Recueil d’emblêmes divers/1/19

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DISCOURS XIX.


Des Rebellions.


Les Poëtes ont feint, que la Deeffe Iunon fâchée de ce que Iupiter avoit de ſoy-même enfanté Pallas, pria les Dieux qu’il luy fût permis de pouvoir engendrer toute ſeule, ſans la joüiſſance de ſon mary. Ils diſent là deſſus, qu’elle fit ſi bien par ſes importunes prieres, que ſa demande luy fut enfin accordée : De maniere qu’ayant ébranlé la terre, de ce mouvement violent nâquit auſſitôt Tiphon, Monſtre grand & horrible, qui fut donné à un Serpent, comme à une nourrice, qui euſt ſoin de l’élever en ſon enfance. Mais à quelque temps de là, devenu grand & robuſte, il fit la guerre

au Pere des Dieux. En ce combat, Iupiter trébucha ſous la force de ce Geant, qui l’ayant chargé ſur ſes épaules, le tranſporta en un païs obſcur & fort éloigné, où il le laiſſa tout impuiſſant, & mutilé de ſes membres, aprés luy avoir coupé les principaux nerfs des pieds & des mains, qu’il emporta quant & ſoy. Peu aprés il arriva que Mercure déroba ſes nerfs au Geant, & les rendit à Iupiter, qui s’en étant renforcé, aſſaillit derechef Typhon : La premiere atteinte qu’il luy donna, fut d’un coup de Foudre, qui luy fit répandre quantité de ſang, d’où nâquit la venimeuſe engeance des Serpens qui ſont ſur la terre. Typhon cependant voulut mettre ſon ſalut en la fuite : mais il fut contraint de ſe laiſſer tomber, affoibly du coup qu’il avoit receu ; à quoy Iupiter ayant pris garde, il le precipita ſoudainement au pied du mont Ætna, & ainſi il l’écraſa deſſous le faix de cette Montagne.

Cette Fable a été inventée, pour être comme un Simbole de la Fortune des Roys, & des Rebellions qu’on voit ordinairement advenir dans les monarchies. Car les Rois ſont, par maniere de dire, mariez avec leurs Royaumes, comme Iupiter avec Iunon. Mais il advient la pluſpart du temps, que l’habitude qu’ils ont à regner, eſt la choſe du monde qui les travaille davantage , & qui les reduit plutôt à la Tyrannie. De maniere que ſans ſe ſoucier de ſe tenir à l’avis de leurs Etats, ils ne veulent engendrer que d’eux-mêmes : C’eſt à dire, que leur intention eſt, de gouverner toutes choſes comme il leur plaît, & de ne ſuivre point d’autre Loy que leur propre volonté. Cependant, tel procedé inſuportable à un Peuple, fait qu’il tâche encore de ſon côté de créer un Chef, & de l’aggrandir. Or comme ces menées naiſſent ordinairement des ſecrettes intelligences de la Nobleſſe, & des plus Grands du Royaume ; aprés qu’on les a bien diſſimulées, l’on tâche de faire ſoulever le peuple, d’où procede une certaine tumeur aux affaires, denotée par l’enfance de Tiphon. Les choſes reduites en tel état ſe fomentent encore plus par la malice du Vulgaire, qui eſt un Serpent grandement dommageable aux Rois. Ces nouveaux troubles ayant pris tant ſoit peu d’haleine & de force, ils aboutiſſent enfin à une manifeſte Rebellion ; Et dautant que les maux qui en reviennent aux Roix & aux Peuples ſont infinis, elle nous eſt repreſentée ſous l’horrible figure du monſtre Tiphon. On luy donne cent têtes, pour les diverſes entrepriſes, & les executions qu’elle fait. Ses bouches qui vomiſſent le feu, nous figurent les embraſemens ; & les Serpens dont elle eſt environnée, repreſentent les maladies contagieuſes qui l’accompagnent par tout, principalement dans les ſieges des Villes. Ses mains de fer ſignifient les aſſaſſinats & les meurtres : Ses griffes plus raviſſantes que celles de l’Aigle, les extorſions & les voleries. En un mot, tout ſon corps ſemé de plumes eſt un Hierogliphe des apprehenſions, & des nouvelles que les Courriers apportent à tout moment. Ces Rebellions ſont quelques fois ſi puiſſantes, & ſe ſortifient de telle force, que les Rois comme tranſportez ailleurs par leurs ſujets mutinez, ſont contrains de quitter leurs Trônes, & leurs meilleures villes, pour ſe retirer en des lieux obſcurs, meſmes aux confins de leur Royaume ; comme ils ont perdu leurs principaux nerfs, qui ſont l’argent & la Majeſté. Mais aprés que leur prudence a bien combatu les diſgraces de la fortune, ils recouvrent enfin ces nefs, par l’induſtrie & par la Vertu de Mercure ; c’eſt à dire, que devenus affables & reconciliez avec les volontez & les courages de leurs ſujets, ils regagnent ſouvent par leur moyen, une prompte aſſiſtance d’argent, & en eux-meſmes une nouvelle vigueur de leur propre authorité. Toutefois ceux qui ſçavent joindre la ruſe à la Prudence, ſe gardent fort bien de tenter derechef la Fortune, & de reprendre les armes ; ce qui n’empéche pas pourtant qu’ils ne ſoient toûjours attentifs à conſiderer s’il n y a point moyen de ruïner les factions des Rebelles, par quelque action illuſtre & memorable.

Que ſi leur deſſein reüſſit, ces Mutinez devenus foïbles à l’inſtant, & tous effrayez, ſe tournent d’abord

aux menaces & aux inſolences, qui ne ſont que ſifflemens de Serpens. Mais enfin, comme ils voyent leurs affaires au deſeſpoir, ils mettent toute leur aſſurance en la fuite, ſi bien qu’ils commencent à ſe laiſſer choir : Et c’eſt alors que les Rois ont beau moyen de leur mettre en queüe vne bonne Armée, & de les pourſuivre en toute aſſeurance, pour les accabler, comme avec le mont Ætna, par les forces de leurs Royaumes.