Reclus - Correspondance, tome 1/9

La bibliothèque libre.
Schleicher Frères (1 : Décembre 1850 - Mai 1870p. 50-51).


À Élie Reclus, chez Lady O. Sparrow, Bampton Park, Huntingdon.


Londres, 2 mars 1852.
Salut ô homme !

Pendant ton absence, reçu lettre de la Ritzenthalerienne, disant qu’elle est généreuse, qu’elle s’élève bien au dessus de ce bas monde où l’on parle encore d’argent, qu’elle est on ne peut plus satisfaite de ce que tu ne la paies pas et autres choses encore. Parlez-moi de ces créanciers !

Lettre de l’oncle qui ne contient pas une seule récrimination, je dis pas une seule.

Entendu Louis Blanc, Pierre Leroux, Lachambaudie qui vaut mieux que ses vers, et autres. Louis Blanc est plus éloquent que je ne pensais. Petit homme, voix d’une plénitude merveilleuse, traits profondément accusés. Visage remarquable, nain, nullement joli comme je le pensais. Pierre Leroux, trois fois brave homme, ne sachant trouver ses paroles, faisant des gestes risibles ; ayant réellement la chevelure dont le dotait Cham, la chevelure où venaient nicher les hirondelles en revenant d’Afrique. Pour les entendre, dépensé mon dernier shelling. Avant-hier donné à une pauvre femme mon dernier half-penny. Vendu de vieux habits à un juif qui les a emportés, oubliant de me payer ce que je n’ai pas su prévoir, moi le fameux. Pauvre comme feu Job, désirant ton retour.

Reçu les 5 thalers de Hickel, sans quoi j’en serais réduit depuis une dizaine de jours à l’extrémité d’aujourd’hui. R. Mannering ne peut rien me prêter ; sans que je le lui aie demandé, il a voulu emprunter 5 guinées à son père, mais tu comprends que non seulement le papa a refusé, mais encore qu’il m’a représenté comme un brigand : « Mon fils, prends garde surtout des hommes d’esprit qui n’ont pas le sou ; ils sont encore plus dangereux que de simples misérables ! » Comme d ailleurs, Mannering donne tout ce qu’il gagne, il ne peut rien me prêter. Ainsi soit-il !

Si je pouvais emprunter, mais ouiche ! il n’y a plus de juifs ! Reviens, car si je voulais vivre à crédit ici, ma délicatesse me dirait d’y rester. Or, ne veux point.

Mon Japon[1], raté de plus en plus, c’était mal commencé et plus malin que je ne supposais. Puis la chambre est si petite et tant d’autres misères. Il faudra je pense, à moins que tu sois riche et reviennes bientôt, tâter des grands moyens. Encore faut-il trouver ces grands moyens.

Salut, prospère, pauvre diable, comment as-tu fait avec P. ?

Élisée.
  1. Sans doute, un premier essai de description géographique ou politique qui, pensons-nous, ne vit jamais le jour.