons par exposer les distinctions du temps. L’année solaire comprend la succession des quatre saisons, c’est-à-dire la saison d’hiver, où l’on ensemence les champs ; le printemps, où les semences croissent et s’allongent en épis ; l’été, où les moissons blanchissent et tombent sous le tranchant de la faulx ; enfin l’automne, où le grain, séparé de son enveloppe par le vanneur, est mis en réserve dans les greniers. Ainsi, la grande année de la vie présente, qui s’étend depuis le commencement des siècles jusqu’à la fin du monde, se mesure aussi par quatre saisons différentes.

II. La première est une époque de dégénérescence dans le genre humain. Elle s’étend depuis Adam jusqu’à Moïse. À cette époque, les hommes abandonnent le culte de Dieu, qui est la vraie lumière ; ils deviennent idolâtres, ils ne conservent plus l’ombre de la lumière de la vraie doctrine, et dès-lors, devenus des membres inutiles, il n’en est plus un seul qui fasse le bien. Alors l’homme abandonne son Créateur, et, s’adressant à une pierre brute, il lui dit : Tu es mon dieu. Ce temps d’ignorance et d’aveuglement s’accorde bien avec l’hiver, où règne l’obscurité.

III. La seconde saison est celle du rappel ou de la rénovation. Elle s’étend depuis Moïse jusqu’à la nativité du Christ. À cette époque, les hommes sont instruits, par la loi et les prophètes, de l’avénement du Christ, de la rémission des péchés et de l’amour que l’on doit à un seul Dieu. Alors le Seigneur dit à Israël : « Ecoute, Israël, tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul ; » et l’homme connut alors ses devoirs envers lui-même, envers Dieu, envers le prochain. Dieu, dans la suite et pour la même raison, suscita les prophètes, afin que leur prédication fît revenir de plus en plus l’homme de ses erreurs. Cette époque coïncide avec le printemps, qui possède quelque lumière mêlée de beaucoup d’obscurité.

IV. La troisième époque est celle du retour ou de la réconciliation et de la Visitation. Elle s’étend depuis la naissance du Christ jusqu’à son ascension, où les hommes reçurent la grâce et la prédication de l’Evangile. C’est de cette époque qu’il est écrit : « Voilà maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut. » Ce temps est celui de la grâce, parce qu’alors l’Orient, descendu de ses splendeurs, nous a visités. C’est dans ce temps que le Seigneur, qui est le soleil de justice, a visité le monde par sa présence, et l’a suffisamment éclairé par sa propre doctrine. Ce temps s’accorde avec l’été, où règne la clarté.

V. La quatrième est celle du pèlerinage. Elle s’étend depuis le jour de l’ascension jusqu’au jour du jugement, où aura lieu la consommation des siècles. Ce temps est tout resplendissant de lumière, parce que, par la miséricorde de Dieu, les mystères divins ont été révélés ; toutefois, elle renferme quelque obscurité produite par notre négligence, et s’accorde ainsi avec l’automne, qui renferme beaucoup plus de lumière que d’obscurité. Dans la première époque, la sève de la foi, la fleur de l’espérance et le fruit de la charité ont été desséchés par le froid et l’hiver de l’infidélité. Dans la seconde, la vigne du Seigneur a repris, en quelque sorte, sa sève, et a commencé à fleurir. Dans la troisième, pleine de verdeur et couverte de fleurs, elle a porté les fruits les plus abondants. Dans la quatrième, les feuilles de la parole venant à tomber, elle a commencé à se flétrir ; puis le temps de la déviation, appelé temps de la coulpe et de la peine, est revenu. Cette déviation, cet écart de l’homme, l’expose à la coulpe, et la coulpe le soumet à la peine ; c’est pour cela que le Seigneur dit : « Penses-tu, lorsque le Fils de l’homme viendra, qu’il trouvera la foi sur la terre ? » Le temps de la rénovation est appelé temps de doctrine et de prophétie, à cause du décalogue par où le Seigneur a instruit le genre humain ; le temps de la réconciliation est appelé temps de liberté, de grâce et d’allégresse ; le temps du pèlerinage, temps de deuil, de peine ou de travail et de pénitence : c’est nous qui en sommes la cause, par nos écarts et notre négligence. Le premier fut le temps du désespoir ; dans le second, l’homme commença à respirer ; le troisième est le temps de la délivrance ; le quatrième, le temps de l’exercice. Chaque année l’Église représente ces quatre temps ; ou bien ces quatre époques désignent les divers états de l’Église.

VI. L’Église représente le temps d’hiver et de déviation, où la mort a régné, depuis la Septuagésime jusqu’à Pâques, rappelant à notre souvenir la chute et la punition de nos premiers parents après leur désobéissance ; c’est pourquoi les chants de joie cessent, excepté le Gloria Patri, comme on le dira au chapitre de la Septuagésime. On ne dit pas non plus le Gloria in excelsis Deo, chant qui fut célébré par les anges en signe de paix, quand la vérité sortit du sein de la terre et que la justice regarda du haut des cieux.

VII. L’Église représente l’époque du printemps ou de la rénovation depuis l’Avent jusqu’à la Nativité du Seigneur, par qui toutes choses ont été renouvelées. Aussi, pour désigner que les Pères de cette époque eurent quelques lumières mêlées de beaucoup d’obscurité, par rapport aux époques suivantes, elle chante les cantiques mineurs de l’allégresse, comme Gloria Patri et Alleluia ; mais elle supprime les majeurs, comme Gloria in excelsis, Te Deum laudamus et les autres, ainsi qu’on le dira en son lieu. Et comme le péché a régné à cette époque, non par ignorance, comme primitivement quand la mort du péché planait sur l’humanité, mais à cause de la faiblesse de la chair, c’est pourquoi on chante Alleluia, car ce temps se rapporte à celui de la loi mosaïque ; mais on supprime le Gloria in excelsis, qui est le signe de la paix et de la justice, que la loi fut impuissante à procurer.

VIII. L’Église célèbre l’époque de l’été et de la réconciliation ou du retour, à partir de l’octave de Pâques jusqu’à l’octave de la Pentecôte ; et, comme nous sommes réconciliés avec Dieu par l’Agneau pascal, nous chantons tous les cantiques de joie et multiplions presque à chaque mot les Alleluia, pour témoigner la joie que nous ressentons de notre résurrection. Cette époque désigne le temps de l’éternelle fidélité ; alors on chante le Gloria in excelsis, parce que, dans la résurrection, la justice, c’est-à-dire la charité, sera perfectionnée, et l’on jouira d’une paix surabondante. On chante deux Alleluia au dimanche in albis et aux autres dimanches de ce temps, et alors nous prions debout. Mais dans les féries particulières on ne chante pas le Gloria in excelsis, ni le double Alleluia, quoique l’on dise souvent Alleluia, comme on le marquera au chapitre LXX, qui traite des Sept Jours après Pâques, et au chapitre suivant.

IX. L’Eglise représente le temps d’automne ou de pèlerinage depuis l’octave de la Pentecôte jusqu’à l’Avent du Seigneur, parce qu’après notre réconciliation avec Dieu il ne nous reste plus qu’à nous considérer comme des pèlerins, avec le Psalmiste, qui dit : « Je suis un étranger et un voyageur » ou pèlerin. Nous chantons alors tous les cantiques d’allégresse, pour désigner notre joie de la révélation des divins mystères ; cependant, quelquefois l’Église en supprime quelques-uns, et elle ne multiplie pas les Alleluia comme elle l’a fait dans le temps précédent, pour marquer notre éloignement du bien, enfanté par notre propre négligence ; elle chante Alleluia dans l’espoir de notre résurrection, et le Gloria in excelsis pour l’état de justice qui nous est rendu. Elle récite aussi tous les jours Alleluia, mais non le Gloria in excelsis, comme on le dira sous le temps de l’Avent. Elle chante aussi l’Alleluia après le graduel, en signe des travaux par lesquels nous devons passer pour arriver à la patrie, où se trouve la véritable vie. D’après ce que nous venons de dire, il résulte évidemment que l’homme, avec raison, au commencement de l’hiver, dit, comme en désespérant : Circumdederunt me gemitus mortis, « Les gémissements de la mort m’ont environné. » Au commencement du printemps il dit, comme en respirant : Ad te levavi animam, etc. Au commencement de l’été, l’architecte de l’Église, saint Pierre, dit à ceux qui ont été régénérés par le baptême et éclairés par la grâce : Quasimodo geniti infantes, etc., « Semblables à des enfants nouveau-nés. » Au commencement de l’automne, l’homme se réjouit de la miséricorde du Seigneur, en disant : « Domine, in tua misericordia speravi, « J’ai espéré. Seigneur, en ta miséricorde. » Mais, réfléchissant à l’état de misère où il est tombé par sa négligence, il ajoute aussitôt le verset Usquequo, Domine, ohlivisceris in finem, « Jusques à quand, Seigneur, m’oublieras-tu ? » sera-ce pour toujours ? puis le graduel Ego dixi : Domine, miserere mei, sana animam meam, « J’ai dit : Seigneur, aie pitié de moi, guéris mon ame, parce que j’ai péché contre toi. »

X. Ces quatre époques sont encore représentées par les quatre principales parties du jour, qui sont : la nuit, l’aurore, midi et le soir. La nuit se rapporte au temps où l’homme sort de sa voie ; car la nuit est obscure, et les idolâtres étaient aveugles. L’aurore représente le temps du rappel. Midi appartient au temps de la réconciliation ou du retour. Le soir représente le temps du voyage ou pèlerinage.

XI. On les désigne encore par les quatre principales actions du Christ, qui sont : la nativité, la passion, la résurrection, et le second avènement, au jugement dernier. A la nativité se rattachent la circoncision, l’apparition, le baptême et la purification ; à la passion, le jeûne et la tentation ; à la résurrection, l’ascension au ciel et l’envoi du Saint-Esprit ; au dernier avènement, la transfiguration et les miracles. Ainsi, la passion est comparée à l’hiver, la nativité au printemps, la résurrection à l’été, le dernier avènement à l’automne, lorsque l’Ancien des jours, tenant son van dans ses mains, épurera son aire, etc. De même, la nativité s’accorde avec le temps du rappel ou de la rénovation, à cause des prophètes, qui l’ont annoncée de beaucoup de manières ; la passion du Christ, avec le temps de la déviation, à cause de la peine de la coulpe de nos premiers parents ; la résurrection, avec le temps du retour, à cause de la joie et de l’allégresse ; le second avènement, avec le temps du pèlerinage, parce que ce temps durera jusqu’au jour du jugement : c’est pourquoi le Prophète dit : « Je suis un étranger auprès de toi, et un voyageur comme tous mes pères. » Or, le temps du rappel ou de la rénovation (ou renouvellement) faite par la loi et les prophètes s’étend seulement jusqu’à la nativité du Seigneur, comme on l’a déjà dit. D’autres prétendent qu’il s’étend jusqu’à la Septuagésime, et que là commence le temps de la déviation (temps où l’homme sort de sa voie). Mais, d’après ce que nous avons dit d’abord, on demande sous lequel des temps précités on placera l’époque comprise entre la Nativité et la Septuagésime. À ce sujet, certains assurent que le temps compris entre la Nativité et l’octave de l’Épiphanie appartient au temps du retour, qui est le temps de la joie, comme celui-ci ; de là vient que dans certaines églises on se sert alors d’ornements blancs comme dans le temps pascal. À cette époque, non plus, on ne jeûne pas et on ne fléchit pas les genoux. Le reste du temps, qui commence à l’octave de l’Épiphanie jusqu’à la Septuagésime, est compris sous le temps du pèlerinage ; et, quoiqu’on lise Isaïe le jour de la nativité du Seigneur, cependant, d’après ceux qui soutiennent cette opinion, ce jour n’appartient pas au temps du rappel. C’est pour une autre considération qu’on lit Isaïe avant l’évangile aux nocturnes, et à la messe avant l’épître ; car alors on pose la base de la colonne, de telle sorte que la nativité du Christ soit prouvée par l’un et l’autre Testaments.

XII. On demande encore pourquoi les offices de l’Église commencent à partir de la saison du printemps, époque de la rénovation ou du rappel ? Il paraît qu’ils devraient commencer à la saison d’hiver, époque de la désobéissance de l’homme, parce que la désobéissance a précédé le rappel ou retour à l’obéissance. En outre, le premier livre de théologie, qui est la Genèse, commence par le temps de la déviation ou désobéissance. A cela, certains répondent que l’Église agit ainsi, pour ne pas débuter par l’erreur. Mais, comme certainement le temps de la déviation n’est pas ainsi nommé, dans ce sens que l’Église sorte de sa voie à cette époque, mais parce qu’il nous rappelle l’erreur de nos premiers parents, pour nous inviter à la pénitence ; il résulte de là que cette assertion ne nous paraît pas fondée. La véritable raison, c’est que tout a été renouvelé par la venue du Seigneur, d’après ces paroles de l’Apocalypse : « Voilà que je renouvelle tout. » C’est donc pour honorer l’avénement du Seigneur, que l’Église commence ses offices par le temps du renouvellement. En outre, si elle commençait par la saison d’hiver, n’ayant à la bouche que des paroles de désespoir, l’homme, en l’entendant, pourrait désespérer. C’est donc à juste titre qu’elle commence par le printemps, afin que plus tard, quand nous entendrons ses paroles de désespoir, nous ne désespérions pas, puisque précède la promesse certaine de la vraie délivrance qui a lieu dans l’Avent. Elle commence donc par le temps du renouvellement ou du rappel, temps où déjà elle est en possession de la réalité (puisque le retour est déjà accompli).

XIII. Or, quels livres lit-on, et dans quel temps les lit-on : c’est ce que nous allons exposer brièvement. Dans la plupart des églises, depuis l’Avent jusqu’à la Nativité du Seigneur, on lit Isaïe, dont les prophéties se rapportent à la nativité d’une manière d’autant plus frappante, qu’il prophétisa touchant le Christ plus clairement et d’une manière plus précise que les autres prophètes ; cependant on ne le lit point pendant les jeûnes des quatre-temps, parce que cet office a ses leçons particulières. A la fête même de la Nativité, non-seulement on lit et on chante des morceaux tirés d’Isaïe, mais encore des passages touchant les causes de cette solennité, comme on a coutume de faire dans toutes les solennités : ce qui a lieu pour témoigner la grande joie que nous avons reçue d’en haut.

XIV. Le premier dimanche qui suit la Nativité, on lit dans certaines églises des extraits des épîtres de saint Paul qui ont trait à la nativité ; à l’octave de cette solennité, on récite les passages de sermons et d’homélies de l’évangile du même jour. A l’Épiphanie, on lit des passages tirés d’Isaie, d’après l’institution du pape Gélase (xxv d., Sancta in palea), et, à l’octave de l’Épiphanie, des extraits de l’homélie du même jour. Depuis l’octave de l’Épiphanie jusqu’à la Septuagésime, on chante des extraits des psaumes, et on lit dans les épîtres de saint Paul ce qui a trait à ses travaux, à ses douleurs et à ses combats.

XV. Depuis la Septuagésime jusqu’au dimanche qui précède le dimanche des Rameaux, on fait des lectures tirées du Pentateuque ; car la Septuagésime désigne l’époque de notre captivité, l’époque de la peine et de la coulpe ; et, après cette captivité, nous devons d’une manière mystique retourner à Jérusalem, retour figuré jadis par les Hébreux sortant de la captivité de Babylone pour retourner dans leur patrie. Et, afin que ceux qui portent leurs vœux vers le ciel se ressouviennent de leur captivité, on commence par la création d’Adam, dès l’origine du monde ; puis on lit son expulsion du paradis, l’histoire du déluge ; comment Abraham sortit de son pays, et d’autres passages où l’on voit les travaux et les tribulations de ce monde, et de grands exemples de patience et de vertu, Et, de même que les Hébreux, conduits jadis en captivité à Babylone, restèrent plongés dans la tristesse presque jusqu’à la fin des soixante-dix années, puis se réjouirent quand ils reçurent la permission de rentrer dans leur patrie ; nous aussi, quoique nous ne le fassions pas complètement, nous gardons le silence et nous nous abstenons de chanter les cantiques de joie presque jusqu’à la fin des soixante-dix jours, c’est-à-dire pendant la Septuagésime, comme on l’a déjà dit ci-dessus et comme on le dira au chapitre du Temps de l’Avent. Cependant, quinze jours avant Pâques, on lit Jérémie, parce qu’il a parlé de la passion d’une manière plus claire et plus précise que les autres prophètes, et qu’en parlant de la passion qu’il devait subir lui-même, il a préfiguré la passion du Seigneur. Pendant quinze jours, à partir de l’octave de Pâques, ou, selon d’autres, depuis l’octave de Pâques jusqu’au quatrième dimanche après cette même fête, on lit et on chante des extraits de l’Apocalypse, à cause des mystères de la passion et de la résurrection qui furent révélés à Jean et prêchés par les apôtres. Dans l’Apocalypse, il est fait mention, en effet, de la nouvelle Jérusalem.

XVI. Ensuite, jusqu’à l’Ascension, on lit les épîtres canoniques, des extraits des Actes des apôtres, et on chante des passages des psaumes, parce que David aussi a prophétisé touchant la passion, la résurrection et l’ascension, et que les apôtres ont prêché ce qu’ils ont appris du Seigneur, tout le temps qu’ils jouirent de sa présence, jusqu’à son ascension corporelle. Entre l’Ascension et la Pentecôte, ce que l’on chante a trait à cette dernière solennité, parce que les apôtres, ravis dans la contemplation des choses célestes, attendaient les dons du Père qui leur avaient été promis par le Fils. Depuis l’octave de la Pentecôte jusqu’aux calendes d’août, on lit les livres des Rois et des Paralipomènes, et on chante Deus omnium, « Dieu de tout le monde, » parce que, de même que Samuel, Saül, David et les autres combattirent pour la loi de Dieu, nous aussi, après avoir reçu le don de l’Esprit saint dans le baptême, formés par sa vertu, formés, enfantés, nourris et armés par elle, nous devons combattre contre les démons.

XVII. Depuis les calendes d’août jusqu’aux calendes de septembre, on lit et on chante des extraits de la Sagesse, parce que la sagesse est indispensable dans le combat, ou bien parce que le mois d’août est le sixième mois, et que, dans le sixième âge où le Seigneur est venu, nous devons vivre avec sagesse pour respecter sa présence, parce que la sagesse incréée, qui est sortie de la bouche du Très-Haut, s’est fait entendre parmi nous. De plus, ce mois est chaud et se trouve au milieu de l’année, désignant ainsi le milieu de la vie humaine ; il est au milieu de l’été, époque où l’ardeur des passions et des vices est plus vive et nous rend les secours de la sagesse plus nécessaires. En septembre, on lit et on chante des extraits des livres de Job, de Tobie, d’Esdras, de Judith et d’Esther, parce que ces personnages ont supporté patiemment l’adversité, et que l’Église, à la fin du monde, souffrira toutes sortes de tribulations pour le Seigneur.

XVIII. Depuis les calendes d’octobre jusqu’en novembre, on lit les livres des Machabées et on en chante des passages. parce que ce huitième mois représente d’une manière mystique la joie de la résurrection ; parce que, de même que les Juifs, après les combats et lorsque le temple fut réparé, bénissaient Dieu en chantant des hymnes et en confessant son saint nom ; de même les justes et les saints, dans la gloire et la grande solennité qui suivra leur résurrection, après avoir vaincu le diable dans les combats spirituels, se hâteront de voler dans le sein du Seigneur et se réjouiront en lui, d’après ces paroles : ce Heureux, Seigneur, ceux qui habitent dans ta maison. »

XIX. Depuis les calendes de novembre jusqu’à l’avénement du Seigneur, on lit Ezéchiel, Daniel et les douze petits prophètes avec les répons Vidi Dominum, etc. ; car Ezéchiel vit quatre animaux, figure des quatre évangélistes qui ont prêché la nativité, la passion, la résurrection et l’ascension. On lit ces divers prophètes avant l’Avent, parce qu’ils ont prédit l’avénement du Seigneur d’une manière plus parfaite et plus claire. Enfin, le pape Aurélius (in Bucardo, lib. iii, c. Hi qui) a décrété que ceux que l’on surprendrait à lire ou à chanter dans l’église des livres profanes (diffamés) ou ignorés, seraient excommuniés. Il est donc évident, d’après ce que nous venons de dire, qu’on lit dans l’Église les livres de l’Ancien et du Nouveau-Testament, ce dont on parlera encore en son lieu. Nous exposerons aussi l’ordre des autres livres au chapitre du Deuxième Dimanche après la Pentecôte.

XX. Et il faut remarquer que le mot testament est pris dans une double acception ; car on appelle testament la promesse même du testateur, c’est-à-dire les dispositions que l’on lit et qui ont été prises par le testateur ; c’est dans ce sens que l’on dit que la grâce du Nouveau-Testament, c’est-à-dire la foi et la charité, sont promises aux fidèles avec les autres vertus, savoir la vie éternelle dans la vie future et la vertu dans la vie présente. Et l’apôtre saint Paul dit à ce sujet : « C’est pourquoi il est le médiateur du Testament nouveau, afin que ceux qui sont appelés de Dieu reçoivent l’héritage éternel qu’il leur a promis » (Extra De cel. mis. cum Marthœ, § Cœterum). Or, l’Écriture qui contient ces promesses s’appelle Testament ; c’est pourquoi le Nouveau-Testament s’appelle Écriture du Nouveau-Testament, et l’Ancien-Testament Écriture de l’Ancien-Testament (De consec, d. iv, Sicut in sacra, in princ.). Et, par ces expressions, on imite pour ainsi dire ce qui se pratique chez les hommes ; car, de même que celui qui fait un testament institue un héritier, fait un écrit signé de sa main, appelle des témoins et déclare les volontés qu’il laisse à remplir à son héritier ; ainsi Dieu le Père, voulant instituer les Israélites ses héritiers dans la terre promise, fit un écrit signé de sa main, c’est-à-dire donna la loi ; il appela des témoins, c’est-à-dire Moïse et Aaron, et déclara à ses héritiers les charges qu’ils avaient à remplir, et voilà l’Ancien-Testament ; mais comme ce testament ne renfermait que des promesses transitoires et temporelles (Extra De celeb. mis., § Cœterum), c’est pourquoi le Christ voulant faire les chrétiens, c’est-à-dire les fidèles, héritiers de l’éternel héritage, fonda par conséquent le Nouveau-Testament ou l’Évangile ; il appela des témoins, c’est-à-dire les apôtres, leur déclara les conditions qu’ils avaient à remplir, et enfin il consacra son testament par sa propre mort. En outre, on entend encore par testament (testamentum) le témoignage, l’attestation de l’ame (testatio mentis) par laquelle tout homme atteste, déclare de vive voix ce qu’il a conçu dans le secret de son cœur, témoignage qu’il fortifie encore au moyen de l’écriture (XIV, q. ii, § Sit illud). Et c’est encore de cette similitude que l’Écriture ancienne s’appelle Testament.

XXI. Cette première Écriture s’appelle Ancien-Testament : premièrement, parce qu’elle promettait des biens anciens, c’est-à-dire terrestres et qui convenaient au vieil homme, en disant : « Si tu fais ceci et cela, tu mangeras les biens de la terre ; » puis encore : « Je vous donnerai une terre où coulent le lait et le miel, » et autre chose de cette nature. C’est pourquoi ce Testament ancien était transitoire. Secondement, il s’appelle Ancien-Testament, parce qu’il fut donné par le ministère du vieil homme, de Moïse, entaché de l’ancien péché d’origine. Troisièmement, parce que le Nouveau-Testament y a mis fin et qu’il a cessé d’être, comme quelque chose qui tombe de vétusté ; d’où l’Apôtre dit : Vetera transierunt, « Les pratiques de l’ancienne loi ont passé, et voilà que tout a été renouvelé. » Quatrièmement, il se nomme Ancien, eu égard au Nouveau qu’il a précédé dans le temps. Cinquièmement, parce qu’il nous délivre de la vétusté du péché.

XXII. L’autre Écriture s’appelle Nouveau-Testament : premièrement, parce qu’elle nous promet des biens nouveaux, c’est-à-dire célestes, c’est-à-dire qui ont rapport à la conservation de l’homme céleste, en disant : Qui agrum aut domuniy etc., centuplum accipiet, « Celui qui donne son champ ou sa maison recevra le centuple ; » et vitam œternam possidebit, « et il possédera la vie éternelle. » Secondement, cette Écriture s’appelle Nouveau-Testament, parce que c’est l’homme nouveau, c’est-à-dire pur de tout péché, le Christ, qui nous l’a donné. Troisièmement, ce Testament est appelé le nouveau ou le dernier, parce que c’est toujours le dernier testament, qui est consacré par la mort du testateur, qui reste invariable et qui ressortit tous ses effets pour l’héritier (Ut extra De celeb. mis. cum Marthœ), et c’est pourquoi on l’appelle éternel, c’est-à-dire perpétuel, comme si l’on disait durable et immuable : ce dont nous avons parlé dans la quatrième partie, à la septième particule du canon, à ces paroles : Novi et œterni ; car le Christ ne meurt plus maintenant, et désormais la mort ne le dominera plus (De consec., dist. ii, Semel). Quatrièmement, on dit Nouveau-Testament par rapport à l’Ancien, parce qu’il est plus nouveau que l’autre par le temps, ou bien parce que l’ancienne loi est comme la racine, et le Nouveau-Testament comme le fruit. Cinquièmement, parce qu’il renouvelle ; car il ne se dit nouveau qu’à cause des hommes purifiés de l’ancien péché et régénérés par la grâce, et appartenant maintenant au Nouveau-Testament, c’est-à-dire au royaume des cieux.

XXIII. Pour ce qui concerne les livres de l’office ecclésiastique, il faut savoir que l’office lui-même consiste en chant et en leçons. Il y a trois livres de chant et six de leçons. Il y a encore quelques autres livres ecclésiastiques, comme nous l’avons dit dans la seconde partie, à la fin du Traité du Prêtre.

XXIV. Les trois livres de chant sont l’Antiphonaire, le Graduaire et le Trophonaire. L’Antiphonaire a l’origine la plus vénérable, puisqu’il tire son nom des antiennes que le bienheureux patriarche Ignace entendit chanter par les anges. Quoiqu’il renferme des répons et des versets, dans la plupart des églises cependant, on l’appelle Responsionaire, à cause des répons qu’il contient.

XXV. Le Graduaire tire son nom des graduels qu’il renferme. Plusieurs l’appellent Officiaire, à cause des offices ou introïts qui s’y trouvent. Graduel vient de gradibus, degrés, comme on l’a dit dans la quatrième partie, au chapitre du Graduel. Nous parlerons dans le chapitre suivant du titre du Graduel, de l’Antiphonaire et du Lectionnaire.

XXVI. Le Trophonaire est le livre qui contient les tropes, c’est-à-dire les chants qui, avec l’introït de la messe, sont chantés surtout par les moines. On appelle aussi tropes les séquences ou proses, Kyrie eleison et les neumes. Et ce trophonaire vient de τροπος, conversion, action de tourner, ce dont nous avons parlé dans la quatrième partie, au chapitre de l’Introït. Certains l’appellent encore Livre des proses, à cause des proses qui s’y trouvent. Ce fut Vitalienus qui institua le chant romain avec accompagnement d’harmonie.

XXVII. Voici maintenant les livres de leçons : le premier est la Bibliothèque ; le second, l’Homiliaire ; le troisième, le Passionnaire ; le quatrième, le Légendaire ; le cinquième, le Lectionnaire ; le sixième, le Sermologue ou Sermonnaire. La Bibliothèque tire du grec son nom, qui est équivoque et peut s’entendre de deux manières, c’est-à-dire de l’endroit où l’on place les livres, et du volume composé de tous les livres de l’Ancien et du Nouveau-Testament (a Hiero.) par saint Jérôme.

XXYIII. L’Homiliaire est le livre qui contient les homélies des saints. On le lit les dimanches, pendant la Nativité, aux fêtes des saints qui ont des évangiles particuliers, à Pâques, à la Pentecôte et aux jours ouvrables qui appartiennent à ces mêmes solennités. Homélie signifie bonne louange ou parole au peuple. Et remarque que plusieurs ont composé des homélies, savoir : saint Augustin, saint Jérôme, Bède-le-Vénérable, Origène, saint Grégoire et d’autres encore. Cependant Bède n’en a pas composé, à proprement parler, et n’a fait que changer l’expression de celles d’Augustin ; car le style d’Augustin est celui de la discussion, tandis que celui de Bède est celui du sermon et de la leçon. Pourquoi Bède est-il appelé le Vénérable ? Nous le dirons dans la septième partie, au chapitre de sa Fête. Toutes les homélies ne sont pas non plus authentiques, comme certaines d’Origène que l’on dit être tombé dans l’hérésie. Cependant on dit que quelques-unes du même Père furent corrigées ou approuvées par le bienheureux Jérôme, d’après le témoignage du pape Gélase (xv d., Sancta in palea). Mais toutes les fois qu’on les lit dans l’Église, on tait le nom de l’auteur, à cause de l’infamie de l’hérésie ; on supprime aussi, dans les leçons, le nom de Salomon, qui fut entraîné à l’erreur par les femmes étrangères, et cela à cause de l’infamie attachée à l’idolâtrie ; on se contente de dire : Lectio libri Sapientiœ, « Leçon du livre de la Sagesse. » De même aussi, à cause de l’hésitation que Moïse fit paraître aux eaux de contradiction, et qui irrita le Seigneur, on ne dit pas : Leçon du livre de la Genèse du législateur Moïse, comme on dit : Leçon du livre de l’Apocalypse du bienheureux Jean, apôtre. Nous traitons ce sujet dans la préface de la cinquième partie, au Samedi de Pâques. Cependant certains veulent qu’au commencement des homélies d’Origène on dise : Homélie d’Origène, corrigée ou approuvée par saint Jérôme ; et, pour les suivantes, on doit dire le nom de l’auteur.

XXIX. Le Passionnaire est le livre qui renferme les souffrances des saints : on le lit aux fêtes des martyrs. Il y a plusieurs Passionnaires, dont certains sont canoniques et d’autres apocryphes, d’après le témoignage du pape Gélase (xv dist., Sancta in palea), tels que ceux des bienheureux Georges, Cyrice, Julite et autres qui, assure-t-on, ont été compilés par les hérétiques ; c’est pourquoi il est défendu de les lire dans l’Église. Le pape Anthéros décréta que l’on écrirait les actions des martyrs et qu’on les garderait dans les églises, et cela, à cause du très-grand nombre de prêtres couronnés par le martyre.

XXX. Le Légendaire est le livre qui traite de la vie et de la mort des confesseurs, comme saint Hilaire, saint Martin et les autres confesseurs. On le lit aux fêtes de ces saints, pourvu qu’il soit authentique.

XXXI. Le Lectionnaire est le livre qui renferme les leçons tirées des épîtres de saint Paul, et autres épîtres ; on l’appelle aussi quelquefois Épistolier ; on peut même lui donner le nom de Légendaire.

XXXII. Le Sermologue ou Sermonnaire est le livre qui renferme les sermons que le Pape et plusieurs autres saints ont composés. On les lit aux fêtes des confesseurs, depuis la Nativité jusqu’aux octaves de l’Épiphanie ; à la Purification de la bienheureuse Marie, à la Toussaint et dans plusieurs autres fêtes.

XXXIII. Il faut aussi considérer que l’Église fait souvent usage des écrits de trois personnages : du prophète David, qui fut homicide, traître et adultère ; de l’apôtre Mathieu, qui fut publicain et par cela même infâme ; de Paul, qui fut le cruel persécuteur du Christ et de l’Église, et aussi d’Augustin, qui fut manichéen et se convertit du temps de l’empereur Théodose. C’est un exemple qu’elle donne aux pécheurs pour leur prouver qu’ils ne doivent pas désespérer, mais espérer, s’ils font pénitence, qu’ils peuvent obtenir leur pardon, quelque graves que soient leurs péchés, et qu’après la pénitence leurs prières et leurs aumônes peuvent être agréables à Dieu.

XXXIV. Il faut savoir que le bienheureux Jérôme, du temps du pape Damase, corrigea le psautier de la version des Septante qu’on chantait alors partout, et que c’est d’après l’ordre établi par saint Grégoire pape, qui régla enfin l’office ecclésiastique tel qu’il est, que nous chantons dans l’église, d’après ce psautier, les antiennes, les répons, les Alleluia, les traits, etc. Le psautier ayant encore été altéré, le même Jérôme le traduisit de nouveau entièrement du grec en langue latine, comme il l’atteste lui-même dans la préface du psautier même ; et c’est ce nouveau psautier que ledit Damase, à la prière de saint Jérôme lui-même, ordonna que l’on chanterait, et qui, vulgairement, est appelé gallicum (français). On le lit à peu près partout, et on le voit ordinairement dans le texte de la Bible avec la préface de saint Jérôme. Le psautier précité, d’après la version des Septante, a été conservé par les Romains, qui en font encore usage aujourd’hui. Enfin, le même Jérôme, remarquant que les Juifs nous reprochaient d’avoir falsifié le psautier, parce qu’il s’éloignait de la lettre du leur, traduisit une troisième fois le psautier, mot à mot, de l’hébreu en latin. Cette version, en plusieurs points, diffère du psautier gallican et du psautier romain. Peu de gens la possèdent, quoique tous devraient l’avoir et qu’il serait bon de la placer dans le texte de la Bible. Et remarque que certains portent le psautier, mais ne chantent pas dedans, comme nous l’avons dit au chapitre de Matines et Laudes. Nous dirons, dans la préface de la septième partie, quels sont les dimanches et les jours privilégiés et principaux ; comment le dimanche est plus grand que les autres jours ; sous quels noms on désigne les jours de la semaine, qui sont les jours ouvrables et les jours de fêtes ou solennels. Le pape Grégoire (xcii d., c. fi.) a décidé qu’aux messes solennelles, dans l’église romaine, les diacres ne chanteraient pas, mais feraient seulement la lecture de l’évangile. Les psaumes et les autres leçons sont à la charge des sous-diacres et même des minorés, quand la nécessité l’exige.