Recherches sur les végétaux nourrissans/Quatorzième Objection

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prépare, pour en relever la fadeur & le rendre d’une digeſtion facile, deviendra un excès de dépenſe, ſur-tout dans les provinces où cet aſſaiſonnement n’eſt pas à bon compte ; mais malgré ce ſecours le pain de ces racines, évidemment trop cher pour les pauvres, ne fera pas aſſez bon pour les riches.


Réponse.


La pomme de terre, ſous quelque forme qu’on la mange, ne ſauroit être agréable & même digeſtible ſans le ſecours d’un aſſaiſonnement ; qu’eſt-ce d’ailleurs qu’un demi-gros de ſel par livre de pain ? Cette quantité eſt à peine appréciable pour cent livres ; il en faut davantage pour les manger en nature, parce que la fermentation développe dans le corps où ce mouvement s’établit, une eſpèce de gas dont la combinaiſon pendant la cuiſſon, relève un peu la fadeur du pain : celui de nos différens grains a plus de goût que leur farine en galette ou en bouillie. Dans les Provinces méridionales de France où les blés ſont plus ſavoureux que ceux du Nord, n’ajoute-t-on pas au pain une plus grande quantité de ſel pourquoi la pomme de terre, moins ſapide encore que les grains, ne ſeroit-elle pas ſuſceptible de cette addition ?

J’ai toujours annoncé la qualité du pain dont-il s’agit, comme inférieure à celle du froment & du ſeigle ; mais il mérite de tenir enſuite le premier rang, & je ne doute point qu’un jour il ne ſoit à meilleur compte que les diverses eſpèces de pain dont l’uſage eſt adopté dans le Royaume, parce que le produit du végétal farineux avec lequel on le prépare, eſt auſſi le plus fécond & le moins expoſé au caprice des ſaiſons.

Que nous importe que les hommes opulens ne trouvent point dans la delicateſſe de ce nouveau pain de quoi ſatiſfaire leur goût & leur fantaiſie, pourvu que dans tous les temps ce ſoit une reſſource pour les pauvres, pourvu que ceux qui ſont placés au milieu des campagnes où il n’y a que des pommes de terre, puiſſent ſe paſſer du mauvais pain d’orge, de ſarraſin & d’avoine, qu’ils ſabriquent à grands frais ? c’eſt-là le but du travail que nous avons entrepris & l’objet de nos vœux.