Recueil des lettres missives de Henri IV/1577/13 janvier ― À mon cousin monsieur le mareschal de Dampville

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1577. — 13 janvier. – Ire.

Orig. – B. R. Fonds Béthune, Ms. 8836, Fol. 37 recto.


À MON COUSIN MONSR LE MARESCHAL DE DAMPVILLE.

Mon Cousin, Comme Charretier[1], vostre secretaire, est arrivé vers moy, j’estois en toutes les peines qui se peuvent dire de sçavoir de voz nouvelles, mesme sur les bruits qui ont couru de vostre mort. De laquelle j’ay esté en doubte quelques heures ; mais enfin j’ay pensé que si cela fust advenu, que j’en eusse esté adverty par aultres voyes que celles [d’où] ceste desagreable nouvelle me venoit. Or je loue Dieu de ce qu’elle se trouve faulce, pour la singuliere amitié que je vous ay vouée, de laquelle pouvés faire estat plus que de chose du monde, comme les effets vous en rendront toujours asseuré tesmoignage. Au demeurant j’ay veu la despesche que ledict Charretier m’a apportée de la part du Roy, laquelle ayant bien considerée, m’a esté trez agreable. Et suivant icelle j’ay assigné les depputez des esglises reformées et des catholiques associez, au premier jour de febvrier prochain, à Montaulban, pour là entendre ce qui plaira à Sa Majesté nous y faire proposer par ceulx qu’elle a envoyez, comme vous entendrés par le rapport dudict Charretier. Auquel je m’en remectz pour vous prier, mon Cousin, sur tous les plaisirs que desirés me faire, suivant ce que vous m’avés promis et escript par luy, de vous y treuver, et d’amener avec vous les depputez de Daulphiné, Provence, Languedoc et aultres lieux circonvoisins ; esperant que Dieu nous fera la grace, en si notable assemblée, de prendre une bonne et louable resolution en toutes choses, au bien et prosperité du service de Sa Majesté, repos et conservation de ses subjects. Cependant j’ay deffendu l’hostilité et ordonné l’entretenement de l’edict, attendant que aultrement il en soit advisé avec l’eslargissement des prisonniers, pour n’entrer en plus grande alteration de la pacification. Neantmoings pour ce que, comme vous dira ledict Charretier, j’ay entendu l’acheminement de monsr de Biron et d’aultres desleguez du Roy mon seigneur et des Estatz-generaulx vers moy, j’ay desliberé de les oyr, et de remettre à leur respondre par vostre advis, et de ladicte assemblee, ainsy que j’en ay adverty Sa Majesté et mon cousin le prince de Condé, auquel j’ay envoyé la depesche que ledict Charretier avoit charge de luy rendre ; ne voulant, en chose si importante, concernant non seulement mon particulier mais tout le general, vous faire aulcune response que par la commune desliberation de tous ceulx qui y ont interest. Par ainsy, je vous reprie sur ceste occasion ne differer vostre acheminement de deçà pour particulierement m’assister de vostre prudence et bon conseil, sur lequel j’ay entiere confiance. Et en attendant, je prieray Dieu, mon Cousin, vous avoir en sa saincte garde. D’Agen, le xiije janvier 1577.

Vostre plus affectionné cousin et parfait amy,


HENRY.


  1. Mathurin Charretier était, dit dom Vaissète, « également détesté des catholiques et des religionnaires. » De Thou, qui l’avait connu personnellement, dit de lui : « C’étoit un homme sans probité et sans honneur, qui, après avoir été quelque temps secrétaire du duc de Damville, fut employé par le maréchal de Bellegarde dans l’affaire du marquisat de Saluces, et mourut enfin comme il avoit vécu. » (Hist. univers. l. LXVIII, traduction franç., édit. de Londres, 1734, in-4o.) Mézeray dit aussi que les secrétaires de Damville étaient gagnés. Toutefois Charretier laissa des mémoires manuscrits très-circonstanciés et accompagnés de pièces authentiques, qui ont beaucoup servi à dom Vaissète pour cette partie de son histoire du Languedoc.