Reclus - Correspondance, tome 1/14

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Schleicher Frères (1 : Décembre 1850 - Mai 1870p. 62-63).


À Élie Reclus.


Kippure Park, Blessington. Sans date.


Ami,

Je te renvoie la lettre de X, car elle est assez précieuse pour briller dans ta collection. Il faut que mon caractère ressemble encore beaucoup au sien, puisque la mesquinerie de sa conduite éveille en moi une certaine irritation ; si je ne lui ressemblais que par les rares qualités qu’il possède, je l’étudierais avec le même sang-froid et la même édification que Rubia tinctorium ou Apium petroselinum. Mais plus il fait manœuvrer devant nous ses articulations de pantin, plus j’apprends à connaître certains ressorts cachés de mes propres actions ; c’est un squelette sans muscles et sans peau, voilà pourquoi je suis vexé de le voir pirouetter, je me reconnais en lui. Pauvre homme, il se plaint de ce que nous ne laissions pas crever Pfeiffner tranquillement, ou que, tout au moins, la vie ne soit dispensée au pauvre diable par son charitable ministère. Pour rompre avec nous et nous classer parmi ces êtres mythiques, phénomènes d’ingratitude qui vivent à Figeac, département du Lot, il parle d’un esprit de discorde et s’accuse adroitement d’égoïsme pour nous accuser de pis encore. Il nous dit qu’il nous sera toujours reconnaissant, pour que cette phrase puisse l’absoudre à tout jamais, même de l’amitié s’il le faut.

Il faut tirer Pfeiffner de ce mauvais pas, car je prévois que le projet Lisbonne s’est évaporé.

J’ai envie de traduire un opuscule du professeur Way. Webster pourra m’y être utile. Il va me faire venir des vaches laitières de Quénon. Il m’a acheté de la rèche.

Salut ami.

Si je m’ennuie par trop ici sans livres, j’irai te pousser une visite un de ces jours, mais n’y compte pas.

Salut encore. Tout va bien et très bien. Webster aimerait que Foumentèze fût maître d’école à Kylemore. Il lui donnerait une maisonnette et des champs à cultiver. Qu’en penses-tu ?